ANDREW TAYLOR


ANDREW TAYLOR
c.
PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA
Appel no AP-2007-025

Décision et motifs rendus
le mercredi 3 décembre 2008


TABLE DES MATIÈRES

EU ÉGARD À un appel entendu le 21 août 2008 aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes, L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1;

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada le 18 avril 2007 concernant une demande de réexamen aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

 

ANDREW TAYLOR

Appelant

ET

 

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

Intimé

DÉCISION

L’appel est rejeté.

Serge Fréchette
Serge Fréchette
Membre présidant

André F. Scott
André F. Scott
Membre

Pasquale Michaele Saroli
Pasquale Michaele Saroli
Membre

Hélène Nadeau
Hélène Nadeau
Secrétaire

Lieu de l’audience :

Ottawa, Ontario

Date de l’audience :

Le 21 août 2008

   

Membres du Tribunal :

Serge Fréchette, membre présidant

 

André F. Scott, membre

 

Pasquale Michaele Saroli, membre

   

Conseiller juridique pour le Tribunal :

Georges Bujold

   

Directeur de la recherche :

Audrey Chapman

   

Agent de la recherche :

Jo-Anne Smith

   

Gestionnaire, Bureau du greffe :

Gillian Burnett

   

Agent principal du greffe :

Stéphanie Doré

PARTICIPANTS :

Appelant

 
   

Andrew Taylor

 
   

Intimé

Conseiller/représentant

   

Le président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Talitha A. Nabbali

Veuillez adresser toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
Standard Life Centre
333, avenue Laurier Ouest
15e étage
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel :

EXPOSÉ DES MOTIFS

CONTEXTE

1. Le présent appel est interjeté aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes 1 à l’égard d’une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), datée du 18 avril 2007, aux termes du paragraphe 60(4).

2. La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si l’ASFC a correctement classé un katar moghol indien du 17e siècle (le couteau en cause) à titre d’arme prohibée dans le numéro tarifaire 9898.00.00 de l’annexe du Tarif des douanes 2 .

HISTORIQUE DES PROCÉDURES

3. Le couteau en cause a été retenu par l’ASFC le 5 février 2007, au moment de son entrée au Canada. À la suite d’une demande de réexamen du classement tarifaire du couteau en cause présentée par M. Andrew Taylor, l’ASFC a rendu une décision, le 18 avril 2007, aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi, confirmant que le couteau en cause avait été correctement classé à titre d’arme prohibée dans le numéro tarifaire 9898.00.00 et que son importation au Canada était donc interdite.

4. Le 18 octobre 2007, M. Taylor a demandé la prorogation du délai pour interjeter appel auprès du Tribunal3 . Le 12 février 2008, le Tribunal a rendu, aux termes de l’article 67.1 de la Loi, une ordonnance faisant droit à la prolongation de délai pour déposer un avis d’appel et acceptant les documents déposés par M. Taylor les 18 et 19 octobre 2007 à titre d’avis d’appel aux termes du paragraphe 67(1)4 .

5. Le Tribunal a décidé de tenir une audience sur pièces conformément aux articles 25 et 25.1 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur 5 .

COUTEAU EN CAUSE

6. Le couteau en cause6 est une dague de forge dégrossie à deux tranchants comportant un bout gonflé renforcé. Elle a une longueur totale d’environ 420 mm (16,5 po), la longueur de sa lame étant d’environ 240 mm (9,4 po). Son manche est en forme de H, étant constitué de deux barres de métal parallèles qui partent de la base de la lame et sont reliées par une traverse de métal fixée (soudée par forgeage) aux deux barres à angle perpendiculaire. Puisqu’il est conçu de cette manière, le couteau en cause a un manche horizontal, de sorte que la lame se trouve au-dessus des jointures de l’utilisateur.

7. Selon les éléments de preuve, les katars ont cessé d’être couramment utilisés au 19e siècle. De façon générale, les katars étaient utilisés dans les combats rapprochés au corps à corps et étaient efficaces pour percer les armures7 . Les parties conviennent que le couteau en cause est un couteau ancien. De plus, l’ASFC n’a pas contesté l’affirmation de M. Taylor selon laquelle pour qu’un katar soit utilisé dans une bataille ou dans tout type de combat, il doit être fixé au poignet et à l’avant-bras au moyen de courroies ou de fixations8 .

