EVENFLO CANADA INC.


EVENFLO CANADA INC.
c.
PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA
Appel no AP-2009-049

Décision et motifs rendus
le mercredi 19 mai 2010


TABLE DES MATIÈRES


EU ÉGARD À un appel entendu le 16 mars 2010 en vertu du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes, L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1;

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada le 22 mai 2009 concernant des demandes de réexamen aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

EVENFLO CANADA INC. Appelante

ET

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA Intimé

DÉCISION

L’appel est admis.

Pasquale Michaele Saroli
Pasquale Michaele Saroli
Membre présidant

Dominique Laporte
Dominique Laporte
Secrétaire

Lieu de l’audience : Ottawa (Ontario)

Date de l’audience : Le 16 mars 2010

Membre du Tribunal : Pasquale Michaele Saroli, membre présidant

Conseiller juridique pour le Tribunal : Alain Xatruch

Directeur de la recherche : Randolph W. Heggart

Agent de la recherche : Denise Bergeron

Gestionnaire, Bureau du greffe : Michel Parent

Agent du greffe : Véronique Frappier

PARTICIPANTS :

Appelante Conseillers/représentants
Evenflo Canada Inc. Sydney H. Mintzer
Margaret-Rose Tretter
Jamie M. Wilks
Jonathan Hood
Intimé Conseillers/représentants
Président de l’Agence des services frontaliers du Canada Paul Battin
Derek Rasmussen

TÉMOIN :

Connie Sauernheimer
Directeur
Evenflo Canada Inc.

Veuillez adresser toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
Standard Life Centre
333, avenue Laurier Ouest
15e étage
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel :

EXPOSÉ DES MOTIFS

CONTEXTE

1. Le présent appel est interjeté par Evenflo Canada Inc. (Evenflo) auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes 1 à l’égard de décisions rendues par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) aux termes du paragraphe 60(4) de ladite loi.

2. La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si divers modèles de combinaisons de sièges d’auto pour bébés et poussettes, communément appelés « combinés de voyage » (les marchandises en cause), sont correctement classés dans le numéro tarifaire 8715.00.00 de l’annexe du Tarif des douanes 2 à titre de landaus, poussettes et voitures similaires pour le transport des enfants, et leurs parties, comme l’a déterminé l’ASFC, ou si, comme le soutient subsidiairement l’ASFC, ils doivent être classés dans le numéro tarifaire 9401.80.10 à titre d’autres sièges, pour usages domestiques, ou s’ils doivent être classés dans le numéro tarifaire 9401.80.90 à titre d’autres sièges, pour usages autres que domestiques, comme le soutient Evenflo.

HISTORIQUE DES PROCÉDURES

3. Evenflo a importé les marchandises en cause entre le 4 octobre 2004 et le 23 décembre 2005, dans le cadre de 65 transactions distinctes. Les marchandises ont été classées dans le numéro tarifaire 8715.00.00 à titre de landaus, poussettes et voitures similaires pour le transport des enfants, et leurs parties.

4. En septembre et octobre 2008, Evenflo a demandé le remboursement de droits aux termes du paragraphe 74(1) de la Loi du fait que les droits avaient été payés par suite d’une erreur dans le classement tarifaire des marchandises en cause. À cet égard, Evenflo a soutenu que les marchandises en cause auraient dû être classées dans le numéro tarifaire 9401.80.90 à titre d’autres sièges, pour usages autres que domestiques.

5. En novembre et décembre 2008, l’ASFC a déterminé que les marchandises en cause avaient été classées correctement dans le numéro tarifaire 8715.00.00 et, par conséquent, a rejeté les demandes d’Evenflo visant le remboursement des droits payés sur les marchandises en cause. Aux termes du paragraphe 74(4) de la Loi, ces refus ont été réputés être des révisions aux termes de l’alinéa 59(1)a).

6. Les 16 et 28 janvier 2009, Evenflo déposait des demandes de réexamen aux termes du paragraphe 60(1) de la Loi.

7. Le 22 mai 2009, l’ASFC rendait ses décisions aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi, rejetant les demandes et confirmant le résultat de ses révisions antérieures selon lesquelles les marchandises en cause avaient été correctement classées dans le numéro tarifaire 8715.00.00

8. Le 18 août 2009, Evenflo déposait le présent appel auprès du Tribunal aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi.

9. Le Tribunal tenait une audience publique à Ottawa (Ontario) le 16 mars 2010. Mme Connie Sauernheimer, directeur, Evenflo, a témoigné pour le compte d’Evenflo. L’ASFC n’a fait comparaître aucun témoin.

MARCHANDISES EN CAUSE

10. Les marchandises en cause sont constituées de cinq modèles de combinés de voyage pour bébés ou enfants fabriqués par Evenflo Company, Inc., une société américaine, et importés au Canada par Evenflo. Les marchandises en cause sont des assortiments préemballés comprenant un siège d’auto pour bébés, une base de siège et une poussette de dimensions régulières. Le siège d’auto pour bébés, qui peut être utilisé pour des bébés d’un poids maximal de 22 livres3 , est conçu pour se fixer par pression à la base de siège, elle-même installée dans un véhicule à moteur au moyen d’un système d’ancrage ou de ceintures de sécurité. De plus, le siège d’auto pour bébés est doté d’une poignée, ce qui permet de l’utiliser comme porte-bébé. Enfin, le siège d’auto pour bébés est conçu pour se fixer à la poussette. Cette dernière, qui peut aussi être utilisée sans le siège d’auto pour bébés, peut, selon le modèle, être utilisée pour un bébé ou un enfant pesant jusqu’à 50 livres4 .

11. Les cinq modèles de marchandises en cause sont les suivants5  :

Combiné de voyage AuraMC Elite

Combiné de voyage AuraMC Select

Combiné de voyage JourneyMC Elite

Combiné de voyage Comfort Dimensions SignatureMC (aussi vendu sous le nom « combiné de voyage Portabout 5MC »)

Combiné de voyage EllipsaMC LX

[Traduction]

12. Evenflo a déposé trois échantillons des marchandises en cause comme pièce devant le Tribunal : deux échantillons du combiné de voyage AuraMC Elite (un assemblé et l’autre en trousse dans une boîte) et un échantillon du combiné de voyage JourneyMC Elite (assemblé). Même s’il s’agissait de modèles 2009, Mme Sauernheimer a déclaré qu’en pratique, ils étaient identiques aux marchandises en cause (c.-à-d. les modèles importés en 2004 et en 2005)6 . L’ASFC ne s’est pas opposée à ce que ces pièces soient considérées comme représentatives des marchandises en cause7 .

13. À des fins de comparaison, Evenflo a aussi déposé comme pièce une poussette parapluie, qui n’était pas elle-même une marchandise en cause. L’ASFC n’a déposé aucune pièce.

