MASAI CANADA LIMITED


MASAI CANADA LIMITED
c.
PRÉSIDENT DE L'AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA
Appel no AP-2010-025

Décision et motifs rendus
le vendredi 5 août 2011


TABLE DES MATIÈRES


EU ÉGARD À un appel entendu le 28 avril 2011, en vertu du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes, L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1;

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le président de l'Agence des services frontaliers du Canada le 6 mai 2010 concernant une demande de révision d'un décision anticipée aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

MASAI CANADA LIMITED Appelante

ET

LE PRÉSIDENT DE L'AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA Intimé

DÉCISION

L'appel est admis.

Serge Fréchette
Serge Fréchette
Membre présidant

Dominique Laporte
Dominique Laporte
Secrétaire

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario)

Date de l'audience : Le 28 avril 2011

Membre du Tribunal : Serge Fréchette, membre présidant

Conseiller juridique pour le Tribunal : Eric Wildhaber

Directeur de la recherche : Matthew Sreter

Agent de la recherche : Gary Rourke

Gestionnaire, Bureau du greffe : Michel Parent

Agent du greffe : Cheryl Unitt

PARTICIPANTS :

Appelante Conseiller/représentant
Masai Canada Limited Michael Kaylor
Intimé Conseiller/représentant
Président de l'Agence des services frontaliers du Canada Holly LeValliant

TÉMOINS :

Lori-Anne Yarrow
Directrice de l'Académie pour l'Amérique du Nord
MBT Footwear

Benno M. Nigg
Professeur de biomécanique
Facultés de kinésiologie, d'ingénierie et de médecine
Université de Calgary

Michael L. Wodka
Podiatre

Ronald Rushforth
Omnipraticien à la retraite

Grant Lum
Diplomé en médecine sportive

Veuillez adresser toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
Standard Life Centre
333, avenue Laurier Ouest
15e étage
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel :

EXPOSÉ DES MOTIFS

1. Le présent appel est interjeté par Masai Canada Limited (Masai) auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) aux termes de l'article 67 de la Loi sur les douanes1 à l'égard d'une décision rendue le 6 mai 2010 par le président de l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) aux termes du paragraphe 60(4).

2. La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si les chaussures de sport thérapeutiques blanches Masai Barefoot Technology (MBT) (les marchandises en cause), en plus d'être classées dans le numéro tarifaire 6404.11.99 de l'annexe du Tarif des douanes2, doivent être classées dans le numéro tarifaire 9979.00.00 à titre de marchandises conçues spécifiquement pour assister les personnes handicapées en allégeant les effets de leurs handicaps et être donc admissibles au traitement en franchise de droits.

HISTORIQUE DES PROCÉDURES

3. Le 18 juin 2009, Masai demandait une décision anticipée aux termes du paragraphe 43.1(1) de la Loi à l'égard du classement tarifaire des marchandises en cause3. Le 4 août 2009, l'ASFC rendait une décision anticipée aux termes de l'alinéa 43.1(1)c) et classait les marchandises en cause dans le numéro tarifaire 6402.91.90 à titre d'autres chaussures à semelles extérieures et dessus en caoutchouc ou en matière plastique, couvrant la cheville, autres que des chaussures de sport, n'étant pas admissibles au traitement en franchise de droits prévu au numéro tarifaire 9979.00.004.

4. Le 11 août 2009, Masai demandait une révision de la décision anticipée aux termes du paragraphe 60(2) de la Loi5. Le 6 mai 2010, l'ASFC révisait le classement tarifaire des marchandises en cause et les classait dans le numéro tarifaire 6404.11.99 à titre d'autres chaussures de sport, chaussures dites de tennis, de basket-ball, de gymnastique, d'entraînement et chaussures similaires, n'étant pas admissibles au traitement en franchise de droits prévu au numéro tarifaire 9979.00.006.

5. Le 5 juillet 2010, Masai interjetait appel auprès du Tribunal aux termes de l'article 67 de la Loi7.

6. Le 28 avril 2011, le Tribunal tenait une audience publique à Ottawa (Ontario).

7. Les quatre personnes suivantes ont comparu à titre de témoins pour Masai : M. Benno M. Nigg, professeur dans les facultés de kinésiologie, d'ingénierie et de médecine de l'Université de Calgary, dont le titre d'expert en biomécanique a été reconnu par le Tribunal; le Dr Ronald Rushforth, omnipraticien à la retraite, dont le titre d'expert en troubles musculo-squelettiques a été reconnu par le Tribunal; M. Michael Wodka, podiatre pratiquant à New York (New York), dont le titre d'expert en pathologies du pied a été reconnu par le Tribunal; Mme Lori-Anne Yarrow, directrice de l'Académie pour l'Amérique du Nord, MBT Footwear, dont le titre d'expert dans la fabrication et la conception des marchandises en cause a été reconnu par le Tribunal.

