POLYGRAM INC.

Décisions


POLYGRAM INC.
v.
LE SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONAL POUR
LES DOUANES ET L'ACCISE
v.
L'ASSOCIATION DE L'INDUSTRIE CANADIENNE DE
L'ENREGISTREMENT
Appels nos AP-89-151 et AP-89-165

TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le jeudi 7 mai 1992

Appels nos AP-89-151 et AP-89-165

EU ÉGARD À des appels entendus les 24 et 25 février 1992, en vertu de l'article 67 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.), dans sa version modifiée;

ET EU ÉGARD À deux décisions du sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise datées du 18 mai 1989 et du 12 juin 1989 concernant des demandes de réexamen en vertu de l'article 63 de la Loi sur les douanes.

ENTRE

POLYGRAM INC. Appelant

ET

LE SOUS - MINISTRE DU REVENU NATIONAL POUR

LES DOUANES ET L'ACCISE Intimé

ET

L'ASSOCIATION DE L'INDUSTRIE CANADIENNE DE

L'ENREGISTREMENT Intervenant

Les appels sont rejetés. La «redevance globale» payée par l'appelant est une redevance ou un droit de licence versé directement à l'égard des enregistrements sonores et en tant que condition de la vente de ces derniers pour leur exportation au Canada. Elle doit, par conséquent, être ajoutée à la valeur transactionnelle des enregistrements sonores importés conformément au sous-alinéa 48(5)a)(iv) de la Loi sur les douanes et être assujettie aux droits de douane.



Kathleen E. Macmillan ______ Kathleen E. Macmillan Membre présidant

W. Roy Hines ______ W. Roy Hines Membre

Robert C. Coates, c.r. ______ Robert C. Coates, c.r. Membre

Robert J. Martin ______ Robert J. Martin Secrétaire





L'appelant, Polygram Inc., a importé des enregistrements sonores de Polygram Record Service B.V. (Polygram B.V.) et de Polygram Record Service GmbH. Les enregistrements importés étaient prêts pour la revente sur le marché canadien. Au moment de l'importation, les fabricants étrangers de Polygram ont facturé à Polygram Inc. le coût de fabrication des enregistrements.

L'appelant a passé un contrat de licence (le contrat de Polygram) avec Polygram B.V. en vertu duquel il peut faire la promotion de la musique et des artistes du répertoire de Polygram B.V., ainsi que distribuer et vendre les enregistrements au public. En contrepartie de ces droits, l'appelant doit verser à Polygram B.V. une «redevance globale» qui est calculée en fonction du «prix au détail net».

La question dans les présents appels est de déterminer si la «redevance globale» versée par l'appelant à Polygram B.V. devrait être ajoutée à la valeur transactionnelle des enregistrements sonores importés conformément au sous - alinéa 48(5)a)(iv) de la Loi sur les douanes et, par conséquent, être assujettie aux droits de douane.

DÉCISION : Les appels sont rejetés. La «redevance globale» payée par l'appelant est une redevance ou un droit de licence versé directement à l'égard des enregistrements sonores et en tant que condition de la vente de ces derniers pour leur exportation au Canada. Elle doit, par conséquent, être ajoutée à la valeur transactionnelle des enregistrements sonores importés conformément au sous - alinéa 48(5)a)(iv) de la Loi sur les douanes et être assujettie aux droits de douane.

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario) Dates de l'audience : Les 24 et 25 février 1992 Date de la décision : Le 7 mai 1992
Membres du Tribunal : Kathleen E. Macmillan, membre présidant W. Roy Hines, membre Robert C. Coates, c.r., membre
Avocat pour le Tribunal : David M. Attwater
Greffier : Janet Rumball
Ont comparu : Michael Kaylor, pour l'appelant Peter M. Southey, pour l'intimé R.H. Kesler, pour l'intervenant





L'appelant, Polygram Inc., est une entreprise canadienne qui a importé des enregistrements sonores de Polygram Record Service B.V. (Polygram B.V.) et de Polygram Record Service GmbH. Les enregistrements sonores importés étaient prêts pour la revente sur le marché canadien. Au moment de l'importation, les fabricants étrangers de Polygram ont facturé à Polygram Inc. le coût de fabrication des enregistrements. Polygram Inc. a également fait produire au Canada des enregistrements sonores à partir de bandes maîtresses importées par l'entremise de Polygram B.V.

