H.E. WAKELIN

Décisions


H.E. WAKELIN
v.
LE SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONAL
POUR LES DOUANES ET L'ACCISE
Appel n° AP-89-030

TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le jeudi 20 septembre 1990

Appel n° AP-89-030

EU ÉGARD À une demande entendue le 23 mars 1990 en vertu de l'article 67 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.), dans sa version modifiée;

ET EU ÉGARD À une décision du sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise datée du 16 décembre 1988 en vertu de l'article 63 de la Loi sur les douanes.

ENTRE

H.E. WAKELIN Appelant

ET

LE SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONAL Intimé

POUR LES DOUANES ET L'ACCISE

L'appel est admis. Le Tribunal déclare que la Ford Taurus en question (numéro de série 1FABP52U5JG129187), importée au pays par le poste frontalier d'Oungre (Saskatchewan) le 25 juin 1988, devrait être classée dans le numéro tarifaire 9807.00.00 en tant qu'effets d'immigrants.

Arthur B. Trudeau ______ Arthur B. Trudeau Membre présidant

W. Roy Hines ______ W. Roy Hines Membre

Michèle Blouin ______ Michèle Blouin Membre

Robert J. Martin ______ Robert J. Martin Secrétaire





Tarif des douanes - Classement tarifaire - Déterminer si l'appelant est un immigrant ou un ancien résident.

La présente cause porte sur le classement tarifaire d'une Ford Taurus 1988 (numéro de série 1FABP52U5JG129187) évaluée à 18 320,61 $ CAN que l'appelant a importée au Canada. L'appelant soutient que le véhicule peut être considéré en tant que «Marchandises... importées par un immigrant... » en application du numéro tarifaire 9807.00.00 et, donc, exonéré des droits. De son côté, l'intimé affirme que le véhicule fait partie des «Marchandises importées... par un ancien résident du Canada qui revient résider au pays... » en application du numéro tarifaire 9805.00.00 et qu'il est assujetti aux droits applicables.

Entre 1974 et 1978, l'appelant, un ministre de l'Église chrétienne (Disciples of Christ) est venu au Canada avec son épouse pour y exercer sa vocation. Leurs effets ont été importés au Canada en franchise en tant qu'effets d'immigrants. M. Wakelin et son épouse sont ensuite rentrés aux États-Unis, mais en 1988, ayant obtenu le statut d'immigrant reçu au Canada, ils sont revenus au Canada pour leur retraite. Leurs effets ont été importés en tant que marchandises importées par un ancien résident et le véhicule de l'appelant a été assujetti à des droits en fonction de sa valeur imposable. Cette décision s'appuie sur une politique administrative limitant la liste des effets d'immigrants à ceux importés par une personne souhaitant prendre résidence pour la première fois au Canada pour plus de 12 mois.

Jugement : L'appel est admis. Le Tribunal déclare que les effets de l'appelant devraient être classés dans le numéro tarifaire 9807.00.00 en tant qu'effets d'immigrants. Le mot «immigrant» n'a été défini ni dans la législation, ni dans la réglementation applicables. En vertu des principes d'interprétation législative, l'appelant est un immigrant au sens courant et ordinaire de ce mot. En outre, le numéro tarifaire 9807.00.00 traduit plus fidèlement le type d'«intention» de résider au Canada que manifeste l'appelant à son arrivée au pays.

