FRITZ MARKETING INC.


FRITZ MARKETING INC.
c.
PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA
Appel no AP-2006-023

Décision et motifs rendus
le lundi 10 mai 2010


TABLE DES MATIÈRES

EU ÉGARD À un appel entendu le 30 septembre 2009, aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes, L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1;

ET EU ÉGARD À des décisions rendues par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada le 31 mai 2006, concernant des demandes de révision aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

 

FRITZ MARKETING INC.

Appelante

ET

 

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

Intimé

DÉCISION

L’appel est rejeté.

Ellen Fry
Ellen Fry
Membre présidant

André F. Scott
André F. Scott
Membre

Serge Fréchette
Serge Fréchette
Membre

Dominique Laporte
Dominique Laporte
Secrétaire

Lieu de l’audience :

Ottawa (Ontario)

Date de l’audience :

Le 30 septembre 2009

   

Membres du Tribunal :

Ellen Fry, membre présidant
André F. Scott, membre
Serge Fréchette, membre

   

Conseiller juridique pour le Tribunal :

Reagan Walker

   

Directeur de la recherche :

Dominique Laporte

   

Agent de la recherche :

Gary Rourke

   

Gestionnaire, Bureau du greffe :

Michel Parent

   

Agent du greffe :

Lindsay Wright

PARTICIPANTS :

Appelante

Conseiller/représentant

   

Fritz Marketing Inc.

Alan D. Gold

   

Intimé

Conseiller/représentant

   

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Alexandre Kaufman

TÉMOINS :

Raj Chawla
Vice-président
Fritz Marketing Inc.

John Vieyra
Enquêteur
Agence des services frontaliers du Canada

   

Gloria de Guzman
Ancienne directrice de bureau
Fritz Marketing Inc.

Éric Trudel
Gestionnaire, Unité des services de la conformité
Agence des services frontaliers du Canada

Veuillez adresser toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
Standard Life Centre
333, avenue Laurier Ouest
15e étage
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel :

EXPOSÉ DES MOTIFS

CONTEXTE

1. Cet appel est interjeté aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes 1 à l’égard de décisions rendues le 31 mai 2006 par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), aux termes du paragraphe 60(4), concernant la valeur en douane de certaines marchandises importées par Fritz Marketing Inc. (Fritz) entre octobre 2002 et juin 2003.

2. Les marchandises en cause sont des sacs en polypropylène et des sacs et feuilles en plastique importés de la République populaire de Chine (Chine) et de l’Inde (les marchandises en cause). Une fois importées au Canada, les marchandises en cause ont été vendues à des fabricants ou à des distributeurs de marchandises en gros, telles que des aliments pour animaux2 .

3. La question en litige dans cet appel consiste à déterminer si les montants qu’a payés Fritz pour le transport maritime des marchandises importées de la Chine et de l’Inde et pour certains services liés aux marchandises importées de l’Inde doivent être inclus dans la valeur en douane de ces marchandises.

HISTORIQUE DES PROCÉDURES

4. Le 13 juin 2002, après avoir reçu communication de l’un des employés de Fritz, l’ASFC lançait une enquête sur des allégations selon lesquelles Fritz avait sous-évalué la valeur en douane de ses importations.

5. Le 16 juin 2003, en se fondant sur des renseignements obtenus pendant l’enquête, l’ASFC obtenait un mandat de perquisition des locaux de Fritz. Le 17 juin 2003, le mandat de perquisition était exécuté3 .

6. En septembre 2004, Fritz et M. Raj Chawla, vice-président de Fritz4 , étaient inculpés au criminel de 43 chefs d’accusation pour évitement délibéré du paiement des droits en vertu de l’article 153 de la Loi.

7. Fritz et M. Chawla ont demandé à la Cour de justice de l’Ontario une ordonnance d’exclusion des éléments de preuve obtenus pendant l’exécution du mandat de perquisition, aux termes du paragraphe 24(2) de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte), au motif que la perquisition avait porté atteinte à leur droit d’être protégés contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives en vertu de l’article 8. Ils ont aussi demandé l’annulation du mandat de perquisition5 .

8. Le 31 août 2006, la Cour de justice de l’Ontario concluait que la perquisition de l’ASFC était contraire à l’article 8 de la Charte. La Cour de justice de l’Ontario a exclu les éléments de preuve obtenus au moyen du mandat de perquisition et ordonné la remise à Fritz de tous les objets saisis6 . Le ministère public a retiré toutes les inculpations criminelles à ce moment-là.

9. Les 15 et 16 juin 2005, Fritz recevait plusieurs avis de pénalité et avis de confiscation compensatoire aux termes du Régime de sanctions administratives pécuniaires7 (RSAP) de l’ASFC.

10. En août 2005, Fritz déposait des demandes de rajustement aux termes du paragraphe 32.2(2)8 de la Loi, demandant des rajustements à la valeur en douane des marchandises en cause de manière à refléter le véritable « prix de vente » des marchandises.

11. Le 24 août 2005, l’ASFC rendait 21 décisions, au moyen de relevés détaillés de rajustement (RDR) indiquant le montant dû et expliquant brièvement ses calculs et les motifs de son imposition. Les RDR ont entraîné une augmentation du montant des droits de douanes dus par Fritz.

12. Le 22 août 2006, Fritz interjetait appel des RDR auprès du Tribunal.

13. Le 10 septembre 2006, Fritz et M. Chawla demandaient à la Cour de justice de l’Ontario une ordonnance enjoignant le retour de toutes les copies des documents saisis aux termes du mandat de perquisition9 . Le 11 octobre 2006, la Cour de justice de l’Ontario accordait l’ordonnance, déclarant que celle-ci visait « [...] à priver [l’ASFC] des avantages d’une perquisition illégale »10 [traduction].

14. Au milieu de 200711 , Fritz demandait à la Cour supérieure de justice une ordonnance d’annulation des RDR. La demande était rejetée pour des motifs de compétence le 11 juillet 2007. La Cour supérieure de justice a conclu que l’affaire aurait dû être entendue par la Cour fédérale12 .

15. En août 2007, Fritz déposait auprès de la Cour fédérale une requête en annulation des 21 RDR. La Cour fédérale rendait une ordonnance annulant les RDR le 5 juin 200813 .

