R. A. HAYES


R. A. HAYES
c.
PRÉSIDENT DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA
Appel no AP-2010-016

Décision et motifs rendus
le mercredi 15 juin 2011


TABLE DES MATIÈRES


EU ÉGARD À un appel entendu le 13 avril 2011 en vertu du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes, L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1;

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada le 17 mars 2010, concernant une demande de révision aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

R. A. HAYES Appelant

ET

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA Intimé

DÉCISION

L’appel est rejeté.

Jason W. Downey
Jason W. Downey
Membre présidant

Dominique Laporte
Dominique Laporte
Secrétaire

Lieu de l’audience : Vancouver (Colombie-Britannique)

Date de l’audience : Le 13 avril 2011

Membre du Tribunal : Jason W. Downey, membre présidant

Conseiller juridique pour le Tribunal : Eric Wildhaber

Directeur de la recherche : Audrey Chapman

Agent de la recherche : Denise Bergeron

Gestionnaire, Bureau du greffe : Michel Parent

Agent principal du greffe : Sarah MacMillan

PARTICIPANTS :

Appelant Conseiller/représentant
R. A. Hayes R. A. Hayes
Intimé Conseiller/représentant
Président de l’Agence des services frontaliers du Canada Paul Battin

TÉMOIN :

Lisa Tanasichuk
Directeur, Opérations régionales (Pacifique)
CORCAN

Veuillez adresser toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
Standard Life Centre
333, avenue Laurier Ouest
15e étage
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel :

EXPOSÉ DES MOTIFS

CONTEXTE

1. Le présent appel est interjeté par M. R. A. Hayes auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes 1 à l’égard d’une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) datée du 17 mars 2010 concernant une demande de révision aux termes du paragraphe 60(4).

2. La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si certains vêtements fabriqués par des prisonniers aux États-Unis (les marchandises en cause) sont correctement classés à titre d’articles fabriqués ou produits, en tout ou en partie, par des prisonniers, c.-à-d. de marchandises prohibées, dans le numéro tarifaire 9897.00.00 de l’annexe du Tarif des douanes 2 , comme l’a déterminé l’ASFC.

HISTORIQUE DES PROCÉDURES

3. Le 23 octobre 2009, M. Hayes demandait une décision anticipée concernant le classement tarifaire des marchandises en cause3 .

4. Le 1er décembre 2009, l’ASFC rendait une décision anticipée et classait les marchandises en cause à titre de marchandises prohibées dans le numéro tarifaire 9897.00.00 aux termes de l’article 43.1 de la Loi 4 .

5. Le 9 février 2010, M. Hayes demandait une révision du classement tarifaire des marchandises en cause aux termes du paragraphe 60(2) de la Loi 5 .

6. Le 19 février 2010, l’ASFC rendait une décision provisoire dans le but d’informer M. Hayes qu’elle confirmait sa décision de classer les marchandises en cause dans le numéro tarifaire 9897.00.00 à titre de marchandises prohibées, aux termes du paragraphe 136(1) du Tarif des douanes 6 .

7. Le 17 mars 2010, l’ASFC rendait une décision aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi, confirmant que les marchandises en cause sont prohibées et correctement classées dans le numéro tarifaire 9897.00.007 .

8. Le 16 juin 2010, M. Hayes déposait un avis d’appel auprès du Tribunal aux termes de l’article 67 de la Loi 8 .

9. Le 16 août 2010, M. Hayes déposait son mémoire auprès du Tribunal9 .

10. Le 15 octobre 2010, l’ASFC déposait auprès du Tribunal son mémoire et son recueil des sources invoquées10 .

11. Le 26 octobre 2010, M. Hayes demandait la tenue d’une audience pour être entendu par le Tribunal11 .

12. Le 13 décembre 2010, le Tribunal avisait les parties qu’une audience serait tenue dans cette affaire, à Vancouver (Colombie-Britannique), le 15 février 2011. Le 22 décembre 2010, le Tribunal avisait les parties qu’il devait fixer une nouvelle date pour des raisons administratives. Le 27 janvier 2011, le Tribunal avisait les parties que la nouvelle date d’audience serait le 13 avril 2011.12

13. L’audience a eu lieu le 13 avril 2011 à Vancouver. M. Hayes a appelé à comparaître Mme Lisa Tanasichuk, directeur, Opérations régionales (Pacifique), CORCAN. CORCAN est un programme de réadaptation du Service correctionnel du Canada.

