JOHN DRAGANIUK

Décisions


JOHN DRAGANIUK
c.
PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA
Appel no AP-2005-040

Décision et motifs rendus
le mercredi 27 septembre 2006


TABLE DES MATIÈRES

EU ÉGARD À un appel entendu le 10 août 2006 en vertu du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes, L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1;

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada le 7 décembre 2005 concernant une demande de réexamen aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

 

JOHN DRAGANIUK

Appelant

ET

 

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

Intimé

DÉCISION

L’appel est rejeté.

Serge Fréchette
Serge Fréchette
Membre présidant

Hélène Nadeau
Hélène Nadeau
Secrétaire

Lieu de l’audience :

Ottawa (Ontario)

   

Date de l’audience :

Le 10 août 2006

   

Membre du Tribunal :

Serge Fréchette, membre présidant

   

Gestionnaire de la recherche :

Paul R. Berlinguette

   

Conseiller juridique pour le Tribunal :

Nick Covelli

   

Agent du greffe :

Valérie Cannavino

   

Parties :

John Draganiuk, pour l’appelant

 

Joanna Hill, pour l’intimé

Veuillez adresser toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
Standard Life Centre
333, avenue Laurier Ouest
15e étage
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel :

MOTIFS DE LA DÉCISION

1. Le présent appel est interjeté aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes 1 à l’égard d’une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), datée du 7 décembre 2005, aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi.

2. La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si la déduction pour reprise d’une automobile Cadillac DeVille 1991 doit être soustraite de la valeur en douane d’une automobile Cadillac DeVille 2000 (le véhicule en question) importée par M. John Draganiuk.

3. Le Tribunal a décidé de tenir une audience sur pièces conformément aux articles 25 et 25.1 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur 2 . Un avis à cet effet a été publié dans la Gazette du Canada du 15 juillet 20063 .

4. Aux termes de la Loi, une valeur doit être attribuée aux marchandises importées au Canada pour déterminer leur valeur en douane. L’article 46 de la Loi précise que la valeur en douane des marchandises importées est déterminée conformément aux articles 47 à 55. Le paragraphe 47(1) prévoit que la valeur en douane des marchandises est principalement déterminée d’après leur valeur transactionnelle. Le paragraphe 48(1) précise que la valeur en douane des marchandises est leur valeur transactionnelle si elles sont vendues pour exportation au Canada à un acheteur au Canada et si le prix payé ou à payer est déterminable. Le paragraphe 48(4) prévoit certains ajustements au prix payé ou à payer pour les marchandises importées. Enfin, le paragraphe 45(1) prévoit que l’expression « prix payé ou à payer », en cas de vente de marchandises pour exportation au Canada, s’entend de la somme de tous les versements effectués ou à effectuer par l’acheteur directement ou indirectement au vendeur ou à son profit, en paiement des marchandises.

PREUVE

5. Le véhicule en question a été acheté à Clearwater, en Floride, au prix de 17 500 $US, le 21 janvier 2005. Au moment de son entrée au Canada, l’ASFC a attribué une valeur de 19 500 $CAN pour déterminer le montant des droits et taxes à payer. Pour l’essentiel, M. Draganiuk a déclaré que le prix d’achat net du véhicule en question devrait être établi au montant de 14 375 $CAN (valeur d’une Cadillac DeVille 2000 de 17 350 $ d’après le Canadian Red Book, plus 100 $ pour la taxe d’accise moins 3 075 $ pour la reprise d’une Cadillac DeVille 1991) aux fins de détermination de la valeur.

6. Dans sa décision, l’ASFC a déclaré que les méthodes d’appréciation énoncées dans la Loi représentent un tout complet et que l’ordre prévu de leur application est obligatoire. D’après l’ASFC, ni elle-même ni l’importateur n’ont le droit d’appliquer d’autres méthodes pour déterminer la valeur en douane des marchandises importées. De plus, l’ASFC a déterminé que la vente conclue entre l’acheteur et le vendeur du véhicule en question était une transaction entre des personnes non liées et qu’il n’existait donc aucun fondement juridique permettant de rejeter la valeur inscrite sur la facture du détaillant. De ce fait, la valeur en douane du véhicule en question est demeurée à 19 500 $CAN.