16. L’ASFC a interjeté appel de la décision de la Cour fédérale14 . Le 3 mars 2009, la Cour d’appel fédérale infirmait la décision et rejetait la demande d’annulation des RDR faite par Fritz puisque, selon elle, c’est le Tribunal qui est « [...] investi du mandat de statuer sur la validité et le bien-fondé des relevés détaillés de rajustement15 . » La Cour d’appel fédérale a exprimé l’opinion selon laquelle les parties n’avaient porté à l’attention de celle-ci « [a]ucune règle du [Tribunal] ni aucun précédent [...] qui empêcheraient l’appelant, dans le cadre d’un appel en vertu de l’article 67, de présenter au [Tribunal] une requête visant à faire annuler les relevés détaillés de rajustement au motif que l’[ASFC] ne peut pas les fonder sur autre chose que des éléments de preuve obtenus illégalement16 . »

REQUÊTE EN ANNULATION DES RDR

17. Dans cet appel, conformément à l’avis de la Cour d’appel fédérale selon lequel le Tribunal constitue le forum approprié pour la contestation de l’admissibilité des RDR, Fritz a déposé une requête afin de demander au Tribunal d’annuler les RDR17 .

18. Fritz prétend que puisque les RDR tiraient leur source de documents obtenus en violation de l’article 8 de la Charte, ils doivent être annulés aux termes des paragraphes 24(1) et 24(2) de la Charte 18 .

19. Fritz ajoute que l’ASFC a tenté d’utiliser les éléments de preuve en question « [...] malgré la décision d’un tribunal compétent [...] qui a ordonné la remise ou la destruction de tous les produits de la saisie en vue de tenter de remédier entièrement à la perquisition illégale et d’en éliminer les effets »19 [traduction].

20. L’ASFC soutient que le Tribunal doit refuser d’entendre la requête au motif qu’il y a prescription puisque Fritz aurait pu faire valoir ce point dans son mémoire initial en 2006, lorsque cet appel a été déposé20 . Sur le fond, elle prétend que les tribunaux se sont abstenus d’annuler des cotisations fiscales, sauf dans les cas d’atteinte les plus « graves » et « flagrantes » des droits garantis par la Charte 21 .

21. Pour trancher cette requête, le Tribunal examinera les trois questions suivantes :

a) Le Tribunal a-t-il compétence sur la question liée à la Charte?

b) Si la réponse à la question a) est affirmative, la fouille par l’ASFC des registres commerciaux de Fritz portait-elle atteinte aux droits de Fritz garantis par la Charte?

c) Si la réponse à la question b) est aussi affirmative, le Tribunal doit-il admettre les 21 RDR en preuve, malgré le fait qu’ils pourraient avoir été tirés de renseignements figurant dans les registres commerciaux saisis contrairement à la Charte?

Compétence du Tribunal sur la question liée à la Charte

22. Le Tribunal tire sa compétence pour entendre le présent appel de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur 22 et de la Loi.

23. L’alinéa 16c) de la Loi sur le TCCE prévoit que le Tribunal a comme mission « [...] de connaître de tout appel pouvant y être interjeté en vertu de toute autre loi fédérale ou de ses règlements et des questions connexes; » [nos italiques].

24. Le paragraphe 67(1) de la Loi prévoit qu’une personne qui s’estime lésée par une décision rendue par l’ASFC peut interjeter appel de cette décision au Tribunal. Le paragraphe 67(3) prévoit ce qui suit : « Le Tribunal canadien du commerce extérieur peut statuer sur l’appel prévu au paragraphe (1), selon la nature de l’espèce, par ordonnance, constatation ou déclaration [...] » [nos italiques].

25. Selon le Tribunal, les dispositions qui précèdent lui donnent le pouvoir de trancher la question liée à la Charte puisque cette question touche à l’admissibilité d’éléments de preuve concernant la question de fond dont il est saisi. Puisque la décision du Tribunal sur la question liée à la Charte déterminera les éléments de preuve dont il sera saisi sur la question de fond, le Tribunal examinera donc cette question avant de se pencher sur la question de fond soulevée par l’appel.

La saisie des registres commerciaux de Fritz a-t-elle porté atteinte aux droits de Fritz garantis par la Charte?

26. L’article 8 de la Charte prévoit ce qui suit :

Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.

27. Dans R. c. Collins 23 , la Cour suprême du Canada a décidé que les trois conditions suivantes doivent être remplies pour qu’une perquisition soit raisonnable (c.-à-d. non « abusive »), comme le prévoit l’article 8 de la Charte : a) elle doit être autorisée par la loi; b) la loi habilitante elle-même ne doit rien avoir d’abusif; c) la perquisition ne doit pas être effectuée de façon abusive.

28. Le texte de loi habilitant en l’espèce est la Loi 24 .

29. Fritz ne prétend pas que la loi habilitante (c.-à-d. la disposition habilitante précise) en l’espèce est abusive ou que la perquisition a été effectuée de façon abusive. Sa contestation porte plutôt strictement sur l’« autorisation par la loi » du mandat de perquisition.

30. En common law, pour délivrer un mandat de perquisition, un juge de paix doit être convaincu qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise et que les documents qu’on veut saisir révéleront la preuve de sa perpétration. La déclaration faite sous serment à un juge de paix doit renfermer suffisamment de détails pour lui permettre de faire cette évaluation. Pour que l’autorisation du juge de paix soit valide, celui qui demande un mandat de perquisition est tenu de faire une divulgation complète, franche et impartiale25 .

31. Compte tenu de la preuve dont elle était saisie, la Cour de justice de l’Ontario a conclu que des vices dans la déclaration faite sous serment dressaient un portrait si déséquilibré qu’elle privait le juge de paix des motifs raisonnables lui permettant de délivrer le mandat de perquisition26 .

32. Fritz affirme aussi que plusieurs vices affligent la déclaration faite sous serment de l’enquêteur de l’ASFC27 . L’ASFC ne répond pas à cette allégation dans sa plaidoirie.

33. Le Tribunal n’estime pas que les éléments de preuve en l’espèce sur cette question mènent à une conclusion différente de celle tirée par la Cour de justice de l’Ontario. Par conséquent, le Tribunal accepte l’argument de Fritz selon lequel le mandat de perquisition n’était pas autorisé par la loi, de sorte qu’il y a eu atteinte aux droits de Fritz garantis par l’article 8 de la Charte 28 .