8. Le Dr Grant Lum, spécialiste en médecine sportive exerçant la médecine à Toronto (Ontario), a comparu comme témoin pour l'ASFC. Le Tribunal lui a reconnu le titre d'expert en médecine sportive pour le traitement des blessures musculo-squelettiques.

MARCHANDISES EN CAUSE

9. Les marchandises en cause sont désignées comme des chaussures MBT8.

10. Masai a déposé à titre de pièces deux semelles désassemblées des marchandises en cause, désignées comme une « semelle intercalaire en PU avec un pivot » [traduction] et une « MBT-101 »9.

CADRE LÉGISLATIF

11. Dans des appels interjetés aux termes de l'article 67 de la Loi concernant les questions de classement tarifaire, le Tribunal détermine le classement tarifaire des marchandises en cause conformément aux règles d'interprétation prescrites.

12. La nomenclature tarifaire est énoncée en détail dans l'annexe du Tarif des douanes, qui est conforme au Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises (le Système harmonisé) élaboré par l'Organisation mondiale des douanes10. L'annexe est divisée en sections et en chapitres, et chaque chapitre de l'annexe contient une liste de marchandises classées dans des positions, sous-positions et numéros tarifaires. Les sections et chapitres peuvent comprendre des notes concernant leur interprétation. Les articles 10 et 11 du Tarif des douanes prescrivent la méthode que le Tribunal doit appliquer pour l'interprétation de l'annexe afin de déterminer le classement tarifaire approprié de marchandises.

13. Le paragraphe 10(1) du Tarif des douanes prévoit ce qui suit : « [...] le classement des marchandises importées dans un numéro tarifaire est effectué, sauf indication contraire, en conformité avec les Règles générales pour l'interprétation du Système harmonisé[11] et les Règles canadiennes[12] énoncées à l'annexe. »

14. Les Règles générales sont composées de six règles structurées en cascade, de sorte que si le classement des marchandises ne peut être déterminé conformément à la Règle 1, il faut alors tenir compte de la Règle 2, et ainsi de suite, jusqu'à ce que le classement soit établi13. Le classement commence donc par l'application de la Règle 1, qui prévoit ce qui suit : « [...] le classement [est] déterminé légalement d'après les termes des positions et des Notes de Sections ou de Chapitres et, lorsqu'elles ne sont pas contraires aux termes desdites positions et Notes, d'après les Règles suivantes. »

15. L'article 11 du Tarif des douanes prévoit ce qui suit : « Pour l'interprétation des positions et sous-positions, il est tenu compte du Recueil des Avis de classement du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises[14] et des Notes explicatives du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises[15] et de leurs modifications, publiés par le Conseil de coopération douanière (Organisation mondiale des douanes). » Par conséquent, contrairement aux notes de sections et de chapitres, les Notes explicatives n'ont pas force exécutoire pour le Tribunal dans son classement des marchandises importées. Toutefois, la Cour d'appel fédérale a déclaré qu'il faut respecter ces notes, à moins qu'il n'existe un motif valable de ne pas le faire, puisqu'elles servent de guide d'interprétation aux fins du classement tarifaire au Canada16.

16. Le chapitre 99 du Tarif des douanes, qui comprend le numéro tarifaire 9979.00.00, prévoit des dispositions de classement spécial qui permettent à certaines marchandises importées au Canada de bénéficier d'un allégement tarifaire. Compte tenu qu'aucune des positions du chapitre 99 n'est subdivisée au niveau des sous-positions ou des numéros tarifaires, il suffit que le Tribunal tienne compte, dans la mesure nécessaire, des Règles 1 à 5 des Règles générales pour déterminer si les marchandises peuvent être classées dans ce chapitre17. De plus, puisque le Système harmonisé réserve le chapitre 99 à des fins de classement spécial (c.-à-d. à l'usage exclusif de pays pris individuellement), il n'y a pas d'Avis de classement ni de Notes explicatives à prendre en compte.

17. La partie pertinente de la nomenclature du Tarif des douanes prévoit ce qui suit :

Chapitre 99

DISPOSITIONS DE CLASSIFICATION SPÉCIALE - COMMERCIALES

[...]

9979.00.00 Marchandises conçues spécifiquement pour assister les personnes handicapées en allégeant les effets de leurs handicaps, et articles et matières devant servir dans ces marchandises.

