KORHANI CANADA INC.


KORHANI CANADA INC.
c.
PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA
Appel no AP-2007-008

Décision et motifs rendus
le mardi 18 novembre 2008


TABLE DES MATIÈRES

EU ÉGARD À un appel entendu le 28 février 2008, en vertu du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes, L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1;

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada le 28 mars 2007, concernant une demande de réexamen aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

 

KORHANI CANADA INC.

Appelante

ET

 

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

Intimé

DÉCISION

L’appel est admis.

Ellen Fry
Ellen Fry
Membre présidant

James A. Ogilvy
James A. Ogilvy
Membre

Diane Vincent
Diane Vincent
Membre

Hélène Nadeau
Hélène Nadeau
Secrétaire

Lieu de l’audience :

Ottawa (Ontario)

Date de l’audience :

Le 28 février 2008

   

Membres du Tribunal :

Ellen Fry, membre présidant

 

James A. Ogilvy, membre

 

Diane Vincent, membre

   

Conseiller juridique pour le Tribunal :

Alain Xatruch

   

Directeur de la recherche :

Audrey Chapman

   

Agent principal de la recherche :

Gabrielle Nadeau

   

Gestionnaire, Bureau du greffe :

Gillian Burnett

PARTICIPANTS :

Appelante

Conseiller/représentant

   

Korhani Canada Inc.

Andrew T. Simkins

   

Intimé

Conseiller/représentant

   

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Agnieszka Zagorska

TÉMOINS :

David Hiltz
Directeur, Catégories juvéniles
Sandylion Sticker Designs

Leslie J. Allen
Conseiller scientifique principal
Agence des services frontaliers du Canada

Veuillez adresser toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
Standard Life Centre
333, avenue Laurier Ouest
15e étage
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel :

EXPOSÉ DES MOTIFS

1. Le présent appel est interjeté par Korhani Canada Inc. (Korhani) aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes 1 à l’égard d’une décision rendue le 28 mars 2007 par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) aux termes du paragraphe 60(4).

2. La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si divers styles et tailles de tapis de jeu interactifs (les marchandises en cause) sont correctement classés dans le numéro tarifaire 5703.20.10 de l’annexe du Tarif des douanes 2 à titre de tapis de nylon touffetés à la machine, comme l’a déterminé l’ASFC, ou s’ils doivent être classés dans le numéro tarifaire 9503.90.00 à titre d’autres jouets, comme l’a soutenu Korhani.

HISTORIQUE DES PROCÉDURES

3. Le 15 juin 2006, Korhani a déposé une demande de décision anticipée de classement tarifaire des marchandises en cause. Le 19 septembre 2006, l’ASFC a rendu une décision anticipée en conformité avec l’alinéa 43.1(1)c) de la Loi et classé les marchandises en cause dans le numéro tarifaire 5703.20.10 à titre de tapis de nylon touffetés à la machine.

4. Le 3 octobre 2006, Korhani a demandé une révision de la décision anticipée aux termes du paragraphe 60(2) de la Loi. Korhani a demandé que les marchandises en cause soient classées dans le numéro tarifaire 9503.90.00 à titre d’autres jouets3 . Le 28 mars 2007, l’ASFC a rendu sa décision aux termes du paragraphe 60(4). L’ASFC a soutenu que les marchandises en cause étaient correctement classées dans le numéro tarifaire 5703.20.10 à titre de tapis de nylon touffetés à la machine, confirmant de ce fait sa décision anticipée.

5. Le 25 juin 2007, Korhani a déposé le présent appel auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal).

6. Le Tribunal a tenu une audience publique à Ottawa (Ontario), le 28 février 2008. M. David Hiltz, directeur, Catégories juvéniles, chez Sandylion Sticker Designs, a comparu à titre de témoin pour Korhani. Avant de travailler chez Sandylion Sticker Designs, M. Hiltz occupait le poste de directeur, Achats et licences, chez Korhani4 . M. Leslie J. Allen, conseiller scientifique principal à l’ASFC, a comparu à titre de témoin pour l’ASFC. Le Tribunal lui a reconnu le titre d’expert en analyse de la composition des textiles.