Le Tribunal doit-il admettre les RDR en preuve malgré la contravention à la Charte?

34. L’ASFC affirme qu’elle s’est conformée à l’ordonnance judiciaire et ne s’est pas fondée sur les renseignements figurant dans les documents illégalement obtenus, mais plutôt sur les renseignements que renferment les demandes de rajustement présentées par Fritz29 . Fritz affirme que l’imposition de droits supplémentaires aux termes des RDR découlait de la perquisition illégale qui aurait dû être interdite. Autrement dit, même si l’ASFC ne cherche pas à produire en preuve les registres commerciaux qui ont été illégalement saisis, Fritz demande au Tribunal d’exclure les RDR de la preuve puisque, selon elle, ces RDR renferment des renseignements tirés des registres saisis illégalement.

35. L’admission d’éléments de preuve suivant une contravention à la Charte est régie par le paragraphe 24(2) de la Charte, qui prévoit ce qui suit :

Lorsque, dans une instance visée au paragraphe (1), le tribunal a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont écartés s’il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

36. Dans une affaire récente, R. c. Grant 30 , la Cour suprême du Canada a établi le cadre applicable permettant la détermination de la question de savoir si l’admission d’éléments de preuve dans les cas de contraventions à la Charte déconsidérerait l’administration de la justice. Le cadre est constitué des trois critères suivants :

a) la gravité de la conduite attentatoire;

b) l’incidence de la violation sur les droits de la partie garantis par la Charte;

c) l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond31 .

37. Les parties en l’instance n’ont pas fondé leurs positions sur la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans Grant, préférant plutôt suivre les principes établis dans les arrêts antérieurs Collins et R. c. Stillman 32 . Toutefois, les deux parties connaissaient la décision Grant et l’ont mentionnée à l’audience. Selon Fritz, « [...] tous les arrêts que nous vous avons donnés sont essentiellement dénués de pertinence maintenant »33 [traduction], tandis que l’ASFC affirme que les principes sous-jacents établis dans les arrêts Collins et Stillman s’appliquent toujours34 .

38. Le Tribunal appliquera le cadre établi par la Cour suprême du Canada dans Grant pour déterminer si les RDR doivent être admis en preuve. À l’égard du cadre des arrêts Collins/Stillman, la Cour suprême du Canada a indiqué ce qui suit : « Le cadre d’analyse Collins/Stillman [...] a apporté un certain degré de certitude quant à l’examen requis par le par. 24(2). Cependant, la méthode analytique qu’il prescrit et les résultats auxquels il aboutit parfois ont été critiqués et ont fait dire à certains qu’ils ne cadraient ni avec le libellé ni avec les objets de la disposition35  ».

Gravité de la conduite attentatoire

39. Dans Grant, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit : « La première question porte sur la façon dont [l’enquêteur] a obtenu la déclaration ayant permis de mettre la main sur la preuve matérielle. [...] [P]lus la conduite de l’État est grave, plus l’utilisation des éléments de preuve qui en découlent tend à miner la confiance du public en la primauté du droit. [L’enquêteur a-t-il] délibérément et systématiquement bafoué les droits de [la partie] garantis par la Charte? Ou [a-t-il] plutôt agi de bonne foi, conformément à des politiques [d’enquête] qu’[il] [croyait] légitimes? »36 .

40. Dans cette affaire, les éléments de preuve n’indiquaient pas de tendance généralisée de la part des enquêteurs de l’ASFC de ne pas faire une divulgation complète, impartiale ou franche des renseignements nécessaires pour obtenir des mandats de perquisition ni n’indiquaient de mauvaise foi de la part de l’enquêteur qui a fait la déclaration sous serment visant l’obtention du mandat de perquisition en question37 . Au contraire, les éléments de preuve indiquent qu’il s’agissait de la première déclaration sous serment de l’enquêteur devant un juge de paix et que le manque d’expérience pourrait avoir constitué un facteur important38 .

41. Fritz allègue que la violation par l’enquêteur était extrêmement grave puisque l’obligation de divulgation complète et franche constitue « [...] un principe fondamental de notre droit »39 [traduction]. Le Tribunal n’est pas convaincu par cet argument, faisant remarquer que toutes les contraventions à la Charte font intervenir des principes fondamentaux du droit et peuvent donc raisonnablement être considérées graves. Selon le Tribunal, la Cour suprême du Canada a mis l’accent sur la gravité de la conduite attentatoire, et non pas sur l’importance du droit lui-même.

42. En ce qui concerne les facteurs qui précèdent, le Tribunal conclut que la conduite attentatoire dans cette affaire était grave. Toutefois, le Tribunal n’estime pas qu’il s’agit du type le plus grave de conduite attentatoire compte tenu de l’absence de mauvaise foi ou de contravention systémique à la Charte.

Incidence sur les droits garantis par la Charte

43. À l’égard de cette partie du cadre juridique, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit : « [La deuxième partie de l]’examen de cette question met l’accent sur l’importance de l’effet qu’a la violation de la Charte sur les droits qui y sont garantis à [la partie], et il impose d’évaluer la portée réelle de l’atteinte aux intérêts protégés par le droit en cause. Cet effet peut être passager ou d’ordre simplement formel comme il peut être profondément attentatoire. Plus il est marqué, plus l’utilisation des éléments de preuve risque de donner à penser que les droits garantis par la Charte, pour encensés qu’ils soient, ne revêtent pas d’utilité réelle pour les citoyens, ce qui engendrerait le cynisme et déconsidérerait l’administration de la justice »40 .

44. Dans Donovan c. Canada (Procureur général) 41 , lorsqu’elle a examiné une question similaire dans le contexte d’une affaire fiscale, la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit : « Je mets dans la catégorie des instances civiles les affaires où il est question d’une pénalité civile à payer relativement à une infraction à une loi fiscale. À mon avis, l’utilisation, dans une poursuite criminelle, d’éléments de preuve entachés de vice constitue une question beaucoup plus grave que s’il s’agissait d’une instance civile de sorte que le pouvoir discrétionnaire [d’exclure des éléments de preuve] d’une cour devrait être exercé beaucoup plus libéralement dans une affaire criminelle, où la liberté de l’intéressé est en cause. Toutefois, un tel pouvoir discrétionnaire pourrait être utilisé avec plus de retenue dans les affaires civiles, où la liberté n’est pas menacée et où l’obligation de payer des impôts constitue le seul enjeu42  ».

