C.B. POWELL LIMITED


C.B. POWELL LIMITED
c.
PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA
Appels nos AP-2010-007 et AP-2010-008

Ordonnance et motifs rendus
le mercredi 11 août 2010


TABLE DES MATIÈRES


EU ÉGARD À des appels interjetés le 3 novembre 2009 aux termes de l’article 67 de la Loi sur les douanes, L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1;

ET EU ÉGARD À des avis de rejet B2 émis par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada datés des 7 août et 17 octobre 2008.

ENTRE

C.B. POWELL LIMITED Appelante

ET

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA Intimé

ORDONNANCE

Les appels sont rejetés.

Pasquale Michaele Saroli
Pasquale Michaele Saroli
Membre présidant

Dominique Laporte
Dominique Laporte
Secrétaire

EXPOSÉ DES MOTIFS

CONTEXTE

1. Les présents appels sont interjetés par C.B. Powell Limited (C.B. Powell) aux termes de l’article 67 de la Loi sur les douanes 1 . Les marchandises en cause sont des bocaux de miettes de bacon importés des États-Unis en 2005. C.B. Powell demande de changer l’origine qu’elle a déclarée à l’égard des marchandises en cause au moment de leur importation. Le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) affirme que, puisqu’aucune décision n’a été rendue aux termes de l’article 60, le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) n’a pas compétence pour connaître des appels. Par conséquent, le Tribunal doit statuer sur la question préliminaire du respect des exigences de compétence du paragraphe 67(1). Avant d’entendre les observations sur le fond des appels, le Tribunal a demandé à ce que lui soient soumises des observations préliminaires sur la question de compétence.

2. Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut qu’il n’a pas compétence pour connaître des présents appels.

HISTORIQUE DES PROCÉDURES

3. Dans sa déclaration en douane portant sur les marchandises en cause, C.B. Powell a déclaré la valeur en douane, l’« origine » aux fins du classement tarifaire, qui précisait l’application du tarif de la nation la plus favorisée (NPF), et un numéro particulier de classement tarifaire. Comme l’ASFC n’a pas regardé au-delà de la déclaration en douane au plus tard au moment de la déclaration en détail des marchandises, leur valeur en douane, leur origine et leur classement tarifaire ont été présumés avoir été déterminés selon la déclaration, conformément au paragraphe 58(2) de la Loi.

4. En 2008, l’ASFC a procédé à une vérification et a conclu que C.B. Powell avait mal classé les marchandises en cause en entrant le mauvais numéro de classement sur sa déclaration en douane. Avant de procéder à une révision en application de l’article 59 de la Loi, l’ASFC a demandé à C.B. Powell de présenter ses observations. Cette dernière a reconnu son erreur de classement tarifaire et a également déclaré s’être aperçu avoir erré dans la déclaration de l’origine des marchandises en cause, soutenant que celles-ci étaient admissibles au traitement tarifaire en franchise de droits en vertu de l’Accord de libre-échange nord-américain 2 plutôt que d’être assujetties au tarif de la NPF de 12,5 p. 100. C.B. Powell a demandé que cette autre correction soit apportée.

5. L’ASFC a procédé à une révision en application du paragraphe 59(1) de la Loi et a corrigé le numéro de classement tarifaire, mais n’a pas changé le tarif de la NPF de 12,5 p. 100. Ce faisant, elle a fait remarquer ce qui suit :

Cette décision représente une révision du classement tarifaire seulement. Le traitement tarifaire n’a pas été revu et n’est pas révisé dans le présent relevé détaillé de rajustement (RDR).

[Traduction]

6. C.B. Powell était en désaccord avec le maintien du tarif de la NPF de 12,5 p. 100 et a cherché à se prévaloir du recours prévu au paragraphe 60(1) de la Loi. Toutefois, le président de l’ASFC a conclu qu’il n’avait pas la compétence pour trancher l’affaire. À cet égard, l’ASFC, dans son avis de rejet B2 du 7 août 2008, a avisé C.B. Powell que sa demande de rajustement était rejetée sans décision et sans autre procédure, en indiquant ce qui suit :

[...] comme il n’y a eu aucune révision antérieure de l’origine en vertu de l’article 59 de la Loi sur les douanes [...] il n’y a pas de droit d’appel aux termes de l’article 60 en ce qui concerne l’origine.

[Traduction]

7. C.B. Powell a déposé une demande de contrôle judiciaire auprès de la Cour fédérale, demandant que celle-ci déclare qu’il y avait bel et bien eu décision en vertu du paragraphe 60(1) de la Loi et qu’il y avait par conséquent droit d’appel auprès du Tribunal en vertu du paragraphe 67(1).