18. Conformément à la note 3 du chapitre 99, les marchandises en cause ne peuvent être classées dans le chapitre 99 que si elles ont préalablement été classées dans un numéro tarifaire des chapitres 1 à 97. Les parties conviennent que les marchandises en cause doivent être classées dans le numéro tarifaire 6404.11.99 à titre d'autres chaussures de sport, chaussures dites de tennis, de basket-ball, de gymnastique, d'entraînement et chaussures similaires. Compte tenu des éléments de preuve, le Tribunal accepte ce classement18. Par conséquent, aux fins du présent appel, le Tribunal est d'avis que cette condition est satisfaite.

19. Ainsi, la seule question en litige qui demeure en suspens devant le Tribunal consiste à déterminer si les marchandises en cause sont admissibles au traitement en franchise de droits prévu au numéro tarifaire 9979.00.00, c.-à-d. s'il s'agit de marchandises conçues spécifiquement pour assister les personnes handicapées en allégeant les effets de leurs handicaps, qui sont admissibles au traitement en franchise de droits.

ANALYSE

Analyse du droit

20. Les parties conviennent19 que, pour examiner cette question, le Tribunal doit s'inspirer de la décision qu'il a rendue dans Sigvaris Corporation c. Président de l'Agence des services frontaliers du Canada20. Dans cette affaire, le Tribunal a analysé les deux critères devant être examinés pour déterminer si des marchandises respectent ou non les conditions du numéro tarifaire 9979.00.00. Il y affirmait ce qui suit :

[...] son libellé énonce clairement que les deux conditions suivantes doivent être satisfaites pour que les marchandises en cause puissent être classées dans le numéro tarifaire 9979.00.00 : 1) les marchandises en cause doivent être conçues spécifiquement pour assister les personnes handicapées; 2) les marchandises en cause doivent être conçues spécifiquement pour assister les personnes handicapées en allégeant les effets de leurs handicaps. En l'espèce, le critère juridique pertinent se rapporte donc à la conception des marchandises en cause21.

[Italiques dans l'original]

21. En ce qui concerne la première condition, le Tribunal remarque que des documents indiquant une intention dirigée pendant la phase de conception d'un produit constitueraient normalement la meilleure façon de démontrer une telle intention22. Toutefois, le Tribunal est également d'avis qu'en l'absence de tels documents, la preuve d'une telle intention peut être convaincante, même si elle est documentée après le fait, à condition qu'il soit raisonnable de déduire que l'intention dirigée existait au moment de la conception du produit. Cette preuve doit être évaluée au cas par cas, mais elle peut provenir de diverses sources, et il suffit qu'elle soit probante et convaincante.

22. En ce qui concerne la deuxième condition, le Tribunal n'est pas d'avis qu'il soit nécessaire de démontrer l'existence d'un élément de preuve scientifique vérifiable et concluant que les marchandises allègent effectivement les effets en question. Le Tribunal est plutôt d'avis qu'il est suffisant de démontrer que les marchandises sont spécifiquement conçues pour alléger les effets de handicaps précis et que bien qu'il ne soit pas nécessaire de fournir des éléments de preuve scientifiques indépendants et irréfutables de l'objectif déclaré d'allégement des effets d'un handicap, il doit néanmoins y avoir un rapport rationnel entre la conception et l'objectif déclaré d'allégement et au moins certains éléments de preuve empiriques crédibles démontrant que le résultat recherché a été atteint.

23. Le Tribunal considère que cette interprétation est compatible avec la version française du numéro tarifaire 9979.00.00. En effet, la version française de cette disposition mentionne les marchandises dont la conception a pour but d'« [...] assister les personnes handicapées en allégeant les effets de leurs handicaps [...] » [caractères gras ajoutés pour souligner]23. Le Tribunal est d'avis que, lues ensemble, les versions française et anglaise du numéro tarifaire 9979.00.00 ne requièrent que la preuve satisfaisante d'un certain allégement des effets d'un handicap24.

24. Autrement dit, le Tribunal est d'avis que Sigvaris étaye la position selon laquelle il doit y avoir des éléments de preuve qui indiquent un rapport dirigé entre la conception et l'allégement des effets de handicaps et certains éléments de preuve qui indiquent que les marchandises servent effectivement à leur objectif déclaré. En outre, le Tribunal doit être convaincu que l'objectif déclaré ne constitue pas une tentative déguisée d'obtenir un traitement en franchise de droits.

25. Par conséquent, le Tribunal déterminera, compte tenu des éléments de preuve au dossier, si les marchandises en cause 1) sont conçues spécifiquement pour assister les personnes handicapées et 2) si elles les assistent en allégeant les effets de leurs handicaps.

