LA SOCIÉTÉ CANADIAN TIRE LIMITÉE


LA SOCIÉTÉ CANADIAN TIRE LIMITÉE
c.
PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA
Appel no AP-2010-069

Décision et motifs rendus
le mercredi 23 novembre 2011


TABLE DES MATIÈRES


EU ÉGARD À un appel entendu le 4 octobre 2011, en vertu du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes, L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1;

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada le 10 janvier 2011 concernant une demande de révision aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

LA SOCIÉTÉ CANADIAN TIRE LIMITÉE Appelante

ET

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA Intimé

DÉCISION

L’appel est admis.

Pasquale Michaele Saroli
Pasquale Michaele Saroli
Membre présidant

Dominique Laporte
Dominique Laporte
Secrétaire

Lieu de l’audience : Ottawa (Ontario)

Date de l’audience : Le 4 octobre 2011

Membre du Tribunal : Pasquale Michaele Saroli, membre présidant

Conseiller juridique pour le Tribunal : Nick Covelli

Directeur de la recherche : Matthew Sreter

Agent de la recherche : Martine Gagnon

Gestionnaire, Bureau du greffe : Michel Parent

Agent du greffe : Haley Raynor

PARTICIPANTS :

Appelante Conseiller/représentant
La Société Canadian Tire Limitée Michael Sherbo
Intimé Conseiller/représentant
Président de l’Agence des services frontaliers du Canada Craig Collins-Williams

TÉMOIN :

Graeme Nesbitt

Veuillez adresser toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
Standard Life Centre
333, avenue Laurier Ouest
15e étage
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel :

ÉNONCÉ DES MOTIFS

1. Le présent appel a été interjeté auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) par La Société Canadian Tire Limitée (Canadian Tire) le 18 mars 2011, conformément au paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes1.

2. Canadian Tire en appelle d’une révision du président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) rendue le 10 janvier 2011, aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi, à l’égard du classement tarifaire d’affûts de camouflage à installation rapide pour la chasse (les marchandises en cause).

3. Les marchandises en cause sont composées de trois panneaux de textile assemblés, de 29 po x 87 po chacun, qui forment un paravent à trois côtés, sont légers et portatifs et se replient en un diamètre de 11 po sans démontage2. Elles sont destinées à la chasse et permettent de se dissimuler à l’extérieur. À cette fin, elles ont un motif de feuilles découpées simulant du feuillage3.

4. La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si les marchandises en cause sont correctement classées dans le numéro tarifaire 6307.90.99 de l’annexe du Tarif des douanes4 à titre d’autres articles confectionnés, y compris les patrons de vêtements, d’autres matières textiles, comme l’a déterminé l’ASFC, ou si elles doivent être classées dans le numéro tarifaire 9507.90.99 à titre d’autres cannes à pêche, hameçons et autres articles pour la pêche à la ligne, épuisettes pour tous usages, leurres en forme d’oiseau (autres que ceux des positions nos 92.08 ou 97.05) et articles similaires nécessaires pour la chasse, comme le soutient Canadian Tire.

5. Le Tribunal a entendu l’appel le 4 octobre 2011. Le seul témoin, M. Graeme Nesbitt, expert de la chasse et du tir5, a témoigné au nom de Canadian Tire.

CADRE LÉGISLATIF

6. Le Tribunal détermine le classement tarifaire des marchandises conformément aux règles d’interprétation prescrites.

7. La nomenclature tarifaire est énoncée en détail dans l’annexe du Tarif des douanes, qui est conforme au Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises (le Système harmonisé) élaboré par l’Organisation mondiale des douanes6. L’annexe est divisée en sections et en chapitres, et chaque chapitre de l’annexe contient une liste de marchandises classées dans des positions, sous-positions et numéros tarifaires.

8. Le paragraphe 10(1) du Tarif des douanes prévoit que le classement des marchandises importées dans un numéro tarifaire est effectué, sauf indication contraire, en conformité avec les Règles générales pour l’interprétation du Système harmonisé7 et les Règles canadiennes8 énoncées à l’annexe.

9. Les Règles générales sont composées de six règles. Le classement commence par la Règle 1 des Règles générales, qui prévoit ce qui suit : « [...] le classement [est] déterminé [...] d’après les termes des positions et des Notes de Section ou de Chapitres [...]. »

10. L’article 11 du Tarif des douanes prévoit que, pour l’interprétation des positions et des sous-positions, le Tribunal doit tenir compte des Notes explicatives du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises9. Bien que les Notes explicatives n’aient pas force exécutoire pour le Tribunal, il faut les respecter, à moins qu’il n’existe un motif valable de ne pas le faire10.

