PENISTON INTERIORS (1980) INC.

Décisions


PENISTON INTERIORS (1980) INC.
v.
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Appel n° AP-89-225

TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le lundi 22 juillet 1991

Appel n ° AP - 89 - 225

EU ÉGARD À un appel entendu le 7 mars 1991 en vertu de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), chap. E-15;

ET EU ÉGARD À une décision du ministre du Revenu national datée du 18 août 1989 qui a fait l'objet d'un avis d'opposition en vertu de l'article 81.15 de la Loi sur la taxe d'accise.

ENTRE

PENISTON INTERIORS (1980) INC. Appelante

ET

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL Intimé

L'appel est rejeté.


John C. Coleman ______ John C. Coleman Membre

Kathleen E. Macmillan ______ Kathleen E. Macmillan Membre

Michel P. Granger ______ Michel P. Granger Secrétaire intérimaire





Le présent appel est interjeté par Peniston Interiors (1980) Inc. en vertu de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise, d'une décision du ministre du Revenu national (le Ministre) rejetant une opposition et confirmant une cotisation. Aux termes d'un avis de cotisation daté du 9 octobre 1987, une cotisation a été établie à l'égard de l'appelante pour la période commençant le 1 er octobre 1984 et finissant le 30 juin 1987. Le montant dû s'élevait à 10 848,95 $, y compris l'intérêt et la pénalité. L'appelante s'est opposée à la cotisation aux motifs que l'intimé lui avait retiré sa licence de fabricant, qu'elle avait continué d'exercer, depuis, le même genre d'activité et que l'intimé ne l'avait pas informée avant le mois d'octobre 1986 du fait qu'elle aurait besoin d'une licence si ses ventes annuelles de marchandises taxables dépassaient 50 000 $. Dans un avis de décision daté du 18 août 1989, le Ministre a rejeté l'opposition pour la raison que rien ne laissait penser que l'appelante avait été mal informée quant à sa responsabilité de demander une licence lorsque ses ventes de marchandises taxables dépassent 50 000 $ au cours d'une année civile.

DÉCISION : L'appel est rejeté (dissidence du membre Gracey).

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario) Date de l'audience : Le 7 mars 1991 Date de la décision : Le 22 juillet 1991
Membres du Tribunal : Charles A. Gracey, membre présidant John C. Coleman, membre Kathleen E. Macmillan, membre
Avocat pour le Tribunal : David M. Attwater
Greffier : Nicole Pelletier
Ont comparu : Bernard Goodman, pour l'appelante Joseph de Pencier, pour l'intimé
Jurisprudence : Re Flamboro Downs Holdings Ltd. and Teamsters Local 879 (1979), 24 O.R. (2d) 400 (Div. Ct.) et (1980), 99 D.L.R. (3d) 165, p. 168; Granger c. Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada, [1986] 3 C.F. 70 (Division de première instance) et [1989] 1 R.C.S. 141; Sturdy Truck Body (1972) Limited c. Le ministre du Revenu national, Tribunal canadien du commerce extérieur, Appel n o 2979, le 23 juin 1989; Walbern Agri-Systems Ltd. c. Le ministre du Revenu national, Tribunal canadien du commerce extérieur, Appel n o 3000, le 21 décembre 1989; A.G. Green Co. Limited c. Le ministre du Revenu national, Tribunal canadien du commerce extérieur, Appel n o AP-89-134, le 9 août 1990; Mentuk c. La Reine, [1986] 3 C.F. 249; Re Smith & Municipality of Vanier (1973), 30 D.L.R. (3d) 386 (Ont. High Ct.).





LA QUESTION EN LITIGE ET LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

Le présent appel porte sur la question de savoir si l'appelante, Peniston Interiors (1980) Inc. (Peniston), peut être dégagée des obligations légales relatives à la taxe de vente prévues au paragraphe 27(1) de la Loi sur la taxe d'accise [1] (la Loi) compte tenu d'une détermination antérieure de l'administration fiscale selon laquelle l'appelante avait «cessé son activité de fabrication» et de la décision en résultant d'annuler la licence de l'appelante.

Les dispositions de la Loi pertinentes à cet appel sont les suivantes :

2.(1) ...

«fabricant ou producteur» Y sont assimilés :

...

(f) toute personne qui, y compris par l'intermédiaire d'une autre personne agissant pour le compte de celle - ci, prépare des marchandises pour la vente en les assemblant, fusionnant, mélangeant, coupant sur mesure , diluant, embouteillant, emballant ou remballant, ou en les enduisant ou les finissant, à l'exclusion d'une personne qui prépare ainsi des marchandises dans un magasin de détail afin de les y vendre exclusivement et directement aux consommateurs;

[soulignement ajouté]

...

27.(1) [2] Est imposée, prélevée et perçue une taxe de consommation ou de vente de neuf pour cent sur le prix de vente de toutes marchandises :

a) produites ou fabriquées au Canada :

(i) payable... par le producteur ou fabricant au moment où les marchandises sont livrées à l'acheteur ou au moment où la propriété des marchandises est transmise, en choisissant celle de ces dates qui est antérieure à l'autre,

...

31.(2) [3] ... le gouverneur en conseil... peut prendre des règlements exemptant toute classe de petits fabricants ou producteurs du paiement de la taxe de consommation ou de vente sur les marchandises fabriquées ou produites par une personne faisant partie de la classe, et les personnes ainsi exemptées ne sont pas tenues de demander une licence.