MARCHANDISES EN CAUSE

14. Les marchandises en cause sont décrites comme des vêtements de travail, fabriqués en denim 100 p. 100 coton, et sont commercialisés sous la marque « Prison Blues ». La gamme de vêtements Prison Blues comprend plusieurs articles, y compris des blue-jeans, des vestes de travail, des blousons, des chemises de travail, des sweat-shirts, des t-shirts, des chapeaux, etc.

15. Le fait que les marchandises en cause sont fabriquées par des prisonniers n’est pas contesté. En particulier, elles sont fabriquées par des prisonniers de l’Eastern Oregon Correctional Institution aux États-Unis sous la dénomination « Oregon Corrections Enterprise »13 .

16. Des exemplaires des marchandises en cause ont été déposés comme pièces auprès du Tribunal au moment de l’audience.

DISPOSITIONS PERTINENTES DU TARIF DES DOUANES

17. Le numéro tarifaire 9897.00.00 prévoit ce qui suit :

Chapitre 98

DISPOSITIONS DE CLASSIFICATION SPÉCIALE - NON COMMERCIALES

[...]

II. -DISPOSITIONS D’INTERDICTION

9897.00.00 [...]

Articles fabriqués ou produits, en tout ou en partie, par des prisonniers;

[...]

18. La note de chapitre pertinente du chapitre 98 prévoit ce qui suit :

1. Les dispositions du présent Chapitre ne sont pas régies par la règle de spécificité de la Règle générale interprétative 3 a). Les marchandises qui sont décrites dans une disposition du présent Chapitre peuvent être classées dans ladite disposition si les conditions et les exigences de celle-ci et de tout autre règlement applicable sont respectées.

19. L’article 132 du Tarif des douanes prévoit ce qui suit :

132. (1) Sur recommandation du ministre, le gouverneur en conseil peut, par règlement :

[...]

m) pour l’application du no tarifaire 9897.00.00 :

(i) modifier ce numéro pour soustraire à son application des marchandises fabriquées ou produites, en tout ou en partie, par des prisonniers, ou fixer les conditions d’une telle exclusion,

[...]

20. L’article 136 du Tarif des douanes prévoit ce qui suit :

(1) L’importation des marchandises des nos tarifaires 9897.00.00, 9898.00.00 ou 9899.00.00 est interdite.

(2) Le paragraphe 10(1) ne s’applique pas aux marchandises visées au paragraphe (1).

21. L’article 1 du Règlement de 1998 sur les articles fabriqués ou produits par des prisonniers 14 prévoit ce qui suit :

EXCLUSION

1. Le no tarifaire 9897.00.00 du Tarif des douanes est modifié pour soustraire à son application les articles fabriqués ou produits en tout ou en partie par des prisonniers à la condition qu’ils soient importés pour servir uniquement à l’usage personnel et non à la vente ou à des fins commerciales ou professionnelles :

a) soit par un non-résident du Canada;

b) soit par un résident du Canada qui les déclare lors de son retour au Canada.

ANALYSE

22. Le cadre législatif et réglementaire énoncé ci-dessus indique clairement que l’importation au Canada de marchandises fabriquées à l’étranger, en tout ou en partie par des prisonniers, est interdite à moins que les articles soient importés pour servir uniquement à l’usage personnel. Toute importation d’articles pour servir « à la vente ou à des fins commerciales ou professionnelles » est interdite (l’interdiction).

23. M. Hayes indique que les marchandises en cause sont « [...] entièrement fabriquées à l’Eastern Oregon State Correctional Facility, à Pendleton, en Oregon [...] » [traduction], et que « [l]es prisonniers qui travaillent dans cette installation sont rémunérés selon les normes de l’industrie [...] »15 [traduction].

24. À ce titre, les marchandises en cause sont des articles entièrement fabriqués par des prisonniers.