MARCHANDISES EN CAUSE

7. Les marchandises en cause sont divers styles de tapis de jeu interactifs faisant partie de la série de produits « K » de Korhani5 . Leur principal fournisseur est la société Misr American Carpet Mills, du Caire (Égypte)6 , et elles sont importées au Canada par Korhani.

8. Les marchandises en cause sont des tapis composés à 100 p. 100 de velours bouclé en filaments de nylon, touffetés, et d’une sous-couche de mousse de gel antidérapante, d’une taille de 1,0 m x 1,2 m à 1,0 m x 2,0 m. La face de dessus des marchandises montre divers motifs imprimés qui permet de diviser les tapis en deux catégories : les tapis de jeu génériques (non sous licence) et les tapis de jeu sous licence.

9. Les tapis de jeu génériques sont les tapis de jeu « City Life », « Canadian Tire City Life » et « Rona Warehouse City Life ». Chaque tapis de jeu est imprimé et montre un environnement urbain, y compris certaines caractéristiques comme des chemins, des maisons, un hôpital, un poste de police et un aéroport. Au centre de chaque tapis de jeu « Canadian Tire City Life » et « Rona Warehouse City Life », il y a une illustration du magasin dont il est question.

10. Les tapis de jeu vendus sous licence montrent des personnages de ©Disney (Winnie l’ourson, Cendrillon et Les Bagnoles), Nickelodeon (Bob l’éponge et Dora l’Exploratrice) et Marvel Comics (Spider-Man). Chaque tapis porte un motif imprimé semblable à une carte comprenant des scènes avec sentiers ou chemins et montrant des personnages sous licence. Les tapis dépeignent divers endroits liés à l’émission de télévision, au film, etc., dans lesquels ces personnages jouent un rôle.

11. Korhani a déposé comme pièces six échantillons de tapis de jeu interactifs de sa série « K »7 . Même si ces pièces n’englobaient pas la gamme complète de tapis de jeu interactifs de Korhani, M. Hiltz a affirmé que les caractéristiques physiques des tapis de jeu déposés étaient représentatives des caractéristiques physiques de tous les tapis de jeu interactifs de la série « K »8 . Korhani a aussi déposé comme pièces supplémentaires deux autres marchandises non en cause mais qui ont servi à des fins de comparaison9 .

12. L’ASFC a déposé un objet comme pièce, à savoir un échantillon de tapis de jeu interactif analysé par la Direction des travaux scientifiques et de laboratoire de l’ASFC10 .

ANALYSE

13. Dans le cadre des appels interjetés aux termes de l’article 67 de la Loi concernant les questions de classement tarifaire, le Tribunal détermine le classement tarifaire des marchandises conformément aux règles d’interprétation prescrites.

14. La nomenclature tarifaire est énoncée en détail dans l’annexe du Tarif des douanes, qui donne une liste exhaustive de marchandises divisée en sections et en chapitres. Chaque chapitre donne une liste de marchandises classées dans des positions et sous-positions et dans des numéros tarifaires. Les sections et chapitres peuvent comprendre des notes concernant leur interprétation. Les articles 10 et 11 du Tarif des douanes prescrivent la méthode que doit appliquer le Tribunal pour l’interprétation de l’annexe afin de déterminer le classement tarifaire approprié.

15. Le paragraphe 10(1) du Tarif des douanes porte ce qui suit : « [...] le classement des marchandises importées dans un numéro tarifaire est effectué, sauf indication contraire, en conformité avec les Règles générales pour l’interprétation du Système harmonisé[11] et les Règles canadiennes[12] énoncées à l’annexe. »

16. Les Règles générales sont composées de six règles. Le classement des marchandises commence par l’application de la Règle 1, qui porte ce qui suit : « [...] le classement étant déterminé légalement d’après les termes des positions et des Notes de Sections ou de Chapitres et, lorsqu’elles ne sont pas contraires aux termes desdites positions et Notes, d’après les Règles suivantes. » Si le Tribunal ne peut déterminer le classement des marchandises par application de la Règle 1, il doit alors tenir compte de la Règle 2, et ainsi de suite13 .

