MO-TIRES LTD.

Décisions


MO-TIRES LTD.
v.
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Appel n° AP-89-153

TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le lundi 13 août 1990

Appel n° AP-89-153

EU ÉGARD À un appel entendu le 20 mars 1990 en vertu de l'article 51.19 de la Loi sur la taxe d'accise, S.R.C. (1970), ch. E-13, dans sa forme modifiée;

ET EU ÉGARD À une décision du ministre du Revenu national du 29 mars 1989 au sujet d'un avis d'opposition déposé en vertu de l'article 51.15 de la Loi sur la taxe d'accise.

ENTRE

MO-TIRES LTD. Appelante

ET

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL Intimé

L'appel est rejeté. Le Tribunal déclare qu'en ce qui a trait aux pneus rechapés vendus en magasin et aux enveloppes facturées séparément, Mo-Tires Ltd., en tant que fabricant de pneus rechapés et en application du paragraphe 27(1) de la Loi sur la taxe d'accise, est tenue de payer la taxe de vente fédérale calculée sur le prix de vente, tel que défini au paragraphe 26(1) de la Loi sur la taxe d'accise.



W. Roy Hines ______ W. Roy Hines Membre présidant

Arthur B. Trudeau ______ Arthur B. Trudeau Membre

Michèle Blouin ______ Michèle Blouin Membre

Robert J. Martin ______ Robert J. Martin Secrétaire





Loi sur la taxe d'accise - Prix de vente - Pneus rechapés - Déterminer si le prix de vente des pneus rechapés comprend des frais relatifs aux pneus ou aux enveloppes usagés.

DÉCISION : L'appel est rejeté. Le Tribunal déclare qu'en ce qui a trait aux pneus rechapés vendus en magasin et aux enveloppes facturées séparément, Mo-Tires Ltd., en tant que fabricant de pneus rechapés et en application du paragraphe 27(1) de la Loi sur la taxe d'accise, est tenue de payer la taxe de vente fédérale calculée sur le prix de vente, tel que défini au paragraphe 26(1) de la Loi sur la taxe d'accise.

Lieu de l'audience : Edmonton (Alberta) Date de l'audience : Le 20 mars 1990 Date de la décision : Le 13 août 1990
Membres du Tribunal : W. Roy Hines, membre présidant Arthur B. Trudeau, membre Michèle Blouin, membre
Greffier : Janet Rumball
Ont comparu : Brian Roelofs, pour l'appelante Linda Wall, pour l'intimé
Jurisprudence : Biltrite Tire Company v. The King, 1 D.T.C. 360; The King v. Boultbee Ltd., 1 D.T.C. 443; Lor-Wes Contracting Ltd. c. La Reine, [1986] 1 C.F. 346; Thompson c. Le Canada, [1988] 3 C.F. 108; Le Procureur général du Canada c. Royden Young, non publié, C.F.A., le 31 juillet 1989, Dossier de la cour n o A-978-88.
Loi citée : Loi sur la taxe d'accise, S.R.C. (1970), ch. E-13, paragraphes 26(1), 26(5) et 27(1).
Mémorandum cité : ET 202-17.
Décision citée : 3200/95-1.
Auteur cité : Driedger, E.A., Construction of Statutes, 2 e édition.
Autre source citée : Débats des Communes, le 23 juin 1966.





RÉSUMÉ

L'appelante fabrique des pneus rechapés. Les transactions qui font l'objet du présent appel ont trait à la vente de certains pneus rechapés à des détaillants et à des utilisateurs. Pour certaines transactions, les frais de rechapage et les enveloppes (sur lesquels aucune taxe n'a été remise) ont été facturés séparément. La taxe de vente fédérale non acquittée à l'égard des enveloppes a été fixée par l'intimé au montant de 12 800,72 $. L'appelante a déposé un avis d'opposition à cette réclamation. L'intimé a rejeté les motifs d'opposition et maintenu la réclamation, d'où le présent appel.

Le présent litige porte sur la question de savoir si le «prix de vente» des pneus rechapés comprend des frais à l'égard des enveloppes.

L'appelante a soutenu qu'en vertu du paragraphe 26(5) de la Loi sur la taxe d'accise (la Loi), le prix de vente taxable correspond aux frais de rechapage, et n'englobe donc pas la taxe à l'égard des enveloppes. De son côté, l'intimé a déclaré qu'un produit manufacturé neuf avait été vendu et que l'appelante, étant un fabricant de pneus rechapés, devrait payer la taxe sur la valeur intégrale du pneu rechapé. Conformément à la définition de «prix de vente» figurant au paragraphe 26(1) de la Loi, cette valeur comprend celle de l'enveloppe.