45. Le Tribunal estime que l’approche utilisée dans Donovan est appropriée pour le type d’affaire dont il est saisi. Il y a en jeu une obligation de verser des droits de douane, ce qui est selon le Tribunal une conséquence beaucoup moins grave que les conséquences éventuelles des poursuites criminelles aux termes de l’article 160 de la Loi, lesquelles mettent en jeu la liberté de M. Chawla.

46. L’ASFC soutient ce qui suit : « [...] il n’y a seulement qu’une faible attente en matière de vie privée à l’égard des locaux ou des documents utilisés dans le cadre d’une activité réglementée [...] »43 [traduction]. Fritz soutient qu’une telle approche est erronée parce qu’elle ferait des entreprises « [...] des citoyens de deuxième ordre suivant la Charte [...] »44 [traduction].

47. Le Tribunal est d’accord avec l’ASFC sur ce point, compte tenu de l’énoncé de la Cour suprême du Canada dans Thomson newspapers ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, commission sur les pratiques restrictives du commerce), selon laquelle « [...] les attentes des particuliers ne peuvent être très élevées quant au respect de leur droit à la vie privée dans le cas de lieux ou de documents utilisés ou produits dans l’exercice d’activités qui, bien que légales, sont normalement réglementées par l’État45 . »

48. L’importation de marchandises au Canada est une activité très réglementée, régie par la Loi, le Tarif des douanes 46 et plusieurs autres lois et règlements. Les éléments de preuve tirés de la perquisition étaient très pertinents pour l’imposition de droits de douane, lesquels constituent une partie intégrante du régime législatif et réglementaire régissant l’importation. Par conséquent, conformément à Thomson, le Tribunal estime qu’il existe des attentes relativement basses quant au respect du droit à la vie privée à l’égard des documents en question.

49. Dans Grant, la Cour suprême du Canada a indiqué que « la possibilité de découvrir reste toutefois utile pour évaluer l’impact réel de la violation sur les intérêts protégés de [la partie]. En effet, ce critère permet au tribunal d’évaluer la force du lien de causalité entre [la perquisition] contraire à la Charte et les éléments de preuve qui en ont découlé. Plus il est probable que ces derniers auraient été obtenus même sans [la perquisition], moins les incidences de la violation sur l’intérêt sous-jacent de [la partie] [à l’égard de la protection contre les fouilles, perquisitions ou saisies abusives] ont d’importance47 . »

50. Fritz soutient que, sans le mandat de perquisition, « [...] il n’est pas du tout évident que [l’ASFC] aurait obtenu les renseignements [figurant dans les 21 RDR, c.-à-d. que l’ASFC les aurait] inévitablement découverts48 . »

51. Le paragraphe 42(2) de la Loi prévoit ce qui suit : « L’agent [des douanes] [...] peut à toute heure convenable, pour l’application et l’exécution de la présente loi : a) inspecter, vérifier ou examiner les documents d’une personne qui se rapportent ou peuvent se rapporter soit aux renseignements qui figurent dans les livres ou registres de la personne ou qui devraient y figurer, soit à toute somme à payer par la personne en vertu de la présente loi. »

52. Puisque les renseignements que renferme un RDR sont directement liés à l’application et à l’exécution de la Loi, il est clair que, sans utiliser de mandat de perquisition, l’ASFC disposait de vastes pouvoirs lui permettant d’examiner les registres de Fritz renfermant ces renseignements. La question consiste à savoir si l’ASFC aurait vraisemblablement exercé les pouvoirs que lui confère le paragraphe 42(2) de la Loi n’eut été le mandat de perquisition.

53. M. Éric Trudel, gestionnaire de l’Unité des services de la conformité de l’ASFC, a affirmé que la direction de l’ASFC pour laquelle il travaille recommande les vérifications de la conformité des sociétés en fonction de l’évaluation de facteurs de risque déterminés. Il a déclaré que l’important volume de produits importés par Fritz à des taux relativement hauts de droit de douane constituait un niveau de risque suffisant pour justifier une vérification de la conformité, même sans renseignements de la direction des enquêtes de l’ASFC concernant la possibilité de poursuites criminelles.

54. Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal estime qu’il est probable que l’ASFC aurait décidé d’« [...] inspecter, vérifier ou examiner [...] » les registres commerciaux de Fritz, qu’elle ait décidé ou non d’intenter des poursuites criminelles et que cela aurait vraisemblablement mené à la découverte par l’ASFC des renseignements figurant dans les RDR49 .

Intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond

55. Selon le troisième critère du cadre de Grant, le Tribunal doit évaluer l’intérêt du public à ce que l’affaire soit jugée au fond et le pondérer par rapport au risque d’obtention d’éléments de preuve non fiables.

56. Dans certains cas où il y a atteinte aux droits garantis par la Charte, des problèmes se posent quant à la fiabilité des éléments de preuve ainsi obtenus. Par exemple, ignorant son droit garanti par la Charte de demander l’aide d’un conseiller juridique, le suspect dans le cadre d’une enquête sur un crime pourrait, en réponse au stress d’un interrogatoire de la police, faire une fausse confession.

57. Toutefois, la fiabilité des éléments de preuve pose généralement un problème moins grand pour les éléments de preuve dérivés, comme les RDR en cause. La Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit dans Grant : « La troisième question à examiner pour établir si l’utilisation des éléments de preuve dérivée serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice concerne l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond. Comme la preuve dérivée est de nature matérielle, sa fiabilité est généralement moins problématique, et l’intérêt du public à ce qu’un procès soit instruit sur le fond favorisera donc habituellement son utilisation50 . »

58. La fiabilité ne pose pas problème concernant les éléments de preuve que renferment les RDR dans cette affaire. Même si Fritz et l’ASFC ne sont pas d’accord sur la façon dont l’information se trouvant dans les registres commerciaux pertinents doit être interprétée, la teneur des registres commerciaux n’est pas contestée. Par conséquent, il est clair que l’ASFC a préparé les RDR en fonction de renseignements fiables.