11. Par conséquent, compte tenu des Notes explicatives, le Tribunal doit d’abord déterminer si les marchandises en cause peuvent être classées selon les termes des positions et des notes de section pertinentes dans le Tarif des douanes. Il n’y a pas de notes de chapitre pertinentes pour le présent appel.

12. Si les marchandises en cause peuvent être classées au niveau de la position par application de la Règle 1 des Règles générales, il faut alors examiner, en cascade, les autres règles, c.-à-d. la Règle 2 et ainsi de suite.

13. Après que le Tribunal a utilisé cette méthode pour déterminer la position dans laquelle les marchandises en cause doivent être classées, l’étape suivante consiste à déterminer la sous-position appropriée par application de la Règle 6 des Règles générales11. La dernière étape consiste à déterminer le numéro tarifaire par application de la Règle 1 des Règles canadiennes12.

14. En vertu de l’article 13 de la Loi sur les langues officielles13, les versions française et anglaise de l’annexe du Tarif des douanes ont également force de loi.

DISPOSITIONS PERTINENTES DE CLASSEMENT

15. Les dispositions pertinentes de la position no 63.07 prévoient ce qui suit :

Section XI

MATIÈRES TEXTILES ET OUVRAGES EN CES MATIÈRES

[...]

Chapitre 63

AUTRES ARTICLES TEXTILES CONFECTIONNÉS; ASSORTIMENTS;
FRIPERIE ET CHIFFONS

[...]

I. -AUTRES ARTICLES TEXTILES CONFECTIONNÉS

[...]

63.07 Autres articles confectionnés, y compris les patrons de vêtements.

[...]

6307.90 -Autres

[...]

- - -Autres :

[...]

6307.90.99 - - - -D’autres matières textiles

16. La note pertinente de la section XI prévoit ce qui suit :

1. La présente Section ne comprend pas :

[...]

t) les articles du Chapitre 95 (jouets, jeux, engins sportifs, filets pour activités sportives, par exemple);

[...]

17. Les Notes explicatives pertinentes du chapitre 63 prévoient ce qui suit :

CONSIDERATIONS GENERALES

Le présent Chapitre comprend :

(1) Sous les nos 63.01 à 63.07 (Sous-Chapitre I) les articles en tous textiles (tissus, étoffes de bonneterie, feutres, nontissés, etc.), qui ne sont pas compris dans des positions plus spécifiques de la Section XI ou dans d’autres Chapitres de la Nomenclature. [...]

[...]

Sous-Chapitre I

AUTRES ARTICLES TEXTILES CONFECTIONNES

[...]

6307.90 - Autres

La présente position englobe les articles confectionnés en tout textile, qui ne sont pas repris dans des positions plus spécifiques de la Section XI ou dans d’autres Chapitres de la Nomenclature.

[...]

Sont exclus de cette position, non seulement les articles textiles classés dans des positions plus spécifiques du présent Chapitre ou des Chapitres 56 à 62, mais encore :

[...]

o) Les jouets, jeux, articles pour divertissements et fêtes, accessoires de carnaval et autres articles du Chapitre 95.

18. Les termes pertinents de la position no 95.07, suivis de la version anglaise, qui est utile en l’espèce, prévoient ce qui suit :

Section XX

MARCHANDISES ET PRODUITS DIVERS

Chapitre 95

JOUETS, JEUX, ARTICLES POUR DIVERTISSEMENTS OU POUR SPORTS;
LEURS PARTIES ET ACCESSOIRES

[...]

95.07 Cannes à pêche, hameçons et autres articles pour la pêche à la ligne; épuisettes pour tous usages; leurres (autres que ceux des nos 92.08 ou 97.05) et articles de chasse similaires.

[...]

9507.90 -Autres

[...]

9507.90.99 - - - -Autres

Section XX

MISCELLANEOUS MANUFACTURED ARTICLES

Chapter 95

TOYS, GAMES AND SPORTS REQUISITES; PARTS AND ACCESSORIES THEREOF

[...]

95.07 Fishing rods, fish-hooks and other line fishing tackle; fish landing nets, butterfly nets and similar nets; decoy “birds” (other than those of heading 92.08 or 97.05) and similar hunting or shooting requisites.

[...]

9507.90 -Other

[...]

9507.90.99 - - - -Other

19. Les Note explicatives pertinentes de la position no 95.07 prévoient ce qui suit :

La présente position comprend :

[...]

4) Les leurres (autres que les appeaux de tous types (no 92.08) ou les animaux naturalisés du no 97.05), miroirs à alouettes et articles de chasse similaires.

