MRP RETAIL INC.

Décisions


MRP RETAIL INC.
c.
PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA
Appel no AP-2006-005

Décision et motifs rendus
le jeudi 27 septembre 2007


TABLE DES MATIÈRES

EU ÉGARD À un appel entendu le 15 novembre 2006, en vertu du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes, L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1;

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada, le 17 mars 2006, concernant une demande de réexamen aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

 

MRP RETAIL INC.

Appelante

ET

 

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

Intimé

DÉCISION

L’appel est admis.

Elaine Feldman
Elaine Feldman
Membre présidant

Ellen Fry
Ellen Fry
Membre

Serge Fréchette
Serge Fréchette
Membre

Hélène Nadeau
Hélène Nadeau
Secrétaire

Lieu de l’audience :

Ottawa (Ontario)

Date de l’audience :

Le 15 novembre 2006

   

Membres du Tribunal :

Elaine Feldman, membre présidant

 

Ellen Fry, membre

 

Serge Fréchette, membre

   

Conseillers juridiques pour le Tribunal :

Reagan Walker

 

Eric Wildhaber

   

Agent du greffe :

Valérie Cannavino

   

Ont comparu :

Malcolm Perlman, pour l’appelante

 

Gregory Tzemenakis, pour l’intimé

Veuillez adresser toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
Standard Life Centre
333, avenue Laurier Ouest
15e étage
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel :

EXPOSÉ DES MOTIFS

CONTEXTE

1. Le présent appel est interjeté aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes 1 à l’égard une décision2 rendue le 17 mars 2006 par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi.

2. La décision porte sur des t-shirts et des débardeurs 100 p. 100 coton pour femme (les marchandises en cause). MRP Retail Inc.3 (MRP) a importé les marchandises en cause de California Sunshine Activewear Inc. (California Sunshine), établie aux États-Unis, entre le 10 avril et le 24 juillet 2001.

3. Les marchandises en cause ont été classées dans le numéro tarifaire 6109.10.00 comme t-shirts et maillots de corps, en bonneterie de coton. Ce classement n’est pas contesté.

4. La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si les marchandises en cause peuvent bénéficier du traitement tarifaire préférentiel (au taux tarifaire mexicain) en vertu de l’Accord de libre-échange nord-américain 4 .

5. Les présents motifs sont divisés en trois parties : les faits de l’appel, la législation et l’analyse de la question en litige décrite au paragraphe précédent.

FAITS DE L’APPEL

6. M. Malcolm Perlman, président de MRP, a témoigné à l’audience au nom de sa société. Mme France Mowbray, agente régionale des recours connaissant l’historique de vérification des marchandises en cause, et M. Raymond Thibeault, directeur adjoint de l’Unité de la vérification de l’origine et de l’établissement de la valeur de l’ASFC, ont témoigné pour de compte de l’ASFC.

7. Le Tribunal a admis M. Thibeault à titre d’expert en ce qui concerne les processus de vérification de l’origine de marchandises de l’ASFC.

8. Les paragraphes qui suivent contiennent les conclusions de fait du Tribunal.

9. Les marchandises en cause ont été produites au Mexique par Alimex Fashion SA de CV (Alimex) pour California Sunshine. Alimex a cousu et fini des flans pour la fabrication de t-shirts et de débardeurs faits à partir de tissu en coton prédécoupé fourni par California Sunshine et les a renvoyés aux fins d’impression au cadre et de broderie, par California Sunshine directement ou son sous-traitant. Dans d’autres cas, California Sunshine a conclu avec Alimex une entente globale par laquelle cette dernière achetait le tissu et produisait les t-shirts et les débardeurs elle-même. California Sunshine vendait ensuite les t-shirts et les débardeurs finis à MRP.

10. Comme il a été mentionné plus haut, California Sunshine a effectué un certain nombre de livraisons à MRP entre le 10 avril et le 24 juillet 2001. Dans chaque cas, elle a fourni un certificat d’origine dans lequel, à titre de soi-disant producteur des marchandises, elle certifiait qu’elles étaient d’origine mexicaine.

