EMCO ELECTRIC INTERNATIONAL – ELECTRICAL RESOURCE INTERNATIONAL


EMCO ELECTRIC INTERNATIONAL – ELECTRICAL RESOURCE INTERNATIONAL
c.
PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA
Appel no AP-2008-010

Décision et motifs rendus
le jeudi 25 juin 2009


TABLE DES MATIÈRES

EU ÉGARD À un appel entendu le 26 février 2009, en vertu du paragraphe 61(1) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation, L.R.C. 1985, c. S-15;

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada le 30 mai 2008, concernant des demandes de révision, aux termes de l’article 59 de la Loi sur les mesures spéciales d’importation.

ENTRE

 

EMCO ELECTRIC INTERNATIONAL – ELECTRICAL RESOURCE INTERNATIONAL

Appelante

ET

 

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

Intimé

DÉCISION

L’appel est admis.

Ellen Fry
Ellen Fry
Membre présidant

Diane Vincent
Diane Vincent
Membre

Pasquale Michaele Saroli
Pasquale Michaele Saroli
Membre

Hélène Nadeau
Hélène Nadeau
Secrétaire

Lieu de l’audience :

Ottawa (Ontario)

Date de l’audience :

Le 26 février 2009

   

Membres du Tribunal :

Ellen Fry, membre présidant

 

Diane Vincent, membre

 

Pasquale Michaele Saroli, membre

   

Directeur de la recherche :

Audrey Chapman

   

Agent de la recherche :

Simon Glance

   

Conseiller juridique pour le Tribunal :

Alain Xatruch

   

Gestionnaire, Bureau du greffe :

Michel Parent

   

Agent du greffe :

Cheryl Unitt

PARTICIPANTS :

Appelante

Conseiller/représentant

   

EMCO Electric International – Electrical Resource International

Vincent Routhier

   

Intimé

Conseiller/représentant

   

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Elizabeth Kikuchi

TÉMOIN :

Richard Tamulewicz
Président
EMCO Electric International – Electrical Resource International

 

Veuillez adresser toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
Standard Life Centre
333, avenue Laurier Ouest
15e étage
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel :

EXPOSÉ DES MOTIFS

1. Le présent appel est interjeté auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (Tribunal) par EMCO Electric International – Electrical Resource International (EMCO) aux termes du paragraphe 61(1) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation 1 à l’égard d’une décision rendue le 30 mai 2008 par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) en vertu de l’article 59.

2. La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si, aux fins du calcul des valeurs normales en vertu de la LMSI, l’exportateur de certains raccords filetés de tuyaux en acier au carbone et de manchons filetés importés au Canada en provenance de la République populaire de Chine (Chine) par EMCO (les marchandises en cause) est Plumbtek Industries Inc. (Plumbtek), comme le soutient EMCO, ou le producteur2 des marchandises en cause, comme l’a déterminé l’ASFC.

3. Les marchandises en cause étaient, au moment de leur importation, assujetties aux conclusions de dommage du Tribunal rendues aux termes du paragraphe 43(1) de la LMSI dans le cadre de l’enquête no NQ-2002-0043 et, par conséquent, assujetties à des droits antidumping.

HISTORIQUE DES PROCÉDURES

4. Les marchandises en cause ont été importées au Canada depuis la Chine par EMCO dans deux transactions distinctes qui ont respectivement eu lieu le 22 février et le 8 juin 2006.

5. Le 14 mars 2007, l’ASFC rendait des décisions à la suite de révisions en vertu de l’article 57 de la LMSI dans le cas des deux transactions, dans lesquelles elle décidait que des droits antidumping devaient être imposés par application d’une prescription ministérielle en vertu de l’article 29, selon une majoration du prix à l’exportation de 153 p. 100 dans le cas des raccords filetés de tuyaux en acier au carbone et de 74 p. 100 dans celui des manchons filetés.

6. Le 11 juin 2007, EMCO déposait, conformément à l’alinéa 58(1.1)a) de la LMSI, deux demandes de réexamen des décisions de l’ASFC rendues en vertu de l’article 57. Elle demandait que des droits antidumping soient imposés selon une détermination des valeurs normales spécifiques où Plumbtek serait considérée comme l’exportateur des marchandises en cause.