Lieu de l'audience : Edmonton (Alberta) Date de l'audience : Le 23 mars 1990 Date de la décision : Le 20 septembre 1990 Membres du Tribunal : Arthur B. Trudeau, membre présidant W. Roy Hines, membre Michèle Blouin, membre Greffier : Janet Rumball Ont comparu : Halsey E. Wakelin, pour l'appelant Michael Civaglia, pour l'intimé Jurisprudence : Stubart Investments Limited c. Sa Majesté La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536; Lord v. Colvin (1859), 4 Drew 366; Wadsworth v. McCord (1886), 12 S.C.R. 466. Lois et règlements cités : Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2 e suppl.), art. 67; Tarif des douanes, S.R.C. (1970), ch. C-41, tel que modifié par L.C. 1987, ch. 29; Tarif des douanes, L.C. 1987, ch. 49, art. 10; L.C. 1989, ch. 18, art. 15; Règles générales pour l'interprétation du Système harmonisé, r. 1; Règles canadiennes, r. 1; Annexe I, Chapitre 98, notes 1, 2, 3, et 7c)i); Numéros tarifaires 9805.00.00 et 9807.00.00; Décret de remise relatif à des effets d'immigrants acquis au moyen de fonds bloqués, C.R.C., ch. 790, tel que modifié par TR/78-118; Loi sur l'administration financière, S.R.C. (1970), ch. F-10; Règlement sur les effets d'immigrants, DORS/67-158, tel que modifié; Décret général de modification (Tarif des douanes, ministériel), DORS/88-59; Règlement sur la définition de «immigrant» aux fins du numéro tarifaire 9807.00.00, DORS/90-226. Mémorandum cité : Mémorandum D2-2-1 (Effets d'immigrants, numéro tarifaire 9807.00.00). Dictionnaires cités : Le Grand Robert de la langue française, 1986; The Oxford English Dictionary, Clarendon Press, 1989; Black's Law Dictionary, West Publishing Co., 1979 (5 e éd.).





La présente cause porte sur le classement tarifaire d'une Ford Taurus 1988 (numéro de série 1FABP52U5JG129187) évaluée à 18 320,61 $ CAN que l'appelant a importée au Canada. L'appelant soutient que le véhicule peut être considéré en tant que «Marchandises... importées par un immigrant... » en application du numéro tarifaire 9807.00.00. De son côté, l'intimé affirme que le véhicule fait partie des «Marchandises importées... par un ancien résident du Canada qui revient résider au pays... », en application du numéro tarifaire 9805.00.00. Les marchandises importées par un immigrant peuvent l'être en franchise de droits. Bien que celles importées par un ancien résident en application du numéro tarifaire 9805.00.00 le sont aussi, cette règle comporte une exception. Si la valeur imposable d'un article est supérieure à 10 000 $ CAN, des droits sont payables sur la partie de la valeur imposable supérieure à 10 000 $ CAN en application de la note 7c)i) du Chapitre 98 du Tarif des douanes. Des droits ont été imposés à l'égard du véhicule parce que l'intimé l'avait classé dans le numéro tarifaire 9805.00.00.

LES FAITS

Les faits relatifs à la présente cause ont été reconstitués à partir du dossier et du témoignage du révérend H.E. Wakelin et de M. Dave Choquette, un agent de programme principal du ministère du Revenu national pour les douanes et l'accise (le Ministère). L'appelant est né en Saskatchewan en 1912. En septembre 1929, il a émigré aux États-Unis pour commencer à suivre la formation requise pour devenir ministre. Il s'est marié en 1932; son épouse est originaire du Tennessee. Le révérend Wakelin a été ordonné ministre de l'Église chrétienne (Disciples of Christ) en mai 1933. Il est revenu au Canada avec son épouse peu après.

Il a exercé sa vocation au Canada jusqu'en 1953, après quoi il s'est établi en Iowa. Il a obtenu la citoyenneté américaine en mai 1960.

Il est demeuré en Iowa jusqu'en avril 1974, date à laquelle son épouse et lui sont revenus au Canada pour qu'ils exercent leur vocation à West Lorne (Ontario). Les Wakelin ont tous deux obtenu du Canada le statut d'immigrant reçu et ont été autorisés à importer en franchise leurs effets personnels, y compris leur véhicule, en tant qu'effets d'immigrants. Ils sont retournés en Iowa en mai 1978, mais ont exercé leur vocation au Canada entre avril 1986 et mai 1987 en vertu d'un permis de travail.

À l'été de 1987, alors qu'ils étaient en vacances chez leur fille à Red Deer (Alberta), l'appelant et son épouse ont décidé de demander le statut d'immigrant reçu au Canada, ayant choisi de s'établir à Red Deer après leur retraite.