17. L’article 11 du Tarif des douanes prévoit ce qui suit : « Pour l’interprétation des positions et sous-positions, il est tenu compte du Recueil des Avis de classement du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises[14] et des Notes explicatives du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises[15] et de leurs modifications, publiés par le Conseil de coopération douanière (Organisation mondiale des douanes). » Par conséquent, contrairement aux notes de sections et de chapitres, les Avis de classement et les Notes explicatives n’ont pas force exécutoire pour le Tribunal dans son classement des marchandises importées. Toutefois, la Cour d’appel fédérale a déclaré qu’il faut respecter les Notes explicatives, à moins qu’il n’existe un motif valable de ne pas le faire, et on peut logiquement conclure que le même traitement doit s’appliquer aux Avis de classement 16 .

18. Après avoir appliqué la procédure pour déterminer la position dans laquelle les marchandises doivent être classées, le Tribunal doit passer à l’étape suivante, qui consiste à déterminer la sous-position et le numéro tarifaire appropriés, en appliquant la Règle 6 des Règles générales dans le cas de la sous-position et les Règles canadiennes dans le cas du numéro tarifaire.

19. Ainsi qu’il a déjà été énoncé, la question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si divers styles et tailles de tapis de jeu interactifs sont correctement classés dans le numéro tarifaire 5703.20.10 à titre de tapis de nylon touffetés à la machine, comme l’a déterminé l’ASFC, ou s’ils doivent être classés dans le numéro tarifaire 9503.90.00 à titre d’autres jouets, comme l’a soutenu Korhani. Par conséquent, le litige entre les parties se situe au niveau de la position.

20. La nomenclature du Tarif des douanes qui, selon Korhani, est pertinente pour le classement des marchandises en cause porte ce qui suit :

95.03 Autres jouets; modèles réduits et modèles similaires pour le divertissement, animés ou non; puzzles de tout genre.

[...]

9503.90.00 -Autres

21. La nomenclature du Tarif des douanes pertinente aux marchandises en cause, selon l’ASFC, porte ce qui suit :

57.03 Tapis et autres revêtements de sol en matières textiles, touffetés, même confectionnés.

[...]

5703.20 -De nylon ou d’autres polyamides

5703.20.10 ---Touffetés à la machine

22. Comme l’ont soutenu les parties, les notes relatives à la Section XI (qui comprend le Chapitre 57) et au Chapitre 57 sont pertinentes pour déterminer dans quelle position les marchandises en cause doivent être classées17 .

23. La Note 1t) de la Section XI porte ce qui suit :

1. La présente Section ne comprend pas :

[...]

t) les articles du Chapitre 95 (jouets, jeux, engins sportifs, filets pour activités sportives, par exemple);

[...]

24. La Note 1 du Chapitre 57 porte ce qui suit :

1. Dans ce Chapitre, on entend par tapis et autres revêtements de sol en matières textiles tout revêtement de sol dont la face en matière textile se trouve sur le dessus lorsque celui-ci est posé. Sont couverts également les articles qui possèdent les caractéristiques des revêtements de sol en matières textiles, mais qui sont utilisés à d’autres fins.

25. Même si Korhani est d’accord sur le fait que les marchandises en cause sont composées de touffes de velours bouclé de filaments de nylon et d’une sous-couche de mousse de gel antidérapante et qu’elles sont donc, à première vue, classées dans la position no 57.03 à titre de tapis touffetés, elle a soutenu, à la lumière de la Note 1t) de la Section XI, qu’il faut d’abord déterminer si les marchandises en cause sont considérées comme des articles du Chapitre 95. Autrement dit, elle a fait valoir que les marchandises en cause ne peuvent être classées dans la Section XI sauf s’il est d’abord déterminé qu’elles ne peuvent être classées dans le Chapitre 95. Elle a aussi soutenu qu’il n’y a pas de notes à la Section XX (qui comprend le Chapitre 95) et que les notes du Chapitre 95 n’excluent pas les marchandises en cause aux fins du classement dans ce chapitre.