Application du droit aux faits

Les marchandises en cause sont-elles conçues spécifiquement pour assister les personnes handicapées?

26. L'ASFC soutient que les marchandises en cause ne sont pas conçues spécifiquement pour assister les personnes handicapées; elle est plutôt d'avis que les marchandises en cause sont conçues pour augmenter l'activité musculaire et tonifier la partie inférieure du corps. L'ASFC décrit les marchandises comme des chaussures tonifiantes, semblables à d'autres modèles de chaussures athlétiques produites par d'autres fabricants de chaussures. De plus, l'ASFC soutient que la promotion des marchandises en cause vise le grand public, qu'elles sont utilisées par celui-ci et qu'elles sont vendues sans ordonnance tant dans les magasins de chaussures ordinaires qu'en ligne.

27. À l'appui de sa position, l'ASFC a déposé plusieurs articles de presse obtenus sur Internet dans lesquels la conception des marchandises en cause est décrite comme semblable à celle d'autres chaussures tonifiantes, car elles sont conçues pour créer une instabilité afin d'obtenir un entraînement plus intense des petits et grands muscles des membres inférieurs que l'entraînement obtenu avec des chaussures de marche ordinaires. L'AFSC soutient de plus que selon les renseignements de Masai sur ses produits, les marchandises en cause sont commercialisées à des fins autres que l'allégement des effets de handicaps.

28. Masai soutient que les marchandises en cause sont conçues pour traiter les troubles musculo-squelettiques pouvant atteindre les muscles, les articulations, les tendons, les ligaments et les nerfs.

29. Mme Yarrow, qui connaît la conception et la fabrication des marchandises en cause, a déclaré que les chaussures ont été introduites sur le marché canadien en 2004 comme produits dotés d'une technologie unique. Mme Yarrow a déclaré que cette technologie unique est conçue pour créer une instabilité multidimensionnelle lorsqu'une personne porte les marchandises en cause25.

30. Mme Yarrow a également déclaré ce qui suit :

L'homme qui a inventé la MBT l'a fait dans l'intention de réduire l'impact dommageable que nous subissons en marchant sur des surfaces planes et dures, ce qui est le cas dans notre société moderne, ainsi que les effets dommageables que cela a sur le corps sur le plan du développement de handicaps.

[...]

Ainsi [...] son intention était de créer un produit ayant un effet sur le corps qui serait bénéfique et neutraliserait les effets dommageables de la marche sur une telle surface et les handicaps dont souffre un nombre phénoménal de personnes à cause de cela26.

[Traduction]

31. Mme Yarrow a déclaré que les marchandises en cause sont conçues pour assister dans les cas de handicaps liés à la « chaîne cinétique fermée » [traduction]27. Mme Yarrow a expliqué ce concept, qui s'entend de la connexion musculo-squelettique entre le pied et l'os iliaque, comme suit :

[...] ce que vous faites au niveau du pied a un impact qui remonte à la cheville, au genou, à la hanche et au dos.

Dans le corps humain, il existe des liens, de sorte que si vous avez un problème au niveau du pied, celui-ci peut produire une réaction en chaîne vers le haut, ou si vous avez un problème un peu plus haut, celui-ci peut produire une réaction en chaîne vers le bas, parce que nous sommes en contact avec le sol28.

[Traduction]

32. Après avoir examiné la construction des semelles des marchandises en cause, le Tribunal est d'avis qu'il appert clairement que l'intention de Masai à l'égard de la conception des marchandises en cause était de causer un déséquilibre dans la démarche de la personne qui les porte, par comparaison à la personne qui porte des chaussures dotées d'une semelle de conception plus traditionnelle. Les études déposées par Masai indiquent que c'est exactement ce que font les chaussures MBT — elles créent un déséquilibre.

33. Dans une étude comparant la cinématique, la cinétique et l'activité musculaire de sujets en bonne santé se tenant debout ou étant en train de marcher en utilisant des chaussures d'essai instables (les marchandises en cause) et des chaussures de contrôle stables, les résultats indiquent que les marchandises en cause produisent une « [...] augmentation substantielle et significative du mouvement du centre de force, ce qui est un signe d'augmentation de l'instabilité » [traduction]29. Dans cette étude, on arrive à la conclusion que les marchandises en cause « [...] produisent des modifications de la cinématique, de la cinétique et des caractéristiques EMG [électromyographiques] qui semblent avantageuses pour le système locomoteur » [traduction]30.