ANALYSE

Cadre législatif

14. Dans des appels interjetés aux termes de l’article 67 de la Loi concernant les questions de classement tarifaire, le Tribunal détermine le classement tarifaire des marchandises conformément aux règles d’interprétation prescrites.

15. La nomenclature tarifaire est énoncée en détail dans l’annexe du Tarif des douanes, qui est conforme au Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises (le Système harmonisé) élaboré par l’Organisation mondiale des douanes8 . L’annexe est divisée en sections et en chapitres, et chaque chapitre contient une liste de marchandises classées dans des positions, sous-positions et numéros tarifaires. Les sections et chapitres peuvent comprendre des notes concernant leur interprétation. Les articles 10 et 11 du Tarif des douanes prescrivent la méthode que le Tribunal doit appliquer pour l’interprétation de l’annexe afin de déterminer le classement tarifaire approprié de marchandises.

16. Le paragraphe 10(1) du Tarif des douanes prévoit ce qui suit : « [...] le classement des marchandises importées dans un numéro tarifaire est effectué, sauf indication contraire, en conformité avec les Règles générales pour l’interprétation du Système harmonisé[9] et les Règles canadiennes[10] énoncées à l’annexe. »

17. Les Règles générales sont composées de six règles structurées en cascade, de sorte que si le classement des marchandises ne peut être déterminé conformément à la Règle 1, il faut alors tenir compte de la Règle 2, et ainsi de suite, jusqu’à ce que le classement soit établi11 . Le classement commence donc par l’application de la Règle 1, qui prévoit ce qui suit : « [...] le classement [est] déterminé légalement d’après les termes des positions et des Notes de Sections ou de Chapitres et, lorsqu’elles ne sont pas contraires aux termes desdites positions et Notes, d’après les Règles suivantes. »

18. L’article 11 du Tarif des douanes prévoit ce qui suit : « Pour l’interprétation des positions et sous-positions, il est tenu compte du Recueil des Avis de classement du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises[12] et des Notes explicatives du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises[13] et de leur modification, publiés par le Conseil de coopération douanière (Organisation mondiale des douanes). » Par conséquent, contrairement aux notes de sections et de chapitres, les Notes explicatives n’ont pas force exécutoire pour le Tribunal dans son classement des marchandises importées. Toutefois, la Cour d’appel fédérale a déclaré qu’il faut respecter ces notes, à moins qu’il n’existe un motif valable de ne pas le faire, puisqu’elles servent de guide d’interprétation aux fins du classement tarifaire au Canada14 .

19. Après avoir utilisé cette méthode pour déterminer la position dans laquelle les marchandises en cause doivent être classées, le Tribunal passe à l’étape suivante, qui consiste à déterminer la sous-position et le numéro tarifaire appropriés, en appliquant la Règle 6 des Règles générales dans le cas de la sous-position et les Règles canadiennes dans le cas du numéro tarifaire.

Classement tarifaire en cause

20. Comme il a été mentionné précédemment, la question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si les marchandises en cause sont correctement classées dans le numéro tarifaire 8715.00.00 à titre de landaus, poussettes et voitures similaires pour le transport des enfants, et leurs parties, comme l’a déterminé l’ASFC, ou si, comme le soutient subsidiairement l’ASFC, elles doivent être classées dans le numéro tarifaire 9401.80.10 à titre d’autres sièges, pour usages domestiques, ou si elles doivent être classées dans le numéro tarifaire 9401.80.90 à titre d’autres sièges, pour usages autres que domestiques, comme le soutient Evenflo.

21. Par conséquent, le différend entre les parties se situe au niveau de la position tarifaire. Cependant, si le Tribunal détermine que les marchandises en cause sont correctement classées dans la position no 94.01, comme le soutient Evenflo, les parties ne s’entendent pas non plus sur le numéro tarifaire dans lequel les marchandises en cause doivent être classées.

22. La nomenclature pertinente du Tarif des douanes prévoit ce qui suit :

Chapitre 87

VOITURES AUTOMOBILES, TRACTEURS,
CYCLES ET AUTRES VÉHICULES TERRESTRES,
LEURS PARTIES ET ACCESSOIRES

[...]

8715.00.00 Landaus, poussettes et voitures similaires pour le transport des enfants, et leurs parties.

[...]

Chapitre 94

MEUBLES; MOBILIER MÉDICO-CHIRURGICAL; ARTICLES DE LITERIE
ET SIMILAIRES; APPAREILS D’ÉCLAIRAGE NON DÉNOMMÉS
NI COMPRIS AILLEURS; LAMPES-RÉCLAMES, ENSEIGNES LUMINEUSES,
PLAQUES INDICATRICES LUMINEUSES ET ARTICLES SIMILAIRES;
CONSTRUCTIONS PRÉFABRIQUÉES

[...]

94.01 Sièges (à l’exclusion de ceux du no 94.02), même transformables en lits, et leurs parties.

[...]

9401.80 -Autres sièges

9401.80.10 - - -Pour usages domestiques

9401.80.90 - - -Autres

23. Le Tribunal déterminera d’abord le classement au niveau de la position, puis le classement au niveau de la sous-position et, enfin, le classement au niveau du numéro tarifaire.

Analyse de la position

24. Les deux parties conviennent que les marchandises en cause devraient être classées au niveau de la position conformément à la Règle 3 des Règles générales 15 . Cependant, l’ASFC soutient que le classement au niveau de la position peut être effectué par l’application de la Règle 3 b) alors que, selon Evenflo, ce classement peut être fait uniquement par l’application de la Règle 3 c).

25. La Règle 3 des Règles générales prévoit ce qui suit :

3. Lorsque des marchandises paraissent devoir être classées sous deux ou plusieurs positions par application de la Règle 2 b) ou dans tout autre cas, le classement s’opère comme suit :

a) La position la plus spécifique doit avoir la priorité sur les positions d’une portée plus générale. Toutefois, lorsque deux ou plusieurs positions se rapportent chacune à une partie seulement des matières constituant un produit mélangé ou un article composite ou à une partie seulement des articles dans le cas de marchandises présentées en assortiments conditionnés pour la vente au détail, ces positions sont à considérer, au regard de ce produit ou de cet article, comme également spécifiques même si l’une d’elles en donne par ailleurs une description plus précise ou plus complète.

b) Les produits mélangés, les ouvrages composés de matières différentes ou constitués par l’assemblage d’articles différents et les marchandises présentées en assortiments conditionnés pour la vente au détail, dont le classement ne peut être effectué en application de la Règle 3 a), sont classés d’après la matière ou l’article qui leur confère leur caractère essentiel lorsqu’il est possible d’opérer cette détermination.

c) Dans les cas où les Règles 3 a) et 3 b) ne permettent pas d’effectuer le classement, la marchandise est classée dans la position placée la dernière par ordre de numérotation parmi celles susceptibles d’être valablement prises en considération.