11. Pour des raisons que ne connaît pas Mme Mowbray, l’ASFC a demandé à California Sunshine, environ un an plus tard, dans une lettre du 16 septembre 2002, de remplir un questionnaire de vérification d’origine. Aucune réponse n’a été reçue à ce moment-là.

12. Dans une lettre du 29 octobre 2002, l’ASFC a demandé à California Sunshine de lui fournir des renseignements concernant le procédé de fabrication et l’a informée de son intention de refuser le traitement tarifaire préférentiel si les renseignements n’étaient pas fournis.

13. Dans une lettre du 2 décembre 2002, California Sunshine a expliqué le procédé de production et, selon l’ASFC, a aussi informé l’ASFC qu’elle n’était pas le producteur des marchandises en cause. Cette lettre ne figure pas au dossier.

14. Le 7 janvier 2003, l’ASFC a demandé une confirmation écrite du procédé de production sous forme de certificats ou d’affidavits d’origine de la part des fournisseurs et des entrepreneurs concernés, soit Alimex et les fournisseurs de tissu, United Textiles & Trimmings Knitting Mills (United Textiles), Best Trend Inc. (Best Trend) et Green Orange Designs Inc. (Green Orange). Aucune réponse n’a été reçue à ce moment-là.

15. Dans une lettre du 6 mai 2003, l’ASFC a informé MRP que, à la suite de la vérification des marchandises en cause, elle avait l’intention de refuser le traitement tarifaire préférentiel en raison du manque de justification de leur origine.

16. Le 30 mai 2003, l’ASFC a officialisé sa décision en émettant des relevés détaillés de rajustement en vertu de l’article 59 de la Loi.

17. MRP a déposé, aux termes de l’article 60 de la Loi, une demande5 de réexamen de la décision et, vers le 15 juillet 2003, California Sunshine a fourni la confirmation écrite demandée par l’ASFC, telle qu’indiquée ci-dessus, soit les certificats d’origine du tissu provenant de United Textiles, Best Trend et Green Orange.

18. Dans une lettre du 13 août 2003, l’ASFC a confirmé avoir reçu dans les délais prescrits la demande de MRP et a promis ce qui suit : « si ma recherche indique que votre demande devrait être rejetée, je vous informerai par écrit de la décision et des motifs que j’envisage. À ce moment-là, vous pourrez déposer une réponse supplémentaire avant que ma décision définitive ne soit prise6  » [traduction].

19. Toutefois, à l’exception d’une lettre du 10 mars 2004 à MRP selon laquelle un nouveau responsable traiterait sa demande de réexamen à compter de ce moment-là, MRP n’a eu aucune nouvelle de l’ASFC pendant plus de deux ans et demi. Dans une lettre du 15 février 2006, l’ASFC a informé MRP de sa décision provisoire de rejeter sa demande au motif que « l’exportateur ne pouvait fournir tous les documents nécessaires au suivi du déroulement du procédé de fabrication des marchandises en cause avant leurs vente et exportation au Canada » [traduction]. L’ASFC n’a accordé à MRP que 20 jours pour régler la question, à défaut de quoi une décision définitive serait rendue. (Du 20 juillet 2005 au 25 janvier 2006, l’ASFC avait tenté sans succès d’obtenir les renseignements manquants de California Sunshine.)

20. Dans une lettre du 1er mars 2006, MRP a demandé une prorogation de 90 jours en raison de la quantité de documents requis et de la « longueur inhabituelle de la période écoulée depuis l’autorisation d’importation des marchandises7  » [traduction].

21. Dans une lettre du 8 mars 2006 (après avoir communiqué une fois de plus en vain avec California Sunshine relativement aux renseignements manquants), l’ASFC a rejeté la demande et, aux termes de l’article 60 de la Loi, a confirmé sa décision. L’ASFC était d’avis que, même s’il y avait prorogation, les renseignements manquants ne seraient pas produits.

22. Le 7 avril 2006, MRP a interjeté appel auprès du Tribunal à l’égard de la décision de l’ASFC.

LÉGISLATION

23. Le paragraphe 67(1) de la Loi prévoit que « [t]oute personne qui s’estime lésée par une décision du président [de l’ASFC] rendue conformément [à l’article] 60 [...] peut en interjeter appel devant le Tribunal canadien du commerce extérieur [...] ».