Le Tribunal estime que l'interprétation du paragraphe 26(5) de la Loi porte à conclure que le Parlement tenait à ce que le prix de vente des pneus rechapés corresponde au seul coût du rechapage lorsque le fabricant rechape un pneu appartenant à un tiers. Dans le cas des transactions visées au présent appel, où l'appelante a vendu un pneu rechapé déjà en magasin et facturé séparément l'enveloppe fournie, la taxe de vente fédérale doit être calculée sur le B®prix de vente» selon la définition qu'en donne le paragraphe 26(1) de la Loi. Par conséquent, si la valeur de l'enveloppe est ajoutée au prix de vente exigé de l'acheteur, elle fait partie du prix de vente aux fins du calcul de la taxe.

L'appel n'est donc pas admis.

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

Les dispositions législatives suivantes s'appliquent au présent appel :

Loi sur la taxe d'accise

26(1) [1] Dans la présente Partie,

...

«prix de vente», pour déterminer la taxe de consommation ou de vente, désigne

a) sauf dans le cas des vins, l'ensemble

(i) du montant exigé comme prix avant qu'un montant payable à l'égard de toute autre taxe prévue par la présente loi y soit ajouté,

(ii) de tout montant que l'acheteur est tenu de payer au vendeur en raison ou à l'égard de la vente en sus de la somme exigée comme prix (qu'elle soit payable au même moment ou en quelque autre temps), y compris, sans restreindre la généralité de ce qui précède, tout montant prélevé pour la publicité, le financement, le service, la garantie, la commission ou à quelque autre titre, ou destiné à y pourvoir,...

26(5) [2] Une personne qui exerce le commerce de rechapage de pneus est, aux fins de la présente Partie, réputée le fabricant ou le producteur des pneus qu'elle a rechapés. Les pneus rechapés par elle, pour une autre personne ou pour le compte de cette autre personne, sont censés être vendus, lors de leur livraison à cette autre personne, à un prix de vente équivalent aux frais de rechapage.

27(1) [3] Est imposée, prélevée et perçue une taxe de consommation ou de vente au taux spécifié au paragraphe (1.1) sur le prix de vente de toutes marchandises

a) produites ou fabriquées au Canada...

LES FAITS

Le présent appel est interjeté en application de l'article 51.19 [4] de la Loi par Mo-Tires Ltd. (Mo-Tires), qui souhaite faire casser la décision no 70306AE du ministre du Revenu national (le Ministre), du 29 mars 1989, dans laquelle le Ministre a rejeté les objections soulevées par Mo-Tires relativement à un avis de cotisation de taxe de vente fédérale.

Mo-Tires fabrique des pneus rechapés. Depuis le 1er avril 1972, Mo-Tires détient une licence aux fins de la taxe de vente à la fabrication en qualité de fabricant de pneus rechapés. Les transactions qu'elle a effectuées et qui font l'objet du présent appel ont trait à la vente de gammes courantes de pneus rechapés dans ses installations à des détaillants et à des utilisateurs. Pour certaines transactions, des pneus rechapés ont été vendus et des enveloppes ont été facturées aux utilisateurs séparément.

Le 23 juin 1987, Mo-Tires a reçu l'Avis de cotisation no ALB 2263 pour la taxe de vente fédérale impayée sur des ventes taxables, soit 10 608,32 $, plus des intérêts de 1 233,37 $ et une amende de 959,03 $ au 30 juin 1987, pour un total de 12 800,72 $. Cet avis de cotisation portait sur les ventes effectuées entre le 1er janvier 1984 et le 30 avril 1987.

Le 12 août 1987, Mo-Tires a déposé un avis d'opposition auprès du Ministre. Le 29 mars 1989, ce dernier a émis un avis de décision dans lequel il a rejeté les motifs d'opposition et maintenu la réclamation pour les raisons suivantes :

Le paragraphe 26(5) de la Loi sur la taxe d'accise prévoit que la personne exerçant le commerce de rechapage de pneus est réputée le fabricant ou le producteur des pneus qu'elle a rechapés. Le même paragraphe prévoit que les pneus rechapés par elle, pour une autre personne ou pour le compte de cette autre personne, sont réputés être vendus, lors de leur livraison à cette autre personne, à un prix de vente équivalent aux frais de rechapage. Ce paragraphe précise l'assujettissement du processus à la taxe et définit la notion de «prix de vente» dans le cas des transactions faisant l'objet d'un contrat selon lequel le vendeur ne fournit pas une enveloppe.