8. L’ASFC a réaffirmé sa position selon laquelle, puisqu’aucune révision de l’origine n’avait eu lieu en application du paragraphe 59(1) de la Loi, aucun réexamen n’était possible aux termes du paragraphe 60(1).

9. La Cour fédérale a accueilli la demande de contrôle judiciaire, déclarant que l’avis de rejet B2 de l’ASFC était « [...] une décision défavorable [...] à l’égard de laquelle une demande peut être présentée au Tribunal [...] en vertu [du paragraphe 67(1)] [...] »3 . L’ASFC a interjeté appel de la décision.

10. Dans sa décision d’annuler le jugement de la Cour fédérale en l’espèce4 , la Cour d’appel fédérale a affirmé ce qui suit :

[47] [...] Il n’appartient ni à la Cour fédérale ni à notre Cour d’interpréter le mot « décision » au paragraphe 67(1) et de décider si le [Tribunal] peut connaître de l’appel de C.B. Powell. Cette tâche revient au [Tribunal] lorsqu’il est saisi d’un appel interjeté en vertu du paragraphe 67(1).

[49] [...] Aux termes du paragraphe 67(1), seul le [Tribunal] peut interpréter le mot « décision » et décider s’il peut connaître d’un appel.

[Nos italiques]

11. Par ordonnances datées du 12 mai 2010, le Tribunal a accueilli, conformément à l’article 67 de la Loi, les demandes de prorogation du délai prévu pour le dépôt des avis d’appel de C.B. Powell en vertu de l’article 67. Ces demandes (demandes nos EP-2009-003 et EP-2009-004) ont donné lieu aux présents appels (appels nos AP-2010-007 et AP-2010-008).

12. Dans sa correspondance datée du 12 mai 2010, le Tribunal a invité les parties à présenter des observations sur la question préliminaire de savoir si les exigences de compétence du paragraphe 67(1) de la Loi avaient été respectées; des observations ont été subséquemment reçues des deux parties.

13. Ayant conclu que les renseignements au dossier étaient suffisants, le Tribunal a décidé de trancher la question de compétence sur la foi du dossier écrit de ces appels, sans tenir d’audience publique.

QUESTION DE COMPÉTENCE

Position des parties

14. C.B. Powell soutient que les avis de rejet B2 au dossier des présents appels représentent des décisions qui engagent la compétence du Tribunal aux termes de l’article 67 de la Loi. Notamment, elle exprime l’avis que le refus du président de l’ASFC de rendre une décision aux termes de l’article 60 était en soi une décision.

15. Pour sa part, l’ASFC soutient que, comme il n’y a eu aucune révision de l’origine en application du paragraphe 59(1) de la Loi, la demande de réexamen de l’origine aux termes de l’article 60 n’est pas fondée. Par conséquent, les avis de rejet B2, n’étant pas des réexamens aux termes de l’article 60, ne peuvent être considérés comme des décisions qui pourraient faire l’objet d’un appel auprès du Tribunal en application de l’article 67. À cet égard, l’ASFC est d’avis que le recours approprié en vertu du cadre législatif est celui de l’article 74, en vertu duquel une personne peut demander le remboursement de droits excédentaires payés, y compris dans les cas où un traitement tarifaire préférentiel n’a pas été demandé au moment de la déclaration en détail des marchandises importées.

Analyse du Tribunal

16. La compétence du Tribunal provient de sa loi habilitante, la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur 5 , laquelle prévoit ce qui suit :

16. The duties and functions of the Tribunal are to

. . .

(c) hear, determine and deal with all appeals that, pursuant to any other Act of Parliament or regulations thereunder, may be made to the Tribunal, and all matters related thereto; . . .

16. Le Tribunal a pour mission :

[...]

c) de connaître de tout appel pouvant y être interjeté en vertu de toute autre loi fédérale ou de ses règlements et des questions connexes;

[...]

[Nos italiques]

17. À cet égard, par l’application du paragraphe 67(1) de la Loi, il y a appel devant le Tribunal d’une décision antérieure du président de l’ASFC rendue aux termes du paragraphe 60(1). Le paragraphe 67(1) prévoit ce qui suit :

67. (1) A person aggrieved by a decision of the President made under section 60 or 61 may appeal from the decision to the Canadian International Trade Tribunal by filing a notice of appeal in writing with the President and the Secretary of the . . . Tribunal within ninety days after the time notice of the decision was given.