51.1(1) [4] Le ministre peut, à l'égard de toute matière, établir une cotisation pour une personne au titre de la taxe, de la pénalité, des intérêts ou d'une autre somme payable par cette personne sous le régime de la présente loi et peut, malgré toute cotisation antérieure portant, en totalité ou en partie, sur la même matière, établir des cotisations supplémentaires, selon les circonstances.

51.11(2) [5] Sous réserve des paragraphes (3) à (5), l'établissement des cotisations à l'égard d'une taxe, d'une pénalité, d'intérêts ou d'une autre somme se prescrit par quatre ans après que la taxe, la pénalité, les intérêts ou la somme sont devenus exigibles en application de la présente loi.

Le règlement prévoyant l'exemption est le Règlement exemptant certains petits fabricants ou producteurs de la taxe de consommation ou de vente [6] , dont les dispositions pertinentes sont les suivantes :

2.(1) Les classes suivantes de petits fabricants ou producteurs sont exemptées du paiement de la taxe de consommation ou de vente sur les marchandises qu'ils fabriquent ou produisent :

a) les fabricants, autres que ceux qui choisissent d'exploiter leur entreprise aux termes d'une licence, qui vendent des marchandises de leur propre fabrication normalement assujetties à la taxe de consommation ou de vente... si la valeur de ces marchandises ne dépasse pas $50,000 par année civile;

...

(2) L'exemption accordée au paragraphe (1) ne s'applique pas à un fabricant visé à l'alinéa (1)a) dont le total des ventes pour une année civile dépasse $50,000.

LES FAITS ET LES ÉLÉMENTS DE PREUVE

Le présent appel est interjeté par Peniston en vertu de l'article 81.19 de la Loi, d'une décision du ministre du Revenu national (le Ministre) rejetant une opposition et confirmant une cotisation. Aux termes d'un avis de cotisation daté du 9 octobre 1987, une cotisation a été établie à l'égard de l'appelante pour la période commençant le 1er octobre 1984 et finissant le 30 juin 1987. Le montant dû s'élevait à 10 848,95 $, y compris l'intérêt et la pénalité. L'appelante s'est opposée à la cotisation aux motifs que l'intimé lui avait retiré sa licence de fabricant, qu'elle avait, depuis, continué d'exercer le même genre d'activité, et que l'intimé ne l'avait pas informée avant le mois d'octobre 1986 du fait qu'elle aurait besoin d'une licence si ses ventes annuelles de marchandises taxables dépassaient 50 000 $.

Dans un avis de décision daté du 18 août 1989, le Ministre a rejeté l'opposition pour la raison que rien ne laissait penser que l'appelante avait été mal informée quant à sa responsabilité de demander une licence au moment où ses ventes de marchandises taxables dépasseraient 50 000 $ au cours d'une année civile. Dans une lettre datée du 27 septembre 1989, Peniston a fait appel de la décision auprès du Tribunal.

Après avoir été constituée en société, Peniston Interiors (1980) Inc. a, le 1er mars 1980, acheté les actifs de Peniston Building Supplies (Ontario) Limited, et en a pris le passif en charge. L'ancienne société travaillait dans la conception et la vente d'équipement de cuisine et cette activité a été reprise par la nouvelle.

Le témoin de la société appelante, M. Ben Westlaken, qui en est aussi actuellement le président, était directeur et gestionnaire général de l'ancienne société. Il a témoigné que cette dernière détenait une licence de fabricant. De plus, il a reconnu qu'il était pleinement au courant de l'obligation légale qu'avait l'ancienne société de payer une taxe sur les marchandises qu'elle fabriquait et qu'il avait fait en sorte que les versements requis soient effectués. Le témoin a affirmé que les ventes annuelles de marchandises de l'ancienne société étaient d'environ 50 000 $ et que, quoique cette dernière eut été admissible au statut de petit fabricant, elle avait préféré obtenir une licence.

Après que Peniston ait été constituée en société, elle a fait la demande d'une licence de taxe de vente fédérale qui lui a été accordée. Un certain temps avant le 22 septembre 1980, un représentant du bureau de l'accise de Barrie a visité les installations de l'appelante, après quoi, dans une lettre du 22 septembre 1980, M. H. Alexander, du même bureau, a communiqué à l'appelante ce qui suit :

...

This will confirm an audit of your books and records for Federal Sales Tax purposes has been conducted covering the period March 1, 1980 to July 31, 1980. As a result of this audit no arrears or credits were established.

Cancellation of your licence # 1342492 is confirmed effective July 31, 1980 as you have ceased manufacturing. This licence must not be used for any purpose whatsoever after the above date.

...

(La présente vise à confirmer qu'une vérification de vos livres et dossiers a été effectuée pour les besoins de la taxe de vente fédérale relativement à la période allant du 1er mars 1980 au 31 juillet 1980. Aucun arriéré ni aucun crédit n'a été constaté au cours de cette vérification.

(L'annulation de votre licence n° 1342492 à partir du 31 juillet 1980 est confirmée par la présente, attendu que vous avez cessé votre activité de fabrication. Cette licence ne doit plus être utilisée d'aucune manière que ce soit après la date susmentionnée.) [traduction]

M. Westlaken a témoigné qu'il avait compris cette lettre comme signifiant que Peniston était réputée ne pas être un fabricant. En conséquence, l'appelante a cessé d'utiliser la licence, a commencé à payer à la source la taxe de vente fédérale sur tous les articles et les matériaux taxables achetés pour les besoins de son activité de fabrication et de production, et a cessé de percevoir et de remettre la taxe de vente sur ses produits finis.