Le 22 septembre 1987, l'appelant a communiqué avec le Consulat général du Canada (le Consulat) à Minneapolis (Minnesota) pour demander le statut d'immigrant reçu. La lettre de l'appelant se lisait en partie comme suit :

Mon épouse et moi rentrons tout juste d'un séjour chez notre fille, établie à Red Deer (Alberta). Ce voyage nous a permis de confirmer notre décision de demander le statut d'immigrant reçu au Canada. (traduction)

Dans sa lettre, l'appelant précisait que son épouse et lui-même avaient déjà obtenu le statut d'immigrant reçu en 1974.

En octobre 1987, M. et Mme Wakelin se sont présentés au Consulat pour une entrevue avec un agent d'immigration. D'après l'appelant, l'agent a assuré les Wakelin qu'en qualité d'immigrants reçus, ils pourraient importer en franchise tous leurs effets personnels, y compris un nouveau véhicule qu'ils envisageaient d'acheter, projet dont ils ont informé l'agent.

Le 6 janvier 1988, le Consulat a avisé les Wakelin qu'ils semblaient répondre parfaitement à toutes les exigences régissant l'immigration au Canada, mais que «l'agent d'inspection du poste frontalier au Canada a le dernier mot pour ce qui est d'approuver votre demande de résidence permanente» (traduction). Sur ce, le révérend Wakelin et son épouse ont échangé leur vieux véhicule et ont acheté conjointement une Ford Taurus neuve (à l'époque), le véhicule en question, le 18 avril 1988 et ont amorcé la construction de leur nouvelle résidence à Red Deer en prévision de leur retraite.

L'appelant et son épouse ont entassé tous leurs effets personnels dans un camion loué pour l'occasion et se sont présentés au poste frontalier canadien situé à Oungre (Saskatchewan) le 25 juin 1988 où ils sont entrés en tant qu'immigrants reçus. Les douaniers ont autorisé l'importation en franchise de tous les effets personnels en application du numéro tarifaire 9805.00.00, à une exception près. Ils ont été tenus de payer des droits sur la Ford Taurus sur la partie de la valeur imposable de leur véhicule supérieure à 10 000 $ CAN. Les droits sur le véhicule ont été calculés au taux prescrit au numéro tarifaire 8703.23.00.93 (voitures de tourisme d'une cylindrée excédant 1 500 cm3 mais n'excédant pas 3 000 cm3 et d'un volume intérieur excédant 2,8 m3 mais n'excédant pas 3,1 m3). Les droits totalisaient 1 782,01 $, somme que l'appelant a acquittée.

Surpris d'avoir été tenu de payer des droits sur le véhicule en dépit des assurances qu'il a affirmé avoir obtenues du Consulat à Minneapolis sur l'importation en franchise de ses effets, le révérend Wakelin a demandé au Ministère de réexaminer la décision de l'agent de classer les marchandises dans le numéro tarifaire 9805.00.00. La requête de l'appelant fut rejetée le 23 septembre 1988. Selon les fonctionnaires du Ministère, lorsque l'appelant et son épouse sont arrivés au Canada en 1974, le Ministère les a considérés comme des immigrants et leurs effets personnels ont été importés en tant qu'effets d'immigrants. Le Ministère a ajouté que, l'appelant ayant été accueilli comme immigrant en 1974 et ayant résidé au Canada entre 1974 et 1978, il pouvait désormais être considéré comme un ancien résident et de ce fait, ne pouvait importer ses effets personnels qu'en application du numéro tarifaire 9805.00.00.

M. Choquette a déclaré que la décision des fonctionnaires du Ministère se fondait sur une politique administrative en vertu de laquelle une personne ne peut ni être considérée comme un immigrant, ni importer ses effets personnels en tant qu'effets d'immigrants en application du numéro tarifaire 9807.00.00 que si elle venait résider au Canada pour la première fois. Comme l'appelant avait résidé au Canada entre 1974 et 1978, la politique administrative empêchait l'appelant d'importer de nouveau ses effets en tant qu'effets d'immigrants à cause de sa résidence précédente.