PLAIDOIRIE

7. M. Draganiuk a soutenu que la déduction pour reprise d’une Cadillac DeVille 1991 doit être prise en compte dans la détermination de la valeur en douane du véhicule en question et que la valeur du véhicule repris donnée par le Canadian Red Book devrait s’appliquer. Il a ajouté que, dans des situations d’achat-vente, le marché établit la valeur des marchandises et tient compte de tout escompte ou toute déduction pour reprise. Il s’ensuit un juste prix pour l’acheteur. M. Draganiuk a également ajouté que la déduction pour reprise n’était pas un « incitatif » destiné à conclure le marché. D’après lui, la transaction a été fondée sur le prix d’achat annoncé du véhicule en question et la valeur de reprise de l’automobile Cadillac DeVille 1991, c.-à-d. 5 496,50 $US, déterminée par deux évaluateurs au service du détaillant. M. Draganiuk a soutenu qu’une telle façon de faire est conforme aux pratiques commerciales reconnues ayant cours dans le secteur canadien de l’automobile. À l’appui de son argument, il a déposé une entente type d’achat de véhicule en usage chez un détaillant local de Scarborough, en Ontario. Il a soutenu que de ne pas accorder de déduction pour une reprise entraîne une double taxation puisque la taxe a été payée sur le véhicule repris, au moment de son achat. En outre, M. Draganiuk a fait valoir que dans des occasions antérieures et dans des circonstances semblables, un montant de déduction pour reprise avait été autorisé au moment de la détermination de la valeur en douane de l’automobile importée.

8. L’ASFC a soutenu que la valeur en douane du véhicule en question doit être déterminée conformément à la Loi, qui exige l’application séquentielle des méthodes décrites aux articles 48 à 53 de la Loi. Elle a soutenu que la valeur transactionnelle dont il est fait mention à l’article 48 est la principale base de l’appréciation car (1) il y a eu vente pour exportation au Canada à un acheteur au Canada, (2) le vendeur et l’acheteur ne sont pas liés et (3) tous les éléments du prix payé ou à payer sont déterminables à partir de l’entente d’achat de l’automobile. Par conséquent, la valeur en douane du véhicule en question a correctement été déterminée au montant de 19 500 $CAN en se fondant sur le prix de vente, 17 500 $US. L’ASFC a soutenu que, même en appliquant la démarche souple prévue à l’article 53, la méthode de la valeur transactionnelle prévue à l’article 48 demeure applicable et qu’aucun ajustement ne peut être fait. L’ASFC a également déclaré qu’il n’est pas permis d’attribuer une valeur à une reprise ou à un échange ni d’ajuster d’une autre manière le prix payé ou à payer pour des marchandises importées sauf dans les cas prévus au paragraphe 48(5).

DÉCISION

9. Pour déterminer la valeur en douane de toute importation normale de marchandises au Canada, il faut, en vertu de l’article 47 de la Loi, appliquer les diverses méthodes d’appréciation d’une manière séquentielle. Ce n’est que lorsqu’une méthode ne peut servir à calculer la valeur en douane qu’il est permis de passer à la suivante. L’article 48 énonce la principale base d’appréciation. Si elle ne peut pas être appliquée, un importateur doit appliquer successivement les méthodes énumérées par la suite, et décrites aux articles 49 à 53. Le Tribunal doit donc d’abord décider s’il est indiqué d’établir la valeur en douane en se fondant sur l’article 48.

10. Aux termes du paragraphe 47(1) de la Loi, la principale base de l’appréciation de la valeur en douane des marchandises est la valeur transactionnelle dans les deux conditions initiales prévues à l’article 48.

11. Premièrement, il doit y avoir vente pour exportation au Canada. En l’espèce, le véhicule en question a été acheté par M. Draganiuk pour importation au Canada. Il s’ensuit que la transaction représente une vente pour exportation au Canada à un acheteur résidant au Canada. Cette question n’a pas soulevé de litige entre les parties.