7. Le 30 mai 2008, l’ASFC produisait ses décisions à la suite des réexamens en vertu de l’article 59 de la LMSI, jugeant que le producteur des marchandises en cause, et non Plumbtek, était l’exportateur aux fins de la LMSI.

8. Le 28 août 2008, EMCO interjetait appel devant le Tribunal des décisions de l’ASFC rendues à la suite de réexamens en vertu de l’article 59 de la LMSI.

9. Le Tribunal tenait une audience publique à Ottawa (Ontario) le 26 février 2009.

10. EMCO a appellé un témoin, M. Richard Tamulewicz, président d’EMCO. L’ASFC n’a fait comparaître aucun témoin.

11. Les parties n’ont déposé aucune pièce.

ANALYSE

12. Dans le présent appel, les parties conviennent que les marchandises en cause sont assujetties aux conclusions de dommage du Tribunal rendues dans Raccords de tuyauterie en acier au carbone. La question dont le Tribunal est saisi est celle d’établir l’identité de l’exportateur des marchandises en cause aux fins de la LMSI.

Cadre législatif

13. Des droits antidumping sont payables lorsque les marchandises importées au Canada sont de même description que les marchandises visées par une ordonnance ou des conclusions rendues par le Tribunal aux termes de l’article 43 de la LMSI. Le paragraphe 3(1) prévoit ce qui suit :

3. (1) Subject to section 7.1, there shall be levied, collected and paid on all dumped and subsidized goods imported into Canada in respect of which the Tribunal has made an order or finding, before the release of the goods, that the dumping or subsidizing of goods of the same description has caused injury . . . a duty as follows:

(a) in the case of dumped goods, an anti-dumping duty in an amount equal to the margin of dumping of the imported goods;

. . .

3. (1) Sous réserve de l’article 7.1, les marchandises sous-évaluées ou subventionnées importées au Canada alors que le Tribunal a établi avant leur dédouanement, par ordonnance ou dans ses conclusions, que le dumping ou le subventionnement de marchandises de même description a causé un dommage [...] sont assujetties aux droits suivants :

a) dans le cas de marchandises sous-évaluées, des droits antidumping d’un montant égal à la marge de dumping des marchandises;

[...]

[Nos italiques]

14. Le paragraphe 2(1) de la LMSI définit ainsi « marge de dumping » : « [...] l’excédent de la valeur normale de marchandises sur leur prix à l’exportation. » La « valeur normale », à son tour, est définie comme la « [...] valeur établie conformément aux articles 15 à 23, 29 et 30. » Ces dispositions établissent un ordre séquentiel de méthodes pouvant servir à déterminer la valeur normale de marchandises.

15. Dans ces dispositions, on fait mention à plusieurs reprises du terme « exportateur ». Par exemple, l’article 15 de la LMSI prévoit que « [l]a valeur normale des marchandises vendues à un importateur se trouvant au Canada est, sous réserve des articles 19 et 20, le prix, rectifié conformément au présent article, auquel des marchandises similaires sont vendues, par l’exportateur des marchandises mentionnées en premier lieu [...] » [nos italiques].

16. La LMSI ne définit pas le terme « exportateur ».

Qui est l’exportateur des marchandises en cause aux fins de la LMSI?

17. L’ASFC allègue que, bien que la LMSI ne définisse pas le terme « exportateur », le paragraphe 2(1) fournit des indications quant à la signification du terme, lequel définit « pays d’exportation » comme « [...] le pays d’où [les marchandises] ont été expédiées directement vers le Canada [...] ». Elle fait valoir que, comme extension logique de cette définition, l’exportateur aux fins de la LMSI est la personne située dans le pays d’exportation qui expédie les marchandises directement vers le Canada.

18. L’ASFC maintient en outre que la méthode préconisée par la Cour de l’Échiquier du Canada dans Her Majesty The Queen v. The Singer Manufacturing Company 4 et appliquée par le Tribunal dans J.B. Multi-National Trade Inc. c. Sous-M.R.N.D.A. 5 indique que l’établissement de l’identité de l’exportateur relève d’une enquête factuelle portant avant tout sur la connaissance et la conduite des parties relativement à une transaction. Elle soutient en outre que, dans Singer, la Cour de l’Échiquier du Canada indique que la mise en possession et en propriété légale des marchandises n’est pas une preuve déterminante de l’identité de l’exportateur.

