LOCATION ROBERT LTÉE ET TRANSPORT ROBERT (1973) LTÉE

Décisions


LOCATION ROBERT LTÉE ET TRANSPORT ROBERT (1973) LTÉE
c.
MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Appels nos AP-2006-036 et AP-2006-037

Décision et motifs rendus
le mercredi 13 février 2008


TABLE DES MATIÈRES

EU ÉGARD À des appels entendus le 11 septembre 2007, en vertu de l’article 81.19 de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, c. E-15;

ET EU ÉGARD À des décisions rendues par le ministre du Revenu national le 31 août 2006 concernant des avis d’opposition déposés en vertu de l’article 81.17 de la Loi sur la taxe d’accise.

ENTRE

 

LOCATION ROBERT LTÉE ET TRANSPORT ROBERT (1973) LTÉE

Appelantes

ET

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

Intimé

DÉCISION

Les appels sont rejetés.

Meriel V. M. Bradford
Meriel V. M. Bradford
Membre présidant

Ellen Fry
Ellen Fry
Membre

Serge Fréchette
Serge Fréchette
Membre

Hélène Nadeau
Hélène Nadeau
Secrétaire

Lieu de l’audience :

Ottawa (Ontario)

Date de l’audience :

Le 11 septembre 2007

   

Membres du Tribunal :

Meriel V. M. Bradford, membre présidant

 

Ellen Fry, membre

 

Serge Fréchette, membre

   

Conseiller juridique pour le Tribunal :

Alain Xatruch

   

Agent du greffe :

Gillian Burnett

   

Ont comparu :

Serge Fournier, pour les appelantes

 

Jean-Robert Noiseux et Stéphanie Dion, pour l’intimé

Veuillez adresser toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
Standard Life Centre
333, avenue Laurier Ouest
15e étage
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel :

EXPOSÉ DES MOTIFS

1. Les présents appels sont interjetés aux termes de l’article 81.19 de la Loi sur la taxe d’accise 1 à l’égard de décisions rendues par le ministre du Revenu national (le ministre) le 31 août 2006 concernant des avis d’opposition signifiés aux termes de l’article 81.17.

2. Les décisions ont eu pour effet de rejeter, aux termes de l’article 68.1 de la Loi, diverses demandes de remboursement présentées par Location Robert Ltée et Transport Robert (1973) Ltée (les sociétés Robert) concernant la taxe d’accise payée sur la partie du combustible diesel acheté au Canada et transporté à l’extérieur du Canada dans le réservoir à combustible d’un véhicule mais consommé aux États-Unis. Les demandes des sociétés Robert visaient la période du 1er janvier 1992 au 31 décembre 2000.

3. Le paragraphe 68.1(1) de la Loi prévoit ce qui suit :

68.1(1) Where tax under this Act has been paid in respect of any goods and a person has, in accordance with regulations made by the Minister, exported the goods from Canada, an amount equal to the amount of that tax shall, subject to this Part, be paid to that person if that person applies therefor within two years after the export of the goods.

68.1(1) Lorsque la taxe prévue par la présente loi a été payée sur des marchandises qu’une personne a exportées du Canada en conformité avec les règlements pris par le ministre, un montant égal à cette taxe est, sous réserve des autres dispositions de la présente partie, payé à la personne si elle en fait la demande dans les deux ans suivant l’exportation des marchandises.

4. En novembre 2002, et à la suite de plusieurs années de litige, la Cour d’appel fédérale a déterminé, dans Penner International Inc. c. Canada (C.A.) 2 , que le combustible diesel utilisé par les véhicules dans le transport de marchandises à l’extérieur du pays devait être considéré comme une marchandise exportée au sens de la Loi et que, par conséquent, la taxe d’accise payée à l’achat du combustible diesel était admissible au remboursement de la taxe prévue à l’article 68.1 de la Loi.

