ERIC SHENKER

Décisions


ERIC SHENKER
c.
PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA
Appel no AP-2006-050

Décision et motifs rendus
le lundi 17 septembre 2007


TABLE DES MATIÈRES

EU ÉGARD À un appel entendu le 9 août 2007, en vertu du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes, L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1;

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada le 9 novembre 2006, concernant une demande de réexamen aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

 

ERIC SHENKER

Appelante

ET

 

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

Intimé

DÉCISION

L’appel est rejeté.

Ellen Fry
Ellen Fry
Membre présidant

Hélène Nadeau
Hélène Nadeau
Secrétaire

Lieu de l’audience :

Ottawa (Ontario)

Date de l’audience :

Le 9 août 2007

   

Membre du Tribunal :

Ellen Fry, membre présidant

   

Conseiller juridique pour le Tribunal :

Alain Xatruch

   

Agent de la recherche :

Jo-Anne Smith

   

Agent du greffe :

Danielle Lanteigne

   

Parties :

Eric Shenker, pour l’appelante

 

Lorne Ptack, pour l’intimé

Veuillez adresser toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
Standard Life Centre
333, avenue Laurier Ouest
15e étage
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel :

EXPOSÉ DES MOTIFS

1. Le présent appel a été interjeté aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes 1 à l’égard d’une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) le 9 novembre 2006 aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi.

2. La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si l’ASFC a correctement classé les deux couteaux en cause à titre d’armes prohibées dans le numéro tarifaire 9898.00.00 de l’annexe du Tarif des douanes 2 . Les couteaux en cause sont des dagues fantastiques « Klaww » (article no TA-59) produites par Master Cutlery, Inc.

3. Les couteaux en cause ont été retenus par l’ASFC le 3 octobre 2006 au moment de leur importation au Canada par la poste. Le 5 octobre 2006, M. Eric Shenker a demandé un réexamen de la décision de l’ASFC concernant l’admissibilité des couteaux en cause. Le 9 novembre 2006, l’ASFC a confirmé que, à son avis, les couteaux en cause étaient correctement classés à titre d’armes prohibées dans le numéro tarifaire 9898.00.00 et que leur importation au Canada était donc interdite. Le 10 janvier 2007, M. Shenker a déposé un appel auprès du Tribunal.

4. Le Tribunal a décidé de tenir une audience sur pièces en vertu des articles 25 et 25.1 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur 3 .

5. Le paragraphe 136(1) du Tarif des douanes prévoit ce qui suit :

The importation of goods of tariff item No. 9897.00.00, 9898.00.00 or 9899.00.00 is prohibited.

L’importation des marchandises des nos tarifaires 9897.00.00, 9898.00.00 ou 9899.00.00 est interdite.

6. Le numéro tarifaire 9898.00.00 prévoit ce qui suit :

Firearms, prohibited weapons, restricted weapons, prohibited devices, prohibited ammunition and components or parts designed exclusively for use in the manufacture of or assembly into automatic firearms, in this tariff item referred to as prohibited goods . . . .

Armes à feu, armes prohibées, armes à autorisation restreinte, dispositifs prohibés, munitions prohibées et éléments ou pièces conçus exclusivement pour être utilisés dans la fabrication ou l’assemblage d’armes automatiques, désignés comme « marchandises prohibées » au présent numéro tarifaire, [...]

For the purposes of this tariff item,

Pour l’application du présent numéro tarifaire :

. . . 

[...]

(b) “automatic firearm”, “licence”, “prohibited ammunition”, “prohibited device”, “prohibited firearm”, prohibited weapon, restricted firearm and “restricted weapon” have the same meanings as in subsection 84(1) of the Criminal Code . . . .

b) « arme à autorisation restreinte », « arme à feu à autorisation restreinte », « arme à feu prohibée », « arme automatique », « arme prohibée », « dispositif prohibé », « munitions prohibées » et « permis » s’entendent au sens du paragraphe 84(1) du Code criminel [...]

7. Le paragraphe 84(1) du Code criminel 4 définit « arme prohibée » ainsi :

“prohibited weapon” means

(a) a knife that has a blade that opens automatically by gravity or centrifugal force or by hand pressure applied to a button, spring or other device in or attached to the handle of the knife, or

(b) any weapon, other than a firearm, that is prescribed to be a prohibited weapon.

« arme prohibée »

a) Couteau dont la lame s’ouvre automatiquement par gravité ou force centrifuge ou par pression manuelle sur un bouton, un ressort ou autre dispositif incorporé ou attaché au manche;

b) toute arme — qui n'est pas une arme à feu — désignée comme telle par règlement.

ÉLÉMENTS DE PREUVE

8. L’ASFC a déposé les couteaux en cause à titre d’objets déposés comme pièce. Chacun des couteaux en cause est constitué d’un boîtier à lame double fixé en parallèle à une poignée caoutchoutée au moyen de deux tiges. Le boîtier et la poignée mesurent, tous les deux, environ 15 cm de long, la poignée étant munie, à chaque bout, d’une pointe conique en chrome de 3 cm. Sous la poignée caoutchoutée, entre les deux tiges, se trouve un levier en T que l’utilisateur saisit avec la main. Lorsque le levier en T, qui est fixé directement au boîtier, est tiré vers la poignée en exerçant une traction avec la main, les lames en acier inoxydable s’ouvrent à un degré qui est fonction de la position du levier. Lorsque les couteaux sont entièrement déployés et que les lames de 9,5 cm pointent en direction opposée, ils mesurent environ 34 cm de long. Les lames s’ouvrent et se referment à l’aide d’un mécanisme à ressort. Les lames ne sont pas verrouillées lorsqu’elles sont en position ouverte — elles se referment aussitôt que la traction sur le levier cesse ou diminue.