POSITION DES PARTIES

ASFC

20. L’ASFC soutient que les affûts de chasse ne sont pas compris dans la position no 95.07 parce que a) ils ne sont pas des articles nécessaires pour la chasse et b) ils ne sont pas similaires à des leurres en forme d’oiseau14.

21. L’ASFC convient que les marchandises en cause sont utilisées pour la chasse. Toutefois, elle ne convient pas qu’elles sont des articles qui sont nécessaires pour la chasse. D’après des définitions de dictionnaire, qui associent le terme « requisite » (nécessaire) à quelque chose qui est « nécessité (à une fin quelconque) » [traduction] ou « requis par les circonstances » [traduction], l’ASFC soutient qu’il est possible de s’adonner à la chasse ou au tir sans utiliser les marchandises en cause15.

22. L’ASFC allègue que l’expression anglaise « [...] similar hunting or shooting requisites » est déterminée par le terme anglais « decoy birds ». Plus particulièrement, elle soutient ce qui suit : « Le point-virgule sert à marquer une pause complète, ce qui permet d’établir la distinction entre des parties indépendantes et distinctes du libellé de la position. Par conséquent, la condition “similar hunting or shooting requisites” est déterminée par l’expression “decoy birds (other than those of heading 92.08 or 97.05)” »16 [notes omises]. L’ASFC prétend donc que « [...] les marchandises en cause, n’étant pas des articles sculptés ou construits de manière à représenter un oiseau, ne peuvent pas être considérées comme des articles nécessaires pour la chasse qui sont similaires à des leurres en forme d’oiseau »17 [traduction].

23. L’ASFC observe qu’elle a toujours classé les affûts de chasse dans la position no 63.06 à titre de tente en textile ou dans la position no 63.07 à titre d’articles textiles en leur matière constitutive, selon le produit18.

24. Quant aux marchandises en cause, l’ASFC a déterminé que, puisqu’elles ne comportent que trois côtés et n’ont pas de toit, elles ne correspondent pas à la description d’une « tente » donnée à la position no 63.0619.

25. Observant que la position no 63.07 englobe les « autres articles confectionnés » et que les Notes explicatives de la position no 63.07 prévoient que « [l]a présente position englobe les articles confectionnés en tout textile, qui ne sont pas repris dans des positions plus spécifiques de la Section XI ou dans d’autres Chapitres de la Nomenclature », l’ASFC soutient que les marchandises en cause répondent aux termes de la position no 63.07 parce qu’elles ne sont ni désignées expressément ni décrites plus précisément ailleurs dans le Tarif des douanes20.

26. L’ASFC soutient de plus que Canadian Tire n’a pas satisfait à l’obligation d’établir, de prime abord, que les marchandises en cause ne sont pas correctement classées dans la position no 63.07 et qu’elles doivent être classées dans la position no 95.0721.

Canadian Tire

27. Observant que la note 1t) de la section XI, qui englobe le chapitre 63, exclut explicitement du régime de cette section les articles du chapitre 95, Canadian Tire soutient que le Tribunal doit commencer son analyse par un examen de la question de savoir si les marchandises en cause peuvent être classées dans la position no 95.0722.

28. À l’appui de sa position selon laquelle les marchandises en cause relèvent de la position no 95.07, Canadian Tire souligne au départ qu’un « affût de chasse » a été défini comme un « [...] dispositif servant aux chasseurs à se cacher afin de réduire le risque d’être détectés »23 [traduction]. Canadian Tire poursuit en citant des extraits de la documentation sur la chasse afin de souligner la nécessité et l’importance des affûts dans la chasse de certains gibiers à plumes24. À titre d’exemple, on peut lire sur un des sites Web qu’un affût de chasse est « [...] l’article le plus important [...] » [traduction] pour la chasse à l’oie25.

29. Selon Canadian Tire, la conception, la meilleure utilisation, la commercialisation et la distribution des marchandises en cause indiquent également qu’elles doivent être classées dans la position no 95.07, ces critères ayant été clairement désignés dans la jurisprudence du Tribunal comme déterminant le classement tarifaire approprié26. Plus particulièrement, les marchandises en cause ont été conçues expressément pour la chasse (de par leurs caractéristiques de facilité de transport, de légèreté et de camouflage)27, servent à la chasse, sont commercialisées auprès des chasseurs et sont distribuées par des détaillants spécialisés qui répondent aux besoins des chasseurs et offerts dans le rayon des articles de chasse de grands détaillants28.

30. Enfin, Canadian Tire allègue que sa position est également appuyée par la version française de la position no 95.07, qui mentionne les « articles de chasse », ce qu’un affût de chasse est manifestement29.