19. L’ASFC fait valoir que la ligne directrice générale qu’elle applique pour l’établissement de l’identité de l’exportateur aux fins de la LMSI retient l’approche qui précède6 . La partie pertinente de la ligne directrice prévoit ce qui suit :

Aux fins de la LMSI, l’[ASFC] considère généralement que l’exportateur est la personne ou l’entreprise qui est une partie principale à la transaction, qui se trouve dans le pays d’exportation au point d’expédition directe au Canada et qui a cédé ses responsabilités à l’égard des marchandises en les confiant à un transporteur, une entreprise de messagerie, un transitaire, avec leurs propres moyens de transport pour qu’elles soient livrées au Canada7 .

20. L’ASFC fait également valoir que l’examen des documents au dossier, qui démontrent la connaissance et la conduite des parties, révèle que c’est le producteur en Chine, et non pas Plumbtek, qui a cédé ses responsabilités à l’égard des marchandises en cause en les confiant à un transporteur pour qu’elles soient expédiées au Canada et ainsi, devrait être considéré comme l’exportateur.

21. Bien que l’ASFC reconnaisse qu’EMCO a acheté les marchandises en cause à Plumbtek et que Plumbtek avait achetées les marchandises en cause au producteur par l’intermédiaire de l’agent de vente du producteur, elle prétend que les modalités contractuelles (d’après les factures pro forma)8 d’achat des marchandises en cause qui interviennent entre Plumbtek et l’agent de vente du producteur confirment le rôle du producteur comme exportateur.

22. En particulier, l’ASFC fait observer que les contrats prévoyaient que, par son agent de vente, le producteur :

expédierait les marchandises en cause à « tout port de Chine » (le port de destination étant inscrit comme le « port du Canada »);

fournirait le navire de transport;

notifierait à Plumbtek le numéro de contrat, la désignation et la quantité des marchandises en cause, le nom du navire de transport et la date d’expédition seulement après la fin du chargement;

avait le droit de procéder à des livraisons partielles ou à des transbordements;

n’était pas responsable des retards ni des défauts d’expédition des marchandises en cause en cas de force majeure;

remettrait à Plumbtek un certificat délivré par le China Council for the Promotion of International Trade.

23. Malgré une modalité contractuelle expresse « FAB usine et chargé en conteneur » [traduction], l’ASFC fait valoir que les contrats imposaient le maintien d’obligations de la part du producteur à l’égard des marchandises en cause après leur départ de l’usine. Selon elle, ces obligations démontrent que le producteur savait que les marchandises en cause étaient destinées au Canada et en demeurait responsable jusqu’à ce qu’elles soient confiées à un transporteur pour leur expédition au Canada. D’après l’ASFC, Plumbtek était au plus un intermédiaire dans la transaction intervenue entre le producteur et EMCO.

24. Elle fait valoir l’importance de regarder au-delà des documents de transaction pour déterminer qui a sciemment fourni les marchandises en cause pour exportation au Canada. À son avis, que Plumbtek ait été propriétaire des marchandises au moment où elles ont été exportées ne suffit pas pour conclure qu’elle est l’exportateur. Selon l’ASFC, comme Plumbtek ne fabrique pas de marchandises, n’écoule pas de marchandises sur le marché intérieur, n’entrepose pas ni ne s’occupe de manier des marchandises physiquement, on peut au mieux y voir une société commerciale qui s’est contentée de rendre un service en facilitant les ventes à EMCO. Elle soutient que d’organiser le transport et de remplir les documents constituent des services qui auraient pu être assurés par n’importe qui n’importe où.

25. EMCO allègue que, en termes simples, l’exportateur est la partie qui expédie des marchandises d’un pays à un autre par des moyens légitimes. À son avis, la méthode préconisée par la Cour de l’Échiquier du Canada dans Singer et appliquée par le Tribunal dans J.B. Multi-National Trade indique que le terme « exportateur » doit s’interpréter du point de vue des affaires ou du commerce et qu’il faut alors examiner les rôles propres à chacune des parties à une transaction.