5. À la suite de la décision rendue dans Penner, le gouvernement a annoncé, dans le budget fédéral du 18 février 2003, son intention de modifier la partie VII de la Loi pour préciser que le combustible diesel transporté en dehors du Canada dans le réservoir à combustible d’un véhicule ne constitue pas une exportation et ne donne pas droit à un remboursement de la taxe à payer sur ce combustible. Il a également annoncé que la modification s’appliquerait à toute demande de paiement « [...] reçue par le ministre du Revenu national après le 17 février 2003 ».

6. Le projet de loi C-28, la Loi d’exécution du budget de 2003 3 , a été sanctionné le 19 juin 2003.

7. L’article 63 de la Loi d’exécution du budget de 2003 prévoit ce qui suit :

63.(1) Section 68.1 of the Act is amended by adding the following after subsection (2):

63.(1) L’article 68.1 de la même loi est modifié par adjonction, après le paragraphe (2), de ce qui suit :

(3) For greater certainty, no amount is payable to a person under subsection (1) in respect of tax paid on gasoline or diesel fuel transported out of Canada in the fuel tank of the vehicle that is used for that transportation.

(3) Il est entendu qu’aucun montant n’est à payer à une personne aux termes du paragraphe (1) au titre de la taxe payée sur l’essence ou le combustible diesel qui est transporté en dehors du Canada dans le réservoir à combustible du véhicule qui sert à ce transport.

(2) Subsection (1) applies in respect of any application for a payment under section 68.1 of the Act received by the Minister of National Revenue after February 17, 2003.

(2) Le paragraphe (1) s’applique à toute demande de paiement, prévue à l’article 68.1 de la même loi, reçue par le ministre du Revenu national après le 17 février 2003.

8. Les demandes de remboursement préparées par les sociétés Robert concernant la taxe d’accise payée sur le combustible diesel exporté durant la période du 1er janvier 1992 au 31 décembre 2000 ont été reçues par le ministre le 29 mars 2004. Cet élément de preuve n’était pas remis en cause dans le cadre des présents appels.

9. La question en litige dans les présents appels consiste à déterminer si les sociétés Robert ont droit au remboursement de la taxe d’accise payée sur la partie du combustible diesel acheté au Canada mais utilisé par les véhicules dans le transport de marchandises à l’extérieur du pays, en dépit du fait que les demandes n’ont pas été présentées au ministre dans les deux ans suivant l’exportation du combustible diesel, tel qu’il est prévu au paragraphe 68.1(1) de la Loi, et au plus tard à la date limite du 17 février 2003, tel qu’il est prévu au paragraphe 63(2) de la Loi d’exécution du budget de 2003.

PREUVE

10. Lors de l’audience, Mme Line Robert-Messier, contrôleur financier pour les sociétés Robert, a témoigné que le non-respect des délais prévus par la Loi par les sociétés Robert était attribuable à une entente verbale conclue en 1993 entre elle-même et M. Claude Bernard-Roby, un représentant du ministère du Revenu national (Revenu Canada). En juin 1993, Mme Robert-Messier a reçu la visite de M. Bernard-Roby afin de discuter de certains avis d’opposition qui avaient été déposés par les sociétés Robert à la suite d’un refus de la part de Revenu Canada de rembourser la taxe d’accise payée sur le diesel exporté avant 1992. Lors de cette rencontre, M. Bernard-Roby a censément suggéré à Mme Robert-Messier de ne pas présenter des demandes de remboursement pour les années subséquentes aux années visées par les avis d’opposition déjà enregistrés et d’attendre la décision qui devait être rendue dans un dossier semblable devant la Cour fédérale, c.-à-d. Penner, afin de ne pas « engorger le système ».

11. Selon les sociétés Robert, elles ont suivi l’« entente » qu’elles avaient conclue avec M. Bernard-Roby et elles ont gardé dans les archives des entreprises toutes les informations concernant le combustible diesel exporté dans un réservoir de camion pendant les années subséquentes. De plus, à chaque année, elles vérifiaient auprès de leur expert-comptable pour voir s’il y avait des développements en ce qui avait trait à la taxe d’accise et au dossier de cour concernant cette question.