La première indication reçue par l'appelante quant au fait qu'il se pouvait que Revenu Canada (le Ministère) la considère en fait comme un fabricant lui est parvenue dans une lettre du 16 octobre 1986, faisant suite à la visite de M. Obelacker du bureau de l'accise de Barrie. Il était précisé dans cette lettre que l'appelante exerçait l'activité de fabrication de revêtements de comptoirs de cuisine et de salle de bain, articles dont les ventes à ce jour s'élevaient à environ 35 000 $. Le reste de la lettre contenait une description des «petits fabricants» ainsi que des avantages qui sont les leurs aux termes de la Loi. Il était précisé que si la valeur totale des ventes des marchandises taxables dépassait 50 000 $ par an, l'appelante ne pourrait plus bénéficier de l'exemption en tant que petit fabricant et devrait demander une licence de taxe de vente de fabricant. En conclusion, il était précisé que le bureau de Barrie procéderait à un nouvel examen des ventes de l'appelante en 1987. M. Westlaken a témoigné qu'il avait fourni le chiffre de 35 000 $ cité dans la lettre en fonction d'une estimation approximative des ventes totales ainsi que d'une estimation du pourcentage de ces ventes représenté par les revêtements de comptoir.

M. Westlaken a déclaré qu'il était au courant des exigences imposées aux fabricants en matière de licence. Il a ajouté qu'il n'avait pas pris de licence parce qu'il croyait être considéré un non-fabricant aux termes de la lettre du 22 septembre 1980. Il a ajouté que la lettre du 16 octobre 1986 était la première indication qu'il ait reçu du fait que le Ministère considérait maintenant Peniston comme un petit fabricant. Il a ajouté qu'il n'avait pas alors déposé de demande de licence parce que le chiffre des ventes de Peniston n'était pas encore connu avec exactitude. Puisque le Ministère avait annoncé son intention de revoir les chiffres en 1987, il décida d'attendre que les chiffres des ventes de 1986 soient disponibles avant de déterminer s'il devait déposer une demande de licence. Le témoin a déclaré qu'après la vérification de 1987, Peniston avait demandé et reçu une licence de fabricant qu'elle a conservée depuis lors. La vérification de la période allant du 1er octobre 1984 au 30 juin 1987 a révélé que les ventes annuelles des marchandises en cause par Peniston avaient dépassé 50 000 $ au 1er octobre 1984. Aucun élément de preuve n'a été fourni qui tende à prouver que les ventes annuelles de Peniston pourraient avoir dépassé 50 000 $ au cours d'une année depuis 1984, ni de combien. Cependant, il a été clairement établi que le montant total des ventes n'était pas en cause.

L'ARGUMENTATION

Le montant réclamé par le Ministère correspond à la différence entre la taxe payée à la source par l'appelante sur ses matériaux et la taxe qu'elle aurait fait payer sur le prix de vente des marchandises fabriquées par elle si elle avait eu une licence, plus l'intérêt et la pénalité.

L'avocat de l'appelante, M. B. Goodman, a soutenu qu'elle s'était toujours conformée aux instructions du Ministère. L'ancienne société avait une licence et la nouvelle, Peniston, avait demandé et reçu une licence qui avait été retirée par le Ministère, et en avait demandé une nouvelle lorsqu'elle s'était vu demander de le faire. Il a soutenu que son directeur et gestionnaire général, M. Westlaken, avait toujours observé les exigences du Ministère. En conclusion, il représenta que la nouvelle cotisation était très injuste parce qu'elle avait pour effet de classer l'appelante dans la catégorie des fabricants pendant la période antérieure au moment où elle a été avisée du fait qu'elle était de nouveau réputée être un fabricant.

M. Goodman a soutenu que le fait d'exploiter une entreprise sans licence ne présente que peu d'avantages. Il a reconnu qu'il était cependant un peu plus simple pour l'appelante de ne pas avoir de licence. Toutefois, il y avait peu de différence sur le plan financier pour Peniston entre, d'une part, payer la taxe sur ses achats de matières premières et ne pas la remettre sur ses ventes, comme elle le faisait lorsqu'elle n'avait pas de licence, et, de l'autre, se procurer des matières premières sans payer la taxe tout en la faisant payer sur ses ventes en tant que fabricant titulaire de licence. En tous cas, la taxe était supportée par le client, que l'appelante soit titulaire de licence ou non.

L'avocat a soutenu qu'il était injuste d'imposer une pénalité pour négligence, attendu que M. Westlaken n'avait pas été négligent. De plus, il s'opposait à ce que Peniston paie l'intérêt sur le montant de taxe présumément dû parce qu'elle ne s'était jamais vu demander de percevoir la taxe.

À titre de question préliminaire, l'avocat de l'intimé, M. J. de Pencier, a demandé l'ajournement de l'audience. Il a déclaré que les avocats des deux parties avaient discuté, le 21 janvier 1991, de la possibilité d'un retrait de l'appel en échange d'un règlement de la cotisation à certaines conditions. Supposant que l'appelante était disposée à accepter un règlement à certaines conditions, M. de Pencier avait accepté de discuter de ce règlement avec son client.

L'audience, prévue à l'origine pour le 5 février 1991, avait été repoussée au 7 mars 1991 avec l'accord des parties. M. Goodman a déclaré qu'il avait reçu du Tribunal une lettre datée du 22 janvier 1991 lui demandant son accord pour un report de l'audience. M. de Pencier demandait ce report parce que sa charge de travail ne lui aurait pas permis d'être prêt pour l'audience. M. Goodman a consenti au report de l'audience.