26. EMCO ne conteste pas la ligne directrice de l’ASFC en matière d’établissement de l’identité de l’exportateur et fait valoir que Plumbtek était l’exportateur au sens de la ligne directrice, parce qu’elle est la partie principale à la transaction, se trouvant dans le pays d’exportation au point d’expédition directe au Canada et parce qu’elle a cédé la responsabilité à l’égard des marchandises en les confiant sciemment à un transporteur pour leur expédition au Canada.

27. EMCO soutient que les décisions concernant les réexamens de l’ASFC reposent sur une mauvaise interprétation du langage provenant de contrats types tel que celui utilisé entre Plumbtek et l’agent de vente du producteur. À son avis, la modalité contractuelle particulière à prendre en considération est « FAB usine et chargé en conteneur » et la mention de « tout port de Chine » ne signifie rien en l’occurrence. L’expression « tout port de Chine » est à ses yeux un simple terme générique d’une facture pro forma qui n’a rien à voir avec la vente particulière intervenue entre Plumbtek et l’agent de vente du producteur. EMCO soutient également que d’autres modalités de ces contrats comme celles qui parlent de livraisons partielles et de transbordements n’étaient pas pertinentes, puisqu’il était clair que les marchandises en cause étaient vendues à l’usine. Elle fait en outre observer que ni le producteur ni son agent de vente n’ont pris les dispositions nécessaires ou fourni le navire pour le transport.

28. EMCO fait valoir que tous les documents commerciaux établissent que Plumbtek est l’exportateur et que ni le producteur ni son agent de vente n’ont joué de rôle dans les transactions, si ce n’est de produire les marchandises en cause à la demande de Plumbtek. Notamment, elle soutient que les éléments de preuve établissent ce qui suit :

Plumbtek a acheté les marchandises en cause à l’agent de vente du producteur avec lequel il n’avait aucun lien de dépendance;

Plumbtek a payé les marchandises en cause et en a conservé la propriété jusqu’à la réception du paiement d’EMCO;

tous les documents pertinents à la vente et à l’expédition établissent que Plumbtek est le vendeur et l’exportateur des marchandises en cause;

Plumbtek a pris toutes les dispositions pertinentes et nécessaires pour le transport des marchandises en cause entre le départ de l’usine en Chine et l’arrivée au Canada;

le producteur n’a accompli aucune tâche ni pris de mesures pour l’exportation des marchandises en cause, en conformité avec la modalité « FAB usine et chargé en conteneur » du contrat;

Plumbtek a assumé la responsabilité de toute perte des marchandises en cause entre le départ de l’usine et le paiement d’EMCO;

rien ne prouve qu’une partie en Chine autre que Plumbtek ait agi comme exportateur des marchandises en cause.

29. Dans le droit canadien, la méthode reconnue d’interprétation législative est la méthode contextuelle moderne, qui prévoit ce qui suit : « [...] il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur9 . »

30. Comme il a été indiqué, la LMSI ne définit pas le terme « exportateur ». Bien que celui-ci soit utilisé dans plusieurs articles de la LMSI, ces articles ne proposent pas de définition autre que la signification usuelle du terme.

31. À cet égard, le Tribunal fait observer que le Canadian Oxford Dictionary définit le mot « export » (exporter) comme suit : « expédier (biens, services, etc.) à un autre pays, plus particulièrement pour la vente »10 [traduction]. Le Tribunal fait observer que le terme « exportateur » ne reçoit pas de définition séparée, mais suppose que sa signification serait correspondante.

32. Dans Canada (Sous-ministre du Revenu national) c. Mattel Canada Inc. 11 , la Cour suprême du Canada a considéré la signification de l’expression « vente pour exportation au Canada » dans le contexte de la détermination de la valeur en douane en vertu l’article 48 de la Loi sur les douanes 12 . Toutefois, le Tribunal convient avec l’ASFC que la définition du terme « exportateur » aux fins de la LMSI ne devrait pas nécessairement être semblable à la définition aux fins de la Loi sur les douanes. Le Tribunal fait également remarquer que, sur le plan général des concepts, une entité qui fait une « vente pour exportation au Canada » dans une situation donnée peut parfois être autre que l’entité qui est l’« exportateur ».