67. (1) Toute personne qui s’estime lésée par une décision du président rendue conformément aux articles 60 ou 61 peut en interjeter appel devant le Tribunal canadien du commerce extérieur en déposant par écrit un avis d’appel auprès du président et du secrétaire de ce Tribunal dans les quatre-vingt-dix jours suivant la notification de l’avis de décision.

[Nos italiques]

18. Il est de jurisprudence constante des tribunaux fédéraux que les articles 57.1 à 67 de la Loi prévoient un cadre complet de contrôle de toutes les questions liées au classement tarifaire, à l’origine, à la valeur en douane et à la conformité des marques6 . À cet égard, les principes modernes d’interprétation des lois7 exigent que les dispositions d’une loi soient interprétées dans leur contexte, c’est-à-dire en faisant les liens nécessaires entre elles, d’une manière s’harmonisant avec le but du législateur.

19. Une interprétation contextuelle de la compétence du Tribunal en vertu du paragraphe 67(1) de la Loi exige que la disposition soit d’abord placée dans le cadre administratif général de la loi, afin de discerner de quelle manière elle doit s’appliquer en relation avec les autres instances décisionnelles faisant partie du cadre législatif.

20. À cet égard, la structure du régime prévu par la Loi se fonde sur une suite de mécanismes administratifs permettant la révision et le réexamen de décisions et de révisions par les personnes expressément habilitées à chaque stade du processus à prendre ces décisions, ainsi que sur un mécanisme d’appel ayant pour objet de contrôler toute décision relative au classement tarifaire, à l’origine et à la valeur en douane.

21. En ce qui concerne le cadre législatif lui-même, l’article 57.1 de la Loi prévoit les méthodes de détermination de l’origine, du classement tarifaire et de la valeur en douane. L’article 57.1 prévoit ce qui suit :

57.1 For the purposes of sections 58 to 70,

(a) the origin of imported goods is to be determined in accordance with section 16 of the Customs Tariff and the regulations under that section;

(b) the tariff classification of imported goods is to be determined in accordance with sections 10 and 11 of the Customs Tariff, unless otherwise provided in that Act; and

(c) the value for duty of imported goods is to be determined in accordance with sections 47 to 55 of this Act and section 87 of the Customs Tariff.

57.1 Pour l’application des articles 58 à 70 :

a) l’origine des marchandises importées est déterminée conformément à l’article 16 du Tarif des douanes et aux règlements d’application de cet article;

b) le classement tarifaire des marchandises importées est déterminé conformément aux articles 10 et 11 du Tarif des douanes, sauf indication contraire de cette loi;

c) la valeur en douane des marchandises importées est déterminée conformément aux articles 47 à 55 de la présente loi et à l’article 87 du Tarif des douanes.

[Nos italiques]

22. Les paragraphes 58(1) et 58(2) de la Loi, relatifs aux déterminations d’un agent8 chargé de l’application de l’article par le président de l’ASFC9 , individuellement ou au titre de son appartenance à une catégorie d’agents, et aux déterminations présumées, prévoient ce qui suit :

58. (1) Any officer, or any officer within a class of officers, designated by the President for the purposes of this section, may determine the origin, tariff classification and value for duty of imported goods at or before the time they are accounted for under subsection 32(1), (3) or (5).

(2) If the origin, tariff classification and value for duty of imported goods are not determined under subsection (1), the origin, tariff classification and value for duty of the goods are deemed to be determined, for the purposes of this Act, to be as declared by the person accounting for the goods in the form prescribed under paragraph 32(1)(a). That determination is deemed to be made at the time the goods are accounted for under subsection 32(1), (3) or (5).

58. (1) L’agent chargé par le président, individuellement ou au titre de son appartenance à une catégorie d’agents, de l’application du présent article peut déterminer l’origine, le classement tarifaire et la valeur en douane des marchandises importées au plus tard au moment de leur déclaration en détail faite en vertu des paragraphes 32(1), (3) ou (5).

(2) Pour l’application de la présente loi, l’origine, le classement tarifaire et la valeur en douane des marchandises importées qui n’ont pas été déterminés conformément au paragraphe (1) sont considérés comme ayant été déterminés selon les énonciations portées par l’auteur de la déclaration en détail en la forme réglementaire sous le régime de l’alinéa 32(1)a). Cette détermination est réputée avoir été faite au moment de la déclaration en détail faite en vertu des paragraphes 32(1), (3) ou (5).