24. Les décisions rendues aux termes de l’article 60 de la Loi comprennent notamment les décisions de l’ASFC sur l’origine et le marquage des marchandises. Même si les marchandises doivent pouvoir être marquées comme marchandises du Mexique8 , conformément au règlement prescrit9 , pour avoir droit au taux de traitement tarifaire préférentiel en vertu du tarif du Mexique, le marquage des marchandises importées n’est pas une question en litige dans le présent appel. Seule l’origine des marchandises fait l’objet du litige.

25. L’origine des biens est régie par diverses dispositions du Tarif des douanes 10 , de la Loi 11 , du Règlement sur la justification de l’origine des marchandises importées 12 , du Règlement sur les règles d’origine (ALÉNA) 13 et du Règlement sur la vérification de l’origine des marchandises (ALÉNA et ALÉCC [14]) 15 .

26. Le paragraphe 24(1) du Tarif des douanes exige de l’importateur qu’il remplisse deux conditions pour que les marchandises importées puissent bénéficier du traitement tarifaire préférentiel. Premièrement, l’importateur doit produire une justification de l’origine 16 des marchandises conformément au règlement17 ; deuxièmement, l’importateur doit établir que les marchandises sont conformes aux règles d’origine prescrites par règlement pour les marchandises.

Justification de l’origine

27. L’alinéa 24(1)a) du Tarif des douanes prévoit que les marchandises peuvent bénéficier du traitement tarifaire préférentiel seulement si « leur origine est établie en conformité avec la Loi sur les douanes ». La Loi exige que « [...] l’origine de toutes les marchandises importées [soit] justifiée en la forme et avec les renseignements déterminés [...]18  ». Le règlement exige un « [...] certificat d’origine de ces marchandises [...]19  », même si aucune forme de certificat d’origine n’est prescrite.

Règles d’origine

28. Le paragraphe 4(1) du Règlement sur les règles d’origine (ALÉNA) prévoit ce qui suit : « Un produit est originaire du territoire d’un pays ALÉNA s’il est, selon le cas : [...] b) un végétal ou un autre produit récolté sur le territoire de l’un ou plusieurs des pays ALÉNA; [...] j) un produit qui est produit sur le territoire de l’un ou plusieurs des pays ALÉNA, uniquement à partir d’un produit visé à l’un des alinéas a) à i), ou à partir de ces dérivés, à toute étape de la production. »

29. Par conséquent, si les t-shirts et les débardeurs en coton ont été découpés (ou tricotés) et cousus ou autrement assemblés aux États-Unis ou au Mexique à partir de coton cultivé aux États-Unis ou au Mexique, ils constituent des produits originaires au sens de la définition du règlement.

30. En ce qui concerne les marchandises en cause, cela comporte deux étapes. MRP doit établir a) que le coton à partir duquel le tissu a été fabriqué a été cultivé aux États-Unis ou au Mexique et b) que le tissu a été découpé et assemblé sous forme de produits finis aux États-Unis ou au Mexique également.

ANALYSE

31. Le Tribunal doit déterminer si MRP a fourni une justification de l’origine des marchandises en cause et de leur conformité aux règles d’origine pertinentes.

Justification de l’origine

32. Concernant la première exigence, comme indiqué ci-dessus, l’alinéa 24(1)a) du Tarif des douanes prévoit que les marchandises peuvent bénéficier du traitement tarifaire préférentiel seulement si « leur origine est établie en conformité avec Loi sur les douanes ».

33. Au cours de l’audience, l’ASFC a insisté sur le fait que, à son avis, l’exportateur a erronément20 indiqué sur le certificat d’origine qu’il était le « producteur » des marchandises en cause. Elle a prétendu que l’exigence de certificat d’origine n’avait donc pas été respectée et a demandé au Tribunal de rejeter l’appel pour ce motif.