12. En février 2003, Mme Robert-Messier a pris connaissance de la décision de la Cour d’appel fédérale dans Penner. À ce moment, les sociétés Robert ont aussitôt produit les demandes de remboursement des années 2001 et 2002. Selon Mme Robert-Messier, personne n’a immédiatement fait le lien entre Penner et les dossiers des années 1992 à 2000. Ce n’est qu’en août 2003, lorsqu’elle a reçu un appel d’un représentant de l’Agence des douanes et du revenu du Canada4 qui voulait régler les demandes de remboursement des années 1990 et 1991, que les sociétés Robert ont fait le lien entre Penner et les dossiers des années 1992 à 2000. Lors de discussions subséquentes avec ce représentant, Mme Robert-Messier a fait mention de son « entente » avec M. Bernard-Roby mais n’a reçu aucune réponse quant à la personne à qui elle devait envoyer ses documents ou avec qui elle pouvait discuter de la procédure à suivre pour déposer les demandes de remboursement visant les années 1992 à 2000. En mars 2004, Mme Robert-Messier a décidé d’envoyer les demandes de remboursement à l’Agence du revenu du Canada (ARC)5 . Le ministre a reçu ces demandes le 29 mars 2004 et les a rejetées par avis de détermination le 27 avril 2004. En réponse, les sociétés Robert ont déposé des avis d’opposition à ces avis de détermination le 20 juillet 2004. Le 31 août 2006, par avis de décision, le ministre a rejeté les avis d’opposition et confirmé les déterminations.

13. Lors de l’audience, M. Asif Moinuddin, gestionnaire à la Division des droits et taxes d’accise de l’ARC, Section de la vérification, a témoigné que, puisque Penner avait été en attente pendant une longue période de temps, la pratique de l’ARC était de mettre en suspens toute demande de remboursement ayant trait à la taxe d’accise payée sur la partie du combustible diesel acheté au Canada mais utilisé par les véhicules dans le transport de marchandises à l’extérieur du pays, jusqu’à ce que la question soit réglée de façon définitive. M. Moinuddin a tenu a préciser que les requérants devaient toutefois continuer à soumettre leurs demandes de remboursement afin de protéger leurs droits en raison du délai de deux ans prévu au paragraphe 68.1(1) de la Loi.

14. Pour ce qui est de la présumée « entente » entre M. Bernard-Roby et Mme Robert-Messier, M. Moinuddin a indiqué que les représentants de l’ARC n’ont pas l’autorité de prolonger le délai de deux ans prévu par la Loi. Toutefois, M. Moinuddin a admis qu’il ne s’occupait pas des dossiers concernant les sociétés Robert au moment où cette présumée « entente » avait été conclue.

PLAIDOIRIE

15. Les sociétés Robert ont soumis que les représentations et engagements, souscrits par un représentant de l’ARC, quant à la non-nécessité de produire des demandes de remboursement jusqu’à ce que la situation juridique liée à l’exportation de carburant ait été résolue avaient eu pour effet de suspendre les délais prévus à l’article 68.1 de la Loi et que cette période de sursis avait continué jusqu’au moment où les sociétés Robert eussent reçu de nouvelles indications de l’ARC quant une décision finale dans Penner. Puisque les sociétés Robert n’ont pris connaissance de cette décision qu’en août 2003, les demandes de remboursement reçues par le ministre en mars 2004 ont été, selon elles, déposées dans les délais prescrits.

16. Les sociétés Robert ont soutenu que les dispositions de l’article 68.1 de la Loi sont des dispositions de prescription qui régissent les délais dans lesquels doivent être exercés les droits d’un contribuable et que les conséquences juridiques de l’engagement souscrit par le représentant de l’ARC devaient être déterminées en fonction du droit civil applicable dans la province de Québec. À cette fin, les sociétés Robert ont invoqué l’article 2904 du Code civil du Québec qui énonce que « [l]a prescription ne court pas contre les personnes qui sont dans l’impossibilité en fait d’agir soit par elles-mêmes, soit en se faisant représenter par d’autres ». Selon les sociétés Robert, les agissements du représentant de l’ARC ont ainsi causé l’impossibilité d’agir des sociétés Robert en suspendant volontairement les délais de prescription.6