31. En conséquence, Canadian Tire soutient que l’ASFC a incorrectement classé les marchandises en cause dans la position no 63.07, qui, de par ses termes mêmes, fait fonction de position résiduelle. À cet égard, Canadian Tire soutient que l’ASFC omet d’expliquer pourquoi les marchandises en cause n’ont pas été, de prime abord, classées dans la position no 95.0730.

ANALYSE

32. La Règle 1 des Règles générales prévoit que le classement est déterminé d’après les termes des positions et des notes de section ou de chapitre et, lorsqu’elles ne sont pas contraires aux termes desdites positions et notes, d’après les règles énumérées plus bas.

33. Les positions concurrentes en l’espèce sont les suivantes :

a) la position no 63.07 : autres articles confectionnés, y compris les patrons de vêtements;

b) la position no 95.07 : cannes à pêche, hameçons et autres articles pour la pêche à la ligne, épuisettes pour tous usages, leurres (autres que ceux des nos 92.08 ou 97.05) et articles de chasse similaires.

34. À cet égard, la note 1t) de la section XI, qui inclut le chapitre 63, exclut explicitement les articles du chapitre 95 du champ d’application de cette section et prévoit ce qui suit :

Section XI

MATIÈRES TEXTILES ET OUVRAGES EN CES MATIÈRES

Notes.

1 La présente Section ne comprend pas :

[...]

t) les articles du Chapitre 95 (jouets, jeux, engins sportifs, filets pour activités sportives, par exemple)

[Nos italiques]

35. La note (1) des Notes explicatives du chapitre 63, qui exclut explicitement du champ d’application de la position no 63.07 les articles textiles confectionnés décrits de manière plus précise dans d’autres dispositions de la nomenclature, est également pertinente et prévoit ce qui suit :

CONSIDERATIONS GENERALES

Le présent Chapitre comprend :

1) Sous les nos 63.01 à 63.07 (Sous-Chapitre I) les articles en tous textiles (tissus, étoffes de bonneterie, feutres, nontissés, etc.), qui ne sont pas compris dans des positions plus spécifiques de la Section XI ou dans d’autres Chapitres de la Nomenclature. Sous le terme d’articles, on ne vise ici que des produits confectionnés au sens de la Note 7 de la Section XI (voir la partie II des Considérations générales de la Section XI).

[Nos italiques]

36. Le fait que la position no 63.07 est destinée à servir de position résiduelle est confirmé dans les Notes explicatives de cette position, qui prévoient ce qui suit :

La présente position englobe les articles confectionnés en tout textile, qui ne sont pas repris dans des positions plus spécifiques de la Section XI ou dans d’autres Chapitres de la Nomenclature.

[Nos italiques]

37. Enfin, les Notes explicatives de la position no 63.07 reprennent pour l’essentiel la note 1t) de la section XI en ce qui concerne l’exclusion des articles du chapitre 95 et prévoient ce qui suit :

Sont exclus de cette position [...] :

[...]

o) Les jouets, jeux, articles pour divertissements et fêtes, accessoires de carnaval et autres articles du Chapitre 95.

[Nos italiques]

38. Compte tenu du fait que les articles textiles confectionnés ne peuvent être classés dans la position no 63.07 s’ils sont décrits de manière plus précise ailleurs dans la nomenclature, la note 1t) de la section XI excluant explicitement les articles du chapitre 95 du champ d’application de cette section, le Tribunal considère qu’il est approprié de débuter son analyse en déterminant si les marchandises en cause peuvent être classées dans la position no 95.07.

39. À cet égard, s’il est conclu que les marchandises en cause ne peuvent être classées dans la position no 95.07, le Tribunal déterminera alors si les marchandises en cause peuvent être classées dans une autre position de la nomenclature ou dans la position résiduelle no 63.07.

40. Le Tribunal accepte l’interprétation grammaticale que fait l’ASFC de la version anglaise de la position no 95.07 et sa conclusion en découlant selon laquelle l’expression « [...] similar hunting and shooting requisites » est déterminée par la mention qui la précède, « [...] bird decoys (other than those of heading 92.08 or 97.05) [...] »31. Plus particulièrement, le Tribunal est d’avis que la mention « bird decoys » exige que les marchandises en cause a) soient des articles de chasse au même titre que les leurres en forme d’oiseau et b) soient similaires à des leurres en forme d’oiseau. Le Tribunal examinera donc les marchandises en cause à la lumière de chacune de ces conditions de la position no 95.07.

Les marchandises en cause sont-elles des articles nécessaires pour la chasse au même titre que les leurres en forme d’oiseau?