34. Comme indiqué ci-dessus, la seule exigence législative portant sur la justification de l’origine veut que celle-ci soit sous forme de « certificat d’origine ». La réglementation ne prescrit nullement la forme du certificat lui-même ni n’indique qu’il doit être fourni par un « producteur ». Il n’est pas contesté que MRP a soumis des certificats d’origine pour les marchandises en cause.

35. De plus, contrairement à l’opinion de l’ASFC, California Sunshine pourrait être considérée comme étant le producteur des marchandises. Le Règlement sur les règles d’origine (ALÉNA) définit le terme « producteur » comme « [t]oute personne qui cultive, extrait, récolte, pêche, piège, chasse, fabrique, transforme ou monte un produit21  ». Étant donné qu’elle a à tout moment commandé et dirigé la fabrication ou la transformation ainsi que l’assemblage et l’impression des marchandises en cause par l’entremise de ses entrepreneurs, il peut être conclu que California Sunshine était le producteur des marchandises en cause.

36. En résumé, le Tribunal convient que les certificats d’origine produits en l’espèce ont atteint le seuil minimal imposé par l’article 24 de la Loi sur le plan des exigences formelles. De l’avis du Tribunal, la véritable question en litige dans le présent appel consiste à savoir si MRP a démontré que les marchandises en cause ont respecté les règles d’origine prescrites.

Règles d’origine

37. Comme il a été mentionné ci-dessus, en vertu de l’application du paragraphe 4(1) du Règlement sur les règles d’origine (ALÉNA), il faut suivre un processus en deux étapes pour déterminer si les marchandises en cause sont des produits originaires au sens de la définition du règlement : premièrement, le coton à partir duquel le tissu a été fabriqué doit avoir été cultivé aux États-Unis ou au Mexique, et deuxièmement, le tissu doit avoir été découpé ou assemblé sous forme de produits finis aux États-Unis ou au Mexique également.

38. Dans certains cas, le procédé de production comportait les quatre étapes suivantes : a) California Sunshine a acquis du tissu de coton; b) elle a envoyé le tissu à un entrepreneur (KP Cutting) pour que celui-ci le découpe en flans pour la fabrication des t-shirts et des débardeurs; c) elle a ensuite envoyé les flans à Alimex aux fins de couture et de finition; d) (directement ou par l’entremise d’un entrepreneur), elle a imprimé et brodé les produits finis et les a préparés aux fins de distribution et de vente.

39. California Sunshine a fourni des certificats d’origine provenant des fabricants de textile pour le tissu qu’elle a envoyé à Alimex, au Mexique. United Textiles, de Los Angeles (Californie), a certifié que son tissu était fait à 100 p. 100 de coton peigné tissé sur métier à anneaux à partir de filés mexicains conformes à l’ALÉNA. Green Orange, de Los Angeles (Californie), a certifié que son tissu était fait à 100 p. 100 de coton éponge français, de coton côtelé 2 x 1 et de coton côtelé 1 x 1 conformes à l’ALÉNA.

40. Dans d’autres cas, California Sunshine a conclu avec Alimex une entente globale en vertu de laquelle cette dernière achetait le tissu et produisait elle-même les t-shirts et les débardeurs. Aux termes de cette autre entente, Alimex a acheté son tissu directement de Best Trend, de Compton (Californie). California Sunshine a fourni un certificat d’origine de Best Trend certifiant que son tissu était fait à 100 p. 100 de tricot circulaire en coton conforme à l’ALÉNA.

41. Le certificat d’origine de Best Trend était daté du 31 décembre 2001 et couvrait globalement la période du 1er janvier au 31 décembre 2001. Le certificat de United Textiles était daté du 9 décembre 2002 et n’indiquait pas la période couverte. Les certificats de Green Orange étaient datés du 10 juillet 2003 et n’indiquaient pas non plus la période couverte.

42. Au cours de l’audience, l’ASFC a insisté sur le fait que les certificats d’origine de United Textiles et de Green Orange n’indiquaient pas précisément qu’ils couvraient la période de fabrication, qui remonte probablement au début de 2001, et a demandé au Tribunal de rejeter l’appel en raison de la « divergence ».