Le 28 février 1991, M. de Pencier a envoyé une lettre par télécopieur au représentant de l'appelante, lui demandant une confirmation écrite de la proposition de règlement de l'appelante. Aucune confirmation n'a été envoyée par l'appelante.

Ce n'est pas avant le 4 mars 1991, trois jours avant l'audience, que l'intimé a donné pour instruction à son avocat d'accepter la proposition présumée de règlement. Le 5 mars, les deux avocats ont discuté de l'appel et M. Goodman a indiqué alors que l'appelante n'était pas disposée à un règlement. Sur ce point, les éléments de preuve sont contradictoires. M. Goodman a affirmé que le 22 janvier 1991, soit le jour même des premières discussions sur un règlement éventuel, il avait communiqué avec M. de Pencier pour lui faire savoir que l'appelante n'était pas disposée à un règlement selon les conditions proposées. M. de Pencier a affirmé qu'il ne se rappelait rien de tel.

Présumant donc qu'il y aurait règlement, M. de Pencier ne s'est pas pleinement préparé pour l'audience. C'est ainsi que le mémoire de l'intimé n'a pas été disponible avant l'après-midi précédant le jour de l'audience et que l'intimé n'a pu prendre les arrangements nécessaires pour faire venir les témoins qu'il aurait, dans d'autres circonstances, présentés au Tribunal.

M. de Pencier a affirmé qu'il aurait soulevé quatre questions probantes n'eut été de son incapacité à assurer la présence des témoins désirés. Il a affirmé que le fait de ne pas accorder l'ajournement interdirait à l'intimé de participer pleinement à l'appel et constituerait une entorse à l'équité et la justice naturelle. L'avocat a présenté également au Tribunal des éléments de jurisprudence à l'appui de la position de l'intimé.

Pour ce qui est du bien-fondé du litige, l'avocat de l'intimé a soutenu que l'appelante était tenue, aux termes de l'article 27 de la Loi, de payer la taxe de vente fédérale à moins de bénéficier du Règlement exemptant certains petits fabricants ou producteurs de la taxe de consommation ou de vente. Or, une vérification de Peniston avait permis de déterminer que, pendant la période en question, les ventes de l'appelante avaient dépassé le plafond de 50 000 $ et, dès lors, l'exemption avait cessé de s'appliquer. En conséquence, la responsabilité légale de l'appelante eu égard aux taxes ayant fait l'objet de la cotisation est claire.

M. de Pencier a avancé l'argument selon lequel la Loi a créé un système d'autocotisation, et qu'elle ne contient rien qui oblige le Ministre ou le Ministère ou aucun autre organisme gouvernemental à chercher quels sont ceux qui devraient ou ne devraient pas payer la taxe. L'avocat a soutenu, en outre, que la nature de l'activité de l'appelante pendant toute la période en cause faisait entrer celle-ci dans le champ d'application de la Loi en tant que «fabricant ou producteur», nonobstant la lettre du 22 septembre 1980 de M. Alexander et l'annulation de la licence de taxe de vente de fabricant de l'appelante par le Ministère.

De plus, l'avocat a soutenu que l'article 51.1 de la Loi donne au Ministre le pouvoir d'effectuer de nouvelles cotisations en tout temps et que le paragraphe 51.11(2) prévoit une limite de quatre ans (années précédentes) au champ d'application de l'article 51.1.

Il a été soutenu que toute erreur ou information erronée fournie par un représentant de l'État ne dégage pas l'appelante des obligations que lui confère la Loi. Il n'existe pas d'estoppel qui interdirait au Ministre d'établir une cotisation à l'égard de l'appelante tant que la Loi donne le pouvoir d'établir de telles cotisations. M. de Pencier a soutenu qu'il est un principe bien établi selon lequel l'estoppel ne peut être appliqué contre l'intimé sur la base de représentations ou de déclarations d'agents du Ministère. De plus, il a soutenu que le Tribunal n'avait pas de juridiction d'équité et qu'il n'avait pas non plus compétence pour annuler les pénalités ou l'intérêt.

Enfin, l'avocat a soutenu que le fardeau de la preuve incombe à l'appelante, et que celle-ci n'est pas parvenue à prouver qu'elle avait le droit de s'autoriser d'erreurs ou de mauvaises informations pour se dégager des responsabilités que lui confère la Loi. En conséquence, l'avocat de l'intimé a soumis que l'appel devrait être rejeté.

LES CONCLUSIONS DU TRIBUNAL

Pour ce qui est de la question préliminaire, le Tribunal n'a pas accordé l'ajournement demandé. Après avoir examiné les mémoires des parties au litige, le Tribunal en est venu à la conclusion qu'il n'y avait pas de désaccord fondamental sur le bien-fondé de la cause. De plus, l'audience avait déjà été renvoyée une fois et l'appelante s'opposait fermement à l'ajournement.

Le Tribunal a étudié les éléments de jurisprudence présentés par l'intimé à l'appui de sa demande d'ajournement, mais a trouvé peu de similitude entre les causes citées et les circonstances de la présente cause. Ces éléments de jurisprudence avaient trait à des cas dans lesquels les parties à un litige - avocats, intervenants ou plaignants - n'étaient pas présentes à l'audience ou n'avaient pas été avisées de la nature du litige considéré par l'entité administrative. De l'avis du Tribunal, cela était entièrement différent du cas présent, dans lequel les avocats ont reçu un avis d'audience bien à l'avance et étaient bien informés des questions en litige. De plus, le Tribunal constate que les éléments de jurisprudence cités par l'intimé confirment de toute évidence que les tribunaux administratifs ont le droit de décider de leurs propres procédures et pratiques, sous réserve des règles de la justice naturelle. Ce point a été exprimé dans la cause Re Flamboro Downs Holdings Ltd. and Teamsters Local 879 [7] , dans laquelle est stipulé ce qui suit :

... As a matter of jurisdiction, it is for the Board to decide whether it should adjourn proceedings before it and in what circumstances.

