M. MINER


M. MINER
c.
PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA
Appel no AP-2009-080

Décision et motifs rendus
le jeudi 20 janvier 2011


TABLE DES MATIÈRES


EU ÉGARD À un appel entendu le 12 octobre 2010, en vertu du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes, L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1;

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada le 21 décembre 2009, concernant une demande de révision aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

M. MINER Appelant

ET

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA Intimé

DÉCISION

L’appel est admis.

Jason W. Downey
Jason W. Downey
Membre présidant

Dominique Laporte
Dominique Laporte
Secrétaire

Lieu de l’audience : Ottawa (Ontario)

Date de l’audience : Le 12 octobre 2010

Membre du Tribunal : Jason W. Downey, membre présidant

Conseiller juridique pour le Tribunal : Eric Wildhaber

Directeur de la recherche : Matthew Sreter

Agent de la recherche : Gary Rourke

Gestionnaire, Bureau du greffe : Michel Parent

Agent du greffe : Ekaterina Pavlova

PARTICIPANTS :

Appelant Conseiller/représentant
M. Miner Marc Flynn
Intimé Conseiller/représentant
Président de l’Agence des services frontaliers du Canada Peter Nostbakken

Veuillez adresser toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
Standard Life Centre
333, avenue Laurier Ouest
15e étage
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel :

EXPOSÉ DES MOTIFS

CONTEXTE

1. Le présent appel est interjeté par M. M. Miner auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes 1 à l’égard d’une décision rendue le 21 décembre 2009 par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) concernant une demande de révision aux termes du paragraphe 60(4).

2. La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si deux tubes en bois (les marchandises en cause), qui ont été retenus par l’ASFC le 27 juillet 2009, sont correctement classés dans le numéro tarifaire 9898.00.00 de l’annexe du Tarif des douanes 2 à titre d’armes prohibées.

HISTORIQUE DES PROCÉDURES

3. Au moment de la tentative d’importation des marchandises en cause au Canada, l’ASFC a classé celles-ci dans le numéro tarifaire 9898.00.00 en se fondant sur la conclusion qu’elles constituent des armes ou des dispositifs prohibés au sens du paragraphe 84(1) du Code criminel 3 . L’ASFC a par la suite retenu les marchandises en cause conformément au paragraphe 136(1) du Tarif des douanes, qui interdit l’importation des marchandises visées par le numéro tarifaire 9898.00.00. Le 13 octobre 2009, M. Miner demandait une révision du classement tarifaire des marchandises en cause. Le 21 décembre 2009, aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi, l’ASFC confirmait que les marchandises en cause sont correctement classées dans le numéro tarifaire 9898.00.00, concluant qu’elles sont des instruments semblables à l’instrument communément appelé « Yaqua Blowgun » (sarbacane Yaqua).

4. Le 22 mars 2010, M. Miner interjetait appel devant le Tribunal.

5. Le Tribunal a décidé de tenir une audience sur pièces conformément aux règles 25 et 25.1 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur 4 . Un avis à cet effet a été publié dans la Gazette du Canada 5 du 11 septembre 2010, et l’audience sur pièces a été tenue le 12 octobre 2010.

MARCHANDISES EN CAUSE

6. Les marchandises en cause sont des tubes creux en bois, ouverts aux deux bouts. Le plus grand des deux mesure environ 260,35 cm, a un diamètre externe d’environ 6,35 à 6,98 cm et pèse environ 2,35 kg. Le plus petit mesure environ 79,75 cm, a un diamètre externe d’environ 5,38 cm à 6,35 cm et pèse environ 0,63 kg6 .

7. L’ASFC a déposé les marchandises en cause à titre de pièces7 . Le Tribunal a examiné les marchandises en cause au cours de l’audience sur pièces.

CADRE JURIDIQUE

8. Les dispositions législatives et réglementaires pertinentes dans le présent appel sont les suivantes.

9. L’article 136 du Tarif des douanes prévoit ce qui suit :

(1) The importation of goods of tariff item No. 9897.00.00, 9898.00.00 or 9899.00.00 is prohibited.

(2) Subsection 10(1) does not apply in respect of goods referred to in subsection (1).