43. Le Tribunal n’estime pas que l’absence de dates sur les certificats généraux d’origine de ces deux sociétés devrait avoir l’effet avancé par l’ASFC. Comme indiqué ci-dessus, il n’existe aucune forme prescrite pour les certificats d’origine. Par conséquent, aucune prescription juridique ne prévoit l’indication de dates ou de périodes particulières sur un certificat d’origine. Le certificat d’origine de Best Trend couvre expressément la période en question. Compte tenu du libellé général des certificats de United Textiles et de Green Orange, il est raisonnable de supposer que ces certificats couvrent toutes les livraisons pertinentes qui se sont produites au plus tard aux dates des certificats. Le dossier ne contient aucune preuve contredisant cette interprétation.

44. Par conséquent, le Tribunal convient que les flans pour la fabrication des t-shirts et des débardeurs ont été découpés à partir de coton cultivé aux États-Unis ou au Mexique. La prochaine question est de savoir si les flans ont été cousus et transformés en produits finis aux États-Unis ou au Mexique.

45. L’ASFC n’a pas contesté la prétention selon laquelle Alimex a cousu et fini les flans à son usine du Mexique. Le gérant des ventes nationales de California Sunshine a écrit ce qui suit : « Nous avons commandé à Alimex des flans qui devaient être cousus au Mexique et ne subir aucune transformation dans un autre pays. Tous nos t-shirts avaient des numéros RN pour distribution aux États-Unis et au Canada qui les rendaient admissibles à titre de produits de l’ALÉNA 22  » [traduction].

46. Toutefois, l’ASFC prétend que les marchandises d’Alimex ont été regroupées dans l’entrepôt de California Sunshine avec d’autres marchandises qui n’étaient pas d’origine ALÉNA. Si tel était le cas, la preuve ne permettrait pas au Tribunal de déterminer si les marchandises exportées par California Sunshine à MRP étaient des marchandises d’origine ALÉNA ou non. Par conséquent, le Tribunal doit déterminer si la preuve de l’ASFC selon laquelle les marchandises en cause ont été regroupées dans l’entrepôt de California Sunshine est plus convaincante que la preuve de MRP selon laquelle tel n’a pas été le cas.

47. La preuve de l’ASFC réside dans les notes qu’a prises Mme Mowbray à la suite de conversations téléphoniques avec des employés de California Sunshine. La preuve de MRP consiste en un courriel de l’employé de California Sunshine qui en était le gérant des ventes nationales au cours de la période de livraison des marchandises en cause.

48. Dans une lettre du 14 novembre 2006 adressée au Tribunal, l’ASFC s’est objectée à l’admission de la déclaration de M. Paloger notamment au motif que celle-ci « soulève un certain nombre de questions qui ne peuvent faire l’objet d’un contre-interrogatoire en raison de l’absence de témoin de California Sunshine » [traduction].

49. Il est bien établi en common law que les tribunaux sont les maîtres de leur propre procédure et qu’ils ne sont pas liés par les règles de preuve pourvu qu’ils suivent les règles de la justice naturelle23 . « Le Parlement a jugé bon de donner aux tribunaux administratifs une très grande latitude dès lors qu’il s’agit d’entendre et d’accepter des éléments de preuve afin d’éviter qu’ils soient paralysés par des objections et des manœuvres de procédure. Ceci permet de tenir une audition moins formelle, où tous les éléments pertinents peuvent être présentés au tribunal pour un examen expéditif24 . »

50. L’article 35 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur 25 prévoit ce qui suit : « Les séances du Tribunal sont conduites de la façon qui lui paraît la plus efficace, la plus équitable et la plus expéditive dans les circonstances. » L’article 34 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur 26 permet à l’appelante de s’appuyer sur une preuve documentaire à l’audience pourvu que les documents soient contenus dans son mémoire ou soient signifiés aux autres parties au moins 10 jours avant l’audience. L’article 6 des Règles du TCCE prévoit ce qui suit : « Le Tribunal peut modifier les présentes règles, notamment par adjonction, ou exempter une partie de leur application, si cela est juste et équitable ou si, en vue du règlement plus expéditif ou moins formel d’une question, les circonstances et l’équité le permettent » [nos italiques].