26. Les Notes explicatives de la Règle 3 des Règles générales prévoient ce qui suit :

I) Cette Règle prévoit trois méthodes de classement des marchandises qui, a priori, seraient susceptibles d’entrer dans plusieurs positions distinctes, soit par application de la Règle 2 b), soit dans tout autre cas. Ces méthodes entrent en jeu dans l’ordre où elles sont reprises dans la Règle. Ainsi la Règle 3 b) ne s’applique que si la Règle 3 a) n’a apporté aucune solution au problème du classement, et si les Règles 3 a) et 3 b) sont inopérantes, la Règle 3 c) entre en jeu. L’ordre dans lequel il faut successivement considérer les éléments du classement est donc le suivant : a) position la plus spécifique, b) caractère essentiel, c) position placée la dernière par ordre de numérotation.

27. Le Tribunal est d’accord avec les parties que la Règle 3 des Règles générales s’applique aux fins du classement des marchandises en cause au niveau de la position. Il est clair qu’en l’espèce, les marchandises en cause peuvent être, à première vue, classées dans deux positions, soit la position no 87.15, si les marchandises en question sont considérées comme des poussettes, et la position no 94.01, si elles sont considérées comme des sièges d’auto pour bébés.

28. Selon la Règle 3 a) des Règles générales, les marchandises en cause doivent être classées dans la position qui donne la description la plus précise. Cependant, il est aussi prévu à la Règle 3 a) que lorsque deux ou plusieurs positions se rapportent chacune « [...] à une partie seulement des articles dans le cas de marchandises présentées en assortiments conditionnés pour la vente au détail [...] », ces positions sont à considérer comme également pertinentes, même si l’une d’elles en donne une description plus complète ou plus précise. Il est aussi prévu à la Règle 3 b) que « [...] les marchandises présentées en assortiments conditionnés pour la vente au détail [...] », dont le classement ne peut être effectué en application de la Règle 3 a), doivent être classées comme si elles étaient composées de l’élément qui leur donne leur caractère essentiel.

29. Selon le Tribunal, le fait que des marchandises soient présentées aux consommateurs sur le marché comme un « assortiment » n’est pas déterminant quant à la question de savoir si elles doivent être traitées de cette façon aux fins de classement. Par conséquent, comme première étape, il faut déterminer si les marchandises en cause ont été correctement considérées comme « [...] présentées en assortiments conditionnés pour la vente au détail [...] » au moment de leur importation au Canada16 .

30. À cet égard, les Notes explicatives de la Règle 3 des Règles générales prévoient ce qui suit :

X) Pour l’application de la présente Règle, les marchandises remplissant simultanément les conditions suivantes sont à considérer comme « présentées en assortiments conditionnés pour la vente au détail » :

a) être composées d’au moins deux articles différents qui, à première vue, seraient susceptibles de relever de positions différentes […]

b) être composées de produits ou d’articles présentés ensemble pour la satisfaction d’un besoin spécifique ou l’exercice d’une activité déterminée,

c) être conditionnées de façon à pouvoir être vendues directement aux utilisateurs sans reconditionnement (en boîtes, coffrets, panoplies, par exemple).

31. En l’espèce, le Tribunal est convaincu que les marchandises en cause satisfont à chacune de ces trois exigences. Plus précisément, les marchandises en cause (i) sont composées d’au moins deux articles différents qui, à première vue, seraient susceptibles de relever de positions différentes (c.-à-d. un siège d’auto pour bébés et une poussette de dimensions régulières), (ii) elles sont composées d’articles présentés ensemble pour la satisfaction d’une activité particulière, soit le transport de bébés ou d’enfants, et (iii) elles sont importées au Canada conditionnées de façon à pouvoir être vendues directement aux consommateurs. Par conséquent, les marchandises en cause sont correctement considérées comme des « [...] marchandises présentées en assortiments conditionnés pour la vente au détail [...] » — un point qui n’a pas été contesté par les parties17 .

32. Ayant déterminé que les marchandises en cause sont correctement considérées comme des « [...] marchandises présentées en assortiments conditionnés pour la vente au détail [...] » qui ne peuvent être classées au niveau de la position aux termes de la Règle 3 a) des Règles générales, le Tribunal doit s’appuyer sur la Règle 3 b) et tenter de classer les marchandises en cause comme si elles étaient constituées de la composante qui leur confère leur caractère essentiel. Autrement dit, le Tribunal doit tenter de déterminer si le caractère essentiel des marchandises en cause leur est conféré par le siège d’auto pour bébés ou par la poussette.

33. Selon la note VIII) des Notes explicatives de la Règle 3 des Règles générales, « [l]e facteur qui détermine le caractère essentiel varie suivant le genre de marchandises. Il peut, par exemple, ressortir de la nature de la matière constitutive ou des articles qui les composent, de leur volume, leur quantité, leur poids ou leur valeur, de l’importance d’une des matières constitutives en vue de l’utilisation des marchandises. »

34. Selon l’ASFC, le caractère essentiel des marchandises en cause leur est conféré par la poussette et, pour cette raison, les marchandises en cause sont correctement classées dans la position no 87.15 à titre de landaus, poussettes et voitures similaires pour le transport des enfants. Elle affirme que la nature fondamentale des marchandises en cause a trait au transport de bébés et d’enfants et que la composante qui assume principalement cette fonction est la poussette. Elle soutient que la composante « poussette », utilisée indépendamment de la composante « siège d’auto pour bébés », englobe toutes les « utilisations finales » des marchandises en cause, tandis que le siège d’auto pour bébés ne trouve son utilité que dans un véhicule à moteur qui transporte le bébé. Selon l’ASFC, le siège d’auto pour bébés est simplement une « prime » [traduction] qui s’ajoute à la fonction générale de poussette.

35. L’ASFC ajoute que plusieurs autres facteurs, dont certains ont déjà été abordés par le Tribunal18 , révèlent que le caractère essentiel des marchandises en cause leur est conféré par la poussette et que, par conséquent, il n’est pas nécessaire d’invoquer la Règle 3 c) des Règles générales. Plus précisément, la poussette constitue la plus grande partie des marchandises en cause (c’est-à-dire qu’elle est le plus gros et le plus lourd des articles et qu’elle occupe plus d’espace); la poussette peut supporter plus de poids que le siège d’auto pour bébés et, par conséquent, elle peut être utilisée pendant une plus longue période; la poussette est la composante la plus coûteuse de l’ensemble (c’est-à-dire qu’achetée séparément, la poussette a une plus grande valeur au détail que le siège d’auto pour bébés); chez plusieurs grands distributeurs, Evenflo commercialise les marchandises en cause comme des poussettes et insiste même sur l’importance du poids qu’elles peuvent supporter.