M. Choquette a ajouté qu'à l'époque où l'appelant est arrivé au Canada, la politique administrative s'appuyait sur la définition du mot «immigrant» contenue dans le Décret de remise relatif à des effets d'immigrants acquis au moyen de fonds bloqués [1] édicté sous le régime de la Loi sur l'administration financière [2] . Ladite définition prévoit notamment qu'un «immigrant» s'entend d'«une personne qui arrive au Canada dans l'intention de s'y établir pour la première fois et d'y demeurer pour une période de plus de douze mois... ». Cette définition a été intégrée au Mémorandum D2-2-1, Effets d'immigrants, numéro tarifaire 9807.00.00, le 16 mars 1989.

L'appelant en a appelé de la décision du Ministère auprès du sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise (le Sous-ministre), qui l'a confirmée le 16 décembre 1988. Après avoir consulté son député fédéral et sur la recommandation de ce dernier, l'appelant en a appelé de la décision du Sous-ministre auprès du Tribunal.

LA QUESTION EN LITIGE

Il s'agit de déterminer si le véhicule en question devrait être classé dans le numéro tarifaire 9807.00.00 en tant que «Marchandises... importées par un immigrant pour son usage domestique ou personnel, si réellement elles lui ont appartenu, ont été en sa possession et lui ont servi avant son arrivée au Canada... », comme le soutient l'appelant, ou dans le numéro tarifaire 9805.00.00 en tant que «Marchandises importées... par un ancien résident du Canada qui revient résider au pays après avoir résidé dans un autre pays pendant au moins un an ou par un résident qui revient au pays après une absence du Canada d'au moins une année...», comme le prétend l'intimé. Les deux parties ont reconnu que le véhicule peut faire partie des «marchandises» visées aux deux numéros tarifaires susmentionnés. Il s'agit donc essentiellement de déterminer si l'appelant est un ancien résident ayant choisi de revenir prendre résidence au Canada ou un immigrant arrivé au Canada.

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

Les dispositions suivantes du Tarif des douanes [3] étaient en vigueur lorsque le véhicule en question a été importé au Canada par l'appelant :

10. Le classement des marchandises importées dans un numéro tarifaire de l'annexe I est effectué, sauf indication contraire, conformément aux Règles générales pour l'interprétation du Système harmonisé et des Règles canadiennes énoncées à cette annexe.

RÈGLES GÉNÉRALES POUR L'INTERPRÉTATION

DU SYSTÈME HARMONISÉ

Le classement des marchandises dans la Nomenclature est effectué conformément aux principes ci-après :

1.Le libellé des titres de Sections, de Chapitres ou de Sous-Chapitres est considéré comme n'ayant qu'une valeur indicative, le classement étant déterminé légalement d'après les termes des positions et des Notes de Sections ou de Chapitres...

RÈGLES CANADIENNES

1.Le classement des marchandises dans les numéros tarifaires d'une sous-position ou d'une position est déterminé légalement d'après les termes de ces numéros tarifaires... ainsi que, mutatis mutandis, d'après les Règles ci-dessus... Aux fins de cette Règle, les Notes de Sections et de Chapitres sont également applicables sauf dispositions contraires.

ANNEXE I

Chapitre 98

DISPOSITIONS DE CLASSIFICATION SPÉCIALE

1.... Les articles qui sont décrits dans une position ou une sous - position du présent Chapitre peuvent être classés dans ladite position ou sous-position si les conditions et les exigences de celle-ci et de tout autre règlement applicable sont respectées.

2.Aux fins des positions n os 98.02, 98.03, 98.04, 98.05, 98.06 ou 98.07, le... [gouverneur en conseil] peut, par règlement, définir les expressions «résident», «ancien résident», «résident temporaire», «bagage», «moyen de transport» et «immigrant».

3.Les marchandises qui sont admissibles à un classement dans [la position n o ] 98.05 sont exemptes de tout droit, nonobstant les dispositions de la présente ou de toute autre loi du Parlement.

...