59. Selon le Tribunal, il existe un fort intérêt à ce que cette affaire soit jugée au fond et il n’existe aucun risque que les renseignements figurant dans les RDR, s’ils sont admis en preuve, ne soient pas fiables.

Conclusion

60. Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal conclut que les 21 RDR doivent être admis en preuve dans la présente instance, puisque cette admission ne déconsidérerait pas l’administration de la justice. La requête en annulation des 21 RDR est rejetée.

QUESTION DE LA VALEUR EN DOUANE

61. Comme il a été indiqué plus haut, la question de fond dans le présent appel consiste à savoir si la valeur en douane des marchandises en cause doit comprendre le transport maritime pour les 19 importations de la Chine ainsi que certains frais de conception, de développement et de transport maritime pour les deux importations de l’Inde.

62. Le paragraphe 47(1) de la Loi prévoit ce qui suit : « La valeur en douane des marchandises est déterminée d’après leur valeur transactionnelle dans les conditions prévues à l’article 48. »

63. Le paragraphe 48(4) de la Loi prévoit ce qui suit : « Dans le cas d’une vente de marchandises pour exportation au Canada, la valeur transactionnelle est le prix payé ou à payer, ajusté conformément au paragraphe (5). »

64. Le paragraphe 48(5) de la Loi prévoit ce qui suit : « Dans le cas d’une vente de marchandises pour exportation au Canada, le prix payé ou à payer est ajusté : [...] b) par soustraction, dans la mesure où ils ont été inclus, des montants représentants : (i) les coûts de transport des marchandises depuis le lieu du pays d’exportation d’où elles sont expédiées directement au Canada, les frais de chargement, de déchargement, de manutention et autres frais, ainsi que les coûts d’assurance relatifs à ce transport [...]. »

IMPORTATIONS DE LA CHINE

65. M. Chawla a déclaré que Fritz a importé les marchandises en cause de la Chine par l’entremise de deux courtiers chinois, Yantai FJ Plastics (Yantai) et Ningbo Xinxin (Ningbo)51 . L’un était le courtier relativement aux sacs-filets importés, tandis que l’autre était le courtier relativement aux sacs en polypropylène tissés importés52 . Leur rôle consistait à prévoir la production, le contrôle de la qualité et l’expédition des marchandises de manière à ce Fritz ne reçoive pas de réclamations de la part de ses clients53 .

66. M. Chawla a affirmé que Fritz a conclu avec Yantai et Ningbo une série de contrats généraux couvrant certaines des marchandises importées de la Chine54 . Les contrats stipulaient le nombre de conteneurs que Fritz achèterait à divers fabricants pendant une période de mois donnée55 . Les prix des marchandises importées aux termes des contrats généraux doivent être établis selon un taux fixe par tonne métrique56 , ce qui a eu l’avantage de procurer à Fritz un prix unitaire ferme lorsque le coût de la résine a augmenté.

67. M. Chawla a expliqué qu’aux termes des contrats généraux, Yantai et Ningbo ont agi à titre de mandataire de Fritz auprès des usines produisant les marchandises en cause57 , de sorte que Fritz n’avait aucun contact avec les fabricants. Hormis le prix, les contrats généraux couvraient les autres frais associés aux marchandises, comme le coût du transport maritime et le coût d’inspection58 .

68. Ces contrats généraux n’ont pas été déposés au dossier. Bien que les conditions de ces contrats aient une incidence importante sur la rentabilité de Fritz, M. Chawla n’a pu témoigner sur les dispositions particulières d’aucun de ces contrats qui auraient pu s’appliquer aux importations en cause.

69. Les dispositions relatives à la facturation et au paiement des marchandises importées étaient inhabituelles.

70. Pour chacune des importations de la Chine, Fritz a reçu trois factures (factures nos 1, 2 et 3).

71. M. Chawla a indiqué que le montant de la facture no 1 représentait le coût total des marchandises, y compris le prix des marchandises elles-mêmes ainsi que les montants que Fritz allègue avoir payés pour l’inspection, les autres services et le transport59 . La facture était préparée par l’un des courtiers (Yantai ou Ningbo) et envoyée par télécopieur à Mme Gloria de Guzman, directrice de bureau chez Fritz à ce moment-là60 .

72. Mme de Guzman a déclaré que puisque les marchandises avaient déjà été vendues à un acheteur au Canada avant l’expédition, elle vérifiait la facture no 1 par rapport au contrat d’achat qui avait été préparé par le personnel de vente chez Fritz61 pour vérifier que le prix, le prix unitaire et le prix total étaient corrects62 .

73. Mme de Guzman a déclaré que M. Chawla lui avait dit de diviser environ en deux le montant figurant à la facture no 163 . Yantai ou Ningbo lui envoyait alors les factures nos 2 et 3 et un contrat était préparé pour chacune des deux nouvelles factures, ce qui fait un total de trois contrats pour chacune des 19 importations64 .

74. Par conséquent, le montant de la facture no 2 correspond à 50 p. 100 (ou environ à 50 p. 100) du montant de la facture no 1 et, selon M. Chawla, couvre seulement le prix des marchandises elles-mêmes. Fritz soutient que la facture no 2 couvre le prix total des marchandises65 , tandis que l’ASFC affirme qu’elle ne couvre que la moitié du prix.

75. Le montant de la facture no 3 correspond aussi à 50 p. 100 (ou environ à 50 p. 100) du montant de la facture no 1. Selon Fritz, la facture no 3 est une facture de « services »66 , tandis que l’ASFC prétend qu’elle renferme une moitié non déclarée du prix des marchandises elles-mêmes. Fritz affirme que cette facture comprend le transport maritime, les « frais de déplacement », les frais d’inspection, le transport entre l’usine et le port, le coût d’emballage du matériel et d’autres dépenses diverses67 .

76. Fritz a payé les factures nos 2 et 3 séparément et à des journées différentes. Mme de Guzman explique qu’elle avait comme pratique d’écrire sur la facture no 2 « payé par virement » [traduction] au moment où le teneur de livres de la société préparait et virait le paiement. Toutefois, sur la facture no 3, elle a écrit « veuillez préparer le virement demain » [traduction].

77. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi deux factures du même courtier avaient été payées de cette façon, Mme de Guzman a déclaré que M. Chawla lui avait ordonné de payer la facture no 2 en premier et la facture no 3 le jour ouvrable suivant68 . Il lui avait aussi dit que les articles figurant sur la facture no 3 ne devaient pas être inclus dans la valeur en douane des marchandises69 .