[Nos italiques]

23. Les paragraphes 59(1) et 59(2) de la Loi, portant sur la révision de décisions antérieures et sur le réexamen de révisions antérieures par des agents des douanes, prévoient ce qui suit :

59. (1) An officer, or any officer within a class of officers, designated by the President for the purposes of this section, may

(a) in the case of a determination under section . . . 58, re-determine the origin, tariff classification, value for duty or marking determination of any imported goods at any time within

(i) four years after the date of the determination . . . or

(ii) four years after the date of the determination, if the Minister considers it advisable to make the re-determination; and

(bfurther re-determine the origin, tariff classification or value for duty of imported goods, within four years after the date of the determination or, if the Minister deems it advisable, within such further time as may be prescribed . . . .

(2) An officer who makes a determination under subsection . . . 58(1) or a re-determination or further re-determination under subsection (1) shall without delay give notice of the determination, re-determination or further re-determination, including the rationale on which it is made, to the prescribed persons.

59. (1) L’agent chargé par le président, individuellement ou au titre de son appartenance à une catégorie d’agents, de l’application du présent article peut :

a) dans le cas d’une décision prévue à l’article [...] 58, réviser l’origine, le classement tarifaire ou la valeur en douane des marchandises importées, ou procéder à la révision de la décision sur la conformité des marques de ces marchandises, dans les délais suivants :

(i) dans les quatre années suivant la date de la détermination [...]

(ii) dans les quatre années suivant la date de la détermination, si le ministre l’estime indiqué;

bréexaminer l’origine, le classement tarifaire ou la valeur en douane dans les quatre années suivant la date de la détermination ou, si le ministre l’estime indiqué, dans le délai réglementaire [...].

(2) L’agent qui procède à la décision ou à la détermination en vertu [du paragraphe] [...] 58(1) [...] ou à la révision ou au réexamen en vertu du paragraphe (1) donne sans délai avis de ses conclusions, motifs à l’appui, aux personnes visées par règlement.

[Nos italiques]

24. Les articles 60(1) et 60(4) de la Loi, le stade suivant du cadre administratif prévu par la Loi, prévoit un recours auprès du président de l’ASFC pour la révision d’une décision antérieure d’un agent des douanes en vertu du paragraphe 58(1) ou le réexamen d’une révision ou un réexamen en application du paragraphe 59(1). Puisque les pouvoirs accordés aux agents des douanes par le paragraphe 59(1) couvrent la révision de décisions faites en vertu de l’article 58, le recours aux termes du paragraphe 60(1) est également ouvert à l’encontre d’une révision d’une détermination présumée par un agent des douanes en vertu du paragraphe 58(2). Les paragraphes 60(1) et 60(4) prévoient ce qui suit :

60. (1) A person to whom notice is given under subsection 59(2) in respect of goods may, within ninety days after the notice is given, request a re-determination or further re-determination of origin, tariff classification, value for duty or marking. The request may be made only after all amounts owing as duties and interest in respect of the goods are paid or security satisfactory to the Minister is given in respect of the total amount owing.

. . . 

(4) On receipt of a request under this section, the President shall, without delay,

(a) re-determine or further re-determine the origin, tariff classification or value for duty;

(b) affirm, revise or reverse the advance ruling; or

(c) re-determine or further re-determine the marking determination.

60. (1) Toute personne avisée en application du paragraphe 59(2) peut, dans les quatre-vingt-dix jours suivant la notification de l’avis et après avoir versé tous droits et intérêts dus sur des marchandises ou avoir donné la garantie, jugée satisfaisante par le ministre, du versement du montant de ces droits et intérêts, demander la révision ou le réexamen de l’origine, du classement tarifaire ou de la valeur en douane, ou d’une décision sur la conformité des marques.

[...]

(4) Sur réception de la demande prévue au présent article, le président procède sans délai à l’une des interventions suivantes :

a) la révision ou le réexamen de l’origine, du classement tarifaire ou de la valeur en douane;

b) la confirmation, la modification ou l’annulation de la décision anticipée;

c) la révision ou le réexamen de la décision sur la conformité des marques.

25. Enfin, par l’application du paragraphe 67(1) de la Loi, un appel peut être interjeté devant le Tribunal d’une décision antérieure du président de l’ASFC rendue conformément à l’article 60 :

67. (1) A person aggrieved by a decision of the President made under section 60 or 61 may appeal from the decision to the Canadian International Trade Tribunal by filing a notice of appeal in writing with the President and the Secretary of the [Tribunal] within ninety days after the time notice of the decision was given.