PLAIDOIRIE

9. M. Shenker a soutenu que les couteaux en cause ne répondent pas à la définition d’arme prohibée du Code criminel, car les lames ne peuvent s’ouvrir automatiquement par pression sur un bouton comme c’est le cas pour le mécanisme d’un couteau à cran d’arrêt. Il a soutenu que les lames s’ouvrent plutôt par traction manuelle sur le levier en T ce qui fait fonctionner le mécanisme à ressort. Selon M. Shenker, ce mécanisme à ressort est semblable à celui de certains outils de jardinage, comme les sécateurs et les ébrancheurs, qui permet aux lames de se refermer lorsque la poignée est relâchée. M. Shenker a ajouté que la définition d’« arme prohibée » qui se trouve dans le Code criminel est tellement large que le couteau polyvalent commun (box cutter), muni d’un bouton pour faire glisser la lame, pourrait être considéré comme une arme prohibée. M. Shenker a aussi soutenu que la façon dont les couteaux en cause sont commercialisés donne la fausse impression qu’ils sont beaucoup plus dangereux qu’ils ne le sont vraiment, ajoutant qu’en réalité, plusieurs articles de fabrication similaire sont disponibles dans de milliers de magasins partout au Canada.

10. L’ASFC n’était pas d’accord et a soutenu que la définition d’« arme prohibée » aux termes du paragraphe 84(1) du Code criminel est particulièrement pertinente aux couteaux en cause. À son avis, les couteaux en cause comportent une lame double qui s’ouvrent automatiquement par traction manuelle sur le levier fixé au boîtier du couteau. L’ASFC a fait valoir que c’est le mécanisme à ressort pour l’ouverture des lames situé dans le boîtier qui fait que ces couteaux sont des armes prohibées. De plus, elle a fait valoir que le fait qu’on doive tirer sur le levier pour actionner le mécanisme interne pour faire ouvrir les lames n’est pas pertinent afin de déterminer si les couteaux en cause sont des armes prohibées. À l’appui de son affirmation qu’une action manuelle supplémentaire n’empêche pas les couteaux d’être des armes prohibées, l’ASFC a cité la décision de la Cour suprême du Canada dans R. c. Vaughan 5 . L’ASFC a aussi soutenu que la commercialisation et la publicité6 relatives aux couteaux en cause ont révélé qu’ils sont manifestement conçus pour être utilisés comme armes et destinés à l’être, et que, de ce fait, ils doivent être classés à titre d’armes prohibées dans le numéro tarifaire 9898.00.00.

DÉCISION

11. Afin de déterminer si les couteaux en cause sont correctement classés dans le numéro tarifaire 9898.00.00, le Tribunal doit déterminer s’ils répondent à la définition d’« arme prohibée » aux termes du paragraphe 84(1) du Code criminel.

12. À l’examen attentif des couteaux en cause, le Tribunal conclut qu’ils sont munis de lames qui s’ouvrent automatiquement par traction manuelle sur une pièce fixée au boîtier du couteau. Bien qu’aucun ressort ne soit utilisé pour faire ouvrir les lames (les ressorts du mécanisme ne servent qu’à refermer les lames), le Tribunal est d’avis que le fonctionnement du mécanisme, qui réduit au minimum l’action manuelle requise pour faire ouvrir les lames, fait en sorte que les lames s’ouvrent automatiquement. En d’autres mots, puisque que, pour faire bouger le levier, une traction manuelle sur une très faible distance est suffisante pour faire ouvrir les deux lames simultanément à 180 degrés, le Tribunal considère que les lames s’ouvrent automatiquement. Par conséquent, les couteaux en cause répondent à la définition d’« arme prohibée » aux termes du Code criminel.

13. En ce qui concerne l’argument de M. Shenker selon lequel plusieurs articles de fabrication similaire sont disponibles dans de milliers de magasins partout au Canada, le Tribunal remarque, tel qu’il l’a fait dans Wayne Ericksen c. Commissaire de l’Agence des douanes et du revenu du Canada 7 , que cette observation ne peut fonder sa décision en vertu de la loi applicable en ce qui a trait au classement des couteaux en cause.

14. Par conséquent, le Tribunal conclut que les couteaux en cause sont correctement classés à titre d’armes prohibées dans le numéro tarifaire 9898.00.00 et que, à ce titre, leur importation au Canada est interdite aux termes du paragraphe 136(1) du Tarif des douanes.

15. Pour les motifs qui précèdent, l’appel est rejeté.


1 . L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1 [Loi].

2 . L.C. 1997, c. 36.

3 . D.O.R.S./91-499.

4 . L.R.C. 1985, c. C-46.

5 . [1991] 3 R.C.S. 691.

6 . L’ASFC a renvoyé au site Web du fournisseur de M. Shenker (www.selfdefensesupply.com), ainsi qu’à un autre site Web qui fait aussi de la publicité pour les couteaux en cause (www.bladeplay.com).

7 . (3 janvier 2002), AP-2000-059 (TCCE).