78. M. Chawla a confirmé que le paiement aux courtiers devait être fait en deux factures distinctes. Il a fait valoir que le premier versement payait le fabricant des marchandises tandis que le second versement couvrait les autres frais, « le transport maritime, etc. »70 [traduction]. Lorsqu’on lui demande pourquoi les versements devaient être faits différents jours, M. Chawla a déclaré qu’il voulait éviter de dérouter les courtiers, bien qu’il ait été incapable d’expliquer comment les courtiers pourraient être déroutés par une entente de paiement unique ou par deux versements différents effectués le même jour71 .

79. M. Chawla a ajouté que la raison pour laquelle la facture no 3 comprenait les frais d’inspection, d’emballage et de déballage était qu’historiquement, « [...] les Chinois avaient beaucoup de problèmes de réclamations [...] » [traduction], de sorte qu’il chargeait maintenant ses courtiers d’inspecter les marchandises avant l’expédition72 .

80. Le Tribunal remarque que Fritz n’a déposé aucun élément de preuve documentaire quant aux résultats des inspections, à l’emballage avant expédition ou au déballage, ou à tout autre service visé par la facture no 3, malgré leurs coûts importants. En outre, M. Chawla a affirmé que Fritz n’a pas reçu de rapport d’inspection73 , qu’il ne savait pas quels services d’inspection étaient rendus ou comment les inspections étaient effectuées74 . M. Chawla n’a pas donné d’explication quant à la raison pour laquelle Fritz a conclu une entente selon laquelle le transport, l’inspection et les autres services coûtaient autant que les marchandises elles-mêmes.

81. Le Tribunal a examiné la question de savoir si les éléments de preuve soumis par Fritz démontraient que Fritz a versé les frais de transport maritime en question aux courtiers comme partie intégrante du prix d’achat des marchandises.

82. En étudiant cette question, le Tribunal a déterminé que les éléments de preuve concernant le paiement des frais de transport étaient à la fois imprécis et contradictoires.

83. Comme il a été indiqué plus haut, les lettres des courtiers précisent que les frais de transport maritime qui y figurent ne constituent que des estimations. Le Tribunal ne dispose pas de suffisamment d’éléments de preuve pour évaluer le niveau de précision de ces estimations.

84. En outre, même si les lettres indiquent que Fritz a payé les frais de transport maritime, elles n’indiquent pas clairement si Fritz les a payés au courtier, aux termes de la facture no 3, ou directement à la société de transport maritime75 . Si les lettres indiquaient que Fritz avait payé les frais de transport au courtier aux termes de la facture no 3, ces lettres constitueraient des éléments de preuve appuyant la position selon laquelle les paiements doivent être exclus de la valeur en douane en vertu du paragraphe 48(5) de la Loi. Si, toutefois, Fritz a versé les frais de transport directement à la société de transport maritime, c.-à-d. aux termes d’une entente autre que la facture no 3, ces lettres n’appuient pas cette position.

85. On ignore si Fritz a acheté les marchandises FAB. Le terme « FAB »76 indique une entente selon laquelle les frais de transport ne sont pas inclus dans le prix d’achat des marchandises. Au contraire, le vendeur doit payer les frais de transport séparément. Le terme « FAB » est un Incoterm très répandu, et son sens est bien compris en commerce international.

86. Si les marchandises chinoises avaient été vendues à Fritz sur une base FAB, les frais de transport maritime n’auraient pas été inclus dans le prix des marchandises selon l’entente de paiement de la facture no 3.

87. Toutefois, malgré son témoignage selon lequel le transport maritime était inclus dans le prix des marchandises, M. Chawla déclare que Fritz a acheté les marchandises en cause « FAB Chine ». Il affirme que, parfois, l’entente prévoyait FAB à la porte de l’usine, et parfois FAB au port chinois77 . Toutes les factures liées aux expéditions indiquent que les marchandises ont été achetées FAB78 .

88. Par ailleurs, les 19 demandes de rajustement que Fritz a déposées le 3 août 2005, en vertu du paragraphe 32.2(2) de la Loi pour les importations de la Chine, comprennent toutes des copies des factures correspondantes de Douanes Canada qui indiquent que les marchandises ont été vendues « CFR de Toronto/réception de document »79 [traduction]. L’expression « CFR » est un autre Incoterm, qui signifie que Fritz et ses courtiers ont conclu une entente par laquelle Fritz remboursait aux courtiers le coût du transport à Toronto.

89. Compte tenu des éléments de preuve dans leur ensemble et remarquant en particulier les contradictions dans le témoignage de M. Chawla et le fait que toutes les factures pour les expéditions indiquaient que les marchandises étaient vendues FAB, le Tribunal conclut que Fritz n’a pas payé les frais de transport maritime comme partie intégrante du prix d’achat. Puisque rien n’indique que la facture no 3 n’a pas trait aux marchandises en cause, le Tribunal conclut donc que le montant de la facture no 3, portant la mention « transport » [traduction], fait en réalité partie du prix d’achat des marchandises. Par conséquent, le montant de la facture no 3 (c.-à-d. le montant total de la facture no 1) doit être inclus dans la valeur en douane.

IMPORTATIONS DE L’INDE

90. Tel qu’il est indiqué plus haut, Fritz soutient ce qui suit :

a) il faut déduire de la valeur en douane les frais de transport maritime des importations de l’Inde;

b) il faut aussi déduire de la valeur en douane le montant de certains frais de service.

91. Fritz fait référence, dans son exposé écrit, à la question des frais de transport maritime pour les importations de l’Inde80 . À l’audience, M. Chawla déclare que les factures relatives aux deux importations de l’Inde indiquaient des frais de transport81 . Toutefois, les factures liées aux deux expéditions indiquent clairement que les marchandises indiennes ont été vendues FAB82 , c.-à-d. que le transport n’était pas inclus dans le prix d’achat.

92. Par conséquent, le Tribunal conclut que les frais de transport maritime ne doivent pas être déduits de la valeur en douane pour les deux importations de l’Inde.