12. Deuxièmement, un prix payé ou à payer doit être déterminé. Comme il a déjà été souligné au paragraphe 4, le « prix payé ou à payer » s’entend de « la somme de tous les versements effectués ou à effectuer par l’acheteur directement ou indirectement au vendeur ou à son profit, en paiement des marchandises. » À cet égard, l’entente d’achat de l’automobile déposée par M. Draganiuk énumère la somme de tous les versements effectués directement ou indirectement pour le véhicule en question comme étant de 17 500,00 $US. Elle établit qu’une déduction pour reprise de 5 496,50 $US a été accordée pour un véhicule d’occasion, ce qui a donné un solde à payer de 12 003,50 $US. Une telle information permet la détermination du « prix payé ou à payer pour les marchandises ». Quelle que soit la décision du Tribunal à la fin de son analyse, en ce qui concerne la valeur transactionnelle réelle qui doit s’appliquer dans le cas de l’importation visée par l’espèce, il est clair que le résultat sera l’équivalent en devises canadiennes du prix de vente ou du solde à payer tel que l’indique l’entente d’achat de l’automobile. Même compte tenu de tout ajustement applicable aux termes du paragraphe 48(5) de la Loi, les éléments du prix payé ou à payer peuvent être déterminés à partir de ce document au sens du paragraphe 48(4). En outre, aucun ajustement à la valeur transactionnelle n’est requis pour refléter l’existence d’un lien de dépendance dont il est fait mention au paragraphe 48(3). Le fait que des taxes aient déjà été payées, au moment de son achat initial, sur le véhicule qui a fait l’objet de la reprise ne modifie pas le fait que le prix payé pour le véhicule en question est le prix de vente inscrit sur l’entente d’achat de l’automobile. L’article 48 ne prévoit pas qu’il doive être tenu compte de la méthode de paiement au titre de facteur pertinent dans la détermination du prix payé pour les marchandises importées. La question de savoir si les ressources financières (espèces et/ou marchandises) qui ont servi au paiement du prix de vente ont fait l’objet de toute forme de retenue fiscale (taxe de vente ou impôt sur le revenu) n’est pas pertinente dans la détermination de la valeur réelle de la transaction par application du mécanisme prescrit à l’article 48. Par conséquent, le Tribunal est convaincu qu’il est satisfait à la deuxième condition, en ce sens qu’il existe une preuve documentaire suffisante pour déterminer le prix payé pour le véhicule en question, et que l’acheteur et le vendeur ne sont pas liés.

13. Comme il a déjà été souligné, l’entente d’achat de l’automobile a établi que M. Draganiuk a obtenu une déduction pour reprise d’un montant de 5 496,50 $US, ce qui a laissé un solde à payer de 12 003,50 $US pour le véhicule en question, honoraires du détaillant et prélèvements fiscaux de l’état non compris. À cet égard, l’ASFC a soutenu que le véhicule accepté en reprise représente une condition ou une contrepartie à laquelle on ne peut attribuer une valeur et n’entre pas dans la portée de la détermination de la valeur en douane en vertu de l’alinéa 48(1)b) de la Loi. L’ASFC a ajouté qu’aucun des ajustements du prix prévus à l’alinéa 48(5)a) ne s’applique à la transaction en question4 et qu’il n’existe pas de coûts de transport, de coûts et frais d’assemblage ou de construction après l’importation des marchandises, ou de droits et taxes payés qu’il faudrait déduire du prix en application de l’alinéa 48(5)b)5 . Dans ce dernier cas, il se serait agi du seul moyen de déduire la valeur du véhicule, cédé en reprise, du prix de vente dans l’établissement du prix payé pour le véhicule en question, si ce moyen avait spécifiquement été permis aux termes d’un des ajustements par soustraction énumérés à l’alinéa 48(5)b). Le Tribunal a examiné chacun des ajustements prévus par ce paragraphe et a déterminé qu’aucun ne s’applique en l’espèce.

14. À cet égard, le Tribunal est tenu d’appliquer les dispositions de la Loi. Par conséquent, même si la Loi prévoit certains ajustements au prix, elle ne prévoit pas d’ajustement relativement au montant de la déduction pour reprise dans le calcul de la valeur en douane du véhicule en question. Le Tribunal fait observer que le Mémorandum D13-10-26 donne certains éclaircissements sur la manière dont la valeur en douane des automobiles d’occasion doit être déterminée. Il prévoit que la valeur attribuée à la reprise est purement théorique et peut être supérieure ou inférieure à la valeur réelle du véhicule. Il pourrait s’agir d’une stratégie de vente pour attirer des acheteurs7 . Même si M. Draganiuk a soutenu que la valeur de la reprise avait été établie au montant de 5 496,50 $US par deux évaluateurs à l’emploi du détaillant, relativement à l’automobile Cadillac DeVille 1991, ce fait ne peut être réputé comme donnant lieu à un lien de dépendance.

15. Compte tenu des facteurs susmentionnés, et plus précisément du fait que la reprise représente une condition ou une contrepartie pertinente au prix payé pour le véhicule en question à laquelle il est impossible d’attribuer une valeur objective, le Tribunal est d’avis qu’il n’a pas été satisfait à toutes les conditions de l’article 48 de la Loi. Par conséquent, la valeur en douane du véhicule en question doit être déterminée d’après les méthodes d’appréciation suivantes prévues aux articles 49 à 53.