33. Dans Singer, la Cour de l’Échiquier du Canada a considéré le sens du terme « exportateur » pour la détermination des droits antidumping exigibles. Elle s’est ainsi exprimée :

Les termes « exportateur » et « importateur » ne sont pas une création du droit; il s’agit de termes qui acquièrent le sens qu’ils ont lorsqu’ils sont employés dans un contexte comme le nôtre, celui du monde des affaires ou du commerce. Il s’ensuit à mes yeux que la question doit être traitée du point de vue des affaires ou du commerce. [...] Pour moi, la caractéristique essentielle est que l’exportateur doit être la personne qui, dans le pays étranger, expédie les marchandises au Canada et que l’importateur sera la personne à qui elles sont expédiées au Canada [...]13 .

[Traduction]

34. De l’avis du Tribunal, cette définition du terme « exportateur » concorde avec la définition précitée que donne le dictionnaire du terme « exporter ».

35. Comme l’ont indiqué les parties, le Tribunal a adopté, dans J.B. Multi-National Trade, l’approche utilisée dans Singer et a déterminé l’identité de l’exportateur en se fondant sur les circonstances en l’espèce. Le Tribunal ne voit aucun motif impérieux de s’écarter de cette approche dans la présente affaire. Il déterminera donc quelle entité en Chine a envoyé les marchandises en cause au Canada compte tenu des circonstances particulières des deux importations examinées. Eu égard à ces circonstances particulières, la mise en possession et la propriété légale des marchandises représentent des facteurs très importants pour l’établissement de l’identité de l’exportateur en conformité avec la définition déjà évoquée.

36. Bien que les parties paraissent s’entendre sur la définition du terme « exportateur » qui a été appliquée par l’ASFC dans la présente affaire, le Tribunal fait observer que l’ASFC indique aussi que cette définition émanait de la pratique administrative plutôt que de la législation ou de la jurisprudence14 . De plus, de l’avis du Tribunal, les éléments de preuve n’indiquent en rien que cette définition correspond à l’acception usuelle du terme ou à l’usage normal dans l’industrie. Par conséquent, le Tribunal n’accepte pas cette définition dans la mesure où elle va au-delà de la définition adoptée par le Tribunal dans des affaires antérieures, comme il a été indiqué.

37. Le Tribunal fait remarquer qu’EMCO a produit des preuves documentaires en abondance au sujet des transactions commerciales pour les deux importations examinées. Nombre de ces documents concernent des transactions auxquelles EMCO n’a pas été partie et qu’EMCO a donc obtenus de Plumbtek. Selon le témoin d’EMCO, Plumbtek avait indiqué ne pouvoir repérer tous les documents ayant trait aux importations des marchandises en cause et, dans l’impossibilité de trouver un document, devoir fournir le même « type » de document pour une transaction analogue15 . Malgré l’impossibilité de contre-interroger un représentant de Plumbtek pour confirmer la véracité de cette déclaration, l’ASFC n’a pas contesté l’authenticité de ces documents.

38. Les documents commerciaux relatifs aux deux importations examinées montrent invariablement que Plumbtek est propriétaire des marchandises en cause entre le départ de l’usine en Chine et la réception du paiement d’EMCO par Plumbtek. Les contrats (c.-à-d. les factures pro forma) d’achat des marchandises en cause entre Plumbtek et l’agent de vente du producteur révèlent ce qui suit :

Plumbtek était l’acheteur et l’agent de vente du producteur était le vendeur selon des modalités « FAB usine et chargé en conteneur », à la suite de quoi Plumbtek aurait été propriétaire des marchandises en cause après conteneurisation et départ usine;

le paiement de Plumbtek à l’agent de vente du producteur comportait un acompte de 30 p. 100, le solde étant exigible après réception du connaissement produit par l’agent de vente du producteur;

en cas de dérogation aux contrats par défaut de qualité, de quantité ou de poids des marchandises, Plumbtek disposait de recours explicite contre l’agent de vente du producteur sauf en cas de force majeure;

l’agent de vente du producteur devait fournir le navire de transport.