41. De l’avis du Tribunal, la position de l’ASFC selon laquelle les marchandises en cause ne peuvent pas être considérées comme des articles nécessaires parce qu’il est possible de s’adonner à la chasse ou au tir sans utiliser un affût de chasse reflète une mauvaise interprétation contextuelle du terme « requisite » dans la version anglaise de la position no 95.07.

42. De fait, la façon dont l’ASFC interprète cette condition de la position no 95.07 dans le cas des marchandises en cause aurait empêché les leurres en forme d’oiseau eux-mêmes d’être considérés comme des « hunting and shooting requisites », en dépit du fait qu’ils sont ainsi désignés dans cette position. À cet égard, bien qu’il soit habituel d’utiliser des leurres en forme d’oiseau dans la chasse du gibier à plumes, il est possible de s’adonner à cette activité d’autres façons qui n’impliquent pas l’utilisation de leurres, comme l’indique l’échange suivant :

Membre présidant : Existe-t-il un type de chasse [...] où seuls les oiseaux en vol sont ciblés?

M. Nesbitt: Oui, si vous connaissez leur schème de vol32.

[Traduction]

43. La « chasse à la volée » au canard a également été invoquée. Cette chasse qui n’implique pas l’utilisation de leurres en forme d’oiseau a été décrite par le témoin expert dans l’échange suivant :

Membre présidant : [Qu’est-ce que la] [c]hasse à la volée?

M. Nesbitt : [...] vous pagayez en canot dans un marécage et vous faites lever [les canards] [...]33

[Traduction]

44. Le Tribunal remarque que la définition du dictionnaire de « requisite » englobe quelque chose qui est « requis par les circonstances »34 [traduction] ou « nécessité (à une fin quelconque) »35 [traduction]. Le Tribunal est d’avis que le terme « requisite », dans le contexte de son utilisation dans la position no 95.07, n’englobe pas seulement les articles considérés comme absolument indispensables à la chasse au gibier à plumes, mais également les articles nécessaires à une fin particulière liée aux exigences découlant des circonstances dans lesquelles une telle activité de chasse se déroule habituellement.

45. À cet égard, les éléments de preuve indiquent que « [...] [parmi les] articles utilisés par la plupart des chasseurs de gibier à plumes [on compte] [...] l’affût de chasse [et] les leurres [...] »36 [traduction], « [les] leurres [...] [étant] l’une des pièces d’équipement les plus importantes pour le chasseur de gibier à plumes »37 [traduction], leur utilisation étant particulièrement importante lors de la chasse de fin de saison. Notamment, « [...] puisqu’en fin de saison les oiseaux sont plus craintifs en raison de la chasse intensive, [...] les stratégies concernant la disposition de leurres — et d’un affût — deviennent cruciaux »38 [traduction].

46. À partir des éléments de preuve au dossier, le Tribunal conclut que, bien que les chasseurs de gibier à plumes utilisent presque toujours des leurres, la chasse peut se faire et se fait bel et bien sans ces accessoires. Néanmoins, ils demeurent des articles nécessaires pour la chasse de par le fait que leur utilisation est, sur le plan pratique, nécessaire dans des situations où des oiseaux méfiants doivent être attirés dans un champ de tir. De même, un affût de chasse peut être considéré comme un article nécessaire pour la chasse parce que son utilisation est, sur le plan pratique, nécessaire dans des situations où l’environnement dans lequel l’activité de chasse se déroule n’offre pas au chasseur un camouflage naturel adéquat39.

47. En bref, bien que ni les leurres en forme d’oiseau ni les affûts ne puissent être considérés comme indispensables pour la chasse au gibier à plumes, puisqu’une telle activité de chasse peut se dérouler sans que l’un ou l’autre article ne soit utilisé, leur caractère indispensable en pratique dans des situations précises associées à la chasse au gibier à plumes fait qu’ils sont tous deux des « requisites » pour la chasse au sens large de ce terme anglais.

48. En effet, le fait que la version française de la position no 95.07 n’utilise pas l’équivalent français du mot « requisites », mais plutôt le mot « articles » (c.-à-d. « articles de chasse similaires »), appuie le point de vue selon lequel le classement dans la position no 95.07 ne doit pas se fonder sur une interprétation inutilement étroite de ce mot dans la version anglaise.

49. Le Tribunal est donc convaincu que les affûts de chasse sont des « requisites » pour la chasse au même titre que les leurres en forme d’oiseau.

Les marchandises en cause sont-elles similaires à des leurres en forme d’oiseau?