(En fait de compétence, il appartient à la Commission de décider s'il y a lieu d'ajourner la procédure dont elle est saisie, et dans quelles conditions.) [traduction]

Le Tribunal ne croit pas qu'il était raisonnable de la part de l'avocat de l'intimé de présumer qu'un règlement pourrait être atteint avant l'audience, compte tenu des difficultés qui s'étaient produites lors des discussions entre les parties. Le Tribunal s'attend à ce que les parties à un litige se préparent à comparaître à l'audience prévue même lorsqu'elles sont en train de négocier un règlement.

De façon sous-jacente au présent litige se posent deux questions. Premièrement, le Ministère, dans sa lettre de 1980, a-t-il mal informé ou induit en erreur l'appelante au sujet de ses obligations en matière de taxe de vente? Deuxièmement, si l'appelante a été mal informée ou induite en erreur, avait-elle le droit de payer la taxe de vente selon les termes de cette lettre en attendant que le Ministère lui donne un nouvel avis ou une nouvelle instruction sur ses obligations en matière de taxe de vente?

En se penchant sur ces questions, le Tribunal a d'abord étudié attentivement l'avis du Ministère à l'appelante dans la lettre de septembre 1980. Il est clairement écrit dans cette lettre, comme l'appelante le soutient, que Peniston avait «cessé son activité de fabrication». Il ressort des éléments de preuve fournis lors de l'audience qu'au moment de la vérification de 1980, l'entreprise coupait aux dimensions des revêtements de comptoir, ce qui la faisait entrer dans la définition d'un fabricant contenue dans la Loi.

Compte tenu des éléments de preuve disponibles au Tribunal, il ne fait pas de doute que le Ministère a mal décrit les activités de l'appelante dans sa lettre de 1980, lorsqu'il a déclaré que la société avait cessé son activité de fabrication. Le Tribunal constate que, dans sa lettre, le Ministère a mal informé et induit en erreur l'appelante en la privant d'une option contributive que lui donnait la loi eu égard à l'activité qui était la sienne au moment où la lettre a été envoyée.

La seconde question sur laquelle doit se pencher le Tribunal est celle de savoir si l'appelante avait le droit de se fonder indéfiniment sur la lettre du Ministère quant à la ligne de conduite à adopter relativement à l'acquittement de ses responsabilités en matière de taxe de vente.

Tel qu'indiqué ci-dessus, la lettre caractérisait de façon inexacte l'activité de l'appelante. Cette dernière a soumis qu'elle a utilisé la lettre comme seule instruction quant à ses responsabilités en matière de taxe. Cependant, le Tribunal trouve difficile à accepter que l'appelante n'ait pas demandé confirmation de la position du Ministère en la matière au moment de la vérification qui a précédé l'envoi de la lettre, surtout si l'on considère que la société exerçait une activité d'ampleur non négligeable et que la lettre suggérait à l'appelante d'adopter une ligne de conduite différente de celle qui avait été suivie auparavant par l'ancienne société. De fait, le président de l'appelante a reconnu au cours de son témoignage qu'il avait trouvé la lettre du Ministère étrange, car, avant de la recevoir, il considérait que la société «fabriquait» des revêtements de comptoir.

À vrai dire, l'usage fait par l'appelante de la lettre de 1980 est devenu de moins en moins légitime avec le temps. Le Tribunal considère qu'il est difficile d'accepter que, pendant l'intervalle de six années séparant la vérification de 1980 de celle de 1986, l'appelante se soit fondée sur la seule lettre envoyée par le Ministère en 1980 comme indication sur les responsabilités que lui confère la Loi en matière de taxe de vente. Même lorsque le Ministère a expliqué les dispositions relatives aux «petits fabricants» à l'appelante dans la lettre du 16 octobre 1986, l'appelante a décidé de ne pas réexaminer son statut fiscal; elle a attendu qu'il soit clairement montré dans la vérification fiscale de 1987 que ses ventes de produits fabriqués avaient dépassé 50 000 $ par année civile pendant les trois années comprises dans la période de cotisation antérieure. Ce n'est qu'alors qu'elle a déposé une demande de licence.

Le Tribunal constate que même si l'avis ou l'instruction du Ministère était erroné, il ressort clairement de la jurisprudence canadienne qu'argumenter l'«estoppel» à l'encontre de la Couronne n'est pas valable lorsque les représentations en cause sont incompatibles avec la loi. En d'autres termes, la responsabilité fiscale d'un contribuable, telle que prévue par la loi, subsiste, même si ce contribuable a reçu un renseignement ou une instruction erronée de la part d'agents du gouvernement. Dans la cause Granger c. Commission de l'emploi et l'immigration du Canada [8] , dont la décision a été confirmée par la Cour suprême du Canada [9] , M. le Juge Lacombe déclarait à la page 86 :

En droit fiscal canadien, la jurisprudence est constante à l'effet que la Couronne n'est pas liée par les représentations faites et les interprétations données aux contribuables par les représentants autorisés du fisc, si telles représentations et interprétations sont contraires aux dispositions claires et impératives de la loi : ...