39. L’ASFC fait valoir que cette dernière disposition va à l’encontre de la modalité contractuelle « franco usine et conteneurisation », d’où l’impression que l’agent de vente du producteur demeurait réellement propriétaire des marchandises en cause jusqu’à leur arrivée au Canada. Toutefois, le Tribunal conclut d’après les éléments de preuve au dossier que c’est Plumbtek, et non pas l’agent de vente du producteur, qui a pris toutes les dispositions nécessaires pour le transport des marchandises en cause entre le départ de l’usine en Chine et l’arrivée au Canada16 . C’est ce qu’a implicitement reconnu l’ASFC à l’audience17 . En tout état de cause, le fait que l’agent de vente du producteur ait pu avoir rendu quelques services subsidiaires à Plumbtek ne permet pas de nier que Plumbtek était à tout stade propriétaire des marchandises en cause et que, par conséquent, une fois que Plumbtek acquérait la propriété des marchandises au départ de l’usine, l’agent de vente du producteur ne pouvait s’occuper de celles-ci que selon les instructions de Plumbtek.

40. Outre les factures pro forma, un certain nombre d’autres documents font voir que Plumbtek, qui était propriétaire des marchandises en cause à toutes les étapes pertinentes, constituait l’exportateur, y compris :

les lettres de transport qui attestent la propriété des marchandises en transit et indiquent que Plumbtek est l’expéditeur/exportateur des marchandises en cause18 ;

les certificats d’origine délivrés par le gouvernement chinois, qui montrent que Plumbtek est l’exportateur19 ;

les factures de transport des marchandises en cause entre l’usine du producteur et le Canada, qui indiquent que Plumbtek est le payeur20 ;

les polices d’assurance de transport de marchandises, qui indiquent que Plumbtek est la seule partie assurée21 , ni le producteur ni son agent de vente n’étant désignés dans ces polices;

les confirmations de débit bancaire, qui font état du paiement des marchandises en cause par EMCO à Plumbtek22 ;

les imprimés de codage de Douanes Canada, qui indiquent que Plumbtek est le vendeur des marchandises en cause23 ;

les factures de services logistiques pour l’entrée des marchandises en cause au Canada et leur livraison à EMCO depuis le port canadien d’arrivée, lesquels montrent que Plumbtek est le vendeur et l’expéditeur24 ;

les bons de commande des marchandises en cause communiqués par EMCO à Plumbtek25 ;

les factures et bordereaux d’expédition des marchandises en cause communiqués par Plumbtek à EMCO26 .

41. Selon le témoin d’EMCO, bien qu’EMCO n’ait pas conclu d’entente écrite avec Plumbtek, la relation d’EMCO était entièrement avec Plumbtek, son fournisseur pour différents produits venant d’une diversité de producteurs en Chine, plutôt qu’avec le producteur ou son agent de vente27 . Le témoin indique qu’EMCO n’a jamais eu de communications ni avec le producteur ni avec son agent de vente28 . En fait, le témoignage d’EMCO indique que celle-ci ignorait l’identité du producteur des marchandises en cause jusqu’après avoir passé la commande29 .

42. Le témoin d’EMCO témoignait aussi que les marchandises en cause ont été achetées à Plumbtek selon une évaluation coût, assurance et fret30 . EMCO a effectué un virement télégraphique à Plumbtek pour les marchandises en cause seulement après avoir reçu copie électronique des documents d’expédition31 . Après réception du paiement, Plumbtek faisait parvenir à EMCO les originaux des documents d’expédition et endossait la police d’assurance maritime en cession à EMCO, l’effet étant de transporter les droits de propriété et donc de permettre à EMCO de prendre physiquement possession des marchandises en cause au Canada32 .

43. De l’avis du Tribunal, les éléments de preuve n’indiquent pas que, en ce qui concerne les transactions commerciales pertinentes, Plumbtek agissait à titre de mandataire soit du producteur soit de son agent de vente. De plus, de l’avis du Tribunal, les éléments de preuve établissent qu’il n’y avait aucun lien de dépendance entre Plumbtek et le producteur ou son agent de vente. Le Tribunal fait observer que l’ASFC n’a pas invoqué l’existence d’un tel lien33 .

44. Les éléments de preuve révèlent plutôt clairement que, agissant pour son propre compte, Plumbtek était propriétaire des marchandises en cause au moment où celles-ci ont été expédiées au Canada et qu’elle était donc l’entité exerçant le pouvoir d’expédier les marchandises au Canada.

45. C’est pourquoi il ressort nettement, en tenant compte de toutes les circonstances pertinentes, y compris de la propriété des marchandises en cause par Plumbtek, que Plumbtek était l’exportateur des marchandises en cause aux fins de la LMSI.