50. Le Tribunal n’est pas d’accord avec l’affirmation de l’ASFC selon laquelle « [...] les marchandises en cause, n’étant pas des articles sculptés ou construits de manière à représenter un oiseau, ne peuvent pas être considérées comme des articles nécessaires pour la chasse qui sont similaires à des leurres en forme d’oiseau »40 [traduction].

51. Le Tribunal est d’accord avec l’ASFC sur le fait que la mention antérieure dans la version anglaise de la position no 95.07 de « bird decoys (other than those of heading 92.08 or 97.05) » détermine bel et bien le sens de l’expression suivante « similar hunting or shooting requisites », mais le Tribunal est d’avis que la similitude requise entre le dernier et le premier ne concerne pas la ressemblance physique à un oiseau. En vérité, restreindre le sens du mot « similaire », en ce qui concerne l’expression « [...] hunting or shooting requisites » comme le propose l’ASFC rendrait cette expression redondante et la priverait d’un sens et d’un objet indépendants dans la mesure où des articles sculptés ou construits d’une autre manière pour représenter des oiseaux sont déjà inclus dans la mention de « decoy birds » dans cette position.

52. Le Tribunal est également d’avis que les articles nécessaires pour la chasse qui sont similaires à des leurres en forme d’oiseau ne peuvent pas non plus se limiter aux autres types de leurres de chasse41 puisque si c’était là bel et bien l’intention de la version anglaise de la position no 95.07, comme l’indique l’ASFC dans la clarification de sa position initiale42, l’expression « [...] bird decoys (other than those of heading 92.08 or 97.05) and similar hunting or shooting requisites » de la version anglaise de la position no 95.07 aurait pu être réduite à une simple mention de « bird decoys (other than those of heading 92.08 or 97.05) and other bird decoys », de la même manière que la mention la précédant immédiatement dans la même position de « [...] épuisettes pour tous usages [...] »43. De l’avis du Tribunal, la mention « [...] similar [...] requisites » au lieu de « similar decoys » dans la position no 95.07 est délibérée et manifeste une intention claire d’élargir l’éventail d’articles similaires au-delà des autres types de leurres de chasse.

53. De fait, si la portée des marchandises en cause à d’autres types de leurres de chasse était restreinte, la version anglaise de la position no 95.07 aurait une portée plus étroite que la version française de cette position, qui s’étend généralement au-delà des leurres de chasse, afin d’englober également les articles de chasse de nature similaire. La version française de la position no 95.07 prévoit ce qui suit :

Cannes à pêche, hameçons et autres articles pour la pêche à la ligne; épuisettes pour tous usages; leurres(autres que ceux des nos 92.08 ou 97.05) et articles de chasse similaires.

[Nos italiques]

54. Enfin, et bien que la décision dans le présent appel ne nécessite pas que le Tribunal examine la question en détail, l’inclusion dans la position no 95.07 de la mention « [...] similar [...] shooting [à l’exclusion de hunting] » sous-entend que l’éventail d’articles considérés comme « similaires » à des leurres en forme d’oiseau s’étendrait nécessairement au-delà des autres leurres de chasse afin d’englober également certains articles nécessaires pour les activités de tir. Le Tribunal se contentera de dire qu’il accepte comme raisonnables les observations suivantes faites par Canadian Tire : « [...] dans l’activité du tir, les leurres n’ont aucune utilité. [...] [A]u-delà de la disposition sur la chasse, il y a aussi une disposition sur le tir, et il est clair que la disposition ne peut pas comprendre uniquement les leurres. [...] Elle doit aller au-delà de cela »44 [traduction].

55. Plus récemment, le Tribunal a eu l’occasion d’examiner la question d’articles similaires dans Rui Royal International Corp. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada45. Dans cette cause, le Tribunal, après avoir examiné la jurisprudence, a convenu que « [...] le critère servant à établir si un article est un “article similaire” n’est pas strict »46, que, bien que « des marchandises semblables [doivent] avoir en commun d’importantes caractéristiques, [...] “similar” (semblable) ne signifiait pas “identical” (identique) »47 et que des marchandises similaires doivent posséder « les mêmes attributs généraux »48, avec des caractéristique en commun sur le plan de leur « [...] fabrication et de leur fonction [...] »49. Ces observations, bien que pertinentes, ont été faites dans un contexte sensiblement différent du contexte actuel50.

56. Pour les motifs énoncés ci-dessus, le Tribunal est d’avis qu’une interprétation contextuelle de la position no 95.07 exige que la similitude entre les marchandises en cause et les leurres en forme d’oiseau soit évaluée selon un critère moins rigoureux que celui proposé par l’ASFC et qui permet de trouver des similitudes à partir de caractéristiques physiques et fonctionnelles générales communes.

