AUTOMED TECHNOLOGIES (CANADA) INC.


AUTOMED TECHNOLOGIES (CANADA) INC.
c.
PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA
Appel no AP-2010-064

Ordonnance et motifs rendus
le mardi 29 novembre 2011


TABLE DES MATIÈRES


EU ÉGARD À un appel interjeté par Automed Technologies (Canada) Inc. le 1er mars 2011 aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes, L.R.C. 1985, (2e supp.), c. 1;

ET EU ÉGARD À une demande présentée par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada le 17 mai 2011, aux termes de l’article 23.1 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur, en vue de rendre une ordonnance rejetant l’appel au motif de l’application de la doctrine de la chose jugée.

ENTRE

AUTOMED TECHNOLOGIES (CANADA) INC. Appelante

ET

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA Intimé

ORDONNANCE

La demande est accueillie, et l’appel est rejeté.

Serge Fréchette
Serge Fréchette
Membre présidant

Dominique Laporte
Dominique Laporte
Secrétaire

EXPOSÉ DES MOTIFS

1. Le 1er mars 2011, Automed Technologies (Canada) Inc. (Automed Canada) interjetait appel auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) à l’égard de trois décisions rendues le 3 décembre 2010 par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes1, concernant le classement tarifaire de certaines pellicules en matières plastiques non alvéolaires (les marchandises en cause).

2. Le 17 mai 2011, l’ASFC présentait une demande auprès du Tribunal aux termes de l’article 23.1 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur2 en vue de rendre une ordonnance rejetant l’appel au motif de l’application de la doctrine de la chose jugée. Selon l’ASFC, le présent appel concerne les mêmes parties que celles qui étaient impliquées dans Automed Technologies Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada3 et soulève la même question que celle qui a été tranchée de façon définitive par le Tribunal dans cette cause. L’ASFC remarque aussi que la décision en question a été confirmée par la Cour d’appel fédérale le 21 septembre 20104.

3. L’ASFC soutient qu’Automed Canada ne doit pas être autorisée à plaider de nouveau la même question qui a déjà été tranchée tant par le Tribunal que par la Cour d’appel fédérale. À cet égard, elle souligne que, dans Cherry Stix Ltd. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada5, le Tribunal a indiqué que pour qu’une requête en rejet d’un appel fondé sur la doctrine de la chose jugée soit accueillie, la partie requérante doit établir que la même question a été tranchée dans une affaire antérieure, que la décision antérieure était définitive et que les parties sont les mêmes dans les deux affaires. Selon l’ASFC, ces trois conditions sont remplies en l’espèce.

4. Le 15 août 2011, Automed Canada déposait ses observations en réponse à la demande de rejet de l’appel. Automed Canada reconnaît qu’un appel sera jugé irrecevable en application de la doctrine de la chose jugée si la même question a été tranchée de façon définitive par le Tribunal dans une affaire antérieure impliquant les mêmes parties. Toutefois, elle soutient que les parties en cause en l’espèce sont différentes de celles qui étaient impliquées dans Automed Technologies. Selon Automed Canada, elle est une personne morale distincte par rapport à Automed Technologies Inc., l’appelante dans Automed Technologies. Sur cette question, Automed Canada remarque qu’Automed Technologies Inc. n’apparaît plus au registre des entreprises du gouvernement fédéral et qu’Automed Canada y est immatriculée sous un numéro distinct de celui qui y était autrefois inscrit pour désigner Automed Technologies Inc. Automed Canada fait aussi valoir qu’Automed Technologies Inc. exploite maintenant son entreprise uniquement aux États-Unis.

5. Le 1er septembre 2011, l’ASFC déposait sa réplique aux observations d’Automed Canada. L’ASFC soutient que la condition relative à l’identité des parties aux fins de l’application de la doctrine de la chose jugée à un litige inclut les ayants droit de la partie en cause dans l’affaire qui a donné lieu à la décision définitive antérieure. Selon ce principe reconnu en droit canadien, l’ASFC soutient que la décision du Tribunal dans Automed Technologies lie Automed Canada, car cette dernière doit être considérée comme un ayant droit d’Automed Technologies Inc., compte tenu des liens importants unissant ces deux compagnies, qui, selon l’ASFC, poursuivent les mêmes objectifs commerciaux.