(1) L’importation des marchandises des nos tarifaires 9897.00.00, 9898.00.00 ou 9899.00.00 est interdite.

(2) Le paragraphe 10(1) ne s’applique pas aux marchandises visées au paragraphe (1).

10. Le numéro tarifaire 9898.00.00 prévoit ce qui suit :

Firearms, prohibited weapons, restricted weapons, prohibited devices, prohibited ammunition and components or parts designed exclusively for use in the manufacture of or assembly into automatic firearms, in this tariff item referred to as prohibited goods . . . .

For the purposes of this tariff item,

. . . 

(b) ”automatic firearm”, “licence”, “prohibited ammunition”, “prohibited device”, “prohibited firearm”, prohibited weapon, restricted firearm and “restricted weapon” have the same meanings as in subsection 84(1) of the Criminal Code . . . .

Armes à feu, armes prohibées, armes à autorisation restreinte, dispositifs prohibés, munitions prohibées et éléments ou pièces conçus exclusivement pour être utilisés dans la fabrication ou l’assemblage d’armes automatiques, désignés comme « marchandises prohibées » au présent numéro tarifaire [...]

Pour l’application du présent numéro tarifaire :

[...]

b) « arme à autorisation restreinte », « arme à feu à autorisation restreinte », « arme à feu prohibée », « arme automatique », « arme prohibée », « dispositif prohibé », « munitions prohibées » et « permis » s’entendent au sens du paragraphe 84(1) du Code criminel [...]

11. L’article 2 du Code criminel définit « arme » comme suit :

“weapon” means any thing used, designed to be used or intended for use

(a) in causing death or injury to any person, or

(b) for the purpose of threatening or intimidating any person

and, without restricting the generality of the foregoing, includes a firearm;

« arme » Toute chose conçue, utilisée ou qu’une personne entend utiliser pour soit tuer ou blesser quelqu’un, soit le menacer ou l’intimider. Sont notamment visées par la présente définition les armes à feu.

12. Le paragraphe 84(1) du Code criminel définit « arme prohibée » comme suit :

“prohibited weapon” means

. . .

(bany weapon, other than a firearm, that is prescribed to be a prohibited weapon;

« arme prohibée »

[...]

b) toute arme — qui n’est pas une arme à feu — désignée comme telle par règlement.

13. Aux termes de l’article 117.15 du Code criminel, le gouverneur en conseil peut prendre toute mesure d’ordre réglementaire établissant quelles armes seront des armes prohibées8 . Ce pouvoir a été exercé pour l’adoption de l’article 4 du Règlement désignant des armes à feu, armes, éléments ou pièces d’armes, accessoires, chargeurs, munitions et projectiles comme étant prohibés ou à autorisation restreinte 9 , qui prévoit ce qui suit :

The weapons listed in Part 3 of the schedule are prohibited weapons for the purposes of paragraph (b) of the definition “prohibited weapon” in subsection 84(1) of the Criminal Code.

Les armes énumérées à la partie 3 de l’annexe sont désignées des armes prohibées pour l’application de l’alinéa b) de la définition de « arme prohibée » au paragraphe 84(1) du Code criminel.

14. La partie 3 de l’annexe du Règlement prévoit ce qui suit :

Former Prohibited Weapons Order, No. 6

Ancien Décret sur les armes prohibées (no 6)

12. The device commonly known as “Yaqua Blowgun”, being a tube or pipe designed for the purpose of shooting arrows or darts by the breath, and any similar device.

12. L’instrument communément appelé « Yaqua Blowgun », soit un tube ou tuyau conçu pour lancer des flèches ou fléchettes par la force du souffle, et tout instrument semblable.

15. Par conséquent, pour que les marchandises en cause soient considérées comme des armes prohibées et classées dans le numéro tarifaire 9898.00.00, le Tribunal doit déterminer si elles répondent à la définition d’« arme prohibée » aux termes du paragraphe 84(1) du Code criminel. Il n’est pas allégué que les marchandises en cause sont des « armes à feu ». Dans ce cas, pour être considérée comme prohibée, une arme doit être précisément désignée comme telle dans la loi. À cet égard, l’Ancien Décret sur les armes prohibées (no 6) prévoit que l’instrument communément appelé « sarbacane Yaqua » et tout instrument semblable constitue une arme prohibée aux fins de l’alinéa 84(1)b) du Code criminel.