57. À cet égard, le Tribunal conclut que les marchandises en cause et les leurres en forme d’oiseau sont :

similaires sur le plan physique, c’est-à-dire qu’ils sont chacun conçus physiquement pour simuler un aspect particulier de l’environnement naturel dans lequel une activité de chasse au gibier à plumes se déroule, c.-à-d. le feuillage51 et les oiseaux eux-mêmes;

similaires sur le plan fonctionnel, c’est-à-dire qu’ils ont chacun comme fonction plus large de créer l’illusion d’un environnement « propice aux oiseaux » (ces articles étant couramment utilisés ensemble dans ce but précis)52.

58. Outre ces caractéristiques générales communes, les éléments de preuve indiquent également que les marchandises en cause et les leurres en forme d’oiseau partagent d’autres attributs physiques particuliers. Les deux sont légers, portables53 et peuvent être facilement montés et démontés54 afin de permettre au chasseur d’adopter rapidement une position différente selon les habitudes de déplacement des oiseaux ciblés.

59. À partir de ces caractéristiques générales et de leurs attributs particuliers communs, le Tribunal est persuadé que les marchandises en cause sont « similaires » à des leurres en forme d’oiseau au sens large de ce terme dans le contexte de la position no 95.07.

60. Par conséquent, le Tribunal conclut que les marchandises en cause peuvent être classées dans la position no 95.07.

61. Ainsi, les marchandises en cause ne peuvent pas être classées dans la position no 63.07 en vertu de la note 1t) de la section XI.

62. Par conséquent, conformément à la Règle 1 des Règles générales, le Tribunal conclut que les marchandises en cause doivent être classées dans la position no 95.07.

63. Les sous-positions de cette position portent sur des articles de pêche et sur d’« autres » articles. Puisque les marchandises en cause servent à la chasse plutôt qu’à la pêche, elles constituent d’« autres » articles. Par conséquent, aux termes de la Règle 6 des Règles générales, les marchandises en cause doivent être classées dans la sous-position no 9507.90.

64. Selon les termes du numéro tarifaire de cette sous-position, et en appliquant la même logique, le Tribunal conclut, conformément à la Règle 1 des Règles canadiennes, que les marchandises en cause doivent être classées dans le numéro tarifaire 9507.90.99.

DÉCISION

65. L’appel est admis.


1 . L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1 [Loi].

2 . Pièce du Tribunal AP-2010-069-05A au para. 4, onglet 2.

3 . Pièce du Tribunal AP-2010-069-05A au para. 5; pièce du Tribunal AP-2010-069-03A, onglet 1.

4 . L.C. 1997, c. 36.

5 . Pièce du Tribunal AP-2010-069-08A; Transcription de l’audience publique, 4 octobre 2011, à la p. 6.

6 . Le Canada est l’un des pays signataires de la Convention internationale sur le Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises, qui régit le Système harmonisé.

7 . L.C. 1997, c. 36, annexe [Règles générales].

8 . L.C. 1997, c. 36, annexe.

9 . Organisation mondiale des douanes, 4e éd., Bruxelles, 2007 [Notes explicatives]. Il cite également le Recueil des Avis de classement du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises, mais aucun de ces avis ne s’applique au présent appel.

10 . Canada (Procureur général) c. Suzuki Canada Inc., 2004 CAF 131 (CanLII) aux para. 13, 17.

11 . La Règle 6 des Règles générales prévoit ce qui suit : « Le classement des marchandises dans les sous-positions d’une même position est déterminé légalement d’après les termes de ces sous-positions et des Notes de sous-positions ainsi que, mutatis mutandis, d’après les Règles ci-dessus, étant entendu que ne peuvent être comparées que les sous-positions de même niveau. Aux fins de cette Règle, les Notes de Sections et de Chapitres sont également applicables sauf dispositions contraires. »

12 . La Règle 1 des Règles canadiennes prévoit que le numéro tarifaire est déterminé légalement d’après les termes de ce numéro tarifaire et des notes supplémentaires ainsi que, mutatis mutandis, d’après les Règles générales, par exemple, en interprétant le mot « position » à la Règle 1 des Règles générales comme signifiant « numéro tarifaire ».

13 . L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 31.

14 . Pièce du Tribunal AP-2010-069-05A au para. 28.

15 . Ibid. aux para. 29-33.

16 . Ibid. aux para. 34-35.

17 . Ibid. aux para. 35.

18 . Ibid. aux para. 38.

19 . Ibid. aux para. 38-40.

20 . Ibid. aux para. 41-42.

21 . Ibid. au para. 16.

22 . Pièce du Tribunal AP-2010-069-03A au para. 19.