26. L’ASFC a fait valoir que l’apparence des marchandises en cause ne doit pas entraîner leur classement dans la position no 95.03 à titre d’autres jouets, puisqu’un tel classement serait contraire à la Note 1 du Chapitre 57. Elle a soutenu que, même si les marchandises en cause sont destinées à servir à d’autres fins, elles doivent toujours être considérées comme des revêtements de sol, par application de la Note 1 du Chapitre 57, et doivent donc être classées dans la position no 57.03 à titre de tapis touffetés.

27. Le Tribunal est d’avis que la Note 1t) de la Section XI empêche clairement le classement des articles du Chapitre 95 dans la Section XI (c.-à-d. dans les chapitres 50 à 63). Même si la Note 1 du Chapitre 57 est pertinente pour déterminer si les marchandises peuvent, ou non, être classées dans ce chapitre, il faut l’interpréter d’une manière qui donne une force exécutoire à la Note 1t) de la Section XI.

28. Par conséquent, le Tribunal déterminera d’abord si les marchandises en cause sont des articles du Chapitre 95 et, plus particulièrement, si elles peuvent être classées dans la position no 95.03 à titre d’autres jouets. Si le Tribunal détermine qu’elles sont en fait de tels « autres jouets », les marchandises en cause ne pourront pas être classées dans les chapitres 50 à 63, et le Tribunal déterminera ensuite leur classement approprié aux niveaux de la sous-position et du numéro tarifaire. Si le Tribunal détermine que les marchandises en cause ne sont pas « d’autres jouets », il déterminera ensuite si elles peuvent être classées dans la position no 57.03.

Les marchandises en cause sont-elles des articles du Chapitre 95?

29. Korhani a soutenu que les Notes explicatives du Chapitre 95 et la position no 95.03, les décisions antérieures du Tribunal concernant les jouets et les définitions du mot « jouet » que donnent les dictionnaires indiquent que les jouets sont des objets avec lesquels des enfants ou des adultes jouent pour leur amusement et leur plaisir. À son avis, les marchandises en cause répondent à de tels critères, puisqu’elles sont conçues et commercialisées à titre de surfaces de jeu sur lesquelles un enfant peut interagir avec les divers motifs imprimés en y plaçant des jouets comme des autos, des panneaux de signalisation, des figurines et des poupées le long des sentiers ou des chemins ou à d’autres emplacements reconnaissables illustrés sur les marchandises en cause. Korhani a ajouté que, contrairement à l’affirmation de l’ASFC, la valeur d’amusement tirée des marchandises en cause dépasse l’ordre du plaisir visuel, puisque les marchandises permettent le jeu avec des figurines et jouets comme le feraient une maison de poupée, une piste de course pour enfants ou un théâtre de marionnettes.

30. Le témoin de Korhani a déclaré que les marchandises en cause ont été conçues pour offrir une valeur ludique. Il a mentionné que tous les aspects des marchandises en cause, l’illustration qu’elles portent, leur confection, leurs taille et échelle, ont été conçus pour atteindre un tel objectif. Korhani a également renvoyé à deux décisions de classement rendues aux États-Unis qui, à son avis, appuient sa position18 .

31. L’ASFC a soutenu que les marchandises en cause ne sont pas des jouets, mais plutôt des tapis à motifs ou patrons colorés qui plaisent aux enfants et qui sont dotés d’une surface de jeu douce et confortable. Elle a soutenu que le divertissement visuel que procurent les marchandises en cause n’est pas différent de celui que procurent des motifs semblables imprimés sur divers articles pour enfants, y compris la literie, les tentures, les têtes et pieds de lit, les coffres de rangement, le papier peint, les pièces murales, les sacs de couchage, les appareils d’éclairage, etc. Invoquant la décision rendue par le Tribunal dans Confiserie Régal Inc. c. Sous-M.R.N. 19 , l’ASFC a soutenu que, même si les marchandises en cause peuvent offrir un divertissement visuel, cet attribut à lui seul n’en fait pas des jouets. À cet égard, elle a fait observer que les marchandises en cause ne sont pas vendues sous forme d’ensemble avec des jouets, comme des autos, des panneaux de signalisation ou des figurines. L’ASFC a également invoqué une décision de classement rendue aux États-Unis à l’appui de sa position20 .