L'appelant a passé un contrat de licence (le contrat de Polygram) avec Polygram B.V. en vertu duquel il peut faire la promotion de la musique et des artistes du répertoire de Polygram B.V., ainsi que distribuer et vendre les enregistrements au public («exploiter» la musique). En contrepartie de ces droits, l'appelant doit verser à Polygram B.V. une «redevance globale» (la redevance) qui est calculée en fonction du «prix au détail net» des enregistrements. L'appelant verse la redevance calculée en fonction de son produit net de la vente des enregistrements sonores au Canada, après déduction des marchandises offertes à titre gracieux, des marchandises publicitaires et des marchandises rendues. La redevance est versée tant sur les enregistrements sonores importés que sur ceux produits au Canada.

En vertu de l'article 2 du contrat de Polygram, les droits suivants pour l'exploitation des enregistrements sonores et des bandes maîtresses sont conférés à l'appelant : i) le droit exclusif d'utiliser des bandes maîtresses à des fins de fabrication au Canada; ii) le droit exclusif de commercialiser, de distribuer et de vendre des enregistrements sonores dans des points de vente en gros et au détail; iii) le droit non exclusif de commercialiser, de distribuer et de vendre des enregistrements par l'entremise de clubs de disques, etc.; iv) le droit non exclusif de faire jouer en public ou de permettre que soient joués en public les enregistrements sonores, sous réserve de certaines restrictions; v) le droit non exclusif d'utiliser le nom, la ressemblance et la biographie de chaque artiste dont la prestation est contenue sur l'enregistrement sonore aux fins de la publicité, de la commercialisation et de la vente des enregistrements sonores; et vi) le droit non exclusif d'utiliser les illustrations fournies par Polygram B.V. pour la fabrication d'enveloppes, de pochettes et d'autres emballages destinés aux enregistrements sonores ainsi que pour la publicité, la commercialisation et la vente de ces derniers.

La question dans les présents appels est de déterminer si la redevance payée par l'appelant à Polygram B.V. devrait être ajoutée à la valeur transactionnelle des enregistrements sonores importés conformément au sous-alinéa 48(5)a)(iv) de la Loi sur les douanes (la Loi) et, par conséquent, être assujettie aux droits de douane.

Les dispositions suivantes de la Loi s'appliquent aux présents appels.

48. (1) Sous réserve du paragraphe (6), la valeur en douane des marchandises est leur valeur transactionnelle si elles sont vendues pour exportation au Canada, si le prix payé ou à payer est déterminable...

(5) Dans le cas d'une vente de marchandises pour exportation au Canada, le prix payé ou à payer est ajusté :

a)par addition, dans la mesure où ils n'y ont pas déjà été inclus, des montants représentant :

(...)

(iv) les redevances et les droits de licence relatifs aux marchandises, y compris les paiements afférents aux brevets d'invention, marques de commerce et droits d'auteur, que l'acheteur est tenu d'acquitter directement ou indirectement en tant que condition de la vente des marchandises pour exportation au Canada, à l'exclusion des frais afférents au droit de reproduction de ces marchandises au Canada,

L'avocat de l'appelant a fait remarquer que la redevance ne pouvait être assujettie aux droits de douane que si l'appelant était tenu d'acquitter la redevance «applicable» aux enregistrements sonores et «en tant que condition» de la vente des enregistrements sonores pour leur exportation au Canada. Si les paiements effectués par l'appelant ne satisfont pas à ces exigences, ils ne peuvent pas être soumis aux droits de douane.

L'avocat a prétendu que la clause 2 du contrat de Polygram stipule les motifs en vertu desquels les redevances sont versées. Aucun des droits mentionnés ne visent des marchandises importées. Ils régissent plutôt les activités d'exploitation, comme le droit exclusif de commercialiser, de distribuer et de vendre les enregistrements sonores, dont peut se prévaloir l'appelant une fois que les marchandises sont importées au Canada. De plus, le contrat de Polygram ne lie pas l'octroi de ces droits à l'achat d'enregistrements sonores importés.