POSITION DES PARTIES

16. M. Miner soutient que les marchandises en cause sont essentiellement des souvenirs et qu’aucune munition (flèches ou fléchettes) ni aucun autre article n’a été acheté afin d’utiliser les marchandises en cause comme des armes. Il a expliqué qu’après avoir passé une semaine en Équateur en compagnie des membres d’une tribu indigène recluse connue sous le nom de Waorani et avoir vécu parmi eux conformément à leurs coutumes, un ancien de la tribu lui a offert le plus long des deux tubes en guise de souvenir de son passage. Quant au deuxième tube, soit le plus court, M. Miner affirme l’avoir acheté dans un marché où de tels articles sont vendus aux touristes en guise de jouets pour enfant ou de souvenirs.

17. M. Miner a décrit l’instrument le plus long comme une « réplique de sarbacane Waorani » [traduction], celle-ci ayant possiblement été utilisée, par le passé, par des membres de la tribu Waorani pour chasser des singes-araignées. M. Miner soutient toutefois que cet instrument a gauchi ou s’est courbé avec le temps et que l’âme de la chambre a perdu sa surface lisse à son extrémité, si bien qu’une fléchette ne pourrait plus voyager le long du conduit.

18. M. Miner a été avisé que l’instrument le plus long ne pouvait être restauré, réparé, recourbé ou refaçonné de manière à le rendre utilisable comme arme. Quant à l’instrument le plus petit, désigné comme une « sarbacane-jouet » [traduction], M. Miner soutient qu’il n’est pas du tout conçu pour chasser, mais plutôt pour être utilisé comme jouet apprécié des enfants.

19. M. Miner affirme que le matériel nécessaire pour réparer l’instrument le plus long ou pour fabriquer une fléchette à utiliser comme munition, ou encore pour fabriquer une fléchette toxique qu’utiliseraient les Waorani, n’est ni indigène, ni disponible au Canada. Selon M. Miner, les marchandises en cause ne sont pas des choses conçues, utilisées ou qu’une personne entend utiliser pour soit tuer ou blesser quelqu’un soit le menacer ou l’intimider. Il soutient donc que les marchandises en cause ne sont pas des « armes » au sens de l’article 2 du Code criminel.

20. M. Miner soutient également que les marchandises en cause présentent d’importantes différences par rapport à une sarbacane Yaqua. Premièrement, il soutient que le terme « sarbacane Yaqua » désigne une sarbacane créée par la tribu Yaqua du Pérou, tandis que les marchandises en cause ont été créées par la tribu Waorani de l’Équateur. Deuxièmement, il affirme que les sarbacanes Yaqua peuvent propulser des munitions avec beaucoup de force et infliger des blessures, alors que les marchandises en cause n’ont pas cette capacité.

21. Pour les motifs susmentionnés, M. Miner soutient que les marchandises en cause ne sont pas visées par la définition d’« arme prohibée » aux termes du paragraphe 84(1) du Code criminel et qu’elles ne peuvent donc pas être classées dans le numéro tarifaire 9898.00.00 et doivent être admises à l’importation au Canada.

22. L’ASFC soutient que les marchandises en cause sont visées par la définition d’arme prohibée aux termes du paragraphe 84(1) du Code criminel et que, par conséquent, conformément au paragraphe 136(1) du Tarif des douanes, elles sont classées dans le numéro tarifaire 9898.00.00 et leur importation au Canada est donc interdite. L’ASFC soutient que les marchandises en cause sont des tubes ou des tuyaux conçus pour lancer des flèches ou fléchettes par la force du souffle et sont donc visées par la définition d’arme prohibée se trouvant dans l’Ancien Décret sur les armes prohibées (no 6).