16. Pour appliquer les méthodes d’appréciation énoncées aux articles 49, 50, 51 et 52 de la Loi, le Tribunal aurait besoin de renseignements dont il ne dispose pas en l’espèce. L’article 49, qui prévoit l’utilisation de la valeur transactionnelle de marchandises identiques dans une vente pour exportation au Canada, ne peut être utile en l’espèce car le Tribunal ne dispose pas d’éléments de preuve concernant des marchandises identiques. L’article 50, qui prévoit l’utilisation de la valeur transactionnelle de marchandises similaires dans une vente pour exportation au Canada, ne peut pas être appliqué pour la même raison. De même, l’article 51, qui prévoit une méthode fondée sur la valeur de référence, ne convient pas car le véhicule en question n’a pas été importé pour la revente. Enfin, l’article 52, qui traite de la valeur reconstituée, ne convient pas non plus car le véhicule en question n’était pas une automobile neuve. Par conséquent, l’ASFC s’est appuyée sur l’article 53 de la Loi, qui traite de la dernière base de l’appréciation.

17. L’article 53 de la Loi prévoit ce qui suit :

53. Where the value for duty of goods is not appraised under sections 48 to 52, it shall be appraised on the basis of

(a) a value derived from the method, from among the methods of valuation set out in sections 48 to 52, that, when applied in a flexible manner to the extent necessary to arrive at a value for duty of the goods, conforms closer to the requirements with respect to that method than any other method so applied; and

(b) information available in Canada.

53. Lorsqu’elle n’est pas déterminée conformément aux articles 48 à 52, la valeur en douane des marchandises se fonde sur les deux éléments suivants :

a) une valeur obtenue en utilisant celle des méthodes d’appréciation prévues aux articles 48 à 52 qui, appliquée avec suffisamment de souplesse pour permettre de déterminer une valeur en douane pour les marchandises, comporte plus de règles adaptables au cas que chacune des autres méthodes;

b) les données accessibles au Canada.

18. L’ASFC a soutenu que l’article 53 de la Loi permet seulement d’appliquer les articles précédents avec suffisamment de souplesse, mais non pas de ne pas en tenir compte du tout. La méthode de la valeur transactionnelle décrite à l’article 48 demeure donc applicable et aucun ajustement ne peut être apporté pour les reprises. Autrement dit, cette dernière base d’appréciation prévoit l’application avec souplesse de la méthode, quelle qu’elle soit, prévue aux articles 48 à 52 qui comporte plus de règles adaptables au cas à l’étude que chacune des autres méthodes. L’application avec souplesse de la méthode de la valeur transactionnelle prévue à l’article 48 est retenue parce que c’est cette méthode qui comporte le plus de règles adaptables à l’espèce. Son application débouche sur la prise en compte du prix payé et l’absence de toute déduction pour reprise car, comme il a déjà été indiqué, les déductions pour reprise ne figurent pas dans la liste des ajustements du prix prévus à l’alinéa 48(5)b).

19. À la lumière de ce qui précède, le Tribunal conclut que, même lorsque l’application souple prévue à l’article 53 de la Loi est retenue, la méthode de la valeur transactionnelle prévue à l’article 48 demeure applicable et qu’aucun ajustement ne peut être effectué. De ce fait, la valeur en douane du véhicule en question a correctement été déterminée au montant de 19 500 $CAN en se fondant sur le prix de vente de 17 500 $.

20. En ce qui a trait à l’argument de M. Draganiuk selon lequel, lors d’occasions antérieures et dans des circonstances similaires, une déduction pour reprise a été autorisée aux fins de la détermination de la valeur en douane de l’automobile importée, le Tribunal est d’avis que ce fait n’est pas pertinent dans le cadre du présent appel.

21. Pour les motifs qui précèdent, l’appel est rejeté.


1 . L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1 [Loi].

2 . D.O.R.S./91-499.

3 . Gaz. C. 2006.I.2126.

4 . Par exemple, commissions, frais de courtage, coûts d’emballage, autres marchandises incorporées, matières consommées dans la production, redevances et droits de licence, produit de toute revente ou coûts de transport, qui doivent être ajoutés.

5 . À cet égard, le paragraphe 48(4) de la Loi prévoit ce qui suit : « Dans le cas d’une vente de marchandises pour exportation au Canada, la valeur transactionnelle est le prix payé ou à payer, ajusté conformément au paragraphe (5). »

6 . Agence des services frontaliers du Canada, « Automobiles, véhicules à moteur, bateaux et autres embarcations d’occasion (Loi sur les douanes, article 48 à 53) » (30 mars 2001).

7 . Ibid. au para. 24.