36. Eu égard à la décision de classement américaine qu’Evenflo a invoquée à l’appui de sa position, l’ASFC affirme que rien n’indique que les marchandises faisant l’objet de cet appel sont les mêmes que les marchandises en cause. Elle ajoute que le Tribunal a déjà clairement indiqué à plusieurs reprises qu’il n’est pas lié par les décisions de tribunaux étrangers19 .

37. D’autre part, selon Evenflo, ni le siège d’auto pour bébés ni la poussette ne confèrent aux marchandises en cause leur caractère essentiel. À son avis, les deux composantes donnent aux marchandises en cause une valeur fonctionnelle égale, ce qui empêche le Tribunal d’invoquer la Règle 3 b) des Règles générales et elle demande que le classement se fasse selon la Règle 3 c). Elle soutient que la nature fondamentale des marchandises en cause consiste à faciliter tous les moyens de transport de bébés, ce qui est obtenu par l’utilisation du siège d’auto pour bébés et de la poussette, ensemble et séparément. À cet égard, elle affirme que des études de marché et des témoignages des consommateurs prouvent que les parents estiment que le siège d’auto pour bébés et la poussette ont une importance égale dans leur utilisation des marchandises en cause.

38. Evenflo soutient que ses documents de commercialisation et de description des produits font la promotion au même degré des avantages du siège d’auto pour bébés et de la poussette. Elle ajoute que les marchandises en cause sont commercialisées comme une catégorie distincte de produits, vendus séparément des sièges d’auto pour bébés et des poussettes, ce qui démontre encore plus qu’aucune des composantes ne joue un rôle plus grand que l’autre dans l’utilisation des marchandises en cause.

39. Evenflo ajoute que dans plusieurs affaires20 , le Tribunal n’a pas tenu compte de paramètres quantitatifs comme le volume, le poids ou la quantité lorsque les faits démontraient que chaque composante jouait un rôle égal dans le produit fini. Même si elle admet que la poussette est nettement plus volumineuse et plus lourde que le siège d’auto pour bébés, elle affirme que leur produit est ainsi conçu parce que les consommateurs préfèrent des sièges d’auto pour bébés plus légers et plus faciles à transporter. De plus, selon Evenflo, la valeur (c’est-à-dire le coût) du siège d’auto pour bébés et de la poussette n’est pas un indice du caractère essentiel des marchandises en cause étant donné que, selon la combinaison finale du siège d’auto pour bébés et de la poussette, on obtient des valeurs différentes. Elle invoque aussi une décision de classement américaine selon laquelle un combiné de voyage fabriqué par un de ses concurrents a été classé selon la Règle 3 c) des Règles générales.

40. Enfin, selon Evenflo, même si la poussette peut supporter plus de poids que le siège d’auto pour bébés, les éléments de preuve démontrent que les parents n’utilisent pas la poussette de dimensions régulières beaucoup plus longtemps que le siège d’auto pour bébés et qu’en fait, la plupart des parents passent généralement de la poussette volumineuse de dimensions régulières à une poussette parapluie portable légère à partir du moment où l’enfant atteint l’âge de 12 mois. Elle ajoute que même si certains parents utilisent la poussette plus longtemps que le siège d’auto pour bébés, ce fait à lui seul ne suffit pas pour justifier la conclusion selon laquelle la poussette donne aux marchandises en cause leur caractère essentiel.

41. En ce qui concerne le « caractère essentiel », la Cour d’appel fédérale, dans Industries Mon-Tex Ltée c. Canada (Agence des douanes et du revenu) 21 , explique que l’objet d’une analyse en vertu de la Règle 3 b) des Règles générales « [...] n’est pas de peser simplement les éléments de la Note explicative VIII les uns par rapport aux autres, mais plutôt de déterminer l’essence ou la nature fondamentale des marchandises. » La Cour d’appel fédérale ajoutait que « [...] pour être essentielle, une caractéristique doit se rattacher à l’essence de quelque chose; elle doit être fondamentale. »

42. À cet égard, le Tribunal fait remarquer que même si des critères comme le volume, la quantité, le poids et la valeur sont intrinsèquement objectifs, en eux-mêmes, ils ne constituent pas nécessairement un fait juridique aux fins du présent appel. Comme l’explique le Tribunal dans Transilwrap, « [...] le fait que le poids puisse être considéré comme une mesure objective ne suffit pas pour qu’il soit le facteur déterminant dans le classement des marchandises. Le poids doit aussi avoir une incidence sur le caractère essentiel des marchandises22 . » Le Tribunal a adopté une approche semblable dans Oriental Trading, où il devait décider laquelle composante des cotons-tiges — la ouate de coton ou le bâtonnet de polypropylène — conférait aux marchandises leur caractère essentiel. Malgré les éléments de preuve selon lesquels le bâtonnet de polypropylène était plus lourd et plus volumineux que la ouate de coton et qu’il représentait une partie plus importante du coût des cotons-tiges, le Tribunal a conclu qu’à cause du rôle des ouates de coton dans l’utilisation du produit à des fins d’hygiène personnelle, le caractère essentiel du produit lui était conféré par les ouates de coton23 .

43. Selon l’ASFC, le caractère essentiel des marchandises en cause leur est conféré par la poussette, car c’est cette composante qui, de façon indépendante, offre toutes les « utilisations finales » des marchandises en cause. En ce qui concerne les facteurs particuliers, l’ASFC soutient que le poids relatif, le volume, la valeur et la vie utile de la poussette, de même que la commercialisation des marchandises en cause, devraient tous amener le Tribunal à conclure que la poussette confère aux marchandises en cause leur caractère essentiel.

44. En examinant à tour de rôle chacun de ces facteurs pour établir jusqu’à quel point ils influencent le caractère essentiel des marchandises en cause, le Tribunal reconnaît que le poids relativement plus léger et le volume relativement plus faible du siège d’auto pour bébés, qui est aussi utilisé comme porte-bébé, est une caractéristique nominale ayant pour objet de donner suite à une demande précise et compréhensible des consommateurs24 . En ce qui concerne la valeur, le Tribunal souligne que, selon le modèle des marchandises en cause, la valeur de la poussette est soit comparable soit supérieure à celle du siège d’auto pour bébés25 .