6. À titre d’exemple, l’ASFC allègue qu’Automed Technologies Inc. et Automed Canada sont toutes deux la propriété de la même société mère, soit AmerisourceBergen Technology Group, et que cette dernière a participé à Automed Technologies par l’entremise du témoignage devant le Tribunal de Mme Andrea Nosek, Directrice, Gestion des produits et des solutions, AmerisourceBergen Technology Group. De plus, l’ASFC soutient que les activités d’Automed Canada consistent à importer et à distribuer au Canada les mêmes marchandises que celles importées par Automed Technologies Inc. entre 2003 et 2005 et qui étaient en cause dans Automed Technologies.

7. Le Tribunal constate que les parties s’entendent sur le test juridique applicable afin de déterminer si une requête en rejet d’un appel fondé sur la doctrine de la chose jugée doit être accueillie. De plus, le Tribunal conclut que les parties conviennent que deux des trois conditions de ce test sont remplies en l’espèce. En effet, il n’est pas contesté que le présent appel concerne la même question que celle qui a été tranchée de façon définitive par le Tribunal dans Automed Technologies, à savoir le classement tarifaire des marchandises en cause. En effet, Automed Canada plaide l’inapplicabilité de la doctrine de la chose jugée en l’espèce en se fondant uniquement sur son argument selon lequel les parties ne sont pas les mêmes dans les deux affaires.

8. Le Tribunal est d’avis qu’il ne fait aucun doute que la question du classement tarifaire des marchandises en cause a été tranchée de façon définitive par le Tribunal dans Automed Technologies et que le bien-fondé de cette décision a ensuite été confirmé par la Cour d’appel fédérale. Ainsi, la seule question qui doit être examinée afin de disposer de la demande de l’ASFC est celle de savoir si Automed Canada est une partie distincte d’Automed Technologies Inc.

9. Sur cette question, le Tribunal accepte les arguments de l’ASFC selon lesquels la doctrine de la chose jugée vaut non seulement entre les parties impliquées dans l’affaire antérieure portant sur la même question, mais qu’elle s’applique aussi à l’égard de leurs ayants droit. Les autorités citées par l’ASFC à l’appui de sa demande établissent clairement le principe voulant qu’une décision ayant force de chose jugée liera non seulement les parties en cause, mais également leurs ayants droit. Les ayants droit d’une partie peuvent être des sociétés liées, des filiales ou encore des administrateurs ou actionnaires des parties à l’instance antérieure6. Le Tribunal a également déjà reconnu que la condition relative à l’identité des parties sera remplie si les parties visées par la décision antérieure ou leurs ayants droit sont les mêmes que les parties ou les ayants droit engagés dans l’instance où l’irrecevabilité est soulevée7.

10. Par conséquent, le fait qu’Automed Canada et Automed Technologies Inc. soient des entités ou personnes morales distinctes ne permet pas de conclure que la doctrine de la chose jugée ne s’applique pas en l’espèce. Encore faut-il déterminer si Automed Canada est un ayant droit d’Automed Technologies Inc. Si tel est le cas, le Tribunal devra conclure que le présent appel met effectivement en cause les mêmes parties que dans Automed Technologies et que sa décision dans cette affaire lie Automed Canada en application de la doctrine de la chose jugée.

11. Les autorités ci-haut mentionnées établissent que, pour déterminer si une société est un ayant droit d’une autre société, il faut analyser les liens ou les rapports qui unissent ces deux entités. Il convient d’examiner si l’une exerce un certain contrôle sur l’autre, faisant en sorte que les affaires de l’une font partie des activités de l’autre. Comme le soutient l’ASFC, si la partie dans l’affaire antérieure a un intérêt dans la nouvelle instance concernant la même question soulevée par une société affiliée où l’irrecevabilité est en cause, il est raisonnable de conclure que la partie qui a engagé la deuxième instance est un ayant droit de la partie dans l’affaire antérieure.

12. Afin de trancher cette question, le 20 septembre 2011, le Tribunal demandait à Automed Canada les questions suivantes :

Est-ce qu’Automed [...] (Canada) et Automed Technologies Inc. sont des filiales de la même compagnie, soit AmerisourceBergen [Technology Group]?

