TERRY SHANNON

Décisions


TERRY SHANNON
c.
PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA
Appel no AP-2006-059

Décision et motifs rendus
le mercredi 30 janvier 2008


TABLE DES MATIÈRES

EU ÉGARD À un appel entendu le 31 octobre 2007, en vertu du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes, L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1;

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada le 19 décembre 2006, concernant une demande de réexamen aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

 

TERRY SHANNON

Appelant

ET

 

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

Intimé

DÉCISION

L’appel est rejeté.

Serge Fréchette
Serge Fréchette
Membre présidant

Hélène Nadeau
Hélène Nadeau
Secrétaire

Lieu de l’audience :

Ottawa (Ontario)

Date de l’audience :

Le 31 octobre 2007

   

Membre du Tribunal :

Serge Fréchette, membre présidant

   

Conseiller juridique pour le Tribunal :

Alain Xatruch

   

Agent de la recherche :

Jo-Anne Smith

   

Agent du greffe :

Danielle Lanteigne

   

Parties :

Terry Shannon, pour l’appelant

 

Claudine Patry, pour l’intimé

Veuillez adresser toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
Standard Life Centre
333, avenue Laurier Ouest
15e étage
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel :

EXPOSÉ DES MOTIFS

CONTEXTE

1. Le présent appel est interjeté aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes 1 à l’égard d’une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), datée du 19 décembre 2006, aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi.

2. La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si l’ASFC a correctement classé le couteau en cause à titre d’arme prohibée dans le numéro tarifaire 9898.00.00 de l’annexe du Tarif des douanes 2 . Le couteau en cause est un couteau Kershaw Ken Onion « Spec Bump » (modèle 1596), fabriqué aux États-Unis par Kai USA Ltd., de Tualatin (Oregon).

3. Le couteau en cause a été retenu par l’ASFC le 27 octobre 2006 au moment de son importation par la poste au Canada. Le 6 novembre 2006, M. Terry Shannon a demandé le réexamen de la décision de l’ASFC concernant l’admissibilité du couteau en cause. Le 19 décembre 2006, l’ASFC a confirmé qu’elle était d’avis que le couteau en cause était correctement classé à titre d’arme prohibée dans le numéro tarifaire 9898.00.00 et que son importation au Canada était donc interdite. Le 7 mars 2007, M. Shannon a interjeté appel auprès du Tribunal.

4. Le Tribunal a décidé de tenir une audience sur pièces conformément aux articles 25 et 25.1 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur 3 .

5. Le paragraphe 136(1) du Tarif des douanes prévoit ce qui suit :

The importation of goods of tariff item No. 9897.00.00, 9898.00.00 or 9899.00.00 is prohibited

L’importation des marchandises des nos tarifaires 9897.00.00, 9898.00.00 ou 9899.00.00 est interdite.

6. Le numéro tarifaire 9898.00.00 prévoit en partie ce qui suit :

Firearms, prohibited weapons, restricted weapons, prohibited devices, prohibited ammunition and components or parts designed exclusively for use in the manufacture of or assembly into automatic firearms, in this tariff item referred to as prohibited goods . . . .

Armes à feu, armes prohibées, armes à autorisation restreinte, dispositifs prohibés, munitions prohibées et éléments ou pièces conçus exclusivement pour être utilisés dans la fabrication ou l’assemblage d’armes automatiques, désignés comme « marchandises prohibées » au présent numéro tarifaire, [...]

For the purposes of this tariff item,

Pour l’application du présent numéro tarifaire :

. . .

[...]

(b) “automatic firearm”, “licence”, “prohibited ammunition”, “prohibited device”, “prohibited firearm”, prohibited weapon, restricted firearm and “restricted weapon” have the same meanings as in subsection 84(1) of the Criminal Code . . . .

b) « arme à autorisation restreinte », « arme à feu à autorisation restreinte », « arme à feu prohibée », « arme automatique », « arme prohibée », « dispositif prohibé », « munitions prohibées » et « permis » s’entendent au sens du paragraphe 84(1) du Code criminel [...]