45. En ce qui concerne la vie utile, le Tribunal souligne que même si la poussette à dimensions régulières peut transporter des enfants plus âgés à cause de sa limite de poids supérieure à celle du siège d’auto pour bébés, Evenflo a présenté des études de marché et des éléments de preuve anecdotiques selon lesquels, dans la pratique, la durée d’utilisation réelle de la poussette ne dépasse pas beaucoup celle du siège d’auto pour bébés étant donné que les consommateurs ont tendance à passer à la poussette parapluie, plus légère et plus commode, à partir du moment où l’enfant est trop grand pour utiliser un siège d’auto pour bébés26 . Cependant, le Tribunal fait également observer que, malgré ces éléments de preuve, dont la validité a été contestée par l’ASF27 , il est clair que certains consommateurs continuent à utiliser la poussette une fois que l’enfant est trop grand pour le siège d’auto pour bébés.

46. Enfin, en ce qui concerne la commercialisation des marchandises en cause, le Tribunal reconnaît que les « combinés de voyage » sont généralement commercialisés comme un produit distinct et vendus séparément des sièges d’auto pour bébés et des poussettes28 . Le Tribunal reconnaît aussi que les activités de commercialisation et les documents descriptifs de produits d’Evenflo font valoir les avantages des deux composantes des marchandises en cause29 . Le Tribunal fait toutefois remarquer que, dans certains cas, une plus grande place est accordée à la poussette du fait que ses caractéristiques sont décrites en premier et de façon plus détaillée que celles du siège d’auto pour bébés30 .

47. De plus, en l’espèce, le Tribunal est d’avis qu’un autre argument aussi convaincant peut être présenté, soit que l’examen du rôle respectif de chaque composante des marchandises en cause conférerait un caractère essentiel non pas à la poussette de dimensions régulières, mais bien au siège d’auto pour bébés. À cet égard, le siège d’auto pour bébés (qui se fixe par pression à la fois à la base de siège et à la poussette et qui peut aussi être utilisé indépendamment comme porte-bébé) est conçu pour jouer un rôle dans chacun des trois modes de déplacement (c’est-à-dire en voiture, tenu par la main et en poussette) visés par les marchandises en cause. En fait, c’est le caractère central du siège d’auto pour bébés à l’égard des marchandises en cause qui permet aux composantes d’agir de façon synergique comme combiné de voyage jusqu’au moment où le siège d’auto pour bébés ne peut plus être utilisé à cause du dépassement de la limite de poids. Il est donc clair que contrairement aux assertions de l’ASFC, la poussette ne fournit pas à elle seule toutes les « utilisations finales » des marchandises en cause, car elle ne joue aucun rôle dans deux des trois modes de déplacement (c’est-à-dire en voiture et tenu par la main).

48. Par conséquent, même si la composante poussette peut dominer jusqu’à un certain point eu égard à des facteurs relatifs comme le poids, le volume, la valeur, la vie utile et les activités de commercialisation, on pourrait aussi soutenir à bon droit que c’est la compatibilité fonctionnelle du siège d’auto pour bébés avec à la fois la base de siège d’une part et, d’autre part, la poussette, qui relie les divers articles pour créer un « combiné » multimodal pour les déplacements pendant les premières années d’un enfant31 . À cet égard, le fait que la poussette et le siège d’auto pour bébés soient achetés dans un assortiment plutôt que séparément32 montre, de la part du consommateur, l’intention de les utiliser comme un combiné de voyage intégré, ce qui fait ressortir encore plus l’importance du siège d’auto pour bébés comme dénominateur commun des trois modes de transport visés par les marchandises en cause.

49. Le Tribunal est donc porté à partager l’avis d’Evenflo selon lequel les rôles respectifs du siège d’auto pour bébés et de la poussette dans le fonctionnement général des marchandises en cause sont tels qu’aucune des composantes ne peut être vue comme conférant un caractère essentiel aux marchandises en cause. Par conséquent, le classement des marchandises en cause au niveau de la position ne peut être effectué en vertu de la Règle 3 b) des Règles générales.

50. Il faut donc avoir recours à la Règle 3 c) des Règles générales, selon laquelle les marchandises en cause sont classées dans la position placée la dernière par ordre de numérotation parmi celles susceptibles d’être valablement prises en considération, soit la position no 94.01.

Analyse de la sous-position

51. Ayant classé les marchandises en cause au niveau de la position, le Tribunal doit ensuite déterminer dans quelle sous-position les marchandises en cause doivent être classées. Cependant, étant donné que les marchandises en cause ont été classées dans la position no 94.01 en vertu de la Règle 3 c) des Règles générales, le Tribunal doit procéder au classement au niveau de la sous-position de même qu’au niveau du numéro tarifaire en supposant que c’est la composante siège d’auto pour bébés des marchandises en cause qui est classée.

52. Les deux parties reconnaissent que les sièges d’auto pour bébés doivent être classés dans la sous-position no 9401.8033 . Le Tribunal est aussi d’accord. À cet égard, la position no 94.01 est subdivisée en neuf sous-positions de premier niveau dont la seule qui pourrait peut-être servir à classer les sièges d’auto pour bébés est la sous-position no 9401.80, qui englobe les « autres sièges ».

53. Ce point de vue est aussi confirmé dans les Avis de classement, qui contiennent l’opinion suivante en ce qui concerne la sous-position no 9401.80 :

9401.80 1. Sièges de sécurité destinés au transport des bébés et des enfants à l’intérieur des véhicules automobiles ou d’autres moyens de transport. Ils sont amovibles et sont fixés aux sièges des véhicules aux moyens des ceintures de sécurité et d’une courroie d’arrimage.

54. Par conséquent, conformément aux Règles 1 et 6 des Règles générales, la sous-position correcte est le no 9401.80.

Analyse du numéro tarifaire

55. Le Tribunal doit ensuite déterminer dans quel numéro tarifaire les sièges d’auto pour bébés et, implicitement, les marchandises en cause doivent être classés.

56. Selon Evenflo, les sièges d’auto pour bébés doivent être classés dans le numéro tarifaire 9401.80.90 à titre d’autres sièges, pour usages autres que domestiques, alors que l’ASFC soutient qu’ils sont correctement classés dans le numéro tarifaire 9401.80.10 à titre d’autres sièges, pour usages domestiques. Par conséquent, il reste simplement à trancher la question de savoir si les sièges d’auto pour bébés sont considérés « pour usages domestiques ».