51. À la lumière des règles de droit qui précèdent, la pratique normale du Tribunal consiste à admettre les éléments de preuve de façon libérale, mais seulement en vue de donner à chaque élément de preuve le poids qu’il mérite27 . C’est la pratique qui a été suivie en l’espèce. Les éléments de preuve des deux parties étaient du ouï-dire et ne pouvaient faire l’objet de contre-interrogatoires. M. Paloger n’étant pas présent à l’audience pour qu’il puisse être contre-interrogé à l’égard de sa lettre, sa preuve constituait du ouï-dire. Le témoignage de Mme Mowbray portait sur sa conversation avec MM. Sinh Trinh et Pierre Serror. Ceux-ci n’étant pas non plus présents à l’audience, Mme Mowbray ne pouvait pas être contre-interrogée sur sa version de leurs déclarations, de sorte que la preuve de Mme Mowbray constituait aussi du ouï-dire. Pour disposer du tableau complet des faits tout en préservant le caractère expéditif de l’appel, le Tribunal a admis en preuve la lettre de M. Paloger et le témoignage de Mme Mowbray.

52. Le Tribunal s’attaque maintenant à la question de savoir quel poids attribuer aux éléments de preuve contradictoires décrits au paragraphe qui précède. Le Tribunal n’est pas convaincu par la preuve de l’ASFC, qui est essentiellement constituée des notes de trois conversations téléphoniques prises par Mme Mowbray. La première conversation a eu lieu en janvier 2006 avec M. Trinh, employé de California Sunshine dont les fonctions n’ont pas été déposées en preuve et qui a déclaré, selon le souvenir de Mme Mowbray, que « le problème se produit quand Alimex renvoie les marchandises à California Sunshine, car toutes les marchandises reçues sont mélangées » [traduction].

53. La deuxième conversation téléphonique a eu lieu encore une fois avec M. Trinh le 1er mars 2006. Mme Mowbray a noté ce qui suit : « J’ai parlé à Sinh Trinh au sujet de mon interprétation de leur procédé de fabrication. Nous sommes tous les deux d’accord que mon interprétation, telle qu’exposée dans ma lettre, est exacte » [traduction].

54. La troisième conversation téléphonique a eu lieu le 6 mars 2006 avec M. Serror, président de la société. Mme Mowbray a noté ce qui suit : « M. Serror a convenu que j’ai bien interprété leur procédé de fabrication. Il comprend que, dans les circonstances, les marchandises exportées par California Sunshine Activewear au Canada ne peuvent bénéficier du tarif du Mexique comme le prétend MRP. Tous les vêtements finis, peu importe le fournisseur, se retrouvent mélangés une fois incorporés au stock » [traduction].

55. Mme Mowbray a fait un effort pour veiller à ce que sa compréhension des conversations avec M. Trinh et M. Serror soit exacte en envoyant à M. Trinh, le 25 janvier 2006, une lettre confirmant leur conversation initiale. Il n’en demeure pas moins qu’aucun élément de preuve devant le Tribunal, à l’exception de la présomption de Mme Mowbray, ne démontre que ces personnes connaissaient bien les détails du procédé de fabrication et de ses dispositions contractuelles connexes. Comme il a été mentionné ci-dessus, les éléments de preuve n’indiquent pas le poste qu’occupe M. Trinh au sein de la société.

56. De plus, le Tribunal est d’avis qu’on ne s’attend pas à ce que M. Serror, même s’il est président, connaisse tous les détails des opérations quotidiennes de la société. En outre, le Tribunal a tenu compte du fait que cet élément de preuve n’est pas constitué des communications avec MM. Trinh et Serror, mais qu’il s’agit plutôt de la compréhension et du souvenir de ces communications de la part de Mme Mowbray. Même s’il ne fait pas de doute que Mme Mowbray a agi de bonne foi, il est possible qu’elle n’ait pas entièrement compris ce que MM. Trinh et Serror désiraient communiquer ou qu’elle s’en soit mal rappelé. Aussi, même si on pouvait contre-interroger Mme Mowbray au sujet de ses souvenirs, on ne pouvait pas contre-interroger MM. Trinh et Serror.