46. En tirant cette conclusion, le Tribunal est conscient que Plumbtek a largement procédé par transactions sur papier avec les marchandises en cause, situation qui n’est pas inusitée dans le commerce international (comme il a été indiqué) et que le producteur avait connaissance que les marchandises en cause étaient produites expressément en vue de leur exportation au Canada. À cet égard, le Tribunal observe que la LMSI ne comporte aucune disposition de la LMSI selon laquelle le maniement physique de marchandises est un facteur essentiel pour qu’on soit considéré comme l’exportateur ou que, du seul fait que les marchandises d’un producteur soient destinées à un quelconque marché d’exportation, celui-ci devient nécessairement l’exportateur. Considérant ces deux facteurs dans le contexte des autres éléments de preuve produits en l’espèce, le Tribunal juge qu’ils ne suffisent pas à faire de toute autre partie l’exportateur.

DÉCISION

47. Pour les motifs qui précèdent, le Tribunal détermine que Plumbtek est l’exportateur des marchandises en cause.

48. Par conséquent, l’appel est admis.


1 . L.R.C. 1985, c. S-15 [LMSI].

2 . Le nom du producteur chinois est désigné comme renseignement confidentiel par EMCO.

3 . Certains raccords filetés de tuyaux en acier au carbone, des manchons filetés et des raccords d’adaptateur, de diamètre nominal de 6 pouces ou moins ou l’équivalent métrique, originaires ou exportés de la République populaire de Chine (16 juillet 2003), NQ-2002-004 (TCCE) [Raccords de tuyauterie en acier au carbone].

4 . [1968] 1 R.C. de l’É. 129 [Singer].

5 . (28 avril 1994), AP-93-055 (TCCE) [J.B. Multi-National Trade].

6 . Cette ligne directrice générale figure dans l’exposé des motifs de l’ASFC à l’égard de sa décision définitive au sujet du dumping de certains raccords filetés de tuyaux en acier au carbone originaires ou exportés de la Chine.

7 . Pièce du Tribunal AP-2008-010-03B, pièce 3 à la p. 164. Voir aussi Transcription de l’audience publique, 26 février 2009, à la p. 130.

8 . Pièce du Tribunal AP-2008-010-03B, pièce 1 aux pp. 68-71 et 130-132.

9 . Elmer A. Driedger, Construction of Statutes, 2e éd. (Toronto : Butterworths, 1983) à la p. 87, citation dans Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27 à la p. 41.

10 . Deuxième éd., s.v. « export ».

11 . [2001] 2 R.C.S. 100.

12 . L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1.

13 . Singer aux pp. 135-136.

14 . Transcription de l’audience publique, 26 février 2009, aux pp. 150-151.

15 . Les documents relatifs à l’importation du 22 février 2006 figurent dans la pièce du Tribunal AP-2008-010-03B, pièce 1 aux pp. 110-139. Les documents relatifs à l’importation du 8 juin 2006 figurent dans la pièce du Tribunal AP-2008-010-03B, pièce 1 aux pp. 39-81, et dans la pièce du Tribunal AP-2008-010-015 aux pp. 7, 12.

16 . Pièce du Tribunal AP-2008-010-15 aux pp. 6, 7.

17 . Transcription de l’audience publique, 26 février 2009, à la p. 141.

18 . Pièce du Tribunal AP-2008-010-03B, pièce 1 aux pp. 76, 135.

19 . Ibid. aux pp. 77, 136.

20 . Pièce du Tribunal AP-2008-010-15 à la p. 7.

21 . Pièce du Tribunal AP-2008-010-03B, pièce 1 aux pp. 78, 137.

22 . Ibid. aux pp. 80-81, et 138-139.

23 . Ibid. aux pp. 39, 110.

24 . Ibid. aux pp. 40-41, 111-112.

25 . Ibid. aux pp. 45-50, 114.

26 . Ibid. aux pp. 72-75, 133-134.

27 . Transcription de l’audience publique, 26 février 2009, aux pp. 13, 18-19, 55.

28 . Ibid. aux pp. 18-19.

29 . Ibid. aux pp. 69-70.

30 . Ibid. à la p. 15.

31 . Ibid. à la p. 21.

32 . Ibid. aux pp. 21, 58.

33 . Ibid. à la p. 153.