57. Selon l’ASFC, le terme « domestic » (domestique) évoque les activités courantes de tous les jours d’une famille ou d’un ménage34 . Elle soutient que l’objet principal des sièges d’auto pour bébés est le transport d’enfants par leurs parents — une activité liée à la famille et, par conséquent, à caractère domestique. Elle ajoute que le Tribunal a longtemps soutenu que le terme « domestique » doit être interprété au sens large et non restreint à une seule signification. À cet égard, elle invoque la décision du Tribunal dans Black & Decker Canada Inc. c. Sous-M.R.N.D.A. 35 et affirme que le Tribunal a rejeté l’idée selon laquelle les activités domestiques peuvent se dérouler uniquement à l’intérieur de la maison et a conclu qu’afin de déterminer si les marchandises sont utilisées pour des usages domestiques, c’est la nature de l’activité qu’il faut évaluer et non uniquement l’endroit où elle se déroule. L’ASFC ajoute que dans Costco Canada Inc. c. Commissaire de l’Agence des douanes et du revenu du Canada 36 , le Tribunal a conclu qu’il fallait donner au terme « domestique » « [...] une portée suffisamment vaste pour inclure les marchandises qui peuvent être à l’extérieur de la maison, mais dont le but premier est de servir à des personnes dans un environnement domestique37 . »

58. Selon l’ASFC, même si, dans notre monde moderne, de plus en plus de marchandises créées pour usages domestiques sont utilisées à l’extérieur de la maison, cela ne signifie pas que leur usage domestique original n’existe plus. Elle soutient que certaines activités, de par leur nature, ont un caractère intrinsèquement domestique, même si elles sont effectuées à l’extérieur de la maison. À son avis, le fait que les sièges d’auto pour bébés soient utilisés dans des véhicules ne change pas leur caractère domestique et n’empêche pas le fait qu’ils soient destinés à des usages domestiques.

59. L’ASFC fait aussi valoir que dans Alliance Ro-Na Home Inc. c. Commissaire de l’Agence des douanes et du revenu du Canada 38 , le Tribunal s’est appuyé sur certains facteurs, notamment la conception elle-même des marchandises et leur poids, afin de déterminer si elles étaient destinées à des usages domestiques. Elle soutient qu’en l’espèce, il ressort clairement de la conception même des sièges d’auto pour bébés que ces derniers visent principalement des usages domestiques, soit le transport d’enfants par leurs parents. Elle ajoute qu’aucun élément de preuve ne donne à penser que les sièges d’auto pour bébés devraient être utilisés pour le transport commercial d’enfants. Enfin, selon l’ASFC, les sièges d’auto pour bébés sont lourds, ce qui confirme qu’il s’agit de marchandises pour usages domestiques.

60. Par ailleurs, selon Evenflo, même si le terme « domestique » n’est pas défini dans les notes de chapitres ou les Notes explicatives du chapitre 94, des décisions antérieures du Tribunal démontrent que les articles « domestiques » sont ceux qui sont principalement utilisés à l’intérieur et autour de la maison. Plus précisément, Evenflo cite les décisions du Tribunal dans Costco, Alliance Ro-Na Home Inc. c. Commissaire de l’Agence des douanes et du revenu du Canada 39 et Ro-Na II pour étayer cette assertion. Elle soutient aussi que dans Ro-Na II, le Tribunal a considéré les termes « domestic » et « houselold » (de ménage) comme des synonymes, ce qui est conforme à une étude de l’OMD40 publiée en 2000, qui débouchait sur la même conclusion. En ce qui concerne la mention par l’ASFC de la décision Black & Decker, Evenflo souligne que le Tribunal a conclu dans cette affaire que des aspirateurs portatifs étaient des articles pour usages domestiques parce qu’ils étaient utilisés dans des autocaravanes.

61. Evenflo ajoute que dans Ro-Na II, le Tribunal a rejeté l’argument selon lequel l’utilisation d’un produit par des particuliers ou les membres d’un ménage, peu importe où ils se trouvent, transforme le produit en un article pour usages domestiques. Elle soutient que si ce raisonnement était applicable, chaque produit acheté par un membre d’un ménage — ou chaque produit utilisé à des fins personnelles — serait considéré comme un produit « domestique ». Selon Evenflo, aucune disposition de la liste tarifaire ne laisse voir une intention de faire équivaloir le sens des termes « domestique » ou « de ménage » au terme « personnel ». Elle affirme qu’au contraire, le terme « personnel » est utilisé dans la liste tarifaire pour désigner autre chose que les articles « de ménage ». À cet égard, elle souligne que le chapitre 98 comporte de nombreux exemples de positions visant des marchandises qui sont soit pour usages personnels soit pour usages domestiques, mais que les termes « domestique » et « de ménage » ne figurent jamais dans la même position ou sous-position du Système harmonisé, ce qui voudrait dire que les termes « domestique » et « de ménage » sont synonymes, alors que les termes « de ménage » et « personnel » ne le sont pas. Donc, à son avis, un produit est un produit domestique uniquement s’il est utilisé principalement à l’intérieur et autour de la maison et non simplement parce qu’il sert à un usage personnel dans un contexte non commercial.

62. Evenflo souligne qu’en l’espèce, les sièges d’auto pour bébés sont principalement utilisés dans les véhicules à moteur, mais qu’ils peuvent aussi en être retirés, de sorte qu’une personne s’occupant de l’enfant peut le transporter dans d’autres endroits comme un magasin, un parc ou un restaurant ou à domicile. Elle soutient que, même si les sièges d’auto pour bébés peuvent être utilisés à la maison, leurs caractéristiques physiques et leur conception démontrent qu’ils ne sont pas principalement conçus pour une utilisation à l’intérieur et autour de la maison et que, par conséquent, ils ne visent pas des usages domestiques.

63. Pour déterminer si les sièges d’auto pour bébés sont « pour usages domestiques », il faut examiner l’interprétation appropriée à donner au terme « domestique » en relation avec le terme « pour usages ». À cet égard, le Tribunal estime qu’il est utile de passer en revue les affaires citées par les parties en relation avec l’espèce.

64. Dans Black & Decker, le Tribunal a conclu que les aspirateurs portatifs légers conçus pour être utilisés dans des véhicules et des bateaux étaient des « appareils à usage domestique » parce qu’ils étaient utilisés afin d’effectuer des tâches ménagères. Le Tribunal soulignait que le terme « à usage domestique » ne limitait pas le lieu où se déroulaient ces activités à l’intérieur des quatre murs d’une maison. Cependant, il ajoutait qu’à cet égard, il était « [...] difficile de comprendre comment les tâches ménagères exécutées dans une autocaravane peuvent différer sensiblement de celles qui sont exécutées dans une maison41 . »

65. Dans Costco, le Tribunal a conclu que des bancs fabriqués de métal et de bois étaient destinés à des usages domestiques parce que leurs caractéristiques physiques, leur conception et leur prix révélaient qu’ils pouvaient être utilisés dans un environnement domestique comme un jardin privé, la pelouse de l’arrière-cour d’une maison ou un patio. Le Tribunal soulignait qu’il fallait donner au terme « domestique » « [...] une portée suffisamment vaste pour inclure les marchandises qui peuvent être à l’extérieur de la maison, mais dont le but premier est de servir à des personnes dans un environnement domestique42 . » Le Tribunal poursuivait en soulignant que cette interprétation était conforme à sa décision dans Black & Decker.