7. Le paragraphe 84(1) du Code criminel 4 définit « arme prohibée » comme il suit :

“prohibited weapon” means

(a) a knife that has a blade that opens automatically by gravity or centrifugal force or by hand pressure applied to a button, spring or other device in or attached to the handle of the knife, or

(b) any weapon, other than a firearm, that is prescribed to be a prohibited weapon;

« arme prohibée »

a) Couteau dont la lame s’ouvre automatiquement par gravité ou force centrifuge ou par pression manuelle sur un bouton, un ressort ou autre dispositif incorporé ou attaché au manche;

b) toute arme — qui n’est pas une arme à feu — désignée comme telle par règlement.

8. L’ASFC a déposé le couteau en cause comme pièce. Le couteau en cause a un manche noir à surface texturée assorti d’une agrafe de poche et mesure 12,5 cm de longueur lorsqu’il est fermé. La lame à un seul tranchant de couleur noire mesure 9,2 cm de longueur et comporte une courbe à l’arrière et une partie presque droite à l’avant. Le couteau comporte un système d’ouverture assistée « Speedsafe » de Kershaw, que les documents relatifs au produit5 décrivent comme fonctionnant au moyen d’une barre de torsion qui exerce une pression sur le couteau pour qu’il reste fermé. En poussant vers l’avant l’ergot pour le pouce ou en tirant sur le dispositif « Index Open », la lame commence à s’ouvrir contre la pression exercée par la barre de torsion. À mi-chemin de l’ouverture, le moment de torsion de la barre change de direction et ouvre complètement le couteau.

9. De plus, l’ASFC a déposé un rapport d’expert6 préparé par M. Kenneth Doyle du Service de police d’Ottawa de même qu’un DVD7 produit par M. Doyle, qui décrit et montre le fonctionnement du couteau en cause. M. Shannon n’a pas mis en doute les qualifications d’expert en armes de M. Doyle. Le Tribunal a accepté M. Doyle à titre d’expert en armes prohibées. M. Doyle a déclaré que, selon son avis d’expert, le couteau en cause est une arme prohibée au sens du paragraphe 84(1) du Code criminel.

10. M. Shannon a soutenu que le couteau en cause n’est pas une arme prohibée au sens du Code criminel parce qu’on ne peut l’ouvrir qu’en commençant par vaincre la résistance de la barre de torsion qui tient la lame en position fermée. À son avis, cela semble indiquer que la lame ne peut être ouverte au moyen de la force centrifuge. M. Shannon a également prétendu que des couteaux identiques sont en vente en magasin au Canada. Selon lui, l’accès du public au couteau en cause au Canada démontre que l’ASFC a déterminé que le couteau n’était pas visé par le numéro tarifaire 9898.00.00. M. Shannon a ajouté que l’option de retour offerte par l’ASFC (c’est-à-dire celle de retourner ou d’exporter les marchandises à l’expéditeur) est difficile à exercer en raison des difficultés d’obtention de renseignements particuliers de l’ASFC concernant la marche à suivre et que, si l’appel est rejeté, le Tribunal devrait ordonner à l’ASFC de lui permettre, et de permettre aux tiers dans la même position, d’exercer facilement l’option de retour.

11. L’ASFC a prétendu que le couteau en cause est une arme prohibée au sens du paragraphe 84(1) du Code criminel parce qu’il est muni d’une lame qui s’ouvre automatiquement au moyen de la force centrifuge à l’aide d’un mouvement brusque du poignet. L’ASFC a soutenu que le couteau en cause s’ouvre de la même manière que le couteau visé dans la décision rendue par le Tribunal dans Wayne Ericksen c. Commissaire de l’Agence des douanes et du revenu du Canada 8 où celui-ci a décidé que le couteau avait été correctement classé dans le numéro tarifaire 9898.00.00. L’ASFC était aussi d’avis que, même si on peut ouvrir le couteau en cause en poussant sur l’ergot pour le pouce ou en tirant sur le dispositif « Index Open » (c’est-à-dire le levier de dégagement), cela n’empêche pas qu’il peut aussi être ouvert au moyen d’un seul mouvement brusque, grâce à l’application de la force centrifuge. Concernant l’argument de M. Shannon selon lequel des couteaux identiques sont en vente en magasin au Canada, l’ASFC a fait référence à la décision rendue par le Tribunal dans Ericksen, où il a été conclu que cet argument ne constituait pas un motif sur lequel le Tribunal pouvait se fonder pour classer des marchandises.