Si le contrat porte sur la fourniture d'un pneu rechapé, l'enveloppe y compris, la taxe s'applique, quelle que soit la forme de la transaction ou le mode de facturation, au «prix de vente» tel que défini au paragraphe 26(1) de la Loi, c'est à dire... (traduction)

Mo-Tires en a appelé de la décision du Ministre auprès du Tribunal dans une lettre datée du 1er juin 1989. L'appelante demande au Tribunal de déterminer si le «prix de vente» des pneus rechapés comprend des frais relatifs aux enveloppes.

M. Brian Roelofs, directeur général de Mo-Tires depuis 23 ans, a représenté l'appelante à l'audience et a témoigné en faveur de celle-ci. Il a déclaré que l'appelante exerce le commerce de rechapage de pneus depuis près de 50 ans et il a également décrit, en détail, le procédé utilisé à cette fin. Premièrement, le pneu arrive à l'usine de rechapage et fait l'objet d'un examen externe et interne pour déceler tout défaut de structure. Deuxièmement, la vieille semelle est aplanie et tous les petits trous sont réparés. Troisièmement, on vaporise de la colle contact sur la semelle polie pour maintenir la nouvelle semelle en caoutchouc en place jusqu'à ce que le pneu arrive au moule ou à la chambre de vulcanisation sous pression. Quatrièmement, la nouvelle semelle est mise en place par cuisson en moule ou avant la cuisson. Cinquièmement, le pneu muni de sa nouvelle semelle est enfermé dans une grande enveloppe de caoutchouc et placé dans une chambre à pression. La nouvelle semelle adhère ainsi au pneu par vulcanisation. Enfin, le pneu est inspecté puis peint avant sa sortie de l'usine.

Le témoin a expliqué pourquoi, à son avis, Mo-Tires ne devrait pas payer la taxe de vente fédérale sur les enveloppes. Il a d'abord précisé que la taxe de vente s'applique de façon très différente selon qu'il s'agit d'un pneu rechapé ou d'un pneu neuf. La taxe de vente fédérale est imposée sur les pneus neufs importés ou fabriqués au Canada. Par conséquent, si un détaillant de pneus achète un pneu usagé et le revend, la taxe de vente fédérale n'est pas exigible parce qu'elle a déjà été payée. Il en va de même d'un particulier qui cède un pneu usagé en échange. Par ailleurs, si un particulier demande qu'un pneu lui appartenant soit rechapé, la taxe de vente fédérale s'applique au coût du rechapage, et non à celui du pneu usagé.

Cependant, le témoin a ajouté que la décision 3200/95-1, intitulée «Prix de vente des pneus rechapés» et émise le 28 juin 1986, précise que la facturation distincte des enveloppes lorsque le client ne les fournit pas lui-même ou ne peut céder des enveloppes convenables en échange est pratique courante dans l'industrie. La décision renferme notamment le passage suivant :

SOMMES EXIGÉES POUR L'ENVELOPPE

Toutes les sommes exigées séparément pour les enveloppes, qu'elles soient facturées au moment de la vente ou à tout autre moment, sont regardées comme faisant partie du prix de vente et assujetties à la taxe...

Se fondant sur cette décision, le témoin a déclaré que si un client achète à l'appelante un pneu usagé devant servir de pneu de rechange et demande ultérieurement à cette dernière de le rechaper, il faudrait que l'appelante se souvienne qu'elle a vendu le pneu à ce client. Elle serait ainsi tenue d'acquitter la taxe sur l'enveloppe et sur le coût du rechapage.

Interrogé par le Tribunal au sujet de la différence entre un pneu usagé et une enveloppe, le témoin a répondu qu'il n'y en avait pas mais que selon la demande de pneus usagés ou l'usure de la semelle, le rechapeur peut décider de rechaper les pneus ou de les vendre comme pneus usagés.

Le témoin a ajouté qu'en vertu du paragraphe 6 du mémorandum ET 202-17 du 1er novembre 1973, intitulé «Pneus rechapés», l'appelante peut, en qualité de fabricant, acheter en franchise de taxe les matières servant exclusivement ou essentiellement à rechaper des pneus. Il estime donc que l'appelante devrait pouvoir acheter des pneus usagés en franchise de taxe.