34. M. Nigg a fait référence à une étude non publiée menée à l'interne par Masai, qui compare les chaussures MBT à des produits semblables de concurrents. Il a expliqué au Tribunal que « [l']excursion du centre de pression est essentiellement une indication de l'instabilité et, dans ces résultats, les chaussures MBT ont obtenu des valeurs plus élevées que la plupart des autres chaussures » [traduction]31.

35. De plus, les éléments de preuve au dossier contiennent un certain nombre d'études et d'articles scientifiques et techniques qui établissent un certain lien entre la conception, l'utilisation du produit et l'activation des muscles par l'augmentation de l'instabilité. Dans un bulletin intitulé « Recent Innovative Footwear Designs » publié par Paris Orthotics Ltd., l'auteur cite plusieurs études menées par M. Nigg, qui « [...] indiquent que l'activité de tous les muscles, à l'exception du muscle soléaire, augmente lorsqu'une personne portant les chaussures MBT se tient debout. De plus, les deux études indiquent que le balancement postural d'une personne augmente lorsqu'elle porte les chaussures MBT » [traduction]32. Le bulletin fait également état de plusieurs pathologies pour lesquelles les membres du comité professionnel consultatif de Paris Orthotics Ltd. ont décrit les résultats cliniques positifs de l'intervention de la MBT et ont recommandé l'utilisation des marchandises en cause par des personnes devant rester debout en raison de leur profession et par des personnes souffrant de talalgie plantaire et de fasciite ou d'aponévrosite plantaire33.

36. Les éléments de preuve démontrent également un lien causal plausible entre le manque de stimulation musculaire dans les membres inférieurs, l'effet de « chaîne cinétique fermée » décrit par Mme Yarrow et la présence de certains handicaps.

37. Les témoignages de M. Wodka et du Dr Rushforth démontrent à la satisfaction du Tribunal l'existence d'un lien possible entre les limitations fonctionnelles découlant de certains troubles — handicaps — et le manque de stimulation musculaire.

38. À la question de Masai sur les troubles des patients auxquels il a prescrit les marchandises en cause, M. Wodka a répondu ce qui suit :

[...] comme je l'ai mentionné, les éperons calcanéens dans les cas de fasciite plantaire posent de sérieux problèmes, mais également la métatarsalgie, soit l'inflammation des métatarsiens, les os près des articulations dont nous avons parlé, ainsi que de l'articulation du gros orteil. Quand nous marchons, nous poussons sur le gros orteil. Les personnes ayant une mobilité réduite à cet endroit, les patients faisant de l'arthrite à cet endroit, les problèmes d'ordre post-traumatique, les personnes souffrant de la goutte; il y a beaucoup d'inflammation lorsque ce gros orteil fléchit et nous soulève du sol.

L'avantage des chaussures MBT est qu'elles diminuent la nécessité de ce mouvement et, en portant les chaussures MBT, ces patients ne sollicitent pas autant cette articulation et en retirent d'importants bienfaits34.

[Traduction]

39. Le Dr Rushforth a donné au Tribunal une description des nombreux troubles (problèmes de pied, de genou, de jambe, de hanche et de dos)35 qu'il a observés chez ses patients et a déclaré ce qui suit :

À mon avis, les chaussures MBT redressent l'alignement, augmentent la force musculaire et la vigueur du corps, ce qui procure une plus grande mobilité, une sensation de bien-être et une amélioration du seuil de douleur, une meilleure circulation, une meilleure digestion et une meilleure capacité respiratoire, car la personne se tient plus droite, et une plus grande jouissance de la vie en général. C'est ce que j'ai pu observer chez mes patients36.

[Traduction]

40. Bien que les éléments de preuve mentionnés ci-dessus ne soient pas contemporains à la conception des marchandises en cause, il est raisonnable de conclure que, pris dans leur ensemble, ils indiquent que les marchandises en cause ont été conçues spécifiquement pour assister les personnes handicapées. Autrement dit, considérant le lien plausible entre le manque de stimulation musculaire dans les membres inférieurs et la présence de certains handicaps et considérant que l'intention dirigée de la conception est de stimuler les muscles des membres inférieurs, le Tribunal conclut qu'il est raisonnable de conclure que les marchandises en cause ont été spécifiquement conçues pour assister les personnes handicapées.

41. Le Tribunal est également d'avis que même si la promotion des marchandises en cause visent les personnes qui ne souffrent pas de handicaps et qu'elles sont utilisées par celles-ci, cela n'enlève rien au fait que les marchandises en cause sont conçues spécifiquement pour traiter un trouble pouvant être associé à la cause de divers handicaps.