23. En réponse à l’argument de M. Miner, l’ASFC soutient que l’instrument le plus long n’est pas courbé et est un tube fait à partir d’un morceau de bois massif droit qui a déjà été utilisé comme arme de chasse par le passé. Cet argument repose sur l’allégation de M. Miner selon laquelle la « [...] réplique de sarbacane Waorani n’était plus utilisée pour chasser [...] » [traduction]10 et sur la déduction que celle-ci a déjà été une arme quelconque. L’ASFC allègue que l’instrument peut toujours être utilisé comme arme, en lançant des fléchettes par la force du souffle, et qu’il peut causer des blessures graves.

24. En réponse à l’argument de M. Miner selon lequel l’instrument plus petit est un jouet, l’ASFC affirme que cet argument n’est pas pertinent puisque la définition d’« arme prohibée » ne comporte aucune exception fondée sur la longueur du tube. Il suffit que celui-ci respecte la définition d’« [...] un tube ou tuyau conçu pour lancer des flèches ou fléchettes par la force du souffle [...] ». Également en réponse à un argument de M. Miner, l’ASFC soutient aussi que la question de savoir si le matériel pour fabriquer une fléchette afin de l’utiliser comme munition ou la rendre toxique est indigène ou disponible au Canada n’est pas pertinente puisque l’Ancien Décret sur les armes prohibées (no 6) ne contient aucune mention quant aux munitions utilisées avec une sarbacane.

ANALYSE

25. Les questions de faits et de droit soulevées par M. Miner relativement à la décision de l’ASFC sont suffisantes pour convaincre le Tribunal que le présent appel est fondé. Ainsi, le Tribunal n’est pas convaincu que les marchandises en cause sont visées par les définitions prévues à l’Ancien Décret sur les armes prohibées (no 6), qu’elles peuvent être définies comme des « armes » au sens de l’article 2 du Code criminel ni qu’elles sont visées par la définition d’« arme prohibée » énoncée au paragraphe 84(1) du Code criminel. Par conséquent, l’appel est admis.

26. Au cœur de la présente affaire figure la question des éléments de preuve dont dispose le Tribunal relativement aux caractéristiques pertinentes des marchandises en cause et quant à savoir si chacune des marchandises en cause constitue effectivement une « arme » et, de plus, une « arme prohibée ». À cette fin, le Tribunal a examiné tous les éléments de preuve au dossier de même que l’article 2 du Code criminel et le texte de l’Ancien Décret sur les armes prohibées (no 6) afin de déterminer si ceux-ci s’appliquent aux marchandises en cause.

27. Tel qu’il est discuté plus bas, cet exercice a laissé de nombreuses questions sans réponse puisque plusieurs aspects de la législation ne peuvent être dissociés des questions de preuve, particulièrement en ce qui a trait à la nature, à la conception et à la fonction des marchandises en cause. Dans toute procédure, les parties doivent étayer leurs allégations et leurs arguments à l’aide d’éléments de preuve, lesquels peuvent être présentés sous forme de simples faits ou, à l’occasion, à l’aide de moyens plus complexes, tels qu’une expertise.

28. Le Tribunal fait remarquer que l’ASFC n’a déposé à l’appui de ses allégations aucun élément de preuve technique ou fonctionnel, ni aucune expertise concernant les marchandises en cause. Des décisions antérieures du Tribunal portant sur des marchandises similaires ont fait ressortir l’importance de fournir au Tribunal des éléments de preuve concernant les caractéristiques des marchandises en cause, y compris la description11 , la fonctionnalité ou la performance des présumées armes prohibées12 .

29. Une telle expertise est souvent nécessaire pour s’assurer que les marchandises satisfont réellement aux conditions établies par la législation afin que leur importation soit interdite. En fait, la législation qui s’applique au présent appel pose des conditions particulières qui sont intrinsèquement liées à l’administration des éléments de preuve ainsi qu’à la démonstration de certains faits qui ne peuvent être négligés.

30. Tel qu’il sera examiné dans les paragraphes qui suivent, une lecture de l’Ancien Décret sur les armes prohibées (no 6), en particulier, amène inévitablement le lecteur à reconnaître que les 27 mots de ladite disposition énoncent trois conditions distinctes. En effet, pour que cette disposition s’applique aux marchandises en cause, le Tribunal doit pouvoir : 1) soit identifier un « instrument communément appelé [“sarbacane Yaqua”] »; 2) soit s’assurer que cet instrument est « un tube ou tuyau conçu pour lancer des flèches ou fléchettes par la force du souffle »; 3) soit déterminer que l’instrument est compris dans la définition de « tout instrument semblable ».

