CE FRANKLIN LTD.


CE FRANKLIN LTD.
c.
PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA
Appel no AP-2010-066

Décision et motifs rendus
le jeudi 22 décembre 2011


TABLE DES MATIÈRES


EU ÉGARD À un appel entendu le 22 septembre 2011 en vertu du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes, L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1;

ET EU ÉGARD À huit décisions rendues par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada le 26 janvier 2011 concernant une demande de révision aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

CE FRANKLIN LTD. Appelante

ET

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA Intimé

DÉCISION

L’appel est admis.

Jason W. Downey
Jason W. Downey
Membre présidant

Dominique Laporte
Dominique Laporte
Secrétaire

Lieu de l’audience : Ottawa (Ontario)

Date de l’audience : Le 22 septembre 2011

Membre du Tribunal : Jason W. Downey, membre présidant

Conseiller juridique pour le Tribunal : Eric Wildhaber

Directeur de la recherche : Matthew Sreter

Agent de la recherche : Jan Wojcik

Gestionnaire, Bureau du greffe : Michel Parent

Agent du greffe : Cheryl Unitt

PARTICIPANTS :

Appelante Conseillers/représentants
CE Franklin Ltd. Michael R. Smith
Rechelle Magnaye
Intimé Conseiller/représentant
Président de l’Agence des services frontaliers du Canada Lorne Ptack

Veuillez adresser toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
Standard Life Centre
333, avenue Laurier Ouest
15e étage
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel :

ÉNONCÉ DES MOTIFS

CONTEXTE

1. Le présent appel est interjeté par CE Franklin Ltd. (Franklin) auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes1 à l’égard de huit décisions rendues par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), conformément au paragraphe 60(4).

2. La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si certaines barres ou tiges en acier inoxydable poli (les marchandises en cause) sont correctement classées dans le numéro tarifaire 8413.91.10 de l’annexe du Tarif des douanes2à titre de tiges polies pour les pompes conçues pour la production du pétrole ou du gaz naturel, comme l’a déterminé l’ASFC, ou si elles doivent être classées dans le numéro tarifaire 7222.30.00 à titre d’autres barres en acier inoxydable, comme le soutient Franklin.

3. De plus, le Tribunal doit déterminer si les marchandises en cause doivent être classées dans le numéro tarifaire 9910.00.00 à titre de matériel devant servir à la fabrication des marchandises de la section XVI, des chapitres 40, 73 ou 90, ou des positions 59.10 ou 87.05 (à l’exclusion des châssis des véhicules automobiles ou leurs parties), ces marchandises devant être utilisées dans les travaux d’exploration, de découverte, de mise en valeur, d’entretien, d’essai, d’épuisement ou de mise en exploration de puits de pétrole ou de gaz naturel, jusqu’à et y compris la vanne de distribution sur place, et être donc admissibles au traitement en franchise de droits prévu par ce numéro tarifaire.

HISTORIQUE DES PROCÉDURES

4. Du 25 mai 2006 au 25 décembre 2008, Franklin importait les marchandises en cause dans le numéro tarifaire 8413.91.10 à titre de parties de pompes pour liquides, même comportant un dispositif mesureur3.

5. Le 9 septembre 2009, Franklin demandait un remboursement aux termes de l’alinéa 74(1)e) de la Loi, demandant que les marchandises en cause soient classées dans le numéro tarifaire 7222.30.00 à titre d’autres barres en acier inoxydable et que les marchandises en cause aient droit aux avantages du numéro tarifaire 9910.00.00.

6. Le 22 avril 2010, l’ASFC rendait une décision nationale des douanes à l’égard des marchandises en cause, classant ces dernières dans le numéro tarifaire 8413.91.10 à titre de tiges polies pour les pompes conçues pour la production du pétrole ou du gaz naturel, sans les avantages du numéro tarifaire 9910.00.004.

7. Les 8 et 9 juillet 2010, l’ASFC procédait à un réexamen du classement tarifaire des marchandises en cause conformément à l’alinéa 59(1)b) de la Loi, les classant dans le numéro tarifaire 8413.91.10, sans les avantages du numéro tarifaire 9910.00.005.

8. Le 6 octobre 2010, Franklin demandait un réexamen du classement tarifaire des marchandises en cause, conformément au paragraphe 60(1) de la Loi, soutenant que les marchandises en cause devaient être classées dans le numéro tarifaire 7222.30.00 et qu’elles devaient avoir droit aux avantages du numéro tarifaire 9910.00.006.