25. M. Hayes indique qu’il s’est rendu dans l’Oregon où il a acheté des échantillons de divers articles de vêtements « Prison Blues » directement d’Oregon Corrections Enterprises et a, par la suite, rapporté ces achats au Canada. Aucun document n’indique qu’une déclaration a été faite à l’égard de ces marchandises au moment de l’importation ou à une date ultérieure.

26. À l’audience, M. Hayes a déclaré qu’au moment où il a importé ces marchandises, elles devaient servir à un usage personnel. Les droits de douane et la taxe d’accise, le cas échéant, ne semblent pas avoir été payés au moment de l’importation ou à une date ultérieure. Ces marchandises sont celles que le Tribunal a examinées à titre de pièces à l’audience.

27. À l’audience, M. Hayes a précisé qu’il n’avait pas l’intention de se servir des marchandises strictement pour son usage personnel. Il a déclaré avoir acheté les divers articles de marque « Prison Blues » afin de s’en servir à titre d’échantillons lorsqu’il rencontrerait des détaillants au Canada qui pourraient alors être intéressés à passer une commande auprès de lui pour de telles marchandises16 . Il a expliqué que, s’il arrivait à intéresser ces détaillants, il en achèterait une plus grande quantité (une première commande de 15 000 $ à 20 000 $) qu’il distribuerait ensuite sur le marché. En résumé, et dans les propres mots de M. Hayes, il est un « entrepreneur en herbe »17 [traduction] qui « [...] essaie de lancer [sa] propre compagnie d’import-export [...] »18 [traduction].

28. Afin de dissiper toute confusion, il n’est pas pertinent, à des fins de classement tarifaire, que les acheteurs ultimes des marchandises en cause utilisent ou non ces marchandises à des fins personnelles après leur vente au détail. Ce qui est important, par contre, est le fait que M. Hayes, en tant qu’importateur éventuel inscrit au dossier, a clairement l’intention d’importer les marchandises en cause à des fins commerciales de plus grande envergure, c.-à-d. de revente des marchandises au Canada.

29. À ce titre, M. Hayes tente de vendre, au Canada, des marchandises importées qui sont fabriquées par des prisonniers étrangers. Tel qu’indiqué ci-dessus, l’importation de telles marchandises au Canada à des fins commerciales, tel que désire le faire M Hayes, est interdite. En d’autres mots, le modèle d’affaires de M. Hayes est irréalisable parce qu’il ne peut légalement avoir accès au produit qu’il a l’intention de vendre. M. Hayes a indiqué qu’Oregon Corrections Enterprises l’avait d’ailleurs prévenu que cette question pourrait causer un problème19 .

30. M. Hayes soutient que l’interdiction ne devrait pas s’appliquer à son modèle d’affaires. À l’appui de sa position, il soutient que « [l]’esprit et l’intention de [l’interdiction législative], par conséquent, doivent être manifestement d’interdire et de restreindre le recours à “l’esclavage” ou au travail non rémunéré » [traduction]. À cet égard, il souligne que les prisonniers qui fabriquent les marchandises en cause « [...] sont rémunérés selon les normes de l’industrie [...] »20 [traduction].

31. M. Hayes soutient que « [...] faire affaire avec Oregon Corrections Enterprises est identique à faire affaire avec CORCAN » [traduction], que les marchandises en cause ne sont pas « [...] si offensantes être prohibées, comme dans le cas d’armes prohibées ou de pornographie » [traduction], que leur commerce « [...] entraîne des taux moins élevés de récidive [...] » [traduction] et que « [l]e gouvernement du Canada est censé être sensible au crime transfrontalier, aux initiatives de prévention du crime, à la création du libre-échange par l’entremise d’accords tels que l’ALÉNA ainsi qu’à la création d’emplois et de petites entreprises comme la [sienne] »21 [traduction].

32. Le Tribunal remarque que les points de vue précédents sont plus correctement décrits comme des considérations de principe plutôt que des motifs d’appel d’ordre juridique et peuvent, quoiqu’il en soit, être mal fondés. Le Tribunal ajoute qu’il ne doute pas que les intentions commerciales de M. Hayes sont honnêtes et remarque qu’il a exprimé le désir d’offrir une partie de ses profits à une œuvre de charité qui aide à la réinsertion sociale des prisonniers après leur libération.