L'avocat a proposé qu'il est facile de déterminer si la redevance est liée aux enregistrements sonores. Il suffit d'établir si l'importateur aurait pu acheter les marchandises sans payer la redevance. Dans l'affirmative, une valeur distincte pourrait être fixée dans chaque cas [1] . À cet égard, l'avocat a fait remarquer qu'une valeur distincte a été établie pour les enregistrements sonores importés et pour la redevance. Ainsi, on ne peut pas prétendre que le prix d'un enregistrement sonore importé est artificiellement peu élevé et que la redevance compense cette faible valeur. Les deux valeurs sont fixées par le marché et varient en fonction de la source des marchandises et du contenu de l'enregistrement sonore. De plus, la redevance est versée quelle que soit la source de l'enregistrement sonore.

Dans son plaidoyer sur la question de savoir si la redevance est exigible en tant que condition de la vente des marchandises vendues pour exportation, l'avocat a précisé qu'il fallait tenir compte de trois points. Premièrement, il a fait remarquer que Polygram Inc. ne doit payer la redevance que si un enregistrement sonore est vendu au Canada et ce, seulement après la vente. Deuxièmement, il a soutenu que le versement de la redevance n'est pas une condition de l'importation. Des enregistrements sonores peuvent être importés au Canada sans responsabilité ni obligation légale de verser une redevance. Enfin, le contrat de Polygram n'établit pas de distinction ni d'exigence en ce qui a trait aux enregistrements sonores produits au Canada et ceux qui sont importés. En effet, la redevance est exigible à l'égard des enregistrements sonores provenant de ces deux sources.

L'Association de l'industrie canadienne de l'enregistrement (AICE) a comparu à l'audience en qualité d'intervenant. Elle représente diverses sociétés qui, entre autres choses, s'occupent de la production et de la distribution d'enregistrements sonores au Canada. Elle a pour mandat de promouvoir les intérêts de cette industrie et de permettre un échange de vues sur des questions d'intérêt commun.

L'avocat de l'intervenant a appuyé bon nombre des arguments présentés par l'avocat de l'appelant et a soutenu que, lorsque l'appelant importe des marchandises au Canada, il est impossible d'établir le montant des redevances à payer, le cas échéant. Une redevance n'est exigible que s'il existe des ventes nettes au Canada. Par conséquent, les dispositions d'imputation de l'article 48 ne s'appliquent pas parce que des droits de douane pourraient ne jamais être exigibles. L'avocat a prétendu que la redevance ne peut pas être assujettie aux droits de douane étant donné la distinction qui existe sur le plan commercial entre l'importation des marchandises et le versement de la redevance. Il a fait remarquer qu'il ne suffit pas d'affirmer que la redevance était exigible relativement à la vente des marchandises pour exportation.

L'avocat de l'intimé a prétendu que la valeur transactionnelle des enregistrements sonores constituait bien plus que les coûts de fabrication du produit. La valeur réelle pour l'importateur comprend la valeur de la musique que contiennent les enregistrements ainsi que les illustrations sur la pochette.

L'avocat a soutenu que, puisque Polygram Inc. était tenue d'accepter de payer au préalable la redevance, le versement devait à juste titre être ajouté au prix payé ou à payer pour indiquer la valeur transactionnelle réelle des enregistrements. C'est ce que prévoit l'article 8 de l'Accord sur les valeurs en douane [2] (l'Accord). Dans une paraphrase de l'incidence de l'article 8, l'avocat a indiqué que, pour déterminer la valeur transactionnelle réelle pour laquelle des redevances sont exigibles, les paiements effectués par l'acheteur après l'importation doivent être ajoutés à ceux qu'il a faits au moment de l'importation [3] . Le sous-alinéa 48(5)a)(iv) de la Loi traduit l'intention de l'Accord à cet égard et traite des paiements qui n'ont pas encore été compris dans le prix payé ou à payer.