23 . Ibid. au para. 16; onglet 4 à la p. 10.

24 . Ibid. au para. 21.

25 . Ibid. au para. 21; onglet 1-3.

26 . Partylite Gifts Ltd. c. Commissaire de l’Agence des douanes et du revenu (16 février 2004), AP-2003-008 (TCCE).

27 . Notamment, « [l]es marchandise[s] en cause [...] ont un motif de feuilles découpées simulant du vrai feuillage » [traduction]. Pièce du Tribunal AP-2010-069-05A au para. 5.

28 . Pièce du Tribunal AP-2010-069-03A aux para. 24-27.

29 . Ibid. aux para. 28-29.

30 . Ibid. aux para. 31-34.

31 . Plus particulièrement, l’ASFC soutient ce qui suit : « Le point-virgule sert [dans la position no 95.07] à marquer une pause complète, ce qui permet d’établir la distinction entre des parties distinctes du libellé de la position. Par conséquent, la condition “articles de chasse similaires” est déterminée par l’expression “leurres (autres que ceux des nos 92.08 ou 97.05)” » [notes omises, traduction]. Pièce du Tribunal AP-2010-069-05A au para. 35.

32 . Transcription de l’audience publique, 4 octobre 2011, à la p. 23.

33 . Ibid. à la p. 24.

34 . Pièce du Tribunal AP-2010-069-05A au para. 31.

35 . Ibid.

36 . Pièce du Tribunal AP-2010-069-03A, onglet 1 à la p. 6.

37 . Ibid., onglet 1 à la p. 9.

38 . Ibid., onglet 1 à la p. 10.

39 . Dans son témoignage, M. Nesbitt affirme que cela est particulièrement le cas pour la chasse aux dindons sauvages, qui sont des oiseaux intelligents dotés d’une vue perçante. Transcription de l’audience publique, 4 octobre 2011, aux pp. 7, 9, 28-29.

40 . Pièce du Tribunal AP-2010-069-5A au para. 35.

41 . À cet égard, M. Nesbitt indique dans son témoignage d’expert qu’« [i]l existe des leurres pour à peu près tout. Vous pouvez vous procurer des leurres pour chevreuil, pour antilope ou pour coyote. Il y a toutes sortes de leurres » [traduction]. Transcription de l’audience publique, 4 octobre 2011, à la p. 25.

42 . Transcription de l’audience publique, 4 octobre 2011, à la p. 81.

43 . De fait, le Tribunal est enclin à être d’accord avec l’observation suivante faite par Canadian Tire : « Si c’était tout ce que [la position no] 95.07 comprend, elle n’aurait dit que leurres. Il n’aurait pas été nécessaire qu’elle aille plus loin » [traduction]. Transcription de l’audience publique, 4 octobre 2011, aux pp. 87-88.

44 . Transcription de l’audience publique, 4 octobre 2011, aux pp. 88-89.

45 . (30 mars 2011), AP-2010-003 (TCCE).

46 . Ibid. au para. 82.

47 . Ibid.

48 . Ibid.

49 . Ibid. au para. 83.

50 . La question en litige dans cette cause consistait à déterminer si certains articles textiles (c.-à-d. certaines sangles de remorquage) étaient similaires à des sangles de porte-bagages. Les Notes explicatives de la position no 63.07 comprennent explicitement « [...] les sangles pour porte-bagages et les articles similaires » dans la mention de cette position des « [a]utres articles confectionnés, y compris les patrons de vêtements ». À cet égard, le Tribunal, après avoir examiné les principaux éléments constitutifs (c.-à-d. « webbing » (toile), « carrier » (porte-bagages) et « strap » (sangle) de la description générale à partir de laquelle la similitude a été établie, a conclu que les sangles de remorquage étaient suffisamment similaires aux sangles de porte-bagages pour constituer des articles similaires aux fins des Notes explicatives et, par extension, du classement dans la position no 63.07.

51 . La pièce du Tribunal AP-2010-069-5A au para. 5 indique que les marchandises en cause ont « [...] un motif de feuilles découpées simulant du vrai feuillage ».

52 . À cet égard, les éléments de preuve indiquent que les affûts de chasse et les leurres en forme d’oiseau doivent être placés de manière stratégique tant par rapport aux oiseaux que l’un par rapport à l’autre. Pièce du Tribunal AP-2010-069-03A, onglet 1 à la p. 10; Transcription de l’audience publique, 4 octobre 2011, aux pp. 27-28.

53 . Pièce du Tribunal AP-2010-069-03A au para. 7.

54 . Transcription de l’audience publique, 4 octobre 2011, à la p. 92.