67. (1) Toute personne qui s’estime lésée par une décision du président rendue conformément aux articles 60 ou 61 peut en interjeter appel devant le Tribunal canadien du commerce extérieur en déposant par écrit un avis d’appel auprès du président et du secrétaire de ce Tribunal dans les quatre-vingt-dix jours suivant la notification de l’avis de décision.

[Nos italiques]

26. Comme il a été mentionné précédemment, la Cour d’appel fédérale, dans une décision récente sur le sujet10 , a jugé qu’en vertu du paragraphe 67(1), seul le Tribunal est habilité à interpréter le mot « décision » et à décider s’il a compétence pour connaître d’un appel.

27. Bien que ce soit la responsabilité du Tribunal, lorsqu’il décide s’il a compétence ou non pour connaître d’un appel, d’interpréter le mot « décision » au paragraphe 67(1) de la Loi, il ne peut attribuer à ce terme un sens qui serait contraire au cadre global prévu par la loi et notamment à la compétence législative qui lui est accordée par le législateur. À cet égard, le Tribunal garde à l’esprit l’admonition de la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick 11  :

[59] [...] une véritable question de compétence se pose lorsque le tribunal administratif doit déterminer expressément si les pouvoirs dont le législateur l’a investi l’autorisent à trancher une question. L’interprétation de ses pouvoirs doit être juste, sinon les actes seront tenus pour ultra vires ou assimilés à un refus injustifié d’exercer sa compétence [...].

[Nos italiques]

28. Le pouvoir de connaître d’un appel accordé au Tribunal par le paragraphe 67(1) de la Loi est conditionnel à ce qu’une « décision » ait été rendue antérieurement par le président de l’ASFC aux termes du paragraphe 60(1).

29. La Cour d’appel fédérale, dans Moumdjian c. Canada (Comité de surveillance des activités du renseignement de sécurité) 12 , a affirmé que « [...] l’expression “décision ou ordonnance” n’a pas un sens figé ou précis, mais que ce sens est plutôt tributaire du cadre législatif [...] ». À cet égard, le Tribunal convient avec l’ASFC que les seules décisions que le président de l’ASFC est autorisé à rendre en application du paragraphe 60(1) de la Loi sont les révisions et les réexamens de classement tarifaire, d’origine et de valeur en douane de marchandises qui ont fait l’objet d’une décision en application du paragraphe 59(2)13 .

30. Il s’ensuit de la nature interreliée et séquentielle des mécanismes administratifs de la Loi qu’en l’absence d’une décision antérieure d’un agent des douanes aux termes du paragraphe 58(1) ou d’une révision aux termes du paragraphe 59(1) de la détermination présumée de l’origine aux termes du paragraphe 58(2), il n’y aurait rien que le président de l’ASFC puisse réviser ou réexaminer à l’égard de la question en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés par le paragraphe 60(1). Une demande faite en vertu du paragraphe 60(1) donnerait donc nécessairement lieu dans une telle situation à un avis de rejet. En l’absence d’une « décision » au sens du paragraphe 60(1), il ne peut y avoir appel devant le Tribunal en application du paragraphe 67(1).

31. Le Tribunal conclut que, dans les présents appels, il n’y a eu en fait aucune révision par un agent des douanes aux termes du paragraphe 59(1) de la Loi de la détermination présumée aux termes du paragraphe 58(2) à l’égard de l’origine. Toutefois, on peut concevoir qu’une telle décision puisse exister par implication nécessaire en conséquence d’autres décisions rendues, ce qui formerait ainsi la base d’une demande au président de l’ASFC en vertu du paragraphe 60(1).

32. Par exemple, dans Mueller Canada Inc. c. Canada 14 , plusieurs décrets avaient été adoptés afin d’apporter des changements au Tarif des douanes en raison de la mise en œuvre du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises au Canada, tous les changements étant rétroactifs au 1er janvier 1988. Le 1er mai 1990, le gouverneur en conseil adoptait le Décret no 7 de modification des annexes du Tarif des douanes15 , dans lequel il révoquait le numéro tarifaire 8481.90.40, « parties de soupapes actionnées à la main » et lui substituait le numéro tarifaire 8481.90.10, « parties de clapets et soupapes de retenue actionnés à la main ». Mueller Canada Inc., étant d’avis que ce changement influait sur le classement tarifaire des produits qu’elle importait, avait déposé une demande de révision le 29 mars 1992. Le 29 janvier 1993, le ministère du Revenu national délivrait un RDR rejetant la demande de révision du classement tarifaire, affirmant : « Cette demande ne peut être étudiée car les marchandises ne sont pas touchées par la modification tarifaire rétroactive [...] ». Le 20 février 1993, Mueller Canada Inc. déposait une demande de réexamen, laquelle était rejetée par le sous-ministre du Revenu national « sans décision et sans autre traitement ». À cet égard, la demande de réexamen a été considérée invalide au motif que, le 29 janvier 1993, la demande de réexamen n’avait pas été suivie d’une décision car elle avait été rejetée. Toutefois, dans son contrôle judiciaire, la Cour fédérale a déclaré ce qui suit : « Pour considérer que le décret rétroactif ne s’appliquait pas aux marchandises en question, il a [nécessairement] fallu que les intimés procèdent à un classement tarifaire. » En fait, le sous-ministre du Revenu national, en refusant le réexamen, a essentiellement rendu une « décision négative » (et non une « non-décision ») qui confirmait le classement tarifaire original et pouvait donc être portée en appel devant le Tribunal.