42. Pour les motifs qui précèdent, le Tribunal conclut que les marchandises en cause sont conçues spécifiquement pour assister des personnes handicapées au sens du numéro tarifaire 9979.00.00.

Les marchandises en cause sont-elles conçues spécifiquement pour alléger les effets de handicaps?

43. À cet égard, le Tribunal doit chercher des éléments de preuve qui indiquent que la personne ayant conçu les marchandises en cause avait l'intention expresse d'augmenter l'instabilité et la stimulation musculaire, et le contrôle accru du pied et de la cheville qui en découle, par suite de la conception et de l'utilisation des marchandises en cause, pour alléger les effets causés par les handicaps mentionnés ci-dessus.

44. Mme Yarrow a déclaré que l'intention de la personne qui a inventé les chaussures MBT était de créer un produit qui serait « [...] bénéfique et neutraliserait les effets dommageables de la marche sur [des surfaces planes et dures] et les handicaps dont souffre un nombre phénoménal de personnes à cause de cela »37. Dans d'autres parties de son témoignage et dans son rapport d'expert, Mme Yarrow a mentionné l'élimination ou la diminution de la douleur liée à ces handicaps, y compris la talalgie et la douleur à l'avant du pied, l'arthrite du genou et les douleurs lombaires de nature mécanique38.

45. De plus, Mme Yarrow a déclaré que « [...] ce que nous faisons maintenant c'est stimuler le corps pour faire travailler les muscles qui sont devenus paresseux ou faibles. [...] Alors, le plus grand bienfait de l'instabilité est de créer cette contraction des muscles et de diminuer la pression sur l'articulation » [traduction]39. En outre, Mme Yarrow a déclaré que les marchandises en cause diminuent la pression sur l'articulation et que cette diminution de pression a une incidence sur la douleur :

[Mme Yarrow] [...] nous avons des récepteurs de la douleur dans nos tissus, y compris nos articulations, nos ligaments et nos tendons, et ceux-ci travaillent selon un mécanisme simple, ces récepteurs de la douleur articulaire, qu'on appelle techniquement nocicepteurs, mais ce sont des récepteurs de la douleur, et s'ils sont écrasés, ils se déclenchent. Alors, si vous diminuez la pression et la charge, ils ne se déclenchent plus.

[M. Kaylor] Et les chaussures MBT aident à diminuer cette pression?

[Mme Yarrow] Oui40.

[Traduction]

46. M. Nigg a déclaré également ce qui suit :

[M. Nigg] La deuxième fonction importante de cette chaussure est que nous tentons de stabiliser au niveau de l'articulation de la cheville. Vous pouvez stabiliser en haut ici avec les bras ou vous pouvez stabiliser avec la hanche, le genou ou la cheville. Lorsque vous stabilisez à l'articulation de la cheville, vous êtes à l'origine de l'instabilité, alors vous pouvez réagir plus vite. Si les muscles sont forts, vous pouvez utiliser les petits muscles qui diminuent la pression sur les articulations.

[M. Kaylor] Et en diminuant cette pression, quel est l'effet sur la douleur?

[M. Nigg] Alors vous réduisez la douleur41.

[Traduction]

47. Le Tribunal est d'avis que, d'un point de vue logique, il n'est ni nécessaire ni utile de dissocier un handicap de ses effets pour examiner la question de l'intention du concepteur des marchandises en cause.

48. D'un point de vue pratique, un handicap et ses effets sont si étroitement interdépendants qu'il est difficile d'imaginer comment une personne s'y prendrait pour concevoir un produit précisément dans le but d'assister une personne ayant un handicap particulier sans également avoir l'intention d'alléger les effets de ce handicap.

49. M. Wodka et le Dr Rushforth ont expliqué dans leur témoignage à quel point la douleur peut être contraignante à l'égard des activités quotidiennes d'une personne atteinte de certains handicaps associés à une faible force musculaire et au manque de stimulation dans les membres inférieurs. Plus particulièrement, M. Rushforth a déclaré ce qui suit :

J'ai été omnipraticien pendant 43 ans et j'ai observé que la perte de mobilité causée par la douleur et de mauvais alignements musculo-squelettiques entraînent souvent des troubles émotionnels importants et même la dépression chez certaines personnes, car elles ne peuvent faire ce qu'elles veulent, et cela accentue la douleur et fait donc porter une attention accrue sur le handicap. Lorsque vous vous concentrez constamment sur la douleur, celle-ci devient certainement pire. Si une chose peut vous distraire de cette douleur, il est fréquent que vous la ressentiez moins, comme cela se produit lors d'un événement heureux dans votre vie.