93. Fritz cherche aussi à déduire de la valeur en douane des importations de l’Inde les montants de deux factures pour « [...] les frais de conception et de développement et les frais d’échantillonnage des GRVS pour vos divers clients [...] »83 [traduction]. M. Chawla a affirmé que l’acronyme « GRVS » signifie « [grands] récipients pour vrac souple » et que ces récipients servent au transport de liquides ou de gels84 .

94. Chacune des deux factures était expressément liée à l’une des deux importations de l’Inde, par référence du numéro de facture initiale de l’importation respective85 .

95. Les montants des frais figurant sur ces factures étaient importants : 17 655,64 $ pour une importation et 18 077,50 $ pour l’autre. Le Tribunal fait remarquer que dans les deux cas, ces frais étaient supérieurs au coût des marchandises importées, c.-à-d. 8 825,78 $ et 9 012,50 $ respectivement86 .

96. L’ASFC soutient que les factures de service de conception ont été créées en vue de l’évitement des droits de douane sur le coût entier des deux importations de l’Inde et que les montants des factures de service de conception doivent être inclus dans la valeur en douane.

97. Selon M. Chawla, les montants payés par Fritz à l’égard des deux factures n’avaient pas du tout trait aux marchandises en cause. Il a déclaré que les GRVS n’ont jamais été associés au type de marchandises importées dans le cadre de ces opérations. M. Chawla a affirmé que les montants des deux factures étaient liés aux deux importations des marchandises en cause parce que le fournisseur devait lier les paiements à « une exportation quelconque » [traduction] afin de montrer au gouvernement indien la source du paiement87 .

98. M. Chawla a fait valoir que Fritz n’a reçu aucun document à produire pour les montants versés et qu’il n’y a eu aucune lettre ni aucun courriel, rapport, relevé de test en laboratoire ni d’autre document connexe fournis à Fritz88 .

99. M. Chawla a prétendu que Fritz n’a pas déposé de modification auprès de l’ASFC concernant les deux importations « [...] parce qu’il n’y avait rien à corriger »89 [traduction]. Il a indiqué que ce n’est pas avant que Fritz ait reçu les RDR de l’ASFC pour les deux importations que Fritz a remarqué que les deux factures portaient les mêmes numéros de référence que les deux importations de l’Inde.

100. Comme il a été indiqué plus haut, Mme de Guzman a déclaré qu’elle vérifiait régulièrement tous les documents d’expédition par rapport aux contrats d’achat pertinents avant d’autoriser le paiement des factures. Elle indique que ces documents d’expédition comprenaient la facture, la liste d’emballage, le connaissement, le certificat d’origine et, parfois, un formulaire de déclaration de l’exportateur90 . Compte tenu de l’opération de vérification régulière effectuée par Mme de Guzman et des montants importants des deux factures, le Tribunal n’accepte pas le témoignage de M. Chawla selon lequel Fritz ignorait, avant de recevoir les RDR, que ces deux factures particulières portaient les mêmes numéros de référence que les deux importations de l’Inde.

101. De plus, le Tribunal estime qu’il est improbable que Fritz paie des factures de cette ampleur pour « des frais de conception et de développement et des frais d’échantillonnage » sans pouvoir relever quelque document de travail que ce soit.

102. Par conséquent, compte tenu de l’ensemble des éléments de preuve, le Tribunal conclut que les montants des deux factures faisaient partie intégrante du prix payé ou à payer pour les importations de l’Inde et doivent donc être inclus dans la valeur en douane.

DÉCISION

103. Pour les motifs qui précèdent, le Tribunal conclut que :

1) la valeur en douane de chacune des 19 importations de la Chine doit inclure les montants figurant à la facture no 3 (c.-à-d. doit être le montant total indiqué sur la facture no 1);

2) la valeur en douane des deux importations de l’Inde doit inclure les montants des factures pour les présumés frais de service de conception et de développement et les frais de transport maritime.

104. L’appel est donc rejeté.


1 . L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1 [Loi].

2 . Transcription de l’audience publique, 30 septembre 2009, aux pp. 76-77.

3 . Ibid. à la p. 143.

4 . Ibid. à la p. 3.

5 . R. v. Fritz Marketing Inc., 2006 ONCJ 430 (CanLII), au para. 7.

6 . Ibid. au para. 72.

7 . Le Régime de sanctions administratives pécuniaires est un régime civil visant la conformité à la législation sur les douanes au moyen de l’application de sanctions pécuniaires, en vertu des dispositions des articles 109.1 à 109.5 de la Loi.

8 . Pièce du Tribunal AP-2006-023-71B, annexe C, onglets 1 à 19. Le paragraphe 32.2 (2) de la Loi prévoit ce qui suit : « Sous réserve des règlements pris en vertu du paragraphe (7), l’importateur ou le propriétaire de marchandises ou une personne qui appartient à une catégorie réglementaire de personnes relativement à celles-ci, ou qui est autorisée en application de l’alinéa 32(6)a) ou du paragraphe 32(7) à effectuer la déclaration en détail ou provisoire des marchandises, ayant des motifs de croire que la déclaration de l’origine de ces marchandises, autre que celle visée au paragraphe (1), la déclaration du classement tarifaire ou celle de la valeur en douane effectuée à l’égard d’une de ces marchandises en application de la présente loi est inexacte est tenue, dans les quatre-vingt-dix jours suivant sa constatation : a) d’effectuer une correction à la déclaration en la forme et selon les modalités réglementaires et comportant les renseignements réglementaires; b) de verser tout complément de droits résultant de la déclaration corrigée et les intérêts échus ou à échoir sur ce complément. »

9 . R. v. Fritz Marketing Inc., 2007 CanLII 27024 (C.S. ON), au para. 3.

10 . Ibid. au para. 15.

11 . Les éléments de preuve ne renferment aucune date précise.

12 . R. v. Fritz Marketing Inc., 2007 CanLII 27024 (C.S. ON).

13 . Fritz Marketing Inc. c. Canada, 2008 CF 703 (CanLII).

14 . Les éléments de preuve ne renferment aucune date.

15 . Canada c. Fritz Marketing Inc., 2009 CAF 62 (CanLII), au para. 36.

16 . Ibid. au para. 38.

17 . Pièce du Tribunal AP-2006-023-57A au para. VI(i).

18 . Ibid. au para. 2.

19 . Ibid. au para. 31.

20 . Pièce du Tribunal AP-2006-023-59A aux para. 38, 42.

21 . Ibid. au para. 44.