Enfin, le témoin a expliqué qu'au cours de la période de vérification, la taxe a été payée au moment où le pneu a quitté l'usine et a été vendu ou transféré à la division de gros ou de détail ou au centre de camions de l'appelante. À son avis, selon la décision et le mémorandum susmentionnés, la taxe de vente peut être acquittée dès l'étape de production. Par conséquent, les divisions de l'appelante étaient toutes considérées comme des clients et celle-ci, selon le témoin, ne pouvait savoir si un pneu donné serait vendu au détail ou échangé contre un autre pneu, ou si le magasin de détail s'en servirait pour rechaper un pneu pour un tiers. Pour l'appelante, la division constituait le client; l'usine de rechapage n'assurait donc que du «rechapage sur commande spéciale (appelé customer retreading dans l'industrie)» pour l'une de ces trois divisions.

Mme Lorraine Norwood a témoigné au nom de l'intimé. Elle est vérificateur principal de l'accise au ministère du Revenu national, Douanes et Accise (le Ministère), depuis 1983 et a procédé à la vérification du dossier de Mo-Tires.

Le témoin a confirmé la définition du procédé de rechapage donnée par M. Roelofs mais a établi la distinction suivante entre un pneu usagé et une enveloppe : un pneu usagé ne subit aucune modification, tandis qu'une enveloppe fait l'objet des opérations de rechapage, ce qui permet d'obtenir un produit neuf. Le témoin a ajouté qu'au cours de la vérification, elle a examiné certaines factures pour chaque série de pneus vendus par l'appelante. Elle a précisé que le système comptable informatisé de l'appelante utilise des codes pour distinguer les divers produits et services offerts. La taxe a été acquittée dans certains cas. Le témoin a ajouté qu'à l'occasion de trois vérifications antérieures des dossiers de l'appelante, on a constaté qu'au départ, la taxe n'avait pas été payée sur les enveloppes mais qu'elle l'avait été ultérieurement sur réception d'un avis de cotisation du Ministère.

Selon le témoin, lors de la présente vérification, le Ministère a relevé certaines transactions dans le cadre desquelles l'appelante avait rechapé un pneu usagé et l'avait revendu à un client sans acquitter la taxe sur l'enveloppe. Les factures pertinentes faisaient état du coût du rechapage et de celui de l'enveloppe; la taxe avait été appliquée uniquement au coût du rechapage.

Au cours du contre-interrogatoire, le témoin a expliqué qu'aux fins de la vérification, on ne cherchait pas à retracer un pneu usagé pour retrouver le pneu original fourni par le client. Elle a déclaré que si un pneu usagé est vendu sous cette appellation, la taxe ne s'applique pas. En revanche, si le pneu usagé fait partie du produit fini, la taxe est exigible à l'égard du pneu usagé. Si le client donne en échange un pneu de valeur et de qualité égales, la taxe de vente fédérale ne s'ajoute qu'au prix du rechapage.

Interrogé par le Tribunal sur le moment où un pneu usagé ou une enveloppe devient taxable, le témoin a répondu qu'une fois rechapé, un pneu est considéré comme un produit neuf doté d'une vie utile entière. Ce n'est plus un pneu usagé. La taxe s'applique donc au prix de vente, c'est-à-dire au prix total payé. Le témoin a répété qu'à partir des dossiers et du système de codage de l'appelante, elle était en mesure de distinguer les transactions où les clients n'avaient pas fourni de pneus, auquel cas le Ministère a réclamé le paiement de la taxe sur les enveloppes.

LA QUESTION EN LITIGE

Il s'agit de déterminer si, aux termes de l'article 26 de la Loi, le prix de vente des pneus rechapés comprend des frais liés aux pneus usagés ou aux enveloppes.

Dans son argumentation, l'appelante a déclaré qu'en vertu du paragraphe 26(5) de la Loi, le prix de vente taxable correspond aux frais de rechapage mais n'englobe pas les frais liés aux enveloppes. À son avis, l'emploi d'un point-virgule, et non d'un point, entre les mots «him» et «and» dans la version anglaise dudit paragraphe témoigne d'un enchaînement continu de la pensée. Par conséquent, la Loi prévoit tout simplement que les frais de rechapage, et non le coût de l'enveloppe, constituent le prix de vente taxable.