17. Les sociétés Robert ont ajouté que la jurisprudence en droit administratif a aussi clairement établi que, dans des situations similaires, on ne peut faire perdre des droits à une personne qui s’est fiée aux représentations de l’instance administrative. À cet effet, elles ont invoqué la théorie de l’expectative légitime7 . Les sociétés Robert ont fait valoir que l’engagement du représentant de l’ARC ne constituait pas une interprétation des dispositions de la Loi mais bien une décision administrative liée à la production de demandes de remboursement, c’est-à-dire à l’application procédurale de la Loi. Le représentant de l’ARC n’a pas créé un droit; il a plutôt suspendu un droit.

18. Pour ce qui est de l’effet de l’article 63 de la Loi d’exécution du budget de 2003, les sociétés Robert ont prétendu que la date limite du 17 février 2003 n’était pas applicable en l’espèce en raison de l’« entente » conclue entre le représentant de l’ARC et les sociétés Robert, et en raison du fait que les demandes de remboursement déposées par les sociétés Robert se rapportaient à des exportations qui avaient eu lieu avant la période visée par cette disposition. En d’autres termes, les sociétés Robert ont soumis que la date limite du 17 février 2003 ne pouvait avoir effet que pour les exportations ayant eu lieu dans les deux années précédant immédiatement cette date, compte tenu du délai prévu au paragraphe 68.1(1) de la Loi.

19. Pour sa part, le ministre a soumis que les dispositions de l’article 63 de la Loi d’exécution du budget de 2003 étaient suffisantes pour trancher les présents appels. Comme les demandes de remboursement des sociétés Robert ont été reçues le 29 mars 2004, soit plus d’un an après la date limite du 17 février 2003, le ministre n’a eu d’autre choix que de les rejeter. Le ministre a ajouté que la date du 17 février 2003 prévue au paragraphe 63(2) de la Loi d’exécution du budget de 2003 est une date de mise en œuvre et ne peut donc pas être assimilée à un délai de prescription. Le ministre a également indiqué que de permettre les réclamations en l’espèce irait à l’encontre de l’intention expresse du législateur.

20. Le ministre a par ailleurs soutenu que le délai de deux ans prévu au paragraphe 68.1(1) de la Loi est un délai de déchéance non susceptible d’être interrompu par une impossibilité d’agir. Le ministre a fait valoir que le Code civil du Québec reconnaît l’existence de deux types de délais, soit le délai de prescription et le délai de déchéance, et qu’en l’espèce, la nature du délai prévu au paragraphe 68.1(1) ainsi que l’absence de discrétion dans son application indiquent qu’il s’agit d’un délai de déchéance. Donc, puisque les sociétés Robert n’ont pas déposé leurs demandes dans le délai de deux ans, le ministre n’a eu d’autre choix que de les rejeter.

21. Le ministre a également soumis que le principe selon lequel la Couronne ne peut être empêchée par l’estoppel d’appliquer la bonne interprétation d’une loi, même si cette interprétation contredit des observations avancées par des agents du gouvernement, a été repris plusieurs fois par la jurisprudence. Selon le ministre, le principe d’expectative légitime soulevé par les sociétés Robert est ainsi voué à l’échec puisque ceci irait à l’encontre d’une disposition statutaire claire, non ambiguë et non équivoque.

22. Enfin, le ministre a nié le fait que M. Bernard-Roby ait représenté aux sociétés Robert qu’elles n’avaient pas besoin de déposer de demandes de remboursement jusqu’à ce que la décision dans Penner soit rendue.

ANALYSE

23. La Cour suprême du Canada a confirmé, à plusieurs reprises, que la présomption d’absence d’effet rétroactif ou d’atteinte aux droits acquis est une présomption réfutable si le texte de loi le décrète expressément ou exige implicitement une telle interprétation8 .