9. Le 26 janvier 2011, dans une décision rendue aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi, l’ASFC maintenait le classement tarifaire des marchandises en cause dans le numéro tarifaire 8413.91.10, sans les avantages du numéro tarifaire 9910.00.007.

10. Le 8 mars 2011, Franklin interjetait appel auprès du Tribunal aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi. Franklin déposait un mémoire le 2 mai 2011. L’ASFC déposait un mémoire le 30 juin 2011.

11. Le Tribunal tenait une audience orale sur cette question le 22 septembre 2011. Aucune des parties n’a fait entendre de témoin.

MARCHANDISES EN CAUSE

12. Au moment de leur importation, les marchandises en cause se présentent sous forme de barres ou de tiges en acier inoxydable. Elles sont composées d’un alliage d’acier inoxydable 926 — Cronifer® 1925 hMo, fabriqué par ThyssenKrupp en Allemagne8. Une fois importées au Canada, elles sont expédiées à Alberta Oil Tool, qui en fait la transformation ultérieure en taillant des filets dans les barres et en les emballant afin de protéger lesdits filets. Ce produit sert alors à « [...] relier la colonne de tiges de pompage [plusieurs tiges vissées ensemble et reliées à la pompe] d’un chevalet de pompage à [un site] de pompage de pétrole [...] »9.

13. Le fait que les marchandises en cause sont en acier inoxydable n’est pas contesté.

14. Franklin soutient que les marchandises en cause sont appelées « barres » au moment de leur importation et « tiges » seulement après qu’elles sont filetées au Canada10. L’ASFC désigne les marchandises en cause des « tiges»11.

15. Aucune des marchandises en cause n’a été déposée comme pièce. Cependant, les parties ont déposé des photographies des marchandises en cause représentant leur état au moment de l’importation et après avoir été filetées12.

CADRE LÉGISLATIF

16. Le paragraphe 10(1) du Tarif des douanes prévoit ce qui suit : « [...] le classement des marchandises importées dans un numéro tarifaire est effectué, sauf indication contraire, en conformité avec les Règles générales pour l’interprétation du Système harmonisé[13] et les Règles canadiennes[14] énoncées à l’annexe [du Tarif des douanes].” La nomenclature tarifaire énoncée dans l’annexe du Tarif des douanes est conçu afin d’être conforme Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises (le Système harmonisé) élaboré par l’Organisation mondiale des douanes15. L’annexe est divisée en sections et en chapitres, et chaque chapitre de l’annexe contient une liste de marchandises classées dans des positions, sous-positions et numéros tarifaires. Les sections et chapitres peuvent comprendre des notes concernant leur interprétation.

17. Les Règles générales sont composées de six règles structurées en cascade, de sorte que si le classement des marchandises ne peut être déterminé conformément à la Règle 1, il faut alors tenir compte de la Règle 2, et ainsi de suite, jusqu’à ce que le classement soit établi16. Le classement commence donc par l’application de la Règle 1, qui prévoit ce qui suit : « [...] le classement [est] déterminé légalement d’après les termes des positions et des Notes de Sections ou de Chapitres et, lorsqu’elles ne sont pas contraires aux termes desdites positions et Notes, d’après les Règles suivantes. »

18. L’article 11 du Tarif des douanes prévoit ce qui suit : « Pour l’interprétation des positions et sous-positions, il est tenu compte du Recueil des Avis de classement du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises[17] et des Notes explicatives du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises[18] et de leurs modifications, publiés par le Conseil de coopération douanière (Organisation mondiale des douanes). » Par conséquent, contrairement aux notes de sections et de chapitres, les Notes explicatives n’ont pas force exécutoire pour le Tribunal dans son classement des marchandises importées. Toutefois, la Cour d’appel fédérale a déclaré qu’il faut respecter ces notes, à moins qu’il n’existe un motif valable de ne pas le faire19.

19. Par conséquent, le Tribunal doit d’abord déterminer si les marchandises en cause peuvent être classées conformément à la Règle 1 des Règles générales, selon les termes de la position et les notes de section ou de chapitre pertinentes du Tarif des douanes, compte tenu des Notes explicatives et des Avis de classement pertinents. Le Tribunal ne doit tenir compte des autres règles pour déterminer dans quelle position les marchandises en cause doivent être classées que s’il n’est pas convaincu que les marchandises en cause peuvent être classées au niveau de la position par application de la Règle 1 des Règles générales.