8. Le 21 août 2008, l’ASFC a déposé le couteau en cause comme pièce.

ANALYSE

9. Voici des extraits des dispositions législatives et réglementaires pertinentes dans le présent appel.

10. Le paragraphe 136(1) du Tarif des douanes prévoit ce qui suit :

The importation of goods of tariff item No. 9897.00.00, 9898.00.00 or 9899.00.00 is prohibited.

L’importation des marchandises des nos tarifaires 9897.00.00, 9898.00.00 ou 9899.00.00 est interdite.

11. Le numéro tarifaire 9898.00.00 prévoit en partie ce qui suit :

Firearms, prohibited weapons, restricted weapons, prohibited devices, prohibited ammunition and components or parts designed exclusively for use in the manufacture of or assembly into automatic firearms, in this tariff item referred to as prohibited goods . . . .

Armes à feu, armes prohibées, armes à autorisation restreinte, dispositifs prohibés, munitions prohibées et éléments ou pièces conçus exclusivement pour être utilisés dans la fabrication ou l’assemblage d’armes automatiques, désignés comme « marchandises prohibées » au présent numéro tarifaire, [...]

For the purposes of this tariff item,

Pour l’application du présent numéro tarifaire :

. . . 

[...]

(b) “automatic firearm”, “licence”, “prohibited ammunition”, “prohibited device”, “prohibited firearm”, prohibited weapon, restricted firearm and “restricted weapon” have the same meanings as in subsection 84(1) of the Criminal Code . . . .

b) « arme à autorisation restreinte », « arme à feu à autorisation restreinte », « arme à feu prohibée », « arme automatique », « arme prohibée », « dispositif prohibé », « munitions prohibées » et « permis » s’entendent au sens du paragraphe 84(1) du Code criminel [...]

12. Le paragraphe 84(1) du Code criminel 9 définit « arme prohibée » comme suit :

“prohibited weapon” means

(a) a knife that has a blade that opens automatically by gravity or centrifugal force or by hand pressure applied to a button, spring or other device in or attached to the handle of the knife, or

(b) any weapon, other than a firearm, that is prescribed to be a prohibited weapon;

« arme prohibée »

a) Couteau dont la lame s’ouvre automatiquement par gravité ou force centrifuge ou par pression manuelle sur un bouton, un ressort ou autre dispositif incorporé ou attaché au manche;

b) toute arme — qui n’est pas une arme à feu — désignée comme telle par règlement.

13. La liste des armes désignées comme armes prohibées aux termes du paragraphe 84(1) du Code criminel figure à la partie 3 de l’annexe du Règlement désignant des armes à feu, armes, éléments ou pièces d’arme, accessoires, chargeurs, munitions et projectiles comme étant prohibés ou à autorisation restreinte (le Règlement). L’article 9 de la partie 3 de l’annexe du Règlement est pertinent dans le présent appel et prévoit que les types suivants de couteaux sont des armes prohibées :

9. Any knife commonly known as a “push-dagger” that is designed in such a fashion that the handle is placed perpendicular to the main cutting edge of the blade and any other similar device other than the aboriginal “ulu” knife.

9. Tout couteau communément appelé « dague à pousser », conçu de telle façon que le manche est perpendiculaire au tranchant principal de la lame, ainsi que tout autre instrument semblable, à l’exception du couteau autochtone « ulu ».

14. Pour déterminer si le couteau en cause est correctement classé dans le numéro tarifaire 9898.00.00 à titre d’arme prohibée, le Tribunal doit déterminer s’il satisfait aux exigences de l’article 9 de la partie 3 de l’annexe du Règlement. À cet égard, le Tribunal est d’avis qu’un couteau peut satisfaire à ces exigences de deux manières. Premièrement, un couteau relève de l’article 9 et, par conséquent, est désigné comme une arme prohibée s’il est a) un couteau « [...] communément appelé “dague à pousser” [...] » et b) un couteau qui est « [...] conçu de telle façon que le manche est perpendiculaire au tranchant principal de la lame [...] ». Deuxièmement, un couteau satisfait aux exigences de l’article 9 s’il s’agit d’un « instrument semblable » aux couteaux qui respectent les critères a) et b) mais n’est pas un couteau autochtone « ulu »10 .