ANALYSE

12. Pour déterminer si le couteau en cause est correctement classé dans le numéro tarifaire 9898.00.00, le Tribunal doit déterminer s’il satisfait à la définition d’« arme prohibée » énoncée au paragraphe 84(1) du Code criminel. Pour être considérée prohibée, une arme doit être soit 1) un couteau dont la lame s’ouvre automatiquement par gravité ou force centrifuge ou par pression manuelle sur un bouton, un ressort ou autre dispositif incorporé ou attaché au manche, soit 2) une arme, qui n’est pas une arme à feu, désignée comme telle par règlement.

13. Après un examen minutieux des éléments de preuve, le Tribunal est convaincu que le couteau en cause est un couteau dont la lame s’ouvre automatiquement par force centrifuge. D’ailleurs, la démonstration et la narration données par M. Doyle dans le DVD ont confirmé que, lorsque le couteau est tenu dans la main, un simple mouvement brusque du poignet vers l’extérieur dégage la lame du manche qui se retrouve en position entièrement droite et verrouillée, le couteau étant ainsi prêt à être utilisé. De plus, la démonstration de M. Doyle et l’examen par le Tribunal du couteau en cause ont fait ressortir très clairement que la résistance initiale de la barre de torsion, qui sert à maintenir la lame en position fermée, peut être vaincue grâce à un mouvement rapide du poignet. Le Tribunal est d’avis que cet acte est automatique et qu’il est accompli au moyen de ce qu’on appelle couramment la force centrifuge, ce qui satisfait à la définition d’« arme prohibée » énoncée au paragraphe 84(1) du Code criminel.

14. Par conséquent, le Tribunal conclut que le couteau en cause est correctement classé à titre d’arme prohibée dans le numéro tarifaire 9898.00.00, de sorte que son importation au Canada est interdite en vertu du paragraphe 136(1) du Tarif des douanes.

15. Quant à l’argument selon lequel des couteaux identiques sont en vente en magasin au Canada, le Tribunal fait référence aux décisions qu’il a rendues dans Ericksen et dans Romain L. Klaasen c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada 9 , où le Tribunal a déclaré qu’il « [...] n’est pas un tribunal d’équité et doit veiller à l’application de la loi telle qu’elle est rédigée10  » et qu’« [...] il n’est pas pertinent que toute expédition antérieure [...] n’ait pas été interceptée par l’ASFC ou par ses prédécesseurs. Que l’ASFC prenne ou non une mesure administrative ne peut pas changer la loi11 . »

16. L’autre argument soulevé par M. Shannon portait sur la disposition du couteau en cause. Comme le Tribunal l’a déjà énoncé dans Catherine Roozen c. Sous-M.R.N. 12 et Charles Leung c. Sous-M.R.N. 13 , le Tribunal n’a pas compétence pour statuer sur la disposition des marchandises. Si M. Shannon désire que cette question soit examinée, il incombe à l’ASFC ou aux tribunaux judiciaires de le faire.

DÉCISION

17. Pour les motifs qui précèdent, l’appel est rejeté.


1 . L.R.C. 1985 (2e suppl.), c. 1 [Loi].

2 . L.C. 1997, c. 36.

3 . D.O.R.S./91-499.

4 . L.R.C. 1985, c. C-46.

5 . Mémoire de l’intimé, onglets 2, 11; mémoire de réponse de l’appelant, pièce jointe.

6 . Pièce du Tribunal AP-2006-059-14A.

7 . Pièce du Tribunal AP-2006-059-14B.

8 . (3 janvier 2002), AP-2000-059 (TCCE) [Ericksen].

9 . (18 octobre 2005), AP-2004-007 (TCCE) [Klaasen].

10 . Ericksen à la p. 3.

11 . Klaasen à la p. 2.

12 . (1er mars 1999), AP-96-057 (TCCE).

13 . (27 février 2002), AP-99-080 (TCCE).