33. D’une façon similaire, dans Editions Gallery Ltd. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada 16 , l’ASFC délivrait, le 23 juin 2005, des RDR consignant la décision de l’ASFC au sujet du classement tarifaire et affirmant que les marchandises étaient soumises à un taux des droits de la NPF de 6,5 p. 100. Dans une lettre datée du 16 mai 2005, la Division des recours de l’ASFC faisait savoir qu’elle rejetait la demande de réexamen de la détermination de l’origine pour la raison suivante : « Aucune décision sur l’origine ALÉNA n’a été rendue dans ces cas. Malheureusement, la Division des recours a seulement compétence pour examiner les demandes de réexamen de la détermination de l’origine déposées aux termes de l’article 60 de la Loi sur les douanes si une décision sur l’origine a déjà été faite. Par conséquent, la Division des recours ne peut examiner la demande de réexamen de la détermination de l’origine dans ces cas. Le traitement tarifaire demeure donc, dans ces cas, celui de la NPF comme il a initialement été inscrit. » Le Tribunal a conclu que, par sa décision antérieure d’appliquer le taux des droits de la NPF, l’ASFC avait nécessairement dû décider d’abord si un des tarifs préférentiels (par exemple en vertu de l’ALÉNA) s’appliquait, ce qui impliquait nécessairement qu’une révision de la détermination d’origine avait été faite. À cet égard, le Tribunal a affirmé ce qui suit :

21. Le Tribunal interprète ce qui précède comme signifiant que la Division des recours de l’ASFC estimait ne pas avoir compétence pour réexaminer la détermination de l’origine aux termes de l’article 60 de la Loi car elle était d’avis qu’il n’y avait pas eu précédemment de détermination de cette origine.

22. Toutefois, le 23 juin 2005, l’ASFC a délivré des RDR qui précisent non seulement la décision de l’ASFC sur le classement, mais également que les marchandises sont originaires d’une NPF et que le « taux des droits NPF est de 6,5 p. 100 » [traduction]. Ces RDR stipulent qu’ils représentent « des décisions du président de l’Agence des services frontaliers du Canada aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes » [traduction], c’est-à-dire un réexamen. Même si la Division des recours de l’ASFC était d’avis qu’elle ne pouvait réexaminer l’origine, le fait est que, pour réexaminer le taux des droits, l’ASFC devait déterminer si la décision réputée initiale portant sur l’origine allait être confirmée; sinon, elle n’aurait pas su quel taux de droits appliquer. Le Tribunal est donc d’avis que les RDR délivrés le 23 juin 2005 incluaient un réexamen de la détermination de l’origine qui a confirmé la détermination initiale, à savoir une NPF.

34. Dans l’analyse de la pertinence de ces causes aux circonstances de l’espèce, une distinction doit être faite entre le classement tarifaire et la détermination de l’origine. Le paragraphe 2(1) de la Loi définit le « classement tarifaire » comme il suit :

“tariff classification” means the classification of imported goods under a tariff item in the List of Tariff Provisions set out in the schedule to the Customs Tariff.

« classement tarifaire » Le classement des marchandises importées dans un numéro tarifaire de la liste des dispositions tarifaires de l’annexe du Tarif des douanes.

35. Le classement tarifaire se fonde sur la description matérielle des marchandises importées, et le Tribunal détermine le classement tarifaire adéquat des marchandises en conformité avec les règles d’interprétation prescrites17 . À cet égard, le classement tarifaire est indépendant et distinct de la détermination du traitement tarifaire des marchandises selon leur classement.

36. La détermination de l’origine, en revanche, est partie intégrante de la détermination du traitement tarifaire des marchandises importées telles que classées et notamment de la question de savoir si les marchandises peuvent bénéficier d’un tarif préférentiel (par exemple en vertu de l’ALÉNA).