Le couteau en cause est-il communément appelé dague à pousser et le manche est-il perpendiculaire au tranchant principal de la lame?

15. Le Tribunal débute par l’examen de la première exigence, qui est composée de deux critères : le couteau en cause est-il un couteau a) « [...] communément appelé “dague à pousser” [...] » et b) « [...] conçu de telle façon que le manche est perpendiculaire au tranchant principal de la lame [...] ».

16. Examinant d’abord le deuxième critère, le Tribunal souligne que l’ASFC a prétendu que le couteau en cause est conçu de telle façon que le manche est perpendiculaire au tranchant principal de la lame.

17. En particulier, l’ASFC a soutenu que la principale caractéristique d’un katar est que le manche est composé de deux barres parallèles reliées par au moins deux traverses qui forment un angle droit par rapport à la lame. Elle a souligné que, de cette manière et comme l’indiquent les photos du couteau en cause, son manche est perpendiculaire au tranchant principal de la lame11 . M. Taylor n’a pas contesté ce point.

18. Le Tribunal ajoute que le Canadian Oxford Dictionary définit « handle » (manche) comme « [...] the part by which a thing is held, carried, or controlled [...] »12 (la partie par laquelle une chose est tenue, transportée ou contrôlée). À la lumière de cette définition et de l’inspection visuelle du couteau en cause, le Tribunal conclut que la position du manche du couteau en cause est effectivement perpendiculaire au tranchant principal de la lame.

19. Le Tribunal déterminera maintenant si le couteau en cause est « [...] communément appelé “dague à pousser” [...] ».

20. L’ASFC a prétendu que le couteau en cause respecte ce critère13 . À l’appui de cette position, l’ASFC a fait référence aux renseignements concernant les couteaux à pousser et les katars obtenus sur Wikipédia, une encyclopédie sur Internet, qui ont été déposés par M. Taylor. Selon ces renseignements, « […] une ancienne variante d’une [dague à pousser] est le katar […]14  » [traduction] et « […] une arme occidentale de même style [que le katar] est la dague à pousser […]15  » [traduction]. De plus, l’ASFC a fourni plusieurs copies de pages de sites Web qui indiquent que les antiquaires ainsi que les vendeurs et les acheteurs d’armes anciennes appellent les katars des « dagues à pousser »16 .

21. L’ASFC s’est aussi fondée sur un rapport d’expert17 préparé par M. Murray Smith, directeur de la Table de référence des armes à feu de la Gendarmerie royale du Canada. Après examen du couteau en cause, M. Smith a déclaré qu’à son avis, celui-ci satisfait aux exigences de l’article 9 de l’annexe du Règlement et constitue une arme prohibée puisqu’il s’agit d’un couteau communément appelé dague à pousser, qui n’est pas un couteau ulu 18 . Il a aussi déclaré que les documents de référence sur les couteaux utilisent les mots « pousser » et « frapper » indifféremment.

22. M. Taylor a soutenu que le couteau en cause n’est pas « [...] communément appelé “dague à pousser” [...] », de sorte qu’il était en désaccord avec l’opinion de l’ASFC selon laquelle le couteau en cause satisfait aux exigences de l’article 9 de la partie 3 de l’annexe du Règlement. Selon M. Taylor, le couteau en cause est simplement communément appelé katar 19 . Il a déclaré que les dagues à pousser sont de petites armes faciles à cacher. Il a décrit une dague à pousser comme étant une petite lame à deux tranchants fixée à un manche en forme de T où la lame s’étend entre le deuxième doigt et le majeur lorsque la main est serrée en un poing20 .

23. M. Taylor a avancé que le couteau en cause ne comporte pas les caractéristiques d’une dague à pousser. En particulier, M. Taylor estime que le couteau en cause ne ressemble pas à une dague à pousser parce qu’il est beaucoup plus long et que son manche est en forme de H. Il a prétendu que, contrairement à une dague à pousser, le couteau en cause est trop gros pour être dissimulé et qu’il est instable lors de l’utilisation à moins d’être lié par courroie à l’avant-bras.