31. Dans son analyse de la législation, le Tribunal s’est appuyé sur les principes d’interprétation des lois, principalement sur la « règle moderne » [traduction], selon laquelle il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur13 .

32. La première condition de l’Ancien Décret sur les armes prohibées (no 6) a trait à l’identification d’un instrument communément appelé « sarbacane Yaqua ». Cette condition soulève en elle-même deux questions distinctes. La première a trait au sens qu’il faut donner au terme « sarbacane Yaqua », tandis que la seconde oblige le lecteur à se demander si des « faits notoires » peuvent éclairer le Tribunal en l’espèce.

33. Il importe de mentionner que les termes « Yaqua » et « sarbacane » ne sont spécifiquement définis, soit individuellement ou ensemble, ni dans le Code criminel ni dans quelconque législation connexe. Le Tribunal présume que le législateur choisit soigneusement ses mots et qu’il visait donc à identifier expressément la sarbacane de type « Yaqua » lorsqu’il a adopté la disposition. Dans le cas contraire, il aurait simplement utilisé le terme « sarbacane » sans autre qualificatif. Outre certains arguments mis de l’avant par les parties, aucun élément de preuve n’a été présenté au Tribunal quant à savoir ce qui attribue à un tel instrument des qualités « Yaqua ».

34. Quant au terme « sarbacane », le Tribunal a consulté les définitions données par différents dictionnaires afin de vérifier lui-même ce qui définit un tel instrument, mais aucune de ces vérifications n’a été particulièrement concluante en raison des nombreuses variantes. Ces vérifications ont toutefois révélé qu’une fonctionnalité particulière doit être démontrée : la capacité de propulser un projectile par la force du souffle14 . Or, l’Ancien Décret sur les armes prohibées (no 6) semble très précis quant au type exact de projectile auquel la conception et la fonctionnalité doivent être destinées puisqu’il limite ces projectiles aux « flèches ou fléchettes » seulement. Aucune démonstration de cette nature n’a été faite dans la présente cause.

35. De plus, le Tribunal n’est pas d’avis qu’il peut s’appuyer sur la notoriété des mots pour savoir ce que signifie en fait « Yaqua » ou « sarbacane », que ces termes soient utilisés séparément ou ensemble. Le sens du mot « Yaqua » n’est aucunement notoire. Quant au terme « sarbacane », la recherche susmentionnée effectuée dans les principaux dictionnaires est suffisante pour illustrer comment de nombreuses variantes quant à la forme, la conception et la fonction font en sorte qu’il est difficile de définir clairement la nature véritable d’un tel instrument. Il y a également absence de notoriété en ce qui concerne ce terme.

36. Par conséquent, en sus du défaut d’avoir informé le Tribunal de la raison pur laquelle les marchandises en cause sont de prétendues « armes » au sens du Code criminel, l’ASFC n’a pas autrement précisé ce que constitue une « sarbacane Yaqua », ni même comment celle-ci fonctionne.

37. Cette situation pose alors certaines difficultés quant à la deuxième condition de l’Ancien Décret sur les armes prohibées (no 6), qui exige que le Tribunal détermine si les marchandises en cause constituent « [...] un tube ou tuyau conçu pour lancer des flèches ou fléchettes par la force du souffle [...] » [nos italiques]. Tel qu’il a été discuté plus haut, le Tribunal a reçu des parties des arguments contradictoires sur cette question. Encore une fois, en l’absence d’éléments de preuve précis, le Tribunal ne peut conclure que les marchandises en cause ont été « conçues » précisément dans le but indiqué dans l’Ancien Décret sur les armes prohibées (no 6). La conception et le but doivent être prouvés; ils ne peuvent découler de déductions.

38. Le Tribunal a également vérifié si l’Ancien Décret sur les armes prohibées (no 6) pouvait, à même son corps textuel, fournir une définition de ce que constitue une arme prohibée.