37. Dans Mueller et Editions Gallery, les décisions à l’égard desquelles des réexamens étaient demandés existaient par implication nécessaire des décisions qui avaient réellement été rendues par les instances douanières. Mais ce n’est clairement pas le cas en l’espèce.

38. Étant donné l’ordre des décisions du processus de détermination de l’obligation en matière de droits en application du Tarif des douanes et, tout particulièrement, étant donné que le classement tarifaire précède logiquement la détermination de l’origine à des fins de traitement tarifaire, une détermination du premier n’implique pas nécessairement une détermination du deuxième. À cet égard, le Tribunal est d’accord avec l’affirmation de l’ASFC qu’« [...] il serait inapproprié pour le Tribunal de conclure que, lorsque le classement tarifaire a été révisé, le traitement tarifaire est nécessairement révisé »18 [traduction].

39. Au vu de l’absence de révision par un agent des douanes aux termes du paragraphe 59(1) de la Loi de la détermination d’origine présumée du paragraphe 58(2) et du fait qu’une telle révision ne peut exister par implication nécessaire de la révision du classement tarifaire qui a été faite, le Tribunal conclut que le président de l’ASFC avait raison de conclure qu’il n’avait pas compétence aux termes du paragraphe 60(1) pour rendre une décision (c’est-à-dire un réexamen) sur la question de l’origine.

40. En l’absence d’une décision sur l’origine du président de l’ASFC aux termes du paragraphe 60(1) de la Loi, le Tribunal n’a pas compétence pour connaître d’un appel en vertu du paragraphe 67(1). Le Tribunal, dans Wolseley Engineered Pipe Group c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada 19 , a affirmé ce qui suit :

45. Pour que le Tribunal ait compétence pour décider d’un appel relatif à l’origine, l’ASFC doit avoir rendu une décision sur l’origine aux termes de l’article 60 ou 61 de la Loi. [...] La question de savoir si l’ASFC a rendu une telle décision est une question de fait qu’il faut trancher dans les circonstances de chaque affaire.

Le Tribunal est d’avis que Wolseley est particulièrement pertinente dans les circonstances, étant donné la similarité des faits de la cause à ceux des présents appels. Dans cette affaire, le Tribunal avait conclu ce qui suit :

47. La décision initiale rendue par l’ASFC aux termes de l’article 59 de la Loi, qui a par la suite fait l’objet de la révision de l’ASFC aux termes de l’article 60, ne portait pas sur l’origine des marchandises en cause. La décision rendue aux termes de l’article 59 en l’espèce fait référence au classement et à la valeur en douane, mais non pas à l’origine. La décision rendue aux termes de l’article 59 ne contient aucun terme général qui pourrait raisonnablement être interprété de manière à viser l’origine des marchandises.

[Nos italiques, note omise]

41. En effet, si les présents appels étaient accueillis en vertu de pouvoirs prétendument prévus au paragraphe 67(1) de la Loi alors que nulle « décision » n’a été rendue (soit réellement ou par implication nécessaire) par le président de l’ASFC, qui est l’instance désignée par le paragraphe 60(1) pour rendre de telles décisions, le Tribunal dépasserait la compétence qui lui est conférée suivant l’esprit du cadre législatif. En cela, le Tribunal convient avec l’ASFC que, plutôt que d’être une décision en vertu de l’article 60, « [l]’avis de rejet B-2 [était] un avis administratif informant C.B. Powell qu’elle ne remplissait pas les critères prévus par la Loi pour déposer une demande de réexamen en vertu du paragraphe 60(1) »20 [traduction].

42. Le Tribunal accepte la thèse de l’ASFC selon laquelle le recours approprié n’est pas celui du paragraphe 67(1) de la Loi par l’effet d’une interprétation forcée du terme « décision » figurant dans cette disposition, mais plutôt celui de l’article 74, lequel fait également partie du cadre administratif général prévu par la loi, qui permet au demandeur qui a payé des droits de faire une demande de remboursement, même dans les cas où le traitement tarifaire préférentiel de l’ALÉNA n’a pas été demandé au moment où de la déclaration en détail des marchandises en application de la Loi. L’article 74 prévoit ce qui suit :

74 (1) Subject to this section, section 75 and any regulations made under section 81, a person who paid duties on any imported goods may, in accordance with subsection (3), apply for a refund of all or part of those duties, and the Minister may grant to that person a refund of all or part of those duties, if

. . .