Le Tribunal constate que l'appelante ne peut se dégager des responsabilités que lui confère la Loi sur la foi de la lettre du Ministère. L'un des principes fondamentaux de notre système fiscal est que les contribuables ont le devoir de s'informer eux-mêmes de leurs obligations fiscales. Quoique le Tribunal compatisse à la situation de l'appelante, il doit conclure que celle-ci, au fur et à mesure que le temps passait et que ses ventes de revêtements de comptoir finis augmentaient, a négligé de s'acquitter comme il convenait de ses responsabilités en matière de taxe de vente.

En conclusion, le Tribunal peut comprendre comment l'appelante aura pu être induite en erreur par la lettre que lui a envoyée le Ministère en 1980. Cependant, le Tribunal considère qu'en se fondant uniquement sur la lettre du Ministère, l'appelante ne s'est pas acquittée de l'obligation de s'informer elle-même, comme il convenait, des responsabilités qui lui confère la loi. Enfin, le Tribunal conclut que même si l'appelante avait manifestement été induite en erreur par le Ministère, le Tribunal n'a pas de juridiction d'équité et est lié par la jurisprudence, dont il ressort clairement que l'estoppel n'est pas valable contre la Couronne.

En terminant, le Tribunal déclare qu'il en est arrivé à cette conclusion avec un profond regret. Le Tribunal n'a aucune raison de penser que l'appelante a été autre chose qu'honnête, quoique quelque peu naïve et négligente, dans son traitement des questions relatives à la taxe de vente. Il semble que l'appelante ait vraiment cru que la fabrication n'était qu'une partie négligeable de son activité. Elle était prête à accepter, jusqu'à avis contraire, l'avis du Ministère selon lequel elle avait cessé son activité de fabrication. Lorsque l'appelante a été informée par Revenu Canada, en 1987, qu'elle devait faire payer la taxe de vente sur ses revêtements de comptoir finis, elle s'est fidèlement et honnêtement acquittée de cette obligation.

Cependant, le Tribunal, quoiqu'il compatisse à la situation difficile de l'appelante, et comme il l'a expliqué dans un certain nombre de décisions d'appels récentes [10] , n'a pas de juridiction d'équité. Il doit statuer sur la cause en fonction de la loi plutôt qu'en fonction de sa sympathie pour une partie qui pourrait avoir été lésée par le Ministère. Dans ce cas-ci, il était hors de cause que l'appelante, pendant la période de cotisation, répondait à la définition d'un fabricant en vertu de la Loi, que ses ventes annuelles avaient dépassé 50 000 $ et que, par conséquent, elle devait verser la taxe de vente en application de la loi.

Quoique la position de l'intimé doive l'emporter pour des raisons de droit, le Tribunal, s'il disposait d'une juridiction d'équité, l'aurait exercée dans cette cause.

Le Tribunal tient cependant à faire remarquer qu'un règlement négocié aurait permis d'éviter aux parties et au Tribunal la perte de beaucoup de temps et d'argent. Le Ministère, dans l'avis de décision mentionné par notre collègue, M. Gracey, laisse penser que la cotisation aurait pu être modifiée si l'appelante avait pu prouver qu'elle avait été mal informée. Le Tribunal espère que dans les causes de cette nature, où le contribuable est à même de présenter des éléments de preuve permettant raisonnablement de penser qu'il a été mal informé par un représentant de Revenu Canada, le Ministère procédera rapidement au règlement de la question. La chose serait particulièrement souhaitable dans des cas tels que celui-ci, qui font intervenir des sommes relativement peu élevées, dans lesquels le contribuable a agi de bonne foi et dans lesquels aucune question de précédent ni de principe n'est véritablement en cause.

LA CONCLUSION

L'appel est rejeté.





Sauf respect, je ne peux souscrire à la décision majoritaire. Cette dissidence découle essentiellement de ma conviction selon laquelle dans sa décision, la majorité fait une place excessive à l'argument selon lequel l'estoppel ne peut être soulevé à l'encontre de la Couronne, et bien plus importante que celle qui lui a été faite dans les causes précédentes citées par l'avocat de l'intimé.

Les faits ne sont pas en cause dans le présent litige et mon propos se bornera donc aux remarques nécessaires à l'explication de ma dissidence.

Je reconnais que notre système fiscal est un système d'autocotisation et que ni le Ministre ni son agent sont obligés de déterminer qui devrait payer ou ne pas payer la taxe. Mais pareil argument perd beaucoup de sa force lorsqu'un agent du Ministère décide, après une vérification, et sans y être aucunement obligé, d'annuler sommairement la licence de l'appelante et de lui enjoindre de ne plus l'utiliser «d'aucune manière que ce soit». Ce faisant, cet agent a substitué sa volonté au jugement évidemment correct du contribuable, et, à mon avis, ne peut maintenant arguer du fait que l'estoppel n'est pas valable contre la Couronne pour dégager sa responsabilité de l'acte posé. Il est clair pour moi qu'avant cette intervention directe, l'appelante se comportait tout à fait comme il convient dans le cadre d'un système d'autocotisation fiscale. Le Ministère, en intervenant directement pour retirer une licence, a détourné l'appelante d'une ligne de conduite correcte vers une ligne de conduite incorrecte. Cette intervention va bien au-delà de l'information erronée, du mauvais conseil ou de l'interprétation erronée dont il était question dans les cas antérieurs invoqués par l'avocat de l'intimé.