24. M. Taylor a invoqué la décision rendue par le Tribunal dans Schebek et a souligné que, dans cette décision qui portait sur le classement tarifaire d’un katar, le Tribunal a déclaré ce qui suit:

[...]

Ainsi, les éléments de preuve montrent que le couteau en cause est beaucoup plus long que le type de couteau communément appelé dague à pousser et que, de l’avis du Tribunal, il n’est donc pas un « [...] couteau communément appelé “dague à pousser” [...] »21 .

25. Selon M. Taylor, le Tribunal en l’espèce est saisi des mêmes faits que dans Schebek. Il a affirmé que, dans cette décision, le Tribunal avait conclu qu’un katar n’était pas un couteau « [...] communément appelé “dague à pousser” [...] ». Il a fait valoir que cette décision confirme qu’un katar n’est pas une dague à pousser.

26. En réponse aux arguments de l’ASFC, M. Taylor a reconnu qu’un katar pouvait parfois être appelé une dague à frapper. Toutefois, à son avis, ce n’est pas parce que le coup prend la forme d’un coup de poing, mais plutôt parce que le bout du katar est utilisé pour perforer une armure en métal léger ou une armure en cote de mailles.

27. M. Taylor a ajouté que les descriptions des katars qu’on retrouve sur Wikipédia et qu’a invoquées l’ASFC ne sont pas exactes22 . Il a soutenu que la référence aux katars sur Wikipédia a été modifiée et qu’on ne qualifie plus les katars de dagues à pousser23 . M. Taylor a ajouté qu’un ouvrage de référence qui fait davantage autorité pour ces couteaux est le Glossary of the Construction, Decoration and Use of ARMS AND ARMOR in All Countries and in All Times, par George Cameron Stone, publié initialement en 1934. M. Taylor a souligné que ce glossaire décrit les katars sans les qualifier de dagues à pousser ou de dagues à frapper.

28. Comme il a été déclaré dans Schebek, le Tribunal estime que le fait qu’un couteau soit conçu de telle façon que le manche est perpendiculaire au tranchant principal de la lame n’implique pas nécessairement qu’il s’agit d’un couteau « [...] communément appelé “dague à pousser” [...] ». Le Tribunal est d’avis que l’inclusion du qualificatif « [...] communément appelé “dague à pousser” [...] » à l’article 9 de la partie 3 de l’annexe du Règlement limite les types de couteaux à manche perpendiculaire au tranchant principal de la lame qui font l’objet de la prohibition.

29. Le Tribunal souligne que le dossier contient des éléments de preuve contradictoires à l’égard de la question de savoir si le couteau en cause est communément appelé une dague à pousser. Comme il a été souligné, l’ASFC a produit des éléments de preuve indiquant que les katars sont parfois qualifiés de dagues à pousser. Sur cette question, l’ASFC a aussi fait référence à l’opinion de M. Smith et aux documents de référence secondaires supplémentaires qu’elle a déposés en preuve. M. Taylor a mis en doute l’exactitude et la crédibilité de l’information tirée d’Internet et a souligné que les documents sensés appuyer l’opinion de M. Smith ne qualifient nullement les katars de dagues à pousser. Il a aussi souligné que les katars ne sont pas correctement qualifiés de dagues à pousser, étant donné qu’ils sont différents à plusieurs égards importants des dagues à pousser.

30. Premièrement, sur la question de savoir si le couteau en cause est communément appelé dague à pousser, le Tribunal fait observer que les considérations suivantes, qui ont toutes trait aux caractéristiques physiques du couteau en cause, indiquent qu’il n’est pas communément appelé dague à pousser :

• La longueur. Le couteau en cause a une longueur de lame d’environ 240 mm et une longueur totale de 420 mm, mais les éléments de preuve au dossier indiquent que les dagues à pousser sont généralement plus courtes. Selon les renseignements et les photos présentés par M. Taylor, une dague à pousser typique est un couteau court assorti d’un manche en T24 . Cet élément de preuve est compatible avec ceux qui ont été déposés dans Schebek, où le Tribunal a fait remarquer que la longueur totale des diverses dagues à pousser figurant dans les documents d’information de ventes sur Internet variait de 5,0 à 7,5 po25 .