7.Aux fins de la position n o 98.05 :

...

c) la Note 3 du présent Chapitre s'applique, sauf que :

i)tout article importé et acquis par la personne qui demande l'exemption que prévoit la présente position, après le 31 mars 1977, et dont la valeur imposable déterminée en vertu de la Loi sur les douanes est supérieure à 10.000 $, est assujetti aux droits autrement prescrits sur la partie de la valeur imposable qui dépasse 10.000 $...

...

Tarif des douanes

9805.00.00 Marchandises importées par un membre des Forces canadiennes, un employé du gouvernement du Canada, ou par un ancien résident du Canada qui revient résider au pays après avoir résidé dans un autre pays pendant au moins un an ou par un résident qui revient au pays après une absence du Canada d'au moins une année, et acquises par lui pour son usage personnel ou domestique et lui ayant effectivement appartenu à l'étranger et ayant été en sa possession et à son usage pendant au moins six mois avant son retour au Canada

9807.00.00 Marchandises, définies par les règlements établis par le Ministre, importées par un immigrant pour son usage domestique ou personnel, si réellement elles lui ont appartenu, ont été en sa possession et lui ont servi avant son arrivée au Canada pour prendre résidence permanente, conformément aux règlements que peut prendre le Ministre [du Revenu national]

L'ARGUMENTATION

L'appelant a défendu son point de vue en affirmant qu'il a été injustement tenu de verser des droits de douane à l'égard du véhicule pour les raisons suivantes : premièrement, le fonctionnaire du Consulat à Minneapolis a donné des garanties à son épouse et à lui-même à l'effet qu'ils n'auraient pas à payer de droits sur leur véhicule neuf. Deuxièmement, l'appelant a déclaré que son épouse et lui-même n'ont jamais été informés qu'ils seraient considérés comme des anciens résidents au moment de leur retour au Canada. L'appelant a soutenu que s'il avait su qu'il en serait ainsi et qu'ils seraient tenus d'acquitter des droits à l'égard de leur nouveau véhicule, ils ne se seraient jamais départis de leur ancien véhicule pour acheter le véhicule en question aux États-Unis.

De son côté, l'intimé a invoqué deux motifs à l'appui de sa position. Premièrement, il a nié que le fonctionnaire du Consulat avait mal informé l'appelant. Toutefois, même si tel avait été le cas, cela ne change rien à la législation adoptée par le Parlement, à laquelle l'appelant doit se conformer même s'il avait été mal informé. À ce propos, l'intimé a évoqué le jugement de la Cour suprême du Canada dans la cause The Queen v. Laboratoires Marois Limitée [4] .

Deuxièmement, s'appuyant sur la définition du mot «immigrant» utilisée par le Ministère, l'intimé a soutenu que cette dernière ne s'appliquait pas à l'appelant parce que celui-ci ne venait pas prendre résidence au Canada pour la première fois pour une période d'au moins 12 mois. L'intimé a déclaré que l'appelant ayant déjà résidé au Canada, il devrait être considéré comme un ancien résident et son véhicule devrait être classé parmi les effets importés par un ancien résident.

En outre, l'intimé a soutenu que même si la politique administrative n'est pas exécutoire du point de vue du Tribunal, le Sous-ministre a utilisé la définition d'«immigrant» pour établir des lignes directrices aux fins de l'administration du numéro tarifaire 9807.00.00, lequel doit donc être interprété conformément à cette politique.

LES CONCLUSIONS DU TRIBUNAL

À l'examen des éléments de preuve, de la jurisprudence et des dispositions législatives et réglementaires pertinentes, le Tribunal considère que la Ford Taurus en question devrait être classée dans le numéro tarifaire 9807.00.00 en tant que marchandises importées par un immigrant. D'après la position de l'intimé, il est évident que la seule raison pour laquelle l'appelant n'a pas été considéré comme un immigrant, ce qui l'empêchait d'importer ses effets personnels, y compris le véhicule en question, en application du numéro tarifaire 9807.00.00 était qu'il avait déjà résidé au Canada pendant au moins 12 mois. Comme l'intimé l'a précisé dans son mémoire, «L'appelant n'était pas un «immigrant» lorsqu'il est arrivé au Canada en juin 1988 parce qu'il ne venait pas s'y établir pour «la première fois», comme l'exige le numéro tarifaire 9807.00.00». (traduction) Le Tribunal ne peut souscrire à ce point de vue pour plusieurs motifs.