57. Par ailleurs, le fait que l’élément de preuve de M. Paloger soit une communication de sa part, plutôt que la compréhension et le souvenir d’une telle communication de la part d’une autre partie, la rend intrinsèquement plus fiable. M. Paloger a consigné sa déclaration par écrit, ce qui indique au Tribunal qu’il doit s’être attendu à ce qu’elle soit publicisée à un moment donné et qu’il a vraisemblablement été plus diligent lorsqu’il a restreint ses remarques aux observations factuelles au sujet desquelles il était certain. En tant que gestionnaire des ventes nationales de la société, M. Paloger connaissait bien les transactions en question étant donné qu’il a « supervisé les ventes, la production et les livraisons » [traduction] pour la société de 1997 à 2006, date à laquelle elle a été dissoute, et qu’il s’est chargé personnellement du compte de MRP28 .

58. En outre, le Tribunal souligne que le regroupement dans son entrepôt des marchandises d’origine ALÉNA et non ALÉNA aurait constitué une pratique commerciale dangereuse pour California Sunshine étant donné que l’avantage concurrentiel de la société dépend partiellement de sa capacité de livrer des marchandises à ses clients canadiens à un taux tarifaire préférentiel; autrement, il se pourrait bien que le coût assumé par les clients devienne trop élevé pour que ceux-ci continuent de faire affaires avec elle.

59. M. Paloger a indiqué que, « au moment des transactions visées par l’appel, California Sunshine n’a fait faire des t-shirts que par Alimex et n’a importé AUCUN t-shirt ou flan de la Chine, de l’Inde, de Macao ou du Myanmar » [traduction]. Le Tribunal conclut que cette déclaration est crédible, étant donné que l’article 9 de l’Accord sur les textiles et les vêtements de l’Organisation mondiale du commerce permettait l’imposition de tarifs comparativement élevés sur les importations d’intrants textiles et était toujours en vigueur au moment des transactions visées par l’appel. Par contraste, l’ALÉNA permettait l’imposition de faibles tarifs sur les importations au Canada de textiles d’origine mexicaine.

60. Dans les circonstances, le Tribunal conclut que le courriel de M. Paloger constitue la meilleure preuve disponible, des deux parties, et lui attribue davantage de poids que le compte rendu de Mme Mowbray sur ses conversations téléphoniques avec MM. Trinh et Serror. Le Tribunal accepte donc la déclaration suivante de M. Paloger : « nos t-shirts provenaient du Mexique et ont été entreposés dans notre entrepôt à Los Angeles. Ils n’ont pas été regroupés avec d’autres t-shirts » [traduction].

61. L’ASFC a prétendu qu’étant donné que MRP ne pouvait produire aucune preuve de chaîne ininterrompue de garde des marchandises sous forme de bons de commande, de factures de vente ou de registres de production démontrant la fabrication des marchandises en cause dans les territoires de l’ALÉNA, le Tribunal devrait rejeter l’appel.

62. Le Tribunal rejette l’argument de l’ASFC. En premier lieu, dans le contexte du présent appel, les tentatives de vérification de l’ASFC visant l’obtention de renseignements commerciaux détaillés de soutien n’ont pas eu lieu en temps opportun du point de vue des pratiques de tenue des registres des entreprises en cause (peu importe les pratiques idéales convenables pour l’ALÉNA). Comme il a été mentionné, California Sunshine a été dissoute en 2006.

63. En deuxième lieu, l’acceptation de l’argument reviendrait à imposer l’exhaustivité et la certitude rigoureuse recherchées dans une vérification de l’origine des marchandises comme norme de preuve applicable à un appel interjeté aux termes de l’article 67 de la Loi.

64. La Loi n’indique pas qu’il s’agit de la norme de preuve à appliquer par le Tribunal, et le Tribunal est d’avis qu’il doit être possible pour un importateur de produire en appel une preuve de l’origine des marchandises satisfaisante pour le Tribunal sans nécessairement respecter les normes de vérification de l’ASFC29 . Si tel n’était pas le cas, le Tribunal verrait son rôle réduit à l’approbation automatique des décisions de l’ASFC, et le droit d’appel, prévu par la loi, auprès d’un tribunal indépendant quasi judiciaire serait inutile.