• La position de la lame. Une dague à pousser est généralement conçue de manière à être prise par la main de façon à ce que la lame fasse saillie de la surface du poing de l’utilisateur (entre le deuxième doigt et le majeur), mais la lame du couteau en cause se situe au-dessus des jointures de l’utilisateur26 .

• La possibilité de dissimulation. Contrairement à une dague à pousser généralement petite, le couteau en cause, en raison de sa plus grande taille, ne se dissimule pas facilement.

• La stabilité. Généralement, le manche en forme de T d’une dague à pousser permet une poigne très forte, tandis que le couteau en cause est instable si on le prend par le manche sauf s’il est fixé par courroie à l’avant-bras de l’utilisateur27 .

31. Deuxièmement, le Tribunal a examiné les autres éléments de preuve produits par M. Taylor et l’ASFC. Le Tribunal estime que les renseignements provenant d’Internet qui ont été déposés en preuve et qui indiquent que le couteau en cause peut être qualifié de dague à pousser ne sont pas concluants puisque ces éléments de preuve documentaires ne qualifient pas toujours les katars de dagues à pousser. De plus, le Tribunal convient avec M. Taylor que de tels renseignements pourraient être inexacts ou non fiables. À cet égard, même si les vendeurs d’armes anciennes peuvent qualifier les katars de dagues à pousser, ces éléments de preuve n’indiquent pas clairement que les katars sont communément appelés dagues à pousser par les acheteurs ou les collectionneurs potentiels. En outre, le Tribunal fait remarquer qu’aucun des extraits tirés des ouvrages de référence sur les armes et les couteaux qui ont été déposés en preuve décrivent les katars comme des dagues à pousser ou indiquent autrement que les katars sont communément appelés dagues à pousser28 . Le Tribunal est d’avis que ces éléments de preuve, qui minent l’argument de l’ASFC selon lequel le couteau en cause est communément appelé dague à pousser, doivent se faire attribuer davantage de poids que les références Internet invoquées par l’ASFC.

32. Troisièmement, à l’égard du rapport d’expert préparé par M. Smith, les renseignements au dossier indiquent que l’expertise de M. Smith a principalement trait aux armes à feu. Outre le fait qu’il indique que M. Smith a comparu devant des tribunaux ou des comités parlementaires comme expert sur les armes à feu et d’autres armes, son curriculum vitæ n’énonce pas en détail ses qualifications et son expertise à l’égard des couteaux ou des armes blanches. Le Tribunal ajoute que les renseignements fournis dans le rapport de M. Smith ne corroborent pas les opinions énoncées et ne fournissent pas suffisamment de détails et d’explications concernant les motifs pour lesquels, à son avis, le couteau en cause est communément appelé dague à pousser. De même, le Tribunal n’est pas convaincu que les documents de référence secondaires supplémentaires, sur lesquels M. Smith s’est apparemment fondé, soutiennent en fait son opinion. Par exemple, comme il a été mentionné, les documents de référence déposés avec le rapport de M. Smith ne font que référer aux katars comme des dagues à frapper sans les qualifier de dagues à pousser. À cet égard, il est vrai que M. Smith a déclaré que ces termes sont utilisés de façon interchangeable mais, une fois de plus, cette opinion n’est pas étayée par une référence explicite aux documents sur les couteaux et armes déposés en preuve ni n’est corroborée par les autres éléments de preuve au dossier. À la lumière de ces considérations, même si le Tribunal est prêt à accepter M. Smith en tant qu’expert en armes prohibées, il conclut que son rapport a une faible valeur probante.

33. Par conséquent, après examen attentif de l’ensemble des éléments de preuve sur cette question, le Tribunal ne peut conclure que le couteau en cause est « [...] communément appelé “dague à pousser” [...] ».

Le couteau en cause est-il un instrument semblable, à l’exception du couteau autochtone ulu?

34. Ayant conclu que le couteau en cause ne satisfait pas à la première exigence énoncée à l’article 9 de la partie 3 de l’annexe du Règlement, le Tribunal déterminera maintenant s’il s’agit d’un « [...] instrument semblable, à l’exception du couteau autochtone “ulu” [...] » relativement aux couteaux communément appelés dagues à pousser conçus de telle façon que le manche est perpendiculaire au tranchant principal de la lame. S’il est jugé être un tel « instrument semblable », le couteau en cause sera désigné comme arme prohibée aux termes de l’article 9 de la partie 3.