24. Comme le Tribunal l’a déclaré dans plusieurs affaires9 concernant de telles demandes de remboursement reçues par le ministre après le 17 février 2003, la Loi d’exécution du budget de 2003, entrée en vigueur le 19 juin 2003, est très claire. Elle a expressément modifié l’article 68.1 de la Loi et explicitement énoncé que la modification s’appliquait « [...] à toute demande de paiement, prévue à l’article 68.1 de la même loi, reçue par le ministre du Revenu national après le 17 février 2003 » [nos italiques]. L’intention du législateur était que la Loi d’exécution du budget de 2003 ait un effet rétroactif à la date de l’annonce du budget et modifie les attentes (ou les droits) visant l’obtention d’un remboursement si la demande était reçue par le ministre après la date butoir du 17 février 2003. D’après le Tribunal, il est clair que cette date est une date de mise en œuvre et non un délai de prescription tel que suggéré par les sociétés Robert.

25. Dans Transport Ronado inc. c. Canada 10 , une affaire récente où il était aussi question des effets de l’article 63 de la Loi d’exécution du budget de 2003, la Cour fédérale s’est prononcé sur le droit du législateur de modifier ou de restreindre les droits acquis d’un contribuable :

[…]

Bien qu’il puisse paraître arbitraire que le législateur, de temps à autre, puisse mettre en place une loi qui vient restreindre des droits qui, jusque là, existaient en faveur d’un contribuable, le droit inaliénable du législateur de prendre des mesures législatives pour modifier certains avantages dont bénéficient les contribuables a été reconnu de tout temps par nos tribunaux. [...]

26. Le Tribunal conclut donc que le paragraphe 63(2) de la Loi d’exécution du budget de 2003 a pour effet d’éteindre tout droit à un remboursement qui pouvait exister le 17 février 2003 ou antérieurement lorsque la demande de remboursement n’avait pas été reçue par le ministre le ou avant le 17 février 2003. Le Tribunal est également d’avis qu’aucun droit à un remboursement ne peut être né après le 17 février 2003.

27. Selon le Tribunal, cette disposition est en soit suffisante pour régler le sort des présents appels. Or, la preuve incontestée démontre que les demandes de remboursement des sociétés Robert ont été reçues par le ministre le 29 mars 2004. Il est donc indiscutable que cette date est postérieure au 17 février 2003 et que, de ce simple fait, l’ARC n’avait aucun pouvoir lui permettant de donner droit au remboursement demandé par les sociétés Robert. L’ARC aurait outrepassé ses pouvoirs si elle avait acquiescé aux demandes des sociétés Robert. De ce fait, le Tribunal est d’avis que les décisions rendues par le ministre le 31 août 2006 sont bien fondées.

28. Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal n’a pas besoin de se prononcer sur la question de savoir s’il y avait suspension du délai de deux ans prévu au paragraphe 68.1(1) de la Loi, sur la question de la nature spécifique de ce délai, sur l’applicabilité de la théorie de l’expectative légitime ou encore sur l’existence ou la non-existence d’une « entente » entre les sociétés Robert et un représentant de l’ARC.

29. Le Tribunal fait toutefois remarquer que, même s’il décidait d’accepter l’argument des sociétés Robert selon lequel il y avait suspension du délai de deux ans prévu au paragraphe 68.1(1) de la Loi et que celles-ci détenaient ainsi encore le droit de déposer des demandes de remboursement, il est d’avis que ce droit s’est éteint lorsque les demandes de remboursement n’ont pas été reçues par le ministre le ou avant le 17 février 2003. Conclure autrement équivaudrait à dire que les représentations d’un employé de le Couronne peuvent avoir pour effet de porter atteinte à la souveraineté du Parlement. Comme l’a indiqué le ministre lors de l’audience, un tel résultat serait illogique et contraire à la Constitution.