39. Bien que définitoires, le Tribunal ne considère pas que les mots « un tube ou tuyau conçu pour lancer des flèches ou fléchettes par la force du souffle » définissent, en eux-mêmes, ce qu’est une « sarbacane Yaqua ». Le Tribunal considère que ces mots énoncent plutôt des exigences descriptives et fonctionnelles précises quant à ce que l’arme appelée « sarbacane Yaqua » doit représenter et accomplir. Étant donné la nature prohibitive de la mesure, le Tribunal ne peut toutefois lui accorder un sens aussi large et général que le souhaiterait l’ASFC, même en tenant compte des intérêts supérieurs de la société. S’il n’était pas de cet avis, le Tribunal risquerait de considérer diverses sections de tuyauterie (même un tire-pois15 ) comme des dispositifs prohibés. Le Tribunal ne croit pas que le législateur souhaitait formuler une définition aussi large, à la limite de l’absurde.

40. Quant à la troisième condition de l’Ancien Décret sur les armes prohibées (no 6), à savoir si les marchandises en cause constituent « tout instrument semblable », le Tribunal conclut qu’il ne peut se prononcer sur la ressemblance à l’instrument de référence (la « sarbacane Yaqua ») puisque cet instrument de référence n’a pas lui-même été clairement décrit. À vrai dire, en l’absence d’éléments de preuve précis à sa disposition en l’espèce, le Tribunal n’est pas en mesure de déterminer si les marchandises en cause sont semblables à une « sarbacane Yaqua », comme le prétend l’ASFC.

41. Le Tribunal comprend que le législateur peut avoir été intentionnellement vague lorsqu’il a adopté l’Ancien Décret sur les armes prohibées (no 6). Si telle était l’intention du législateur, cela signifie que l’ASFC doit démontrer convenablement au Tribunal que l’interdiction stipulée dans l’Ancien Décret sur les armes prohibées (no 6) doit s’appliquer dans de telles circonstances.

42. Encore une fois, le Tribunal ne peut, de lui-même, simplement s’appuyer sur des suppositions afin de déterminer si certaines marchandises en cause possèdent les caractéristiques descriptives et fonctionnelles entraînant l’application de cette disposition. En l’espèce, si les marchandises en cause ont effectivement déjà possédé de telles caractéristiques, aucun élément de preuve au dossier ne montre que ces caractéristiques existaient au moment de l’importation, c’est-à-dire au moment où les marchandises en cause doivent être évaluées.

43. En l’absence de tels éléments de preuve, le Tribunal est d’avis qu’il ne peut souscrire aux allégations ou aux arguments non étayés selon lesquels les marchandises en cause satisfont aux exigences de la législation interdisant leur importation au Canada. Agir ainsi ne serait que spéculation.

44. Le Tribunal souligne que tout au long de son analyse, il a tenu compte de l’article 12 de la Loi d’interprétation 16 et, en particulier, du principal objectif du législateur consistant à interdire l’importation de dispositifs dangereux. En fin de compte, toutefois, le Tribunal ne peut conclure que les marchandises en cause sont visées par la définition de « sarbacane Yaqua » énoncée dans l’Ancien Décret sur les armes prohibées (no 6).

45. Nonobstant ce qui précède, le Tribunal a tout de même examiné avec soin les marchandises en cause afin d’évaluer si elles sont visées par la législation en cause.

46. Lors de son inspection visuelle des marchandises en cause, le Tribunal les a examinées globalement et les a manipulées, notamment en examinant leur extérieur et en regardant à l’intérieur (c.-à-d. leur âme) en les tenant devant une source de lumière.

47. Cette inspection a permis au Tribunal d’observer que l’instrument le plus long semblait effectivement droit de l’extérieur. Toutefois, une inspection de son âme a révélé l’existence d’une courbure suffisamment importante pour obstruer, du moins partiellement, une ligne de visée claire d’un bout à l’autre de l’intérieur de l’instrument. Le Tribunal n’a observé aucune courbure évidente dans l’instrument plus petit. En outre, les âmes des deux instruments étaient partiellement obstruées par ce qui semblait être l’une ou plus des matières suivantes : du sable, de la moisissure, des toiles d’araignée, ainsi qu’une autre substance étrangère dont la consistance et la résistance n’était pas vérifiables. Enfin, les parois des âmes des deux instruments semblaient inégales, fissurées et fendillées.