Premièrement, le libellé du numéro tarifaire 9807.00.00 ne précise pas qu'un immigrant s'entend uniquement d'une personne venant prendre résidence au Canada pour la première fois. Deuxièmement, il faut tenir compte des dispositions réglementaires définissant le mot «immigrant» pour l'application du numéro tarifaire 9807.00.00. Ce mot n'est défini ni dans le numéro tarifaire précité, ni dans des numéros tarifaires antérieurs visant les effets d'immigrants. Par exemple, le numéro tarifaire 70505-1, qui précédait celui en vigueur, se lisait en partie comme suit :

Marchandises, définies par les règlements établis par le Ministre [du Revenu national], importées par un immigrant pour son usage domestique ou personnel, si réellement elles lui ont appartenu, ont été en sa possession et lui ont servi avant son arrivée au Canada, suivant les règlements que peut prendre le Ministre [5]

Toutefois, des règlements précisent la définition du mot «immigrant» pour l'interprétation du numéro tarifaire visant les effets d'immigrants. Ainsi, le ministre du Revenu national (le Ministre) a édicté le Règlement sur les effets d'immigrants [6] , qui renfermait la définition suivante du mot «immigrant» pour l'application du numéro tarifaire 70505-1 :

«immigrant» désigne toute personne qui arrive au Canada dans l'intention de s'y établir pour la première fois et d'y demeurer pendant une période de plus de 12 mois...

Cependant, le 31 décembre 1987, le Ministre a abrogé cette définition [7] à compter du 1er janvier 1988, date d'entrée en vigueur du numéro tarifaire 9807.00.00. La note 2 du Chapitre 98 du Tarif des douanes prévoit que seul le gouverneur en conseil peut prendre des règlements définissant notamment le mot «immigrant» aux fins du numéro tarifaire 9807.00.00.

C'est ce que le gouverneur en conseil a fait le 5 avril 1990. Dans le Règlement sur la définition de «immigrant» aux fins du numéro tarifaire 9807.00.00 [8] , le mot «immigrant» a été défini comme suit :

2. Pour l'application du numéro tarifaire 9807.00.00 de l'annexe I du Tarif des douanes, «immigrant» s'entend de toute personne qui entre au Canada pour y prendre, pour la première fois, résidence pour une période d'au moins 12 mois, à l'exclusion des personnes qui entrent au Canada pour y résider :

a) soit à des fins d'emploi pour une période temporaire ne dépassant pas 36 mois;

b) soit pour études dans une maison d'enseignement.

Même si le gouverneur en conseil pouvait appliquer ce règlement rétroactivement au 1er janvier 1988 [9] , il a choisi de ne pas le faire. Entre le 1er janvier 1988 et le 4 avril 1990, aucun règlement ne définissait le mot «immigrant» aux fins du numéro tarifaire 9807.00.00. Par conséquent, lorsque l'appelant est entré au Canada en juin 1988, on ne pouvait invoquer un règlement pour lui refuser le statut d'immigrant prévu au numéro tarifaire 9807.00.00 sous prétexte qu'il avait déjà résidé au Canada pendant plus de 12 mois.

Comme il n'existait pas de définition du mot «immigrant» à l'époque où l'appelant est entré au Canada, le Tribunal doit appliquer les principes d'interprétation législative pour déterminer si l'appelant était un immigrant au sens du numéro tarifaire 9807.00.00. Dans la décision Stubart Investments Limited v. Her Majesty the Queen [10] de la Cour suprême du Canada, portant sur l'impôt fédéral sur le revenu, le juge Estey a formulé les commentaires suivants en page 578 en ce qui touche les principes applicables :

Bien que les remarques E.A. Driedger dans son ouvrage Construction of Statutes (2 e éd. 1983), à la p. 87, ne visent pas uniquement les lois fiscales, il y énonce la règle moderne de façon brève :

Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution : il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur. (traduction)