32. Le Tribunal est d’avis que les Notes explicatives du Chapitre 95 et de la position no 95.03, de même que les définitions du mot « jouet » que donnent les dictionnaires, aident à déterminer le champ d’application de la position no 95.03. Les Notes explicatives du Chapitre 95 portent ce qui suit : « Le présent Chapitre comprend les jouets et les jeux pour l’amusement des enfants et la distraction des adultes [...]. » Les Notes explicatives de la position no 95.03 sont similaires et portent ce qui suit : « La présente position comprend les jouets destinés essentiellement à l’amusement des personnes (enfants ou adultes). [...] » Le Concise Oxford Dictionary définit le mot « jouet » comme « un objet dont surtout les enfants se servent pour s’amuser »21 [traduction], et le Canadian Dictionary of the English Language définit le mot « jouet » comme « [u]n objet dont les enfants se servent pour jouer »22 [traduction]. À la lumière de ce qui précède, le Tribunal est d’avis que la position no 95.03 couvre les objets avec lesquels les enfants ou les adultes jouent.

33. Le Tribunal a exprimé le même avis dans Franklin Mint Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada 23 , un appel où il a pris en considération la valeur ludique d’un objet en tant qu’aspect servant à caractériser les jouets. Selon le Tribunal, une telle valeur ludique peut être vérifiée par l’examen de l’utilisation prévue des marchandises et de leur utilisation de fait. Les facteurs dont il peut être tenu compte pour déterminer l’utilisation prévue des marchandises comprennent leur conception et la manière dont elles sont commercialisées, emballées et annoncées.

34. Les éléments de preuve déposés par Korhani étaient centrés sur de tels facteurs. Même si les marchandises en cause présentent divers thèmes, il s’agit pour l’essentiel, dans chaque cas, d’un tapis de plancher qui montre soit un environnement urbain (p. ex. la zone urbaine à proximité d’un magasin Canadian Tire) soit un motif qui ressemble à une carte comprenant des scènes près d’un sentier ou d’un chemin où se trouvent des personnages reproduits sous licence (p. ex. la Forêt des rêves bleus de Winnie l’ourson). D’après Korhani, les marchandises en cause sont conçues pour permettre aux enfants d’interagir avec les motifs imprimés en manœuvrant ou plaçant divers jouets sur les sentiers, les chemins ou d’autres emplacements reconnaissables qui sont imprimés sur les marchandises en cause.

35. À l’audience, M. Hiltz a déclaré que les marchandises en cause avaient été conçues dans le but spécifique de créer un produit qui offrirait une valeur d’amusement aux enfants de trois à six ans24 . De plus, M. Hiltz a énoncé l’intention de Korhani en ce qui a trait aux marchandises en cause de la façon suivante :

[...] Dans le jeu imaginatif qui fait partie de leur processus de croissance, les enfants simulent et reproduisent les situations qu’ils ont vues dans des émissions ou spectacles.

C’est ce jeu imaginatif que nous avons cherché à mettre à profit. Une fois cet objectif posé, nous avons délibérément entrepris de fabriquer des tapis de jeu d’une manière qui comporterait les maisons de personnages, les endroits fréquemment observés dans une série, de sorte à permettre aux enfants de reproduire ce jeu d’imagination.

Ainsi, dans le cas de Bob l’éponge, un personnage d’une des séries populaires de Nickelodeon, ce dernier vit sous la mer, sa maison est un ananas et il y a une prison et divers emplacements où vivent les personnages et où ils sont placés dans diverses situations.

Nous avons donc reproduit cet environnement comme nous l’avons fait pour Les Bagnoles, et ainsi de suite. Nous appliquions délibérément un plan visant la promotion de ce type de produit, de cette façon25 .

[Traduction]

36. M. Hiltz a déclaré que, de plus, pour permettre le jeu imaginatif des enfants avec les marchandises en cause, l’illustration imprimée sur les marchandises (p. ex. chemins, sentiers et autres emplacements) reprend l’échelle la plus répandue dans l’industrie du jouet. Par exemple, le tapis de jeu Rona Warehouse City Life , qui comprend divers chemins menant à une caserne de pompier, un héliport, des maisons, une zone de travaux de construction et un poste de police, et dont un entrepôt Rona est le principal pôle d’attraction, a été expressément conçu pour recevoir les véhicules construits à l’échelle de 1/6426 . Selon M. Hiltz, il s’agit d’une échelle de référence dans l’industrie du jouet et Mattel s’en sert pour fabriquer ses Hot Wheels, vendues à des millions d’exemplaires27 .