48. En l’absence de tout élément de preuve (obtenu d’un expert ou autrement) sur le caractère utilisable de ces instruments (tel qu’un rapport d’essai des marchandises en cause par un laboratoire judiciaire), et à la lumière des différents défauts qu’ils présentent (courbure, âmes partiellement obstruées, parois inégales ou fissurées), le Tribunal arrive à la conclusion, par prépondérance des probabilités, qu’il ne lui est pas possible de déterminer si un projectile tel qu’une flèche ou une fléchette, peut être propulsé à travers les marchandises en cause par le souffle.

49. À cet égard, le Tribunal n’est pas convaincu que les marchandises en cause peuvent blesser ou tuer quelqu’un ou peuvent être utilisées pour menacer ou intimider quelqu’un et ne croit donc pas qu’elles peuvent être classées comme des « armes » aux termes de l’article 2 du Code criminel. En fait, en tenant compte de leur état, le Tribunal ne voit pas comment l’un ou l’autre des instruments pourraient sérieusement être perçus comme des instruments susceptibles de menacer ou d’intimider quiconque.

50. Par conséquent, dans les circonstances de l’espèce, le Tribunal conclut que les marchandises en cause ne sont pas visées par l’interdiction énoncée à l’article 136 du Tarif des douanes.

DÉCISION

51. Pour les motifs qui précèdent, l’appel est admis.


1 . L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1 [Loi].

2 . L.C. 1997, c. 36.

3 . L.R.C. 1985, c. C-46.

4 . D.O.R.S./91-499.

5 . C. Gaz. 2010.I.2451.

6 . Pièce du Tribunal AP-2009-080-05A au para. 3.

7 . Pièces B-1 et B-2.

8 . L’article 117.15 du Code criminel prévoit ce qui suit : « “(1) Sous réserve du paragraphe (2), le gouverneur en conseil peut, par règlement, prendre toute mesure d’ordre réglementaire prévue ou pouvant être prévue par la [partie III du Code criminel]. »

9 . D.O.R.S./98-462 [Règlement].

10 . Pièce du Tribunal AP-2009-080-03 au para. 13.

11 . Gordon Schebek c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (18 mai 2006), AP-2005-009 (TCCE).

12 . Walter Seaton c. ommissaire de l’Agence des douanes et du revenu du Canada (30 janvier 2003), AP-2002-020 (TCCE) à la p. 3.

13 . E. Driedger, Construction of Statutes, 2e éd., Toronto, Butterworths, 1983, à la p. 87. Cette règle a été citée d’innombrables fois par les cours canadiennes. Sa plus récente mention par la Cour suprême du Canada est dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12 au para. 37.

14 . Merriam-Webster’s Collegiate Dictionary, 10e éd., s.v. « blowgun » : « un tube à travers lequel un projectile (tel qu’une fléchette) peut être propulsé par la force du souffle » [traduction]; Canadian Oxford Dictionary, 2e éd., s.v. « blowgun » : « une arme de chasse consistant en un tube par lequel des flèches ou fléchettes sont propulsées par le souffle » [caractères gras ajoutés pour souligner, traduction]; Webster’s New World Dictionary of American English, Third College Edition., s.v. « blowgun » : « une longue arme en forme de tube à travers laquelle on souffle des fléchettes ou des plombs » [caractères gras ajoutés, traduction]; Gage Canadian Dictionary, 2e éd., s.v. « blowgun » : « 1. un tube à travers lequel une personne souffle des flèches ou des fléchettes. 2. tire-pois » [traduction]; Webster’s Third New International Dictionary, s.v. « blowgun » : « 1 : un tube (de canne ou de roseau par exemple), généralement d’une longueur d’environ 10 pieds, à travers lequel un projectile (tel qu’une fléchette empoisonnée) peut être propulsé par la force du souffle » [traduction].

15 . Gage Canadian Dictionary, 2e éd., s.v. « blowgun » : « 1. un tube à travers lequel une personne souffle des flèches ou des fléchettes. 2. tire-pois » [traduction].

16 . L.R.C. 1985, c. I-21.