De l'avis du Tribunal, l'intention du Parlement quant à la portée du mot «immigrant» est très clairement exprimée dans la version française du numéro tarifaire 9807.00.00, laquelle est d'égale valeur, qui se lit comme suit :

Marchandises, définies par les règlements établis par le Ministre, importées par un immigrant pour son usage domestique ou personnel, si réellement elles lui ont appartenu, ont été en sa possession et lui ont servi avant son arrivée au Canada pour prendre résidence permanente , conformément aux règlements que peut prendre le Ministre. (soulignement ajouté)

Considérant le mot «immigrant» dans son sens grammatical et ordinaire, le Tribunal a relevé, dans un dictionnaire, la dE9‚finition suivante :

Le Grand Robert de la langue française [11]

Immigrant Qui immigre dans un pays ou qui y a immigré récemment.

Ainsi, le mot «immigrant» au sens du numéro tarifaire 9807.00.00 désigne avant tout une personne quittant un pays dans lequel elle résidait pour prendre résidence permanente au Canada.

Le sens courant et ordinaire du mot «settler» dans la version anglaise du numéro tarifaire 9807.00.00 est conforme à cette interprétation de l'intention du Parlement, comme en témoignent les définitions suivantes :

The Oxford English Dictionary [12]

Settler

2. a. One who settles in a new country; a colonist.

b. gen. One who settles in a place as a resident.

5. ... settler's effects Canad., goods brought into the country by an immigrant for his personal use that are exempt from import duty ...

Settle

11. a . Of persons: To cease from migration and adopt a fixed abode; to establish a permanent residence, take up ones abode ...

New

4. a. Other than the former or old; different from that previously existing, known, or used ...

c. Of places: Different from that previously inhabited or frequented ...

(Immigrant

Personne qui s'établit dans un nouveau pays; un colon.

Gén. Personne prenant résidence en un endroit donné à titre de résident.

Effets d'immigrants Canada, marchandises importées au pays par un immigrant pour son usage personnel et exemptées de droits de douane.

(Immigrer

En parlant d'une personne : cesser de migrer et adopter un domicile fixe; prendre résidence permanente; s'établir.

(Nouveau

Autre que ce qui est ancien ou vieux; différent de ce qui existait, de ce qui était connu ou utilisé auparavant.

En parlant d'un lieu : Différent d'un lieu jusqu'alors habité ou fréquenté).

(traduction)

D'après ces définitions, un immigrant désigne, dans son sens courant et ordinaire, une personne qui migre vers un pays autre que celui qu'elle habitait précédemment pour y prendre résidence permanente.

Bref, le fait de limiter la portée des mots «settler» et «immigrant» au sens du numéro tarifaire 9807.00.00 pour qu'ils désignent uniquement les personnes prenant résidence dans un pays pour la première fois et pour une période déterminée n'est conforme ni au sens ordinaire et courant du mot «immigrant» dans la version française du numéro tarifaire, ni à celui du mot «settler» utilisé dans la version anglaise du même numéro tarifaire. En outre, comme le libellé de ni l'une ni l'autre version du numéro tarifaire 9807.00.00 ne mentionne de restrictions à cet égard, le Tribunal ne peut admettre qu'une personne ne puisse invoquer ce numéro tarifaire uniquement parce qu'elle a déjà résidé au Canada pendant un certain temps. En outre, le gouverneur en conseil n'ayant établi aucun règlement renfermant une disposition contraire, le Tribunal est d'avis que la disqualification d'une personne pour ce seul motif n'est pas conforme à l'objet du Tarif des douanes.

Le Tribunal est d'avis que le Parlement a notamment choisi de distinguer les anciens résidents visés au numéro tarifaire 9805.00.00 des immigrants assujettis au numéro tarifaire 9807.00.00 sous l'angle de leur «intention» de résider au Canada. Le numéro tarifaire 9805.00.00 vise les personnes qui reviennent résider au Canada, alors que le numéro tarifaire 9807.00.00 parle de celles qui viennent au Canada pour prendre résidence permanente. En d'autres mots, le numéro tarifaire 9807.00.00 traite d'une forme de résidence plus durable.