20. Après que le Tribunal a utilisé cette méthode pour déterminer la position dans laquelle les marchandises en cause doivent être classées, l’étape suivante consiste à déterminer la sous-position et le numéro tarifaire appropriés, par application de la Règle 6 des Règles générales dans le cas de la sous-position et des Règles canadiennes dans le cas du numéro tarifaire20.

21. Ce n’est qu’après avoir classé les marchandises dans un numéro tarifaire des chapitres 1 à 97 que le Tribunal doit, au besoin, étudier l’applicabilité du traitement en franchise de droit en vertu du chapitre 99.

ANALYSE

22. Conformément à la Règle 1 des Règles générales, le Tribunal a commencé son analyse en examinant le libellé des positions prétendument concurrentes, qui ont été présentées comme il suit.

23. Franklin soutient que les marchandises en cause doivent être classées dans la position no 72.22, qui prévoit ce qui suit :

72.22 Barres et profilés en aciers inoxydables.

24. L’ASFC soutient que les marchandises en cause sont correctement classées dans la position no 84.13, qui prévoit ce qui suit :

84.13 Pompes pour liquides, même comportant un dispositif mesureur; élévateurs à liquides.

25. L’ASFC soutient que la composition des marchandises en cause, les essais auxquels elles sont soumises et leur usage apparemment spécialisé comme tiges de pompage déterminent leur classement21. L’ASFC ne conteste pas le fait que les marchandises subissent une transformation ultérieure (filetage) au Canada.

26. Franklin, pour sa part, ne conteste pas qu’elle importe les marchandises en cause dans le but exclusif de les faire fileter au Canada pour qu’elles deviennent des tiges de pompage, qui sont ultimement utilisées dans des pompes pour pétrole22. Les éléments de preuve indiquent toutefois que les tiges de pompage peuvent être faites à partir d’autres matériaux (c.-à-d. acier au carbone, acier peint, acier enduit de céramique) et qu’elles l’ont en effet été23.

27. À son plus simple, l’argument de l’ASFC consiste à soutenir que les marchandises en cause sont des « parties » de marchandises de la position no 84.13, soit des pompes pour pétrole. La position no 84.13 se trouve dans la section XVI, qui traite notamment de « machines et appareils, matériel électrique et leurs parties ». La position no 84.13 ne mentionne pas explicitement de parties, mais en application de la note (II) des Notes explicatives de la section XVI, cette position doit être interprétée comme incluant les parties des marchandises qui sont nommées, mais seulement dans certaines circonstances. Cette disposition prévoit ce qui suit :

II.- PARTIES

En règle générale, sous réserve des exclusions reprises au chiffre I ci-dessus, les parties reconnaissables comme étant exclusivement ou principalement conçues pour une machine ou un appareil déterminé ou pour plusieurs machines ou appareils compris dans une même position (même les n°s 84.79 ou 85.43) sont classées à la position afférente à cette ou à ces machines. [...]

[...]

Le fait qu’elles soient prêtes à l’emploi ou non est sans influence sur le classement des parties, dès lors que celles-ci sont reconnaissables comme telles, en l’état. Toutefois, les simples ébauches de forge en métaux ferreux relèvent du no 72.07.

[Nos italiques]

28. Ainsi, n’eut été de la note (II) des Notes explicatives de la section XVI, le classement des marchandises en cause aurait pu être fait immédiatement dans la position no 72.22, parce que cette position, de l’avis du Tribunal, conformément à la Règle 1 des Règles générales, décrit adéquatement et simplement ce qu’elles sont, soit des « barres » en « aciers inoxydables ». Mais l’ASFC demande au Tribunal, « compte tenu »de la note (II), de considérer les marchandises en cause comme des parties de pompes pour pétrole et, par conséquent, d’accepter leur classement dans la position no 84.1324.

29. Le Tribunal est d’avis qu’il ne peut se fonder sur la note (II) des Notes explicatives de la section XVI pour conclure que des marchandises spécifiques sont des « parties » de marchandises de la section XVI (en l’espèce, selon les arguments, de marchandises de la position no 84.13), à moins que la note (II) n’indique clairement que ce soit le cas. Cela accorderait à la note (II) une trop grande importance dans l’ensemble du processus de classement.