À mon avis, les chaussures MBT redressent l'alignement, augmentent la force musculaire et la vigueur du corps, ce qui procure une plus grande mobilité, une sensation de bien-être et une amélioration du seuil de douleur, une meilleure circulation, une meilleure digestion et une meilleure capacité respiratoire, parce que la personne se tient plus droite, et une plus grande jouissance de la vie en général. C'est ce que j'ai pu observer chez mes patients42.

[Traduction]

50. Même s'il s'agit d'un élément de preuve empirique, le Tribunal est d'avis que ce témoignage est crédible et démontre un lien convaincant entre les handicaps et leurs effets et l'objectif des marchandises en cause qui est d'alléger leurs effets en vue d'assister les personnes en les rendant plus fonctionnelles dans leurs activités quotidiennes. M. Wodka a déclaré ce qui suit dans son témoignage :

[M. Wodka] [...] en portant les chaussures MBT, ces patients [qui ont une mobilité réduite] [...] en retirent d'importants bienfaits.

[M. Kaylor] Et sous quelle forme ces bienfaits sont-ils ressentis?

[M. Wodka] Une diminution de la douleur et une augmentation de la capacité de mouvement. Cela ne change pas, comme je l'ai dit plus tôt, les affections sous-jacentes de la nature arthritique des difformités que je traite, mais elles permettent néanmoins au patient de fonctionner mieux qu'avec les chaussures traditionnelles possédant une semelle solide sans bascule.43

[Nos italiques, traduction]

51. De l'avis du Tribunal, bien que la question ne soit pas réglée du point de vue scientifique, des éléments de preuve indiquent que les marchandises en cause peuvent alléger certains effets de handicaps liés à la marche sur des surfaces planes et dures. Dans son rapport d'expert, Mme Yarrow a déposé une étude dans laquelle on conclut que les chaussures MBT peuvent « [...] jouer un rôle dans la gestion des troubles musculo-squelettiques [...] » [traduction]44. D'autres études au dossier indiquent que les marchandises en cause peuvent « [...] apaiser la douleur dans des articulations particulières » [traduction]45 et que « [...] les chaussures MBT sont efficaces pour réduire la douleur dans les genoux chez les personnes souffrant d'arthrose du genou, après 3, 6 et 12 [semaines] d'utilisation » [traduction]46.

52. Dans leur témoignage, M. Rushforth et M. Wodka ont tous deux mentionné certains cas, tirés de leur expérience personnelle et de celle de certains de leurs patients, qui montraient une amélioration de l'état des patients directement attribuable à l'utilisation des marchandises en cause.

53. Par conséquent, le Tribunal conclut que les marchandises en cause respectent la deuxième condition du numéro tarifaire 9979.00.00.

DÉCISION

54. Pour les motifs qui précèdent, le Tribunal conclut que les marchandises en cause respectent les deux conditions du numéro tarifaire 9979.00.00. Le Tribunal conclut qu'elles sont « conçues spécifiquement pour assister les personnes handicapées en allégeant les effets de leurs handicaps » et qu'elles sont donc admissibles au traitement en franchise de droits.

55. L'appel est admis.


1 . L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1 [Loi].

2 . L.C. 1997, c. 36.

3 . Pièce du Tribunal AP-2010-025-14.

4 . Ibid.

5 . Ibid.

6 . Pièce du Tribunal AP-2010-025-01.

7 . Ibid.

8 . Pièce du Tribunal AP-2010-025-04A à la p. 2; pièce du Tribunal AP-2010-025-06A à la p. 4.

9 . Pièces A-01, A-02.

10 . Le Canada est signataire de la Convention internationale sur le Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises, qui régit le Système harmonisé.

11 . L.C. 1997, c. 36, annexe [Règles générales].

12 . L.C. 1997, c. 36, annexe.

13 . Les Règles 1 à 5 des Règles générales s'appliquent au classement au niveau de la position (c.-à-d. à quatre chiffres). En vertu de la Règle 6 des Règles générales, les Règles 1 à 5 s'appliquent au classement au niveau de la sous-position (c.-à-d. à six chiffres). De la même façon, les Règles canadiennes rendent les Règles 1 à 5 des Règles générales applicables au classement au niveau du numéro tarifaire (c.-à-d. à huit chiffres).

14 . Organisation mondiale des douanes, 2e éd., Bruxelles, 2003 [Avis de classement].

15 . Organisation mondiale des douanes, 4e éd., Bruxelles, 2007 [Notes explicatives].

16 . Canada (Procureur général) c. Suzuki Canada Inc., 2004 CAF 131 (CanLII) aux para. 13, 17.