On peut soutenir que s'étant bien comportée dans le passé, l'appelante aurait dû comprendre qu'elle était induite en erreur. Or, le témoignage de l'appelante selon lequel elle était au courant de la loi, mais avait interprété le retrait de la licence comme une indication du fait que son activité n'était plus considérée comme une activité de fabrication, est crédible. De fait, le témoignage de l'appelante selon lequel elle pensait que Revenu Canada ne considérait pas son activité comme constituant une activité de fabrication est rendu plus crédible encore par le fait qu'il s'agissait là de la raison la plus évidente du retrait de la licence. N'oublions pas, en outre, que les petits fabricants ont la possibilité de travailler avec ou sans licence. Dans ces conditions, les autorités n'avaient aucune raison d'annuler la licence de l'appelante, quelque modeste ou limitée qu'ait été son activité de fabrication. Mais la raison donnée pour le retrait de la licence était que l'appelante avait «cessé son activité de fabrication» et, attendu que l'appelante a témoigné qu'elle n'avait pas changé la nature de son activité, il existe une raison suffisante de croire que l'appelante avait accepté l'opinion apparente du Ministère selon laquelle son activité ne constituait pas une activité de fabrication.

En conséquence, je suis d'avis que l'appelante a agi raisonnablement et je dois donc me pencher sur la seconde question, celle qui consiste à savoir si l'appelante est taxable, nonobstant le fait que ses difficultés découlent de la mesure de retrait de sa licence prise par le Ministère.

Il est courant qu'en pareil cas, la Couronne invoque le principe de l'estoppel, tel que l'intimé l'a fait dans la présente cause. L'intimé soutient qu'en l'espèce, il ne peut y avoir d'estoppel interdisant l'établissement d'une nouvelle cotisation et cite plusieurs précédents à cet effet.

La présente cause se distingue de toutes les causes précédentes citées en ceci que l'intimé a pris une mesure directe d'annulation de la licence de l'appelante et que, ce faisant, il a mis l'appelante en péril. Dans les cas invoqués par l'intimé, l'appelante ou le demandeur avait reçu des informations erronées ou des mauvais conseils, mais n'était jamais la victime d'une mesure directe de l'administration fiscale.

Pour appuyer ma conviction selon laquelle cette mesure de retrait d'une licence va trop loin pour permettre l'invocation de l'argument selon laquelle aucun estoppel n'est valable contre la Couronne, je voudrais citer deux précédents, en l'occurrence les causes Mentuk c. La Reine [11] et Re Smith & Municipality of Vanier [12] .

Dans la cause Mentuk, les plaignants, une famille d'Indiens soumis aux traités qui exerçait l'agriculture dans une réserve, ont été encouragés par des agents du gouvernement à étendre leurs activités. Ce faisant, il se sont bientôt trouvés victimes de harcèlement et se sont vu offrir une indemnité s'ils acceptaient d'abandonner le projet et de quitter la réserve, ce qu'ils firent sur la foi de ces assurances. Or, le Ministre a déterminé par la suite qu'il n'y avait pas de motif d'indemnité et a intenté des poursuites pour rupture de contrat ou abus de confiance. Dans le jugement qu'il rendit en faveur des plaignants, le juge McNair déclarait, entre autres choses, à la page 269 :

... L'attente et la confiance, étayées par l'irrecevabilité, aboutissent toutes deux à la même chose : la défenderesse a fait des promesses ou donné des garanties auxquelles le demandeur pouvait raisonnablement se fier et auxquelles il s'était effectivement fié à son détriment, et il serait injuste et inéquitable dans les circonstances de permettre à la défenderesse de revenir par la suite sur ces promesses et garanties.

Dans la cause Smith, le demandeur s'était vu refusé une licence d'exploiter un lieu public pour la raison que des précautions insatisfaisantes avaient été prises en matière de sécurité et qu'il n'avait pu faire la preuve qu'il disposait d'une assurance adéquate. Après que le demandeur eut éliminé ces défauts, la municipalité adopta la résolution de ne pas approuver la licence dans l'intérêt public. La municipalité se vit ordonner de reconsidérer la demande, et, dans l'exposé de ses motifs, à la page 392, le juge Pennell déclarait entre autres choses :

Would not a reasonable man be entitled to assume from the posture of the Municipal Council on return of the first motion that approval would be forthcoming if he remedied the deficiencies? In the present case the applicant ordered his affairs accordingly. Then, after completing the deficiencies with the financial consequences which that entailed he finds that the Council refused to issue the licence. Under such circumstances I believe a Court is entitled to look beyond the resolution to refuse the licence. I am of opinion that there was a want of good faith in law and accordingly an order of mandamus may issue.

(Un homme raisonnable ne serait-il pas autorisé à présumer, d'après l'attitude du Conseil municipal lors de la présentation de la première requête, que l'autorisation serait accordée s'il comblait les lacunes signalées? Dans la présente cause, le demandeur a arrangé ses affaires en conséquences. Puis, après qu'il ait comblé les lacunes signalées avec toutes les conséquences financières que cela comporte, il constate que le Conseil refuse de lui accorder la licence. Dans ces conditions, je crois qu'une cour est autorisée à aller au-delà de la résolution de refuser la licence. Je suis d'avis qu'il y avait là un manque de bonne foi eu égard au droit et, qu'en conséquence, une ordonnance de mandamus peut être rendue.) [traduction]

Il y a un parallèle évident entre cette cause et celle qui nous occupe. Dans cette dernière, l'appelante s'est fondée sur la mesure de retrait de sa licence prise par l'administration fiscale et a arrangé ses affaires en conséquence, tout comme l'a fait l'appelante dans la cause qui vient d'être citée.