30. Le Tribunal est d’avis que les circonstances de la présente affaire ne permettent pas de classer les marchandises en cause à titre de « parties » de pompes pour pétrole de la position no 84.13.

31. Premièrement, le Tribunal remarque que l’ASFC n’a pas présenté d’éléments de preuve selon lesquels le type de pompes pour pétrole auquel elle fait référence pourrait de fait être classé dans la position no 84.13. Ni l’une ni l’autre des parties n’a toutefois soulevé cette question. Par conséquent, le Tribunal est disposé à accepter que le type de pompes pour pétrole dont il est fait mention dans la présente procédure pourrait effectivement être classé dans la position no 84.13.

32. Deuxièmement, la position de l’ASFC est problématique parce qu’elle nécessiterait que le Tribunal accepte que les marchandises en cause sont « exclusivement ou principalement conçues » pour une pompe pour pétrole de la position no 84.13, tandis qu’aucun élément de preuve n’indique que ce soit le cas. Pour s’en assurer, les parties conviennent que les marchandises en cause sont ultimement destinées à être utilisées avec une certaine pompe pour pétrole qui relèverait de la position no 84.13. Mais cela amène le Tribunal à ce qui est certainement la question la plus fondamentalement problématique au sujet de la position de l’ASFC. Bien qu’il soit possible que les marchandises en cause soient éventuellement destinées à être utilisées avec une pompe pour pétrole, une telle utilisation est impossible tant que les marchandises en cause n’ont pas subi de transformation ultérieure au Canada. Par conséquent, il est incorrect d’affirmer que les marchandises en cause sont elles-mêmes utilisées avec une pompe pour pétrole.

33. En effet, il n’est pas contesté que les marchandises en cause ne sont jamais utilisées directement ou immédiatement avec une pompe pour pétrole de la position no 84.13. Au contraire, il est admis que les marchandises en cause subissent une transformation ultérieure au Canada, après leur importation; notamment, les barres en acier inoxydable subissent une transformation ultérieure au Canada par l’ajout de filets. Autrement dit, avant que la transformation ne soit faite, les marchandises en cause ne peuvent pas être utilisées avec une pompe pour pétrole de la position no 84.13. Ainsi, ce ne sont pas les marchandises en cause en elles-mêmes qui sont utilisées avec les pompes pour pétrole, mais des marchandises complètement différentes qui sont filetées. Pour les raisons qui précèdent, le Tribunal reconnaît qu’il est incorrect d’affirmer que, avant d’être filetées, les marchandises en cause sont des « tiges de pompage ». Par conséquent, il s’ensuit que les marchandises en cause ne peuvent être considérées comme étant des « parties » de pompes pour pétrole de la position no 84.13, mais ne sont que des intrants de ce qui deviendra plus tard, au moyen d’une transformation ultérieure au Canada, des parties de ces marchandises.

34. Cela donne au Tribunal l’occasion de rappeler que le premier principe du classement tarifaire consiste à examiner les marchandises en cause dans l’état dans lequel elles se trouvent au moment de leur importation et non après25. Au moment de leur importation, les marchandises en cause ne sont rien d’autre que des « barres » en « aciers inoxydables ». Et cela est vrai que les marchandises en cause puissent ou non faire l’objet d’une transformation ultérieure qui en fait des parties de pompes pour pétrole. Par conséquent, parce que la transformation survient après l’importation, toute propriété ou tout état de transformation futur des marchandises en cause n’est pas pertinent aux fins du classement tarifaire. Pour ce seul motif, l’appel devrait être admis.

35. Troisièmement, un point tout aussi fondamental doit également être examiné. Pour être des « parties » au sens de la note (II) des Notes explicatives de la section XVI, les marchandises doivent être reconnaissables comme telles. Cette exigence n’est pas évidente à la lecture du texte anglais de la note, mais elle l’est dans la version française. En effet, d’après le texte français, les prétendues « parties » doivent être « [...] reconnaissables comme telles, en l’état ». Cela est logique; autrement, quel intrant (d’un produit subissant une transformation ultérieure) pourrait échapper au classement en tant que partie? Une partie sera plutôt reconnue comme telle si et seulement si elle est reconnaissable comme étant une partie dans l’état dans lequel elle est au moment de l’importation. À ce titre, la version française est plus précise et plus informative que la version anglaise, et il faut en tenir compte.