35. Le Tribunal fait remarquer que les parties n’ont pas abordé cette question dans leurs observations. Toutefois, le Tribunal est d’avis que les mots « [...] tout autre instrument semblable [...] » tendent à élargir la définition d’armes prohibées figurant à l’article 9 de la partie 3 de l’annexe du Règlement. À cet égard, ces mots indiquent clairement que certains couteaux dont le manche est perpendiculaire au tranchant principal de la lame, à l’exception de ceux qui sont communément appelés dagues à pousser, peuvent aussi être prohibés aux termes de cette disposition.

36. Le Canadian Oxford Dictionary définit « similar » (semblable) de la façon suivante : « [...] of the same nature or kind; alike [...] » (de la même nature ou du même genre; pareil)29 . Manifestement, le terme « similar » ne signifie pas « identical » (identique). Ainsi, malgré le fait qu’il y a certaines différences physiques entre le couteau en cause et les marchandises communément appelées dagues à pousser, le couteau en cause peut néanmoins être considéré un instrument semblable. Le Tribunal est d’avis que l’utilisation du mot « similar » dans ce contexte visait à énoncer le principe que les couteaux doivent être de la même nature générale, du même genre ou du même caractère que les marchandises communément appelées dagues à pousser. À cet égard, à la lumière de la définition du mot « similar », la référence à « [...] tout autre instrument semblable [...] » dans la loi signifie davantage que le simple examen des similitudes d’une nature physique. Le Tribunal estime qu’afin de déterminer si le couteau en cause est un instrument semblable, il doit aussi tenir compte des similitudes sur le plan des applications ou des utilisations finales prévues entre le couteau en cause et les dagues à pousser.

37. Appliquant ces critères aux faits du présent appel, le Tribunal fait d’abord remarquer que les deux couteaux ont des lames à deux tranchants. De plus, le Tribunal a déjà déterminé que, comme pour une dague à pousser, le manche du couteau en cause est perpendiculaire au tranchant principal de la lame. Ainsi, les deux se prennent essentiellement de la même manière, la main étant perpendiculaire à la lame, contrairement aux couteaux conventionnels. Par conséquent, le couteau en cause et les dagues à pousser ont en commun certaines caractéristiques physiques, ce qui indique qu’ils sont de la même nature ou du même genre.

38. Selon le Tribunal, l’usage prévu constitue aussi un facteur pertinent dans l’évaluation de la similitude de deux articles. Donc, en plus des caractéristiques physiques, le Tribunal a examiné les caractéristiques de conception du couteau en cause et celles des dagues à pousser. Une maxime bien établie veut que la forme suive la fonction, et il ressort manifestement de l’inspection physique du couteau en cause et des éléments de preuve au dossier qu’une importante caractéristique commune des dagues à pousser et du couteau en cause est qu’ils n’ont pas été conçus pour des applications courantes, comme dans le cas d’un couteau de cuisine, d’un couteau tout usage ou d’un couteau de sculpture sur bois. Au contraire, les dagues à pousser et le couteau en cause ont été conçus pour l’objectif semblable d’infliger de graves lésions corporelles. À cet égard, peu importe qu’on s’en serve pour pousser, frapper, poignarder, lacérer ou percer et malgré le fait que l’un est plus court et facile à dissimuler que l’autre, le Tribunal conclut que de telles différences ne suffisent pas pour rendre différent le couteau en cause. Le Tribunal est d’avis que deux articles qui ont en commun de telles caractéristiques importantes peuvent être des instruments semblables même s’ils ne sont pas de la même taille et n’ont pas des caractéristiques physiques identiques30 . Par conséquent, le Tribunal conclut que le couteau en cause est « [...] de la même nature ou du même genre [...] » [traduction] qu’une dague à pousser, soit un instrument semblable au sens de l’article 9 de la partie 3 de l’annexe du Règlement.

39. L’article 9 de la partie 3 de l’annexe du Règlement exclut un type d’instrument semblable de la portée de la prohibition : le couteau autochtone ulu. Le couteau en cause étant un couteau historique en provenance de l’Inde, il ne s’agit manifestement pas d’un couteau autochtone ulu. Il n’est pas donc pas visé par cette exception.