66. Dans Ro-Na I, le Tribunal a conclu que des chaises pliantes en acier rembourrées n’étaient pas destinées à un cadre domestique parce que leurs caractéristiques physiques, leur conception et leur prix révélaient qu’elles n’étaient pas d’abord conçues pour utilisation dans un environnement domestique. Adoptant une approche qu’il jugeait conforme à sa décision dans Costco, le Tribunal soulignait que « [...] l’objet premier d’une chaise pliante est de servir de siège temporaire, et ce, souvent, dans le cadre d’un événement qui se passe à l’extérieur de la maison »43 et que les chaises pliantes en cause servaient effectivement dans « [...] d’autres cadres que le cadre domestique, par exemple, des hôtels et des centres de congrès à l’occasion de différents événements44 . »

67. Enfin, dans Ro-Na II, le Tribunal a conclu que des chaises pliantes faites de tissu en polyester et de métal tubulaire vendues avec un sac de transport doté d’un lacet de serrage n’étaient pas destinées à des usages domestiques parce que leur conception et leurs caractéristiques révélaient qu’elles pouvaient être utilisées dans une multitude de lieux et de cadres45 , dont la plupart se trouvaient « [...] à l’extérieur des limites rigoureuses de la maison et de ses environs immédiats46 . » Ce faisant, le Tribunal rappelait la position qu’il avait adoptée dans Costco et Ro-Na I, à savoir que pour être considérées comme des marchandises « pour usages domestiques », ces dernières doivent être destinées principalement à un usage domestique ou de ménage. De plus, le Tribunal rejetait l’idée avancée par l’intimé dans cette affaire selon laquelle les marchandises pouvaient devenir des marchandises domestiques du fait de leur utilisation par les « membres d’un ménage » lors d’une activité familiale. À cet égard, le Tribunal énonçait qu’il ne voyait pas comment « [...] la présence des membres d’un ménage à une activité quelconque transforme cette activité en une activité domestique47 . »

68. De l’avis du Tribunal, ces décisions établissent clairement que les marchandises « pour usages domestiques » doivent être destinées principalement à un usage domestique ou de ménage. Ces décisions établissent aussi clairement que les marchandises pour usages domestiques ou de ménage doivent être utilisées à la maison ou dans ses environs immédiats. Même si la décision du Tribunal dans Black & Decker semble, à première vue, incompatible avec ces énoncés, une lecture attentive révèle que l’activité qui était effectuée en l’espèce se déroulait dans une autocaravane, que le Tribunal considérait comme une maison.

69. L’ASFC soutient que la définition du terme « domestic » que l’on trouve dans le Black’s Law Dictionary montre qu’il désigne les activités habituelles de tous les jours d’une famille ou de membres d’un ménage. Cependant, par le passé, le Tribunal a définit le terme « domestique » par rapport à la maison seulement. En fait, comme il a été mentionné précédemment, dans Ro-Na II, le Tribunal a rejeté explicitement l’idée selon laquelle les marchandises peuvent avoir un caractère domestique du simple fait qu’elles sont utilisées par les membres d’un ménage dans le cadre d’une activité familiale. Le Tribunal reconnaît qu’il peut convenir, dans certaines circonstances, de se reporter à des définitions du dictionnaire aux fins d’interpréter la liste tarifaire, mais il est d’avis qu’il ne convient pas de le faire en l’espèce. Si le Tribunal acceptait l’argument selon lequel les marchandises utilisées pour des activités liées à la famille peuvent être considérées comme des marchandises « pour usages domestiques », il en résulterait que la plupart des marchandises destinées à une utilisation personnelle seraient considérées comme des marchandises « pour usages domestiques ». Étant donné que les termes « domestique » et « de ménage » sont synonymes aux fins de la liste tarifaire48 , les marchandises destinées à un usage personnel seraient aussi considérées comme des marchandises pour usages de ménage. Ce résultat ne semble pas être celui qu’avaient recherché les rédacteurs du texte parce que, comme l’a souligné Evenflo, le terme « personnel » n’est pas utilisé dans la liste tarifaire comme un équivalent du terme « de ménage »49 . À cet égard, le Tribunal est conscient qu’il doit toujours essayer d’interpréter les mots et expressions utilisés dans la liste tarifaire de façon à favoriser la cohérence interne et l’uniformité de ce dernier.

70. Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal ne voit pas pour quels motifs il devrait s’écarter des décisions antérieures; par conséquent, il déterminera si les sièges d’auto pour bébés sont des marchandises utilisées « pour usages domestiques » selon qu’ils sont principalement utilisés à la maison ou dans ses environs immédiats.

71. De l’avis du Tribunal, il est clair que les sièges d’auto pour bébés ne sont pas principalement utilisés à l’intérieur et autour de la maison. Étant donné que les sièges d’auto pour bébés sont conçus pour faciliter le transport de ces derniers, que ce soit en voiture, en poussette ou simplement tenus par la main, il semble clair que toute utilisation d’un siège d’auto pour bébés s’effectue principalement à l’extérieur de la maison ou dans le cadre du transport de bébés assez loin de la maison50 . Même si le siège d’auto pour bébés peut être utilisé à la maison ou dans ses environs immédiats, cette utilisation serait généralement limitée au transfert du bébé dans l’auto et à partir de l’auto51 . Par conséquent, le Tribunal conclut que les sièges d’auto pour bébés et, implicitement, les marchandises en cause ne sont pas utilisés « pour usages domestiques ».

72. Par conséquent, en vertu des Règles canadiennes et de la Règle 1 des Règles générales, le numéro tarifaire approprié est le no 9401.80.90.

DÉCISION

73. Pour les motifs qui précèdent, le Tribunal conclut que les marchandises en cause doivent être classées dans le numéro tarifaire 9401.80.90 à titre d’autres sièges, pour usages autres que domestiques.

74. Par conséquent, l’appel est admis.


1 . L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1 [Loi].

2 . L.C. 1997, c. 36.

3 . Pièce du Tribunal AP-2009-049-07A, onglet 4, para. 4-7.

4 . Ibid.

5 . Pièce du Tribunal AP-2009-049-33.

6 . Transcription de l’audience publique, 16 mars 2010, aux pp. 8-9.

7 . Ibid. aux pp. 9-10.

8 . Le Canada est signataire de la Convention internationale sur le Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises, qui régit le Système harmonisé.

9 . L.C. 1997, c. 36, annexe [Règles générales].

10 . L.C. 1997, c. 36, annexe.