En fait, le Tribunal considère que le type de résidence visé au numéro tarifaire 9807.00.00 correspond à la définition de domicile élu prévu par la common law. Dans la cause Lord v. Colvin [13] , le juge Kinderley a donné la définition suivante de ce type de domicile :

Ce lieu est en fait le domicile élu d'une personne où elle a décidé volontairement de s'établir en compagnie de sa famille non pas à des fins spéciales ou accessoires mais dans l'intention d'en faire sa résidence permanente à moins que quelque chose (d'imprévu ou dont la survenance est incertaine) ne l'incite à en trouver une autre. (traduction)

Dans la décision Wadsworth v. McCord [14] , le juge en chef Ritchie de la Cour suprême du Canada a souligné comme suit le lien entre le domicile et la résidence :

Le domicile et la résidence sont deux notions distinctes; le domicile s'entend d'une demeure permanente, et non d'un gîte provisoire; cette notion englobe celle de la résidence et l'animus manendi (l'intention de demeurer en un lieu ou de prendre résidence permanente [15] ). (traduction)

Compte tenu de ce qui précède, il est évident qu'en distinguant la résidence permanente de la résidence, le Parlement tenait à étendre l'application du numéro tarifaire 9807.00.00 aux personnes désireuses d'établir des liens plus durables avec le Canada, par opposition à celles qui y séjournent tout simplement. Par contre, si le Tribunal retenait le sens restreint des mots «settler» et «immigrant B» que prône l'intimé, cela signifierait que certaines personnes arrivant au Canada pour y prendre résidence permanente ne pourraient invoquer le numéro tarifaire 9807.00.00 uniquement parce qu'elles auraient résidé antérieurement au Canada pour une période de plus de 12 mois même si, à l'occasion de ce premier séjour, elles n'entendaient pas s'établir définitivement au Canada.

De l'avis du Tribunal, les faits relatifs à cette cause démontrent clairement que l'appelant est un «immigrant» au sens ordinaire et courant de ce mot dans le numéro tarifaire 9807.00.00. En outre, ce numéro tarifaire traduit plus fidèlement le type d'«intention» de résider au Canada que manifeste l'appelant à son arrivée au pays. M. Wakelin et son épouse avaient tous deux quitté les États-Unis à destination du Canada pour prendre résidence permanente à Red Deer. Ils emportaient avec eux leurs effets personnels. Ils sont venus au Canada dans le but avoué de s'établir à Red Deer après leur retraite. Ils y ont construit une demeure à cette fin expresse. Le révérend Wakelin ne revient donc pas au Canada pour y résider provisoirement. Il cherche plutôt à y établir des liens plus durables qui ne devraient pas être modifiés au fil du temps. Compte tenu de ce qui précède et vu l'absence d'un règlement définissant le mot «immigrant» à l'époque où l'appelant est arrivé au Canada en juin 1988, le Tribunal déclare que celui-ci est un immigrant au sens du numéro tarifaire 9807.00.00 et, qu'en conséquence, le véhicule en question devrait être classé dans ce même numéro tarifaire.

L'appel devrait être admis.


[ Table des matières]

1. C.R.C., ch. 790, tel que modifié par TR/78-118.

2. S.R.C. (1970), ch. F-10.

3. L.C. 1987, ch. 49.

4. 58 D.T.C. 1116.

5. Tarif des douanes , S.R.C. (1970), ch. C-41, tel que modifié par L.C. 1987, ch. 29.

6. DORS/67-158, dans sa version modifiée.

7. Décret général de modification (Tarif des douanes, ministériel) , DORS/88-59.

8. DORS/90-226.

9. Tarif des douanes , L.C. 1987, ch. 49, tel que modifié par L.C. 1989, ch. 18, art. 15.

10. [1984] 1 R.C.S. 536.

11. 1986.

12. 1989, Clarendon Press.

13. (1859) 4 Drew 366. p. 376.

14. (1886), 12 S.C.R. 466, pages 478-479.

15. Black's Law Dictionary , West Publishing Co., 1979 (5 e édition).


Publication initiale : le 15 mai 1997