17 . Toutefois, la note 1 du chapitre 99 prévoit que la règle de spécificité de la Règle 3 a) des Règles générales ne s'applique pas aux dispositions du chapitre 99. Cela reflète le fait que le classement dans les chapitres 1 à 97 et le classement dans le chapitre 99 ne sont pas mutuellement exclusifs.

18 . Le Tribunal remarque qu'il n'est pas tenu de se pencher sur la question de savoir si les marchandises en cause paraissent devoir être classées dans le numéro tarifaire 6404.11.99, puisque Masai n'a pas contesté cet aspect de la décision de l'ASFC.

19 . Transcription de l'audience publique, 28 avril 2011, aux pp. 143, 151.

20 . (23 février 2009), AP-2007-009 (TCCE) [Sigvaris].

21 . Sigvaris au para. 26.

22 . Dans Nutricia North America c. Président de l'Agence des services frontaliers du Canada (18 mai 2011), AP-2009-017 (TCCE) au para. 122, le Tribunal a affirmé que l'adverbe « spécifiquement », dans l'expression « conçues spécifiquement », qui figure dans le numéro tarifaire 9979.00.00, laisse entendre un rapport direct et dirigé entre la conception de marchandises et l'objectif d'assister les personnes handicapées.

23 . Le libellé de la version française du numéro tarifaire 9979.00.00 est le suivant : « Marchandises conçues spécifiquement pour assister les personnes handicapées en allégeant les effets de leurs handicaps, et articles et matières devant servir dans ces marchandises. »

24 . Les mots suivants sont des synonymes du mot « alleviate » (alléger) : soulager, réduire, apaiser, atténuer (Merriam-Webster's Dictionary of Synonyms). Voir également l'analyse suivante du sens du mot « alleviate » dans Sigvaris aux para. 57-58 :

57. L'ASFC a, d'une façon générale, été d'accord avec Sigvaris sur la signification qu'il convient de donner à l'expression « en allégeant ». À cet égard, elle a renvoyé au The Oxford English Dictionary, qui définit le mot “alleviate” (“alléger”) ainsi : “[...] to lighten, or render more tolerable, or endurable [...]” (“alléger, ou rendre davantage tolérable, ou endurable [...])”. Toutefois, l'ASFC a soutenu que pour que les marchandises en cause allègent les effets des handicaps d'une personne handicapée, cette personne doit déjà être une personne handicapée. Autrement dit, “alléger” quelque chose ne signifie pas prévenir son occurrence; il s'agit en vérité “d'alléger” un handicap après qu'une personne soit devenue handicapée.

58. Étant donné qu'il a déjà déterminé que les états que les marchandises en cause sont destinées à alléger lorsqu'elles assistent les personnes handicapées sont les effets de leurs “handicaps”, il suffit maintenant au Tribunal de déterminer si les marchandises en cause sont conçues pour alléger les effets de ces handicaps. À l'étude de cette question, il convient d'examiner si les médecins, lorsqu'ils traitent des patients, se servent effectivement des marchandises en cause à cette fin. [Note omise].

25 . Transcription de l'audience publique, 28 avril 2011, à la p. 13.

26 . Ibid. aux pp. 9, 10.

27 . Ibid. à la p. 14.

28 . Ibid. à la p. 14.

29 . Pièce du Tribunal AP-2010-025-13C, onglet 7.

30 . Ibid.

31 . Transcription de l'audience publique, 28 avril 2011, à la p. 59; pièce du Tribunal AP-2010-025-13C, onglet 12.

32 . Pièce du Tribunal AP-2010-025-13C, onglet 4.

33 . Ibid.

34 . Transcription de l'audience publique, 28 avril 2011, aux pp. 71-72.

35 . Ibid. aux pp. 80-82; pièce du Tribunal AP-2010-025-13F.

36 . Transcription de l'audience publique, 28 avril 2011, aux pp. 83-84.

37 . Ibid. à la p. 10.

38 . Ibid. à la p. 15; pièce du Tribunal AP-2010-025-13D aux pp. 6-7.

39 . Transcription de l'audience publique, 28 avril 2011, aux pp. 16-17.

40 . Ibid. à la p. 19.

41 . Ibid. à la p. 65.

42 . Ibid. aux pp. 83-84.

43 . Ibid. à la p. 72.

44 . Pièce du Tribunal AP-2010-025-13D, onglet 4.

45 . Pièce du Tribunal AP-2010-025-13B, onglet 1.

46 . Pièce du Tribunal AP-2010-025-13C, onglet 10.