11 . Les Règles 1 à 5 des Règles générales s’appliquent au classement au niveau de la position (c.-à-d. à quatre chiffres). En vertu de la Règle 6 des Règles générales, les Règles 1 à 5 s’appliquent au classement au niveau de la sous-position (c.-à-d. à six chiffres). De la même façon, les Règles canadiennes rendent les Règles 1 à 5 des Règles générales applicables au classement au niveau du numéro tarifaire (c.-à-d. à huit chiffres).

12 . Organisation mondiale des douanes, 2e éd., Bruxelles, 2003 [Avis de classement].

13 . Organisation mondiale des douanes, 4e éd., Bruxelles, 2007 [Notes explicatives].

14 . Canada (Procureur général) c. Suzuki Canada Inc., 2004 CAF 131 (CanLII), para. 13, 17.

15 . Pièce du Tribunal AP-2009-049-09A, para. 17-19; pièce du Tribunal AP-2009-049-22A, para. 16.

16 . Voir Sealand of the Pacific Ltd. c. Sous-M.R.N. (11 juillet 1989), 3042 (TCCE) à la p. 7 où le Tribunal a déclaré ce qui suit : « Il est précisé dans les lois et règlements douaniers que les marchandises doivent être classées selon leur nature au moment de l’importation. Ce principe a été invoqué par la Cour suprême du Canada dans la cause opposant le ministre du Revenu national et MacMillan and Bloedel Ltd. et al., [1965] R.C.S. 366 et a été réitéré à de nombreuses occasions par la suite. »

17 . Pièce du Tribunal AP-2009-049-09A, para. 24; pièce du Tribunal AP-2009-049-22A, para. 17 et 19.

18 . L’ASFC a invoqué les décisions du Tribunal dans Costco Canada Inc. c. Commissaire de l’Agence des douanes et du revenu du Canada (30 novembre 2001), AP-2000-050 (TCCE), Sanofi Canada Inc. c. Sous-M.R.N. (18 décembre 1998), AP-97-117 (TCCE) et Confiserie Regal Inc. c. Sous-M.R.N. (25 juin 1999), AP-98-043, AP-98-044 et AP-98-051 (TCCE).

19 . L’ASFC a invoqué la décision du Tribunal dans Korhani Canada Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (18 novembre 2008), AP-2007-008 (TCCE) et Sigvaris Corporation c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (23 février 2009), AP-2007-009 (TCCE).

20 . Evenflo a invoqué les décisions du Tribunal dans Automed Technologies Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (20 avril 2009), AP-2007-028 (TCCE), Transilwrap of Canada Ltd. c. Commissaire de l’Agence des douanes et du revenu du Canada (11 septembre 2001), AP-2000-018 (TCCE) [Transilwrap] et Oriental Trading (MTL) Ltd. c. Sous-M.R.N. (31 août 1992), AP-91-081 et AP-91-223 (TCCE) [Oriental Trading].

21 . 2004 CAF 346 (CanLII).

22 . Transilwrap à la p. 4.

23 . Oriental Trading à la p. 2.

24 . Transcription de l’audience publique, 16 mars 2010, aux pp. 10-11, 23-25; pièce du Tribunal AP-2009-049-07B, onglet 11 à la p. 10.

25 . Transcription de l’audience publique, 16 mars 2010, aux pp. 45-46; pièce du Tribunal AP-2009-049-26C, onglet 1; pièce du Tribunal AP-2009-049-25A, onglet 4.

26 . Transcription de l’audience publique, 16 mars 2010, aux pp. 26-36; pièce du Tribunal AP-2009-049-26A, onglet 5; pièce du Tribunal AP-2009-049-07A, onglets 8, 9, 26.

27 . Transcription de l’audience publique, 16 mars 2010, aux pp. 153-154, 170.

28 . Pièce du Tribunal AP-2009-049-07A, onglet 15; pièce du Tribunal AP-2009-049-26A, onglet 7.

29 . Pièce du Tribunal AP-2009-049-07A, onglets 3, 14.

30 . Ibid., onglet 3 aux pp. 1-3; pièce du Tribunal AP-2009-049-26A, onglet 10 à la p. 6.

31 . Par exemple, dans Transilwrap à la p. 4, le Tribunal a conclu que « [...] le facteur qui détermine le caractère essentiel est l’importance d’une des matières constitutives en vue de l’utilisation des marchandises en cause. Il existe un lien clair entre l’importance d’une des matières constitutives en vue de l’utilisation des marchandises en cause et le caractère essentiel desdites marchandises. »

32 . Selon Mme Sauernheimer, même si Evenflo, auparavant, a déjà vendu des poussettes et des sièges d’auto pour bébés séparément au Canada, la société ne vend plus de poussettes séparément (voir Transcription de l’audience publique, 16 mars 2010, aux pp. 85-86). Cependant, selon les éléments de preuve au dossier, Evenflo a continué à vendre séparément des poussettes et des sièges d’auto pour bébés aux États-Unis (voir pièce du Tribunal AP-2009-049-25A, onglet 4). De plus, selon les éléments de preuve au dossier, les poussettes de dimensions régulières d’autres fabricants sont encore vendues séparément au Canada (voir pièce du Tribunal AP-2009-049-26A, onglet 10).

33 . Transcription de l’audience publique, 16 mars 2010, aux pp. 143. 171.

34 . L’ASFC a fait référence au Black’s Law Dictionary, 9e éd., où le terme « domestic » est défini de la façon suivante : « [...] lié à la famille ou au ménage <une querelle domestique> » [traduction].

35 . (16 décembre 1992), AP-90-192 (TCCE) [Black & Decker].

36 . (11 janvier 2001), AP-2000-015 (TCCE) [Costco].

37 . Costco à la p. 4.

38 . (25 mai 2004), AP-2003-020 (TCCE) [Ro-Na II].

39 . (17 septembre 2002), AP-2001-065 (TCCE) [Ro-Na I].

40 . Voir pièce du Tribunal AP-2009-049-26B, onglet 4.

41 . Black & Decker à la p. 4.

42 . Costco à la p. 4.

43 . Ro-Na I à la p. 5.

44 Ibid.

45 . Le Tribunal a été convaincu par les éléments de preuve au dossier qui démontraient que les chaises pliantes étaient utilisées pour permettre aux gens de s’asseoir pendant une brève période dans presque tous les endroits, mais surtout à l’extérieur, comme lors d’une manifestation sportive ou dans le cadre d’activités comme le camping.

46 . Ro-Na II au para. 14.

47 . Ibid. au para. 17.

48 . Voir l’étude de l’OMD, pièce du Tribunal AP-2009-049-26B, onglet 4.

49 . Voir, par exemple, les positions n98.04 et 98.07, où les deux termes « personnel » et « domestique » sont utilisés.

50 . Transcription de l’audience publique, 16 mars 2010, aux pp. 11-13, 15.

51 . Ibid. à la p. 13.