36. À la lumière de cela, le Tribunal n’est pas prêt à accepter que les marchandises en cause, dans l’état dans lequel elles sont au moment de leur importation au Canada (barres en acier inoxydable sans filetage), peuvent être considérées comme des parties reconnaissables d’une pompe pour pétrole, soit des tiges de pompage, ou qu’elles peuvent être utilisées comme telles. Pour les raisons présentées ci-dessus, en application de la Règle 1 des Règles générales, le Tribunal est d’avis que les marchandises en cause ne sont rien d’autre que des « barres » en « aciers inoxydables » de la position no 72.22.

37. Quatrièmement, le Tribunal remarque l’argument de l’ASFC selon lequel le procédé de filetage n’est qu’une « simple finition »26. Le Tribunal n’est pas d’accord pour qualifier ce procédé ainsi. En fait, il s’agit d’un procédé réalisé par des gens de métier au moyen de machines lourdes spécialisées à contrôle numérique informatisé (par opposition à des outils à main légers)27. De plus, des factures semblent indiquer que le filetage a certaines particularités qui exigent des mesures spécialisées et du travail de précision (c.-à-d. du filetage de 7/8 de po par 1 1/4 po, de 3/4 de po par 1 1/4 de po). Néanmoins, en l’espèce, la position de l’ASFC invoque la Règle 2 a) des Règles générales selon laquelle « [t]oute référence à un article dans une position déterminée couvre cet article même incomplet ou non fini à la condition qu’il présente, en l’état, les caractéristiques essentielles de l’article complet ou fini » [nos italiques]28.

38. Dans le cadre de son analyse sur ce point, il est crucial que le Tribunal ne perde pas de vue l’importance d’éviter d’introduire, dans l’annexe du Tarif des douanes, des mots ou des concepts qui ne s’y trouvent pas, comme, en l’espèce, le mot « fileté » ou tout autre mot qui aurait le sens de « filetage ». Le Tribunal remarque que les termes des positions nos 72.22 et 84.13 ne comportent pas le mot « fileté ». Par conséquent, en application de la Règle 2 a) des Règles générales, la position no 72.22 pourrait inclure des « barres [...] en aciers inoxydables » non finies. De même, la position no 84.13 pourrait inclure des pompes pour pétrole et des parties de pompes pour pétrole non finies (en application de la note (II) des Notes explicatives de la section XVI). L’ASFC va plus loin en demandant essentiellement au Tribunal d’accepter que la position no 84.13 puisse comprendre des « parties » non finies d’une pompe pour pétrole, parce qu’elles ne sont pas filetées. Cela signifierait l’application séquentielle ou simultanée à la fois de la Règle 2 a) et de la note (II).

39. Bien que cela puisse être une démarche d’interprétation acceptable dans l’absolu, le Tribunal est d’avis qu’en l’espèce, cela donnerait un résultat artificiel et inacceptable, compte tenu du fait que le Tribunal a devant lui des marchandises qui sont, en elles mêmes, des « barres [...] en aciers inoxydables » complètes et finies, et que le classement peut et doit par conséquent se faire en ayant recours seulement à la Règle 1 des Règles générales, parce que les termes de la position no 72.22 décrivent correctement les marchandises en cause. Si cela n’était pas suffisant pour rejeter l’argument de l’ASFC sur ce point, le Tribunal remarque que, pour que le classement dans la position no 84.13 soit possible, le Tribunal devrait tout de même se demander, dans le cadre d’une analyse de la Règle 2 a), si une telle « partie » « non finie » a les « caractéristiques essentielles » de la partie « finie ». Ici non plus, la position de l’ASFC ne tient pas, parce que le Tribunal est d’avis qu’une telle partie non finie ne peut avoir les caractéristiques essentielles d’une tige de pompage de pompe pour pétrole finie (et par conséquent filetée). De fait, puisque les marchandises en cause ne sont pas filetées, ce qui est le seul facteur distinguant une barre en acier inoxydable ordinaire d’une tige de pompage, leur caractéristique essentielle ne peut nécessairement venir que du fait qu’elles sont des « barres [...] en aciers inoxydables ». Encore une fois, ce sont les termes exacts de la position no 72.22; par conséquent, les marchandises en cause doivent être classées dans cette position.