(c.1) the goods were exported from a NAFTA country or from Chile but no claim for preferential tariff treatment under NAFTA or no claim for preferential tariff treatment under CCFTA, as the case may be, was made in respect of those goods at the time they were accounted for under subsection 32(1), (3) or (5);

. . .

74. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, de l’article 75 et des règlements d’application de l’article 81, le demandeur qui a payé des droits sur des marchandises importées peut, conformément au paragraphe (3), faire une demande de remboursement de tout ou partie de ces droits et le ministre peut accorder à la personne qui, conformément à la présente loi, a payé des droits sur des marchandises importées le remboursement total ou partiel de ces droits dans les cas suivants :

[...]

c.1) les marchandises ont été exportées d’un pays ALÉNA ou du Chili mais n’ont pas fait l’objet d’une demande visant l’obtention du traitement tarifaire préférentiel de l’ALÉNA ou de celui de l’ALÉCC au moment de leur déclaration en détail en application du paragraphe 32(1), (3) ou (5);

[...]

43. Enfin, à l’égard de la prétention de C.B. Powell que « [l]e droit à un remboursement en vertu de l’article 74 est indépendant du droit de l’appelante de demander un réexamen en application de l’article 60 (à la suite d’une détermination présumée) » [traduction], le fait qu’il existe deux recours administratifs distincts dans le cadre législatif général n’empêche pas que le recours de l’article 60 de la Loi n’est ouvert que si les exigences claires de cette disposition sont remplies21 .

DÉCISION

44. Pour les motifs qui précèdent, le Tribunal est d’avis que, dans les circonstances, il n’a pas la compétence nécessaire pour connaître de ces appels.

45. Par conséquent, les appels sont rejetés.


1 . L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1 [Loi].

2 . Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d’Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique, 17 décembre 1992, R.T.C. 1994, no 2 (entré en vigueur le 1er janvier 1994) [ALÉNA].

3 . C.B. Powell Ltd. c. Canada (Agence des services frontaliers du Canada), 2009 CF 528 (CanLII).

4 . Canada (Agence des services frontaliers) c. C.B. Powell Limited, 2010 CAF 61 (CanLII).

5 . L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47.

6 . Abbott Laboratories Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national), 2004 CF 140 (CanLII). Le même principe a été confirmé par la Cour d’appel fédérale dans sa décision récente sur une question identique à celle que les parties aux présents appels ont portée devant les tribunaux fédéraux. Dans Canada (Agence des services frontaliers) c. C.B. Powell Limited, 2010 CAF 61 (CanLII), au para. 28, la Cour d’appel fédérale a affirmé ce qui suit : « Le législateur fédéral a établi dans la Loi un processus administratif qui consiste en une série de décisions et d’appels. »

7 . Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559, au para. 26, citant E. Driedger, Construction of Statutes, 2e éd., Toronto, Butterworths, 1983, à la p. 87 : « Aujourd’hui, il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur. »

8 . Le paragraphe 2(1) de la Loi définit le terme « agent » comme suit : « Toute personne affectée à l’exécution ou au contrôle d’application de la présente loi, du Tarif des douanes ou de la Loi sur les mesures spéciales d’importation; la présente définition s’applique aux membres de la Gendarmerie royale du Canada. »

9 . Nommé dans les présentes « agent désigné ». Dans un souci de simplicité, les « agents » et « agents désignés » sont nommés dans les présentes « agents des douanes ».

10 . Canada (Agence des services frontaliers) c. C.B. Powell Limited, 2010 CAF 61 (CanLII).

11 . [2008] 1 R.C.S. 190.

12 . [1999] 4 C.F. 624 au para. 23.

13 . Pièce du Tribunal AP-2010-007-05A au para. 35.

14 . [1993] A.C.F. no 1193 (QL) [Mueller].

15 . D.O.R.S./90-265.

16 . (26 juillet 2006) AP-2005-017 (TCCE) [Editions Gallery].

17 . Le paragraphe 10(1) du Tarif des douanes prévoit ce qui suit : « [...] le classement des marchandises importées dans un numéro tarifaire est effectué, sauf indication contraire, en conformité avec les Règles générales pour l’interprétation du Système harmonisé et les Règles canadiennes énoncées à l’annexe. »

18 . Pièce du Tribunal AP-2010-007-05A au para. 90.

19 . (11 mars 2010) AP-2009-010 (TCCE) [Wolseley].

20 . Pièce du tribunal AP-2010-007-05A au para. 97.

21 . Pièce du Tribunal AP-2010-007-09A au para. 29.