Est-ce qu’Automed Technologies Inc. fait encore affaire au Canada? Est-ce qu’Automed [...] (Canada), dans le cours normal de ses affaires, importe et distribue au Canada des produits identiques ou similaires à ceux qu’importait Automed Technologies Inc. dans le dossier AP-2007-[028]?

Quels sont les autres liens qui unissent Automed [...] (Canada) et Automed Technologies Inc.? Veuillez indiquer si elles ont [les] mêmes administrateurs ou les mêmes actionnaires.

13. Le 4 octobre 2011, Automed Canada répondait aux questions du Tribunal. De l’avis du Tribunal, les renseignements fournis par Automed Canada confirment les liens importants qui l’unissent à Automed Technologies Inc. et démontrent que, comme le soutient l’ASFC, Automed Canada doit être considérée comme un ayant droit d’Automed Technologies Inc. En fait, Automed Canada est la filiale canadienne d’Automed Technologies Inc., cette dernière étant l’unique actionnaire d’Automed Canada. Donc, Automed Technologies Inc. contrôle Automed Canada. Le Tribunal remarque aussi que, selon les renseignements fournis par Automed Canada, trois des administrateurs d’Automed Technologies Inc. sont aussi administrateurs d’Automed Canada.

14. Par ailleurs, Automed Canada a indiqué qu’Automed Technologies Inc. est son principal vendeur et fournisseur et n’a pas d’autres clients au Canada. De plus, les produits achetés et importés par Automed Canada sont les mêmes que ceux qu’importait Automed Technologies Inc. et qui étaient en cause dans Automed Technologies. Ainsi, il est juste de dire qu’Automed Canada et Automed Technologies Inc. poursuivent les mêmes buts commerciaux et ont les mêmes intérêts, soit la vente et la distribution sur le territoire canadien de marchandises qui étaient auparavant, notamment au moment de la décision du Tribunal dans Automed Technologies, importées et vendues au Canada directement par Automed Technologies Inc.

15. Bref, même si au niveau de leur structure elles sont deux entités distinctes, en réalité, les deux sociétés se confondent tant par les affaires, l’actionnariat et leur âme dirigeante. Il y a clairement une communauté d’intérêts entre ces deux sociétés. Contrairement aux prétentions d’Automed Canada, le fait qu’Automed Technologies Inc. et Automed Canada aient des numéros d’entreprise distincts, qu’Automed Technologies Inc. ait continué à importer des marchandises au Canada parallèlement à Automed Canada au moins jusqu’en février 2008 ou encore qu’Automed Canada vende également des produits à des fins de revente à des pharmacies ne sont pas des faits pertinents. Ces faits ne contredisent pas les liens importants qui unissent les deux sociétés et ne sont pas suffisants pour conclure qu’Automed Technologies Inc. n’a pas d’intérêt dans le résultat du présent appel.

16. Par conséquent, le Tribunal conclut qu’Automed Canada et Automed Technologies Inc. sont des ayants droit l’une de l’autre et que, de ce fait, le critère de l’identité des parties pour l’application de la doctrine de la chose jugée est également rempli en l’espèce.

17. Le présent appel est donc irrecevable en application de la doctrine de la chose jugée puisque la question en litige a été tranchée de façon définitive par le Tribunal dans une affaire antérieure impliquant les mêmes parties ou leurs ayants droit. En pareilles circonstances, l’application de la doctrine de la chose jugée élimine la possibilité qu’il y ait des décisions contradictoires concernant le classement tarifaire des marchandises en cause.

18. Pour les motifs qui précèdent, le Tribunal accueille la demande de l’ASFC et rejette le présent appel.


1 . L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1.

2 . D.O.R.S./91-499 [Règles].

3 . (20 avril 2009), AP-2007-028 (TCCE) [Automed Technologies].

4 . Automed Technologies Inc. c. Canada Agence des services frontaliers, 2010 CAF 236 (CanLII).

5 . (10 mai 2010), AP-2008-028 (TCCE).

6 . Honeywell International Inc. c. Notiplex Sécurité incendie inc., 2008 QCCS 220 (CanLII); Donald J. Lange, The Doctrine of Res Judicata in Canada, 3e éd., Toronto, LexisNexis, 2010.

7 . Canadian Fracmaster Ltd. c. Sous-M.R.N. (29 mai 1998), AP-97-059 (TCCE).