33. Autrement dit, dans son appel, M. Hayes demande en fait au Tribunal d’invalider l’interdiction. Le Tribunal n’a pas compétence pour accorder une telle exonération.

34. Le Parlement a confié au Tribunal le mandat d’appliquer le Tarif des douanes. En l’état actuel, le Tarif des douanes comprend l’interdiction en question. Par conséquent, le Tribunal doit maintenir l’interdiction lorsque les conditions de son application sont présentes, comme en l’espèce.

35. L’exonération demandée par M. Hayes exigerait une modification du numéro tarifaire 9897.00.00 ou du Règlement de 1998 sur les articles fabriqués ou produits par des prisonniers. Cette question relève du Parlement ou du gouverneur en conseil et non du Tribunal22 . À cet égard, le Tribunal observe que, dans une lettre à M. Hayes, datée du 18 juin 2010, l’honorable James A. Flaherty, ministre des Finances, écrivait ce qui suit :

Au titre de politique gouvernementale, le numéro tarifaire 9897.00.00 du Tarif des douanes interdit l’entrée au Canada d’articles fabriqués ou produits, en tout ou en partie, par des prisonniers. Des interdictions similaires s’appliquent dans la plupart des pays, y compris les États-Unis. Notre gouvernement n’a pas l’intention de modifier cette politique dans un avenir proche23 .

[Traduction]

DÉCISION

36. L’appel est rejeté.


1 . L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1 [Loi].

2 . L.C. 1997, c. 36.

3 . Pièce du Tribunal AP-2010-016-01.

4 . Ibid.; pièce du Tribunal AP-2010-016-07A, onglet 5.

5 . Pièce du Tribunal AP-2010-016-01.

6 . Ibid.

7 . Ibid.; pièce du Tribunal AP-2010-016-07A, onglet 6.

8 . Pièce du Tribunal AP-2010-016-01.

9 . Pièce du Tribunal AP-2010-016-05.

10 . Pièce du Tribunal AP-2010-016-07A.

11 . Ibid.

12 . Pièce du Tribunal AP-2010-016-13; pièce du Tribunal AP-2010-016-14; pièce du Tribunal AP-2010-016-17.

13 . Pièce du Tribunal AP-2010-016-01; pièce du Tribunal AP-2010-016-07A à la p. 3.

14 . D.O.R.S./98-41.

15 . Pièce du Tribunal AP-2010-016-05 à la p. 2. Cet énoncé a été confirmé à l’audience. Voir Transcription de l’audience publique, 13 avril 2011, aux pp. 20-23.

16 . Transcription de l’audience publique, 13 avril 2011, aux pp. 31-35.

17 . Ibid. à la p. 35.

18 . Ibid. à la p. 31.

19 . Ibid. à la p. 27.

20 . Pièce du Tribunal AP-2010-016-05 à la p. 2. M. Hayes a témoigné qu’il a visité l’établissement, soit l’Oregon Corrections Enterprises à Pendleton, et était d’avis qu’il était conforme aux lois américaines en ce qui concerne les salaires des prisonniers. Transcription de l’audience publique, 13 avril 2011, aux pp. 20-23. Mme Tanasichuk a décrit en termes généraux la rémunération versée aux prisonniers de CORCAN. Transcription de l’audience publique, 13 avril 2011, aux pp. 53-54.

21 . Pièce du Tribunal AP-2010-016-05 aux pp. 1-2.

22 . Le Parlement a le pouvoir de modifier les lois. De plus, aux termes du sous-alinéa 132(1)m)(i) du Tarif des douanes, le gouverneur en conseil, sur recommandation du ministre des Finances, a le pouvoir de modifier le Règlement de 1998 sur les articles fabriqués ou produits par des prisonniers ou d’établir un règlement additionnel concernant le numéro tarifaire 9897.00.00 afin de modifier ce numéro tarifaire pour exclure de sa portée les articles fabriqués ou produits, en tout ou en partie, par des prisonniers ou afin de prévoir les conditions en vertu desquelles de tels articles peuvent être exclus de la portée de ce numéro tarifaire.

23 . Pièce du Tribunal AP-2010-016-022.