37. Quant à la confection des marchandises en cause, M. Hiltz a expliqué que le velours bouclé a été choisi pour obtenir une surface ferme sur laquelle déplacer des véhicules et des personnages et permettre une illustration mieux définie28 . Il a fait une distinction entre ce type de confection et une confection de velours coupé, comme celle du tapis Aurore29 également vendu par Korhani, mais qui n’est pas une marchandise en cause. Selon M. Hiltz, même si une telle confection en velours coupé donne un produit davantage luxueux et décoratif, ce dernier ne se prête pas au jeu interactif, car ses longs poils ne permettent ni une définition fine des détails ni le mouvement facile des véhicules ou des personnages30 .

38. Au sujet de la commercialisation, de l’emballage et de la publicité, Korhani a déposé en preuve des étiquettes de produits et des éléments de commercialisation se rapportant à plusieurs des marchandises en cause et précisant que ces dernières sont destinées à servir dans le jeu interactif. Par exemple, l’étiquette de produit du tapis de jeu « Canadian Tire City Life » comprend la description suivante : « C’est un tapis. C’est un jouet. C’est un jeu, c’est amusant »31 [traduction]. De plus, l’illustration sur l’étiquette montre des enfants qui jouent avec de petites autos et des figurines sur ce tapis. Un autre exemple est la description du tapis de jeu « City Life » sur le site Web de Home Depot, qui porte ce qui suit : « Carpette amusante avec une aire de jeu créatif et interactif »32 . Un autre exemple encore est la description du tapis de jeu « Dora the Explorer » dans un dépliant de Toys « R » Us, qui porte ce qui suit : « Passez des heures à vous amuser en famille sur ces grands tapis de jeu haut en couleurs »33 [traduction]. L’illustration sur le dépliant montre une fillette assise et jouant sur le tapis.

39. Quant à l’utilisation véritable des marchandises en cause, Korhani a déposé en preuve des évaluations du tapis de jeu « City Life » soumises par des parents par l’intermédiaire du site Web de Home Depot qui indiquent que ce produit est véritablement utilisé comme un jouet. Un des commentaires porte ce qui suit : « J’ai acheté ce tapis pour mon plus jeune fils, et maintenant mes deux enfants s’amusent durant des heures sur ce tapis [...] »34 [traduction]. Une autre évaluation affirme ce qui suit : « Mon fils joue avec ses autos sur ce tapis au moins une heure par jour. Le tapis a une place pour chaque véhicule, avion, camion de pompiers et camion-remorque. Il y a aussi beaucoup de voies de circulation pour occuper de jeunes cerveaux. [...] Ce tapis nous sauve la vie. C’est l’objet favori de mon enfant de trois ans et demi »35 [traduction].

40. À la lumière des éléments de preuve qui précèdent, le Tribunal est d’avis que les marchandises en cause présentent une valeur ludique et doivent donc être considérées comme étant des jouets. Les éléments de preuve établissent clairement que les marchandises en cause ont à la fois été conçues et commercialisées avec l’intention précise qu’elles seraient utilisées par les enfants en tant qu’objets de jeu. Certains éléments de preuve confirment en outre que cet objectif a effectivement été atteint, puisque des enfants se sont effectivement servis des marchandises en cause pour jouer.

41. En plus de servir de jouets, les marchandises en cause peuvent être utilisées à titre de tapis dans le sens traditionnel de ce terme. Toutefois, le fait que les marchandises en cause puissent avoir également une fonction utilitaire n’empêche pas, de l’avis du Tribunal, leur classement à titre de jouets. Compte tenu que les marchandises en cause répondent au libellé de la position no 95.03, la Note 1t) de la Section XI empêche automatiquement leur classement dans la position no 57.03.