L'avocat a fait remarquer que, conformément au contrat de Polygram, la redevance est exigible au moment de l'importation. Au cours des premières années de l'exploitation de son entreprise, l'appelant a dû verser la redevance à ce moment. Toutefois, même si le contrat n'a pas été modifié, les parties ont adopté une pratique selon laquelle l'appelant verse maintenant la redevance après la vente des enregistrements.

En ce qui a trait à l'importation des bandes maîtresses, l'avocat de l'intimé a fait valoir qu'aucune redevance sur les bandes maîtresses importées n'avait été demandée à l'appelant. Il a expliqué que cette pratique était fondée sur la fin du libellé du sous-alinéa (iv), à savoir que les montants ajoutés au prix payé ou à payer pour des marchandises exportées au Canada ne comprennent pas les «frais afférents au droit de reproduction de ces marchandises au Canada». Les présents appels ne portent pas sur le versement d'un droit de douane à l'importation des bandes maîtresses.

Trois critères principaux permettent de déterminer si la redevance versée est assujettie au sous-alinéa 48(5)a)(iv) : 1) le versement est une redevance ou un droit de licence acquitté directement ou indirectement, 2) le paiement est effectué à l'égard des marchandises et 3) le paiement est une condition de la vente des marchandises pour leur exportation au Canada. Le premier critère n'est pas contesté.

Le Tribunal reconnaît que la redevance ne doit être payée qu'au moment de la vente des enregistrements sonores au Canada par Polygram Inc. et non lorsque les enregistrements sont importés au Canada ou vendus à l'appelant par la société-mère ou une société affiliée. Toutefois, en précisant que certains montants doivent être ajoutés dans le calcul de la valeur transactionnelle des marchandises, la Loi tient compte de cette situation lorsqu'elle stipule que «le prix payé ou à payer» pour des marchandises doit être «ajusté par addition» de certains montants «dans la mesure où ils n'y ont pas déjà été inclus». Selon le libellé de la Loi, il n'importe pas que les frais aient été exigibles au moment de l'importation, de la vente des marchandises ou à tout autre moment.

Le Tribunal considère la redevance comme un paiement relatif aux marchandises. Les témoins pour l'industrie ont précisé que la redevance à payer à l'égard d'un enregistrement sonore particulier varie selon le prix de lancement de l'enregistrement. Étant donné que ce prix est fonction de l'artiste et du coût de production des marchandises, la redevance à payer pour différents enregistrements sonores peut différer. Il ne s'agit pas d'un paiement général indépendant des enregistrements sonores particuliers. Il s'agit plutôt d'un paiement qui est fonction des marchandises particulières vendues.

Le Tribunal a également conclu que le versement de la redevance est une condition de la vente des marchandises pour leur exportation au Canada. À son avis, sans le contrat signé relatif à la redevance qui précise sans équivoque l'obligation de verser la redevance, l'appelant n'aurait pas pu acheter les enregistrements sonores des sociétés étrangères affiliées ni les importer au Canada. Ainsi, l'achat des marchandises importées ne peut pas être dissocié du versement de la redevance. Par conséquent, la redevance a été versée en tant que condition de la vente des marchandises pour leur exportation au Canada.

Les appels sont rejetés. La somme payée par l'appelant est une redevance ou un droit de licence versé directement à l'égard des enregistrements sonores et en tant que condition de la vente de ces derniers pour leur exportation au Canada. Elle doit donc être ajoutée à la valeur transactionnelle des enregistrements sonores importés conformément au sous-alinéa 48(5)a)(iv) de la Loi et être assujettie à des droits de douane.


[ Table des matières]

1. Pour appuyer sa proposition, l'avocat a renvoyé à l'ouvrage de S. Sherman et de H. Glashoff, Customs Valuation: Commentary on the GATT Customs Valuation Code (ICC Publishing S.A., 1987), paragraphe 295, p. 124.

2. Accord relatif à la mise en oeuvre de l'Article VII de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, signé à Genève, Suisse, le 12 avril 1979, GATT IBDD , suppl. 26, p. 116.

3. Pour appuyer cette proposition, l'avocat a renvoyé à S. Sherman et H. Glashoff, supra , note 1, paragraphes 272 à 274, pp. 120-121.


Publication initiale : le 16 mai 1997