65. Par conséquent, le Tribunal est d’avis que MRP doit démontrer selon la prépondérance de la preuve, mais pas hors de tout doute possible comme le prétend l’ASFC, que les marchandises en cause étaient des produits originaires. Obliger l’appelante à satisfaire à une norme de preuve si élevée reviendrait à lui imposer un fardeau plus lourd que celui dont doit se décharger un poursuivant dans une affaire pénale, lorsque la liberté de l’accusé est souvent susceptible d’être en jeu. Selon le Tribunal, une exigence si rigoureuse ne peut être imposée qu’au moyen de termes explicites, et rien dans la législation prise en considération ne mène à la conclusion que le Parlement avait l’intention d’imposer un fardeau de cette nature.

CONCLUSION

66. À la lumière de la preuve dont il dispose, le Tribunal est convaincu que les marchandises en cause ont été fabriquées au Mexique à partir de matières originaires au sens du Règlement sur les règles d’origine (ALÉNA) et que, par conséquent, les règles d’origine particulières ne s’appliquent pas à ces marchandises.

67. Pour tous ces motifs, l’appel est admis.


1 . L.R.C. 1985 (2e suppl.), c. 1 [Loi].

2 . En réalité, il y a eu cinq décisions distinctes suivant un raisonnement identique. Aux fins du présent appel, elles seront considérées comme une seule décision.

3 . Sous le nom commercial de « Jean Machine », une division de détail.

4 . Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis mexicains et le gouvernement des États-Unis d'Amérique, 17 décembre 1992, R.T.C. 1994, no 2 (entré en vigueur le 1er janvier 1994) [ALÉNA].

5 . La demande a été déposée par l’entremise de son courtier en douane. Ni l’original ni aucun exemplaire de la demande n’a été déposé en preuve.

6 . Mémoire de l’appelante, onglet 8; mémoire de l’intimé, onglet F.

7 . Mémoire de l’appelante, onglet 11; mémoire de l’intimé, onglet N.

8 . Règlement sur la préférence tarifaire (ALÉNA), D.O.R.S./94-17, alinéa 4b).

9 . Règlement sur la désignation, aux fins de marquage, du pays d’origine des marchandises (pays ALÉNA), D.O.R.S./94-23.

10 . L.C. 1997, c. 36, art. 16 et 24.

11 . Art. 35.1.

12 . D.O.R.S./98-52.

13 . D.O.R.S./94-14.

14 . Accord de libre-échange entre le gouvernement du Canada et le gouvernement de la République du Chili, 4 décembre 1996, R.T.C. 1997 , no 50 (entré en vigueur le 5 juillet 1997).

15 . D.O.R.S./97-333.

16 . Loi sur les douanes, art. 35.1.

17 . Règlement sur la justification de l’origine des marchandises importées, art. 6(1).

18 . Art. 35.1(1).

19 . Règlement sur la justification de l’origine des marchandises importées, art. 6(1).

20 . On n’a pas prétendu que l’erreur avait été commise par fraude ou tromperie.

21 . Art. 2(1).

22 . Pièce du Tribunal AP-2006-005-25.

23 . Canadian National Railways Company v. The Bell Telephone Company of Canada and the Montreal Light, Heat and Power Consolidated, [1939] R.C.S. 308.

24 . Rhéaume c. Canada (procureur général), 2002 CFPI 98.

25 . L.R.C. 1985 (4e suppl.), c. 47.

26 . D.O.R.S./91-499 [Règles du TCCE].

27 . Conformément à la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans Université du Québec à Trois-Rivières c. Larocque, [1993] 1 R.C.S. 471.

28 . Pièce du Tribunal AP-2006-005-25.

29 . Buffalo Inc. c. Le commissaire de l’Agence des douanes et du revenu du Canada (11 mars 2004), AP-2002-023 (TCCE).