40. En somme, une fois filetées, les marchandises en cause deviennent des tiges de pompage. Manifestement, si une tige de pompage (qui est nécessairement filetée) devait être importée au Canada, elle pourrait être classée dans la position no 84.13 à titre de partie reconnaissable d’une pompe pour pétrole. Cependant, si le filetage est réalisé après l’importation au Canada, comme c’est le cas en l’espèce, les marchandises en cause ne peuvent être considérées comme des tiges de pompage au moment de leur importation, reconnaissables comme telles ou présentant les caractéristiques essentielles de ces produits. Au moment de leur importation, les marchandises en cause sont plutôt de simples « barres [...] en aciers inoxydables » de la position no 72.22.

41. Enfin, aux termes de la position no 72.22, il s’ensuit que le classement aux niveaux de la sous-position et du numéro tarifaire, conformément à la Règle 6 des Règles générales et aux Règles canadiennes, doit être fait dans le numéro tarifaire 7222.30.00. Compte tenu de cette conclusion, il n’est pas nécessaire d’examiner la question de l’applicabilité du numéro tarifaire 9910.00.00.

DÉCISION

42. L’appel est admis.


1 . L.R.C.1985, c. 1 (2e supp.) [Loi].

2 . L.C. 1997, c. 36.

3 . Pièce du Tribunal AP-2010-066-05A, onglet 1.

4 . Ibid., onglet 4.

5 . Ibid.

6 . Ibid., onglet 5.

7 . Ibid., onglet 6.

8 . Pièce du Tribunal AP-2010-066-03 aux para. 4, 35, onglet 2; pièce du Tribunal AP-2010-066-05A au para. 4, onglet 16.

9 . Pièce du Tribunal AP-2010-066-03 au para. 6, onglets 3, 5; pièce du Tribunal AP-2010-066-05A au para. 6, onglets 3, 20.

10 . Pièce du Tribunal AP-2010-066-03 au para. 7, onglet 4.

11 . Pièce du Tribunal AP-2010-066-05A aux para. 4-6.

12 . Pièce du Tribunal AP-2010-066-03 au para. 35; pièce du Tribunal AP-2010-066-05A, onglet 16.

13 . L.C. 1997, c. 36, annexe [Règles générales].

14 . L.C. 1997, c. 36, annexe.

15 . Le Canada est l’un des pays signataires de la Convention internationale sur le Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises, qui régit le Système harmonisé.

16 . Les Règles 1 à 5 des Règles générales s’appliquent au classement au niveau de la position (c.-à-d. à quatre chiffres). En vertu de la Règle 6 des Règles générales, les Règles 1 à 5 s’appliquent au classement au niveau de la sous-position (c.-à-d. à six chiffres). De la même façon, les Règles canadiennes rendent les Règles 1 à 5 des Règles générales applicables au classement au niveau du numéro tarifaire (c.-à-d. à huit chiffres).

17 . Organisation mondiale des douanes, 2e éd., Bruxelles, 2003 [Avis de classement].

18 . Organisation mondiale des douanes, 4e éd., Bruxelles, 2007 [Notes explicatives].

19 . Canada (Procureur général) c. Suzuki Canada Inc., 2004 CAF 131 (CanLII) aux para. 13, 17.

20 . La Règle 6 des Règles générales prévoit ce qui suit : « Le classement des marchandises dans les sous-positions d’une même position est déterminé légalement d’après les termes de ces sous-positions et des Notes de sous-positions ainsi que, mutatis mutandis, d’après les Règles ci-dessus, étant entendu que ne peuvent être comparées que les sous-positions de même niveau. Aux fins de cette Règle, les Notes de Sections et de Chapitres sont également applicables sauf dispositions contraires. »

21 . Pièce du Tribunal AP-2010-066-05A aux para. 24-28.

22 . Pièce du Tribunal AP-2010-066-03 au para. 26. Le Tribunal fait remarquer l’emploi de l’adverbe « ultimement » et traitera plus loin de l’importance de ce choix de mot.

23 . Pièce du Tribunal AP-2010-066-03, onglet 5 à la p. 92.

24 . Pièce du Tribunal AP-2010-066-05A aux para. 29-41.

25 . Deputy M.N.R.C.E. v. MacMillan & Bloedel (Alberni) Ltd., [1965] R.C.S. 366 (C.S.C.). Ce principe a été réaffirmé par le Tribunal à plusieurs reprises.

26 . Pièce du Tribunal AP-2010-066-05A au para. 51.

27 . Pièce du Tribunal AP-2010-066-03 aux para. 6, 26, onglet 3 à la p. 74, onglet 4 à la p. 76.

28 . Pièce du Tribunal AP-2010-066-05A aux para. 44-49.