40. Enfin, même si le Tribunal reconnaît que le couteau en cause est une antiquité de collection, il ne peut pas en tenir compte dans la détermination de son classement tarifaire étant donné les dispositions pertinentes de la loi et du Règlement. Par conséquent, le Tribunal n’a aucun pouvoir discrétionnaire sur cette question puisque le cadre législatif et réglementaire ne prévoit pas l’exclusion des couteaux anciens de la portée de la prohibition.

41. Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal conclut que le couteau en cause est correctement classé à titre d’arme prohibée dans le numéro tarifaire 9898.00.00, de sorte que son importation au Canada est interdite aux termes du paragraphe 136(1) du Tarif des douanes.

DÉCISION

42. Pour les motifs qui précèdent, l’appel est rejeté.


1 L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1 [Loi].

2 L.C. 1997, c. 36.

3 . Aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi, la personne qui s’estime lésée par une décision rendue par l’ASFC conformément à l’article 60 peut en interjeter appel auprès du Tribunal en déposant par écrit un avis d’appel dans les 90 jours suivant la notification de l’avis de décision. Aux termes de l’article 67.1, la personne qui n’a pas interjeté appel dans ce délai de 90 jours peut présenter au Tribunal une demande de prorogation du délai pour déposer un avis d’appel.

4 . Pièce du Tribunal AP-2007-025-01.

5 . D.O.R.S./91-499.

6 . L’ASFC a déposé des éléments de preuve indiquant que le couteau en cause devrait être appelé un jamadhar. Voir la pièce du Tribunal AP-2007-025-15A, onglet 1 au para. 13 et les onglets 2 à 6. Elle n’a cependant pas contesté que le couteau en cause peut aussi être correctement appelé katar. Voir les pièces du Tribunal AP-2007-025-05A au para. 2 et AP-2007-025-05B, onglet 1.

7 . Pièce du Tribunal AP-2007-025-03, appendices 1, 2, 3.

8 . Ibid. au para. 2 et AP-2007-025-12 au para. 5.

9 L.R.C. 1985, c. C-46.

10 . Gordon Schebek c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (18 mai 2006), AP-2005-009 (TCCE) [Schebek].

11 . Pièce du Tribunal AP-2007-025-05A aux para. 20-22.

12 . Deuxième édition, s.v. « handle ».

13 . Pièce du Tribunal AP-2007-025-05A aux para. 20-22.

14 . Pièce du Tribunal AP-2007-025-03, appendice 1.

15 . Ibid., appendice 2.

16 . Pièces du Tribunal AP-2007-025-05A au para. 21 et AP-2007-025-05B, onglet 5.

17 . Pièce du Tribunal AP-2007-0205-15A.

18 . Ibid. au para. 17.

19 . Pièce du Tribunal AP-2007-025-12 au para. 3.

20 . Pièce du Tribunal AP-2007-025-03 au para. 5 et appendice 1 à la p. 1.

21 . Schebek au para. 17.

22 Pièce du Tribunal AP-2007-025-12 aux para. 8-10.

23 . Ibid. au para. 8.

24 . Pièce du Tribunal AP-2007-025-03, appendice 1.

25 . Schebek au para. 16.

26 . Pièce du Tribunal AP-2007-025-03, appendices 1, 2.

27 . Ibid. au para. 2 et AP-2007-025-12 au para. 5.

28 . Pièce du Tribunal AP-2007-025-12 aux para. 12-16. Voir aussi pièce du Tribunal AP-2007-0205-15A, onglets 3-6. Cette preuve documentaire ne fait que qualifier les katars de dagues à frapper et non pas de dagues à pousser.

29 . Deuxième édition, s.v. « similar ».

30 . Le Tribunal sait que dans Schebek il a conclu que le « katar » en cause n’était pas un « instrument semblable » vu sa différence de taille avec les dagues à pousser. Toutefois, ses conclusions étaient fondées sur les éléments de preuve produits dans cet appel, et le Tribunal a expressément limité ses conclusions aux faits de cette affaire et a déclaré ce qui suit : « [...] Le Tribunal constate que la présente décision ne s’applique qu’au couteau en cause; il ne s’est pas prononcé sur la question de savoir si les “katars”, en général, sont des armes prohibées [...] », Schebek, au para. 21.