30. Le Tribunal est conscient du fait que, du point de vue des sociétés Robert, la situation dans laquelle elles se trouvent peut paraître injuste. Ceci étant dit, comme il l’a déclaré à plusieurs reprises, le Tribunal n’a pas compétence pour accorder un redressement fondé sur l’équité, même si un contribuable est induit en erreur ou reçoit des renseignements erronés11 . Il est tenu de respecter les délais prévus par la loi même dans les cas où, par exemple, la modification fiscale n’a pas fait l’objet d’un avis préalable12 . Le Tribunal ne peut statuer que dans le cadre du mandat que lui confère expressément sa loi habilitante.

DÉCISION

31. Pour les motifs qui précèdent, les appels sont rejetés.


1 . L.R.C. 1985, c. E-15 [Loi].

2 . [2003] 2 C.F. 581 (C.A.F.) [Penner]. Cette décision a fait suite à une décision de la Cour fédérale rendue dans la même affaire en septembre 2001.

3 . L.C. 2003, c. 15.

4 . Le ministère du Revenu national est devenu l’Agence des douanes et du revenu du Canada le 1er novembre 1999.

5 . L’Agence des douanes et du revenu du Canada est devenue l’Agence du revenu du Canada (et l’Agence des services frontaliers du Canada) le 12 décembre 2003.

6 . Les sociétés Robert ont cité un arrêt de la Cour suprême du Canada pour appuyer leur argument selon lequel les agissements d’un représentant peuvent causer l’impossibilité d’agir. Voir Oznaga c. Société d’exploitation des loteries et courses du Québec, [1981] 2 R.C.S. 113.

7 . Les sociétés Robert ont soumis deux jugements du Québec qui, selon elles, confirment qu’il existe une obligation d’agir avec équité pour permettre la production de demandes hors délai. Voir Millette v. Québec (Sous-ministre du Revenu), 2006 QCCS 3006 (CanLII) et Lee v. Lavigne, 1994 CanLII 5924 (QC C.A.).

8 . Venne c. Québec (Commission de la protection du territoire agricole), [1989] 1 R.C.S. 880 aux para. 81, 97-101; Dikranian c. Québec (Procureur général), [2005] 3 R.C.S. 530 aux para. 30-36; Colombie-Britannique c. Imperial Tobacco Canada Ltée., [2005] 2 R.C.S. 473 aux para. 69-72, 74-75; voir aussi Air Canada c. Colombie-Britannique, [1989] 1 R.C.S. 1161 à la p. 1192; Grand Rapids (Town) v. Graham et al., 2004 MBCA 138 (CanLII) aux para. 14, 23-28.

9 . Voir, notamment, Les Entreprises O. Dubé Enr. et 3669602 Canada Inc. c. M.R.N. (21 mars 2007), AP-2005-022 et AP-2005-023 (TCCE); Holste Transport Limited c. M.R.N. (14 juillet 2006), AP-2004-001 (TCCE); 2544-7343 Québec Inc. c. M.R.N. (10 mai 2006), AP-2005-001 (TCCE); 2758-4747 Québec Inc. c. M.R.N. (10 mai 2006), AP-2005-002 (TCCE); Les Opérations JTC (Richelieu) Inc. c. M.R.N. (10 mai 2006), AP-2005-003 et AP-2005-004 (TCCE); Transport Gilles Perreault Inc. c. M.R.N. (28 mars 2006), AP-2004-051 (TCCE).

10 . 2007 CF 166 (CanLII).

11 . Voir, par exemple, Walbern Agri-Systems Ltd. c. M.R.N. (21 décembre 1989), 3000 (TCCE); Peniston Interiors (1980) Inc. c. M.R.N. (22 juillet 1991), AP-89-225 (TCCE); Sturdy Truck Body (1972) Limited c. M.R.N. (23 juin 1989), 2979 (TCCE); A.G. Green Co. Limited c. M.R.N. (9 août 1990), AP-89-134 (TCCE).

12 . Aerotec Sales & Leasing Ltd. c. M.R.N. (25 janvier 1996), AP-94-114 (TCCE); Power’s Produce Ltd. c. M.R.N. (1er février 1993), AP-90-011 (TCCE).