42. Les deux parties ont produit des décisions de classement rendues aux États-Unis à l’appui de leurs positions respectives. Le Tribunal fait observer que ces décisions sont des décisions d’ordre administratif prises par des fonctionnaires et non des décisions rendues par un organisme quasi judiciaire indépendant. En outre, même si ces décisions avaient été rendues par un tel organisme, puisqu’elles relèvent d’un autre territoire, elles n’auraient pas force de précédent dans le contexte canadien. Les parties peuvent invoquer de telles décisions à l’appui de leurs positions si elles les estiment utiles pour aider à expliquer leurs arguments. Toutefois, elles ne doivent pas s’attendre à ce que le Tribunal leur accorde un poids important dans le cadre de ses propres décisions.

43. De toute façon, le Tribunal observe que la décision rendue aux États-Unis déposée par l’ASFC se rapporte au classement d’un produit différent des marchandises en cause et qu’elle n’est donc pas pertinente en l’espèce36 .

44. À la lumière de ce qui précède, le Tribunal conclut que les marchandises en cause sont correctement classées dans la position no 95.03 à titre d’autres jouets et, par application de la Note 1t) de la Section XI, qu’elles ne peuvent être classées dans la position no 57.03.

Classement aux niveaux de la sous-position et du numéro tarifaire

45. Ayant déterminé que les marchandises en cause sont correctement classées dans la position no 95.03, le Tribunal doit maintenant déterminer le classement aux niveaux de la sous-position et du numéro tarifaire. La position no 95.03 comprend neuf sous-positions de premier niveau. Toutefois, puisque huit de ces sous-positions se rapportent à des types particuliers de jouets ou d’ensembles de jouets qui n’englobent pas les marchandises en cause, les marchandises en cause doivent être classées dans la sous-position résiduelle, à titre d’autres jouets. Par conséquent, en vertu de la Règle 6 des Règles générales, les marchandises en cause entrent dans la sous-position no 9503.90.

46. Puisque la sous-position no 9503.90 n’est pas subdivisée au niveau du numéro tarifaire, les marchandises en cause entrent dans le numéro tarifaire 9503.90.00.

DÉCISION

47. Pour les motifs qui précèdent, le Tribunal conclut que les marchandises en cause sont correctement classées dans le numéro tarifaire 9503.90.00 à titre d’autres jouets.

48. Par conséquent, l’appel est admis.


1 . L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1 [Loi].

2 . L.C. 1997, c. 36.

3 . Le 1er janvier 2007, plusieurs modifications de l’annexe du Tarif des douanes sont entrées en vigueur. Par suite de ces modifications, des marchandises qui étaient auparavant classées dans le numéro tarifaire 9503.90.00 ont été classées dans le numéro tarifaire 9503.00.90. Aux fins du présent appel, le Tribunal se reportera à la nomenclature tarifaire en vigueur au moment où l’ASFC a rendu sa décision anticipée initiale, c.-à-d. le 19 septembre 2006.

4 . Transcription de l’audience publique, 28 février 2008, à la p. 7.

5 . Dans son mémoire, Korhani a renvoyé à 11 styles particuliers de tapis de jeu interactifs, portant les numéros de modèle suivants : K69900, K02016, K02013, K02015, K69902, K02722, K03549, K02950, K03279, K02560 et K03548. Voir la pièce du Tribunal AP-2007-008-4A à la p. 7.

6 . En de rares occasions, les marchandises en question ont été fabriquées ailleurs pour satisfaire aux délais prescrits par le client. Voir Transcription de l’audience publique, 28 février 2008, aux pp. 61, 73.

7 . Pièce A-1 : « Cars Interactive Play Rug », modèle no K03548; pièce A-2 : « Pooh’s Trail Play Mat », modèle no K03549; pièce A-3 : « Canadian Tire City Life Play Rug », modèle no K69902; pièce A-4 : « City Life Play Mat », modèle no K69900; pièce A-5 : « Rona Warehouse City Life Play Mat », modèle no K02722; pièce A-6 : « SpongeBob SquarePants Play Mat », modèle no K02560.

8 . Transcription de l’audience publique, 28 février 2008, à la p. 78.