Je souscris également à l'opinion du juge Hugessen, dont l'opinion différait de celle de la majorité dans la cause Granger c. Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada [13] , cause citée par mes collègues comme précédent dans celle qui nous occupe. Le juge Hugessen déclarait entre autres choses, à propos de la décision de la majorité :

À mon avis, cette attitude est inadmissible. Il fut un temps, peut - être, où les tribunaux pouvaient fermer les yeux sur la réalité et déclarer que, si injustes que puissent être les résultats, le législateur voulait toujours que sa loi soit appliquée. C'était à son péril que le citoyen se fiait à l'interprétation de la loi donnée par les autorités.

Dans la présente cause, l'autorité a fait beaucoup plus que de donner simplement une fausse interprétation. L'autorité a effectivement retiré la licence de l'appelante et, ce faisant, a amené celle-ci à adopter une ligne de conduite mauvaise.

Enfin, pour ce qui est de la question de l'estoppel, je crois qu'il y a lieu de citer P. McDonald qui, dans Contradictory Government Action: Estoppel of Statutory Authorities [14] , déclare entre autres choses :

A public authority cannot be estopped from exercising its powers. But once the authority has decided that a particular exercise of power is appropriate, it must act accordingly, at least where there has been reliance on that decision.... When the authority by its conduct leads the individual to believe that a decision has been made, it is to be treated as having made the decision. And having made it, the authority must act accordingly.

(Une autorité publique ne peut être empêchée d'exercer ses pouvoirs. Mais lorsque l'autorité a décidé qu'un certain exercice de pouvoir est approprié, elle doit agir en conséquence, du moins dans la mesure où quelque partie s'est fondée sur cette décision. Lorsque l'autorité, par son attitude, conduit un particulier à croire qu'une décision a été prise, elle doit être considérée comme ayant pris cette décision. Et ayant pris cette décision, l'autorité doit agir en conséquence.) [traduction]

Il est également une autre raison qui m'incite à favoriser l'appelante dans la présente cause. L'«avis de décision» reçu par l'appelante suite à son «opposition à la cotisation» antérieure contenait le passage suivant :

As there is no evidence that you were misinformed or that your responsibility to apply for a licence at the appropriate time was not clear, there are no grounds on which to vary or vacate the assessment.

(Comme rien ne laisse penser que vous avez été mal informé ou qu'il y avait quelque doute quant à votre responsabilité de déposer une demande de licence, il n'y a aucune raison de modifier ni d'annuler la cotisation.) [traduction]

Si cette déclaration a été écrite dans l'ignorance de la lettre précédente du 22 septembre 1980, il serait possible d'admettre la conséquence implicite qu'elle comporte très nettement, à savoir que s'il avait existé des éléments de preuve laissant penser que l'appelante avait été mal informée, la décision aurait pu être différente. Or, l'appelante a effectivement produit de pareils éléments de preuve lors de l'audience sous la forme de la lettre susmentionnée et il me paraît hypocrite de la part de l'intimé de continuer à soutenir qu'aucun estoppel n'est valable contre la Couronne, alors que la lettre mentionnée ci-dessus laisse entendre nettement le contraire.

Cependant, mon ferme appui à la cause de l'appelante ne porte que sur la période allant jusqu'à la fin de 1986, époque à laquelle elle a reçu une autre visite du Ministère et a été avisée non seulement du fait qu'elle était considérée comme un fabricant, mais encore du fait qu'elle devait déposer une demande de licence en tout temps lorsque la valeur de ses ventes annuelles dépassait 50 000 $. Il ressort à l'évidence des témoignages et des éléments de preuve présentés que l'appelante était parfaitement au courant de cette disposition et qu'elle avait accepté, jusqu'en 1986, l'opinion du Ministère selon laquelle elle n'était pas un fabricant. Après avoir été avisée, cette fois justement, de ces dispositions, l'appelante n'avait aucune raison valable de ne pas obtenir de licence à la fin de 1986 si la valeur de ses ventes annuelles dépassait effectivement 50 000 $ pour l'année financière 1986. C'est pourquoi j'aurais jugé l'appelante comme tenue de payer la taxe exigible le 16 octobre 1986 ou par après, avec l'intérêt et l'amende proportionnels, cette date étant celle à laquelle l'appelante a reçu la lettre du Ministère.





Charles A. Gracey ______ Charles A. Gracey Membre présidant
[ Table des matières]

1. S.R.C. (1970), ch. E-13, maintenant L.R.C. (1985), ch. E-15, dans sa version modifiée.

2. Maintenant paragraphe 50(1).

3. Maintenant paragraphe 54(2).

4. Maintenant paragraphe 81.1(1).

5. Maintenant paragraphe 81.11(2).

6. DORS/82 - 498, 13 mai 1982.

7. (1979), 24 O.R. (2d) 400 (Div. Ct.) et (1980), 99 D.L.R. (3d) 165, p. 168.

8. [1986] 3 C.F. 70 (Division de première instance).

9. [1989] 1 R.C.S. 141.

10. Tribunal canadien du commerce extérieur, Sturdy Truck Body (1972) Limited c. Le ministre du Revenu national, Appel n ° 2979, le 23 juin 1989; Walbern Agri-Systems Ltd. c. Le ministre du Revenu national, Appel n ° 3000, le 21 décembre 1989; et A.G. Green Co. Limited c. Le ministre du Revenu national, Appel n ° AP-89-134, le 9 août 1990.

11. [1986] 3 C.F. 249.

12. (1973), 30 D.L.R. (3d) 386 (Ont. High Ct.).

13. Supra, note 8, p. 82.

14. (1979), Osgoode Hall Law Journal, 17, pp. 180-181.


Publication initiale : le 18 août 1997