22 . L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47 [Loi sur le TCCE].

23 . [1987] 1 R.C.S. 265 [Collins].

24 . Les dispositions pertinentes de la Loi prévoient ce qui suit :

« 153. Il est interdit : a) dans une énonciation ou une réponse orale ou écrite faite dans le cadre de la présente loi ou de ses règlements, de donner des indications fausses ou trompeuses, d’y participer ou d’y consentir [...].

« 111. (1) Le juge de paix peut, à tout moment, signer un mandat autorisant un agent à perquisitionner et à saisir les biens en question, s’il est convaincu, par une dénonciation faite sous serment [...] qu’il existe des motifs raisonnables de croire à la présence, dans un bâtiment, un emplacement ou un autre lieu : [...] c) de tous objets ou documents dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’ils peuvent servir de moyens de preuve d’une infraction à la présente loi ou à ses règlements. »

25 . Re Fleet Aerospace Corp. and the Queen (1985), 19 C.C.C. (3d) 385 (Ont. H.C.J.); Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145.

26 . R. v. Fritz Marketing Inc., 2006 O.N.C.J. 430.

27 . Transcription de l’audience publique, 30 septembre 2009, aux pp. 301-302.

28 . Premièrement, même si l’enquêteur a confirmé que les membres de la famille de M. Chawla figuraient sur la liste de paie de la société, il n’a pas vérifié l’allégation selon laquelle ils ne travaillaient pas, qui était plus grave. Deuxièmement, on a soumis en preuve devant le juge de paix une déclaration d’un employé de l’ASFC selon laquelle Fritz avait incorrectement classé les marchandises en cause. Mais d’autres éléments de preuve selon lesquels Fritz avait convaincu cet employé que les marchandises étaient effectivement correctement classées n’ont pas été révélés. Troisièmement, on a soumis en preuve la diminution importante de la valeur des exportations après le 21 mars 2002, mais l’enquêteur n’a pas vérifié si Fritz était passé à une gamme d’exportations moins coûteuses.

29 . Transcription de l’audience publique, 30 septembre 2009, à la p. 275.

30 . [2009] 2 R.C.S. 353 [Grant].

31 . Grant au para. 71.

32 . [1997] 1 R.C.S. 607 [Stillman].

33 . Transcription de l’audience publique, 30 septembre 2009, à la p. 261.

34 . Ibid. à la p. 287.

35 . Grant au para. 60.

36 . Grant au para. 124.

37 . Transcription de l’audience publique, 30 septembre 2009, à la p. 302.

38 . Ibid. aux pp. 209-210.

39 . Ibid. à la p. 259.

40 . Grant au para. 76.

41 . [2000] 4 C.F. 373 [Donovan].

42 . Donovan au para. 11.

43 . Pièce du Tribunal AP-2006-023-59A au para. 59.

44 . Transcription de l’audience publique, 30 septembre 2009, à la p. 261.

45 . [1990] 1 R.C.S. 425 [Thomson] à la p. 507.

46 . L.C. 1997, c. 36.

47 . Grant au para. 122.

48 . Transcription de l’audience publique, 30 septembre 2009, à la p. 303.

49 . Ibid. aux pp. 235-238.

50 . Grant au para. 126.

51 . Transcription de l’audience publique, 30 septembre 2009, aux pp. 14, 51-52, 75-81.

52 . Ibid. à la p. 102; Pièce du Tribunal AP-2006-023-68B, onglets A-O.

53 . Transcription de l’audience publique, 30 septembre 2009, à la p. 80.

54 . Ibid. aux pp. 14-15, 105.

55 . Ibid. aux pp. 14-15.

56 . Ibid. aux pp. 105-106.

57 . Ibid. aux pp. 69, 89.

58 . Ibid. à la p. 107.

59 . Ibid. aux pp. 30-31; mémoire de l’appelante aux para. 11-13.

60 . Transcription de l’audience publique, 30 septembre 2009, à la p. 219.

61 . Ibid. aux pp. 229-230.

62 . Ibid. aux pp. 220-221.

63 . Ibid. à la p. 222.

64 . Ibid. aux pp. 230-233.

65 . Mémoire de l’appelante au para. 11.

66 . Ibid. au para. 12.

67 . Ibid. au para. 3.

68 . Transcription de l’audience publique, 30 septembre 2009, à la p. 224.

69 . Ibid. aux pp. 227-228.

70 . Ibid. à la p. 57.

71 . Ibid.

72 . Ibid. aux pp. 16-17.

73 . Ibid. à la p. 50.

74 . Ibid. à la p. 84.

75 . MRP Retail Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (27 septembre 2007), AP-2006-005 (TCCE).

76 . Les incoterms sont des conditions commerciales publiées par la Chambre de commerce internationale et sont utilisés lors de la rédaction de contrats comportant le transport international. Dans le cas des marchandises livrées FAB (port d’embarquement convenu), les marchandises sont placées à bord d’un navire par le vendeur à un port d’embarquement convenu dans le contrat de vente. Le risque de perte des marchandises ou de dommage aux marchandises passe du vendeur à l’acheteur lorsque les marchandises sont placées à bord du navire. Pour les contrats de vente portant la mention de l’incoterm « FAB », le prix indiqué au contrat ne comprend pas le transport. Voir le site de la Chambre de commerce internationale à www.iccwbo.org.

77 . Transcription de l’audience publique, 30 septembre 2009, aux pp. 87-88.

78 . Pièce du Tribunal AP-2006-023-68B, onglets A-O.

79 . Pièce du Tribunal AP-2006-023-71B.

80 . Mémoire de l’appelante au para. 22.

81 . Transcription de l’audience publique, 30 septembre 2009, à la p. 29.

82 . Pièce du Tribunal AP-2006-023-4B, onglet E.

83 . Ibid., onglet F.

84 . Transcription de l’audience publique, 30 septembre 2009, à la p. 131.

85 . Pièce du Tribunal AP-2006-023-4B, onglet F.

86 . Ibid., onglet E (factures confidentielles). Le coût des marchandises est établi par la soustraction au coût total du coût du transport maritime.

87 . Transcription de l’audience publique, 30 septembre 2009, à la p. 27.

88 . Ibid. à la p. 64.

89 . Ibid. aux pp. 26-27.

90 . Ibid. aux pp. 218-220.