9 . Pièce A-7 : « Disney Princess Beautiful Aurora Mat », modèle no K02903; pièce A-8 : « Breyer Stablemates Play Mat », modèle no 59230.

10 . Pièce B-1 : « SpongeBob Interactive Play Mat », modèle no K02013.

11 . L.C. 1997, c. 36, annexe [Règles générales].

12 . L.C. 1997, c. 36, annexe.

13 . Les Règles 1 à 5 des Règles générales s’appliquent au classement au niveau de la position (c.-à-d. jusqu’à quatre chiffres). En vertu de la Règle 6 des Règles générales, les Règles 1 à 5 s’appliquent au classement au niveau de la sous-position. D’une façon similaire, les Règles canadiennes rendent les Règles 1 à 5 des Règles générales applicables au classement au niveau du numéro tarifaire.

14 . Organisation mondiale des douanes, 2e éd., Bruxelles, 2003 [Avis de classement].

15 . Organisation mondiale des douanes, 3e éd., Bruxelles, 2002 [Notes explicatives].

16 . Dans Canada (Procureur général) c. Suzuki Canada Inc., 2004 CAF 131 (CanLII), la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit : « [...] le législateur veut donc que les Notes explicatives soient un guide d’interprétation du classement tarifaire au Canada et qu’elles soient considérées dans ce contexte. Pour satisfaire à l’objet des notes, à savoir l’interprétation, et assurer l’harmonie au sein de la communauté internationale, il faut respecter les Notes explicatives, à moins qu’il n’existe un motif valable de ne pas le faire. [...] Dans certains cas, la preuve d’expert peut établir l’existence d’une telle raison. Toutefois, même dans le cas où il pourrait avec raison décider de ne pas appliquer les Notes explicatives, le Tribunal n’est pas autorisé à rédiger de nouveau ou à laisser de côté ces notes en définissant de nouveau leurs termes. »

17 . Le Tribunal observe qu’une modification à la Note 1 du Chapitre 95, entrée en vigueur le 1er janvier 2007, pourrait possiblement avoir une incidence sur le classement des marchandises en question après cette date. Toutefois, malgré le caractère prospectif des décisions anticipées, le Tribunal ne tiendra pas compte de la modification susmentionnée dans le cadre du présent appel puisque la décision visée dans l’appel a été fondée sur les dispositions en vigueur au moment où elle a été rendue (c.-à-d. le 19 septembre 2006). Le fait ressort clairement de la décision du 28 mars 2007 de l’ASFC, qui porte ce qui suit « [...] la décision se fonde sur le Tarif des douanes du Système harmonisé (SH) de 2006 puisqu’elle se rapporte à la date de la décision anticipée contestée [...] » [traduction].

18 . Pièce du Tribunal AP-2007-008-4A, onglet 5.

19 . (25 juin 1999), AP-98-043, AP-98-044 et AP-98-051 (TCCE).

20 . Pièce du Tribunal AP-2007-008-6A, onglet 7.

21 . Neuvième édition, s.v. « toy » (jouet).

22 . S.v. « toy » (jouet).

23 . (13 juin 2006), AP-2004-061 (TCCE).

24 . Transcription de l’audience publique, 28 février 2008, aux pp. 10, 71.

25 . Ibid., aux pp. 11-12.

26 . Ibid. à la p. 29.

27 . Ibid. à la p. 30.

28 . Ibid. aux pp. 12, 54.

29 . Pièce A-7 : « Disney Princess Beautiful Aurora Mat », modèle no K02903.

30 . Transcription de l’audience publique, 28 février 2008, aux pp. 54-55.

31 . Pièce du Tribunal AP-2007-008-17A, onglet 2.

32 . Pièce du Tribunal AP-2007-008-4A, onglet 1.

33 . Ibid.

34 . Ibid.

35 . Ibid.

36 . Le produit est décrit comme étant un tapis dont la surface est en velours coupé et présentant un motif en damier et le personnage de Walt Disney et les mots « Mickey Mouse ». Rien n’indique la présence d’éléments interactifs imprimés sur le tapis. Voir la pièce du Tribunal AP-2007-008-6A, onglet 7.