De son côté, l'intimé a soutenu que la véritable question en litige dans la présente cause consiste à déterminer si l'appelante est un fabricant ou un producteur de marchandises. L'intimé a attiré l'attention du Tribunal sur le paragraphe 27(1) de la Loi et a affirmé qu'une taxe de vente sur toute marchandise produite ou fabriquée au Canada est imposée au producteur ou au fabricant.

L'intimé a ajouté que Mo-Tires est un fabricant ou un producteur parce que les pneus rechapés sont des produits manufacturés. À son avis, lorsque l'appelante rechape des pneus, elle ne les fabrique pas de toutes pièces mais n'en fournit pas moins l'équivalent d'un pneu neuf. En application du paragraphe 27(1) de la Loi, Mo-Tires est donc, en qualité de fabricant de pneus rechapés, tenue de verser la somme de 12 800,72 $ exigée à l'égard du prix de vente au sens du paragraphe 26(1) de la Loi.

L'intimé a invité le Tribunal à tenir compte de la nature réelle du produit vendu, quel que soit le mode de facturation, soutenant qu'il s'agit en fait d'un produit manufacturé neuf et que le fabricant devrait acquitter la taxe sur la valeur intégrale du pneu rechapé. Cette valeur comprend celle de l'enveloppe, composante essentielle qui ne peut être distinguée du produit fini.

L'intimé a attiré l'attention du Tribunal sur deux causes. Dans la cause Biltrite Tire Company v. The King [5] , l'appelante avait acheté de vieux pneus usés, les avait fait sécher, avait poli et réparé les trous et fait enlever la semelle. Les pneus avaient ensuite été rapiécés de l'intérieur, ressemelés puis chauffés. La Cour suprême a statué que les pneus vendus par l'appelante étaient effectivement des «marchandises» au sens de la Loi spéciale des Revenus de guerre et que l'appelante était un fabricant au sens de ladite loi.

En s'appuyant sur cette cause, l'intimé a soutenu, d'une part, qu'il convenait d'examiner comment la Cour suprême avait abordé la Loi spéciale des Revenus de guerre et que, d'autre part, selon les observations du juge Kerwin dans cette cause, le fait que le fabricant utilise ce qui était jadis un pneu usagé ne l'empêche pas de produire un article neuf à partir des composantes [6] .

L'intimé a aussi invoqué la cause The King v. Boultbee Ltd. [7] , où la Cour de l'échiquier a statué que si le défendeur ne fait que rechaper un pneu pour un client, aucune vente n'a lieu et la taxe ne s'applique pas. Par conséquent, en ce qui touche cette opération, le défendeur n'a pas à payer la taxe. En revanche, si le client reçoit un pneu différent de celui qu'il a fourni, il y a fabrication et vente au sens de la loi et le défendeur est tenu d'acquitter la taxe.

L'intimé a déclaré que cette cause établit une nette distinction selon que le client ou le rechapeur fournit les pneus à rechaper. C'est ainsi que l'intimé a soutenu que le traitement différent de ces deux types de transactions aux fins de la taxe était justifié.

Enfin, l'intimé a enjoint le Tribunal d'interpréter la Loi dans son ensemble, et non uniquement en fonction du paragraphe 26(5), qui traite du rechapage des pneus.

DÉCISION

Dans la présente cause, le Tribunal doit déterminer si le prix de vente des pneus rechapés englobe les frais liés aux enveloppes. Le Tribunal est d'avis que le résultat de cet appel dépendra largement de l'interprétation du paragraphe 26(5) de la Loi. Dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes [8] , le regretté E.A. Driedger résume ainsi la règle moderne d'interprétation :

Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution: il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur. (traduction)

En outre, dans la cause Lor - Wes Contracting Ltd. c. La Reine [9] , le juge MacGuigan a déclaré que le seul principe d'interprétation reconnu aujourd'hui consiste à examiner les termes dans leur contexte global en vue de découvrir l'objet et l'esprit des dispositions fiscales.

En abordant la Loi dans son ensemble, le Tribunal est d'avis que l'article 27 prévoit l'imposition de la taxe sur le prix de vente de toutes les marchandises produites ou fabriquées au Canada. Aucune disposition de la Loi ne précise que la taxe vise uniquement les marchandises produites ou fabriquées exclusivement à l'aide de matériaux neufs. Par conséquent, les marchandises produites ou fabriquées en combinant des matériaux neufs et usagés, ou exclusivement à l'aide de matériaux usagés, sont des marchandises au sens de la Loi et la taxe s'ajoute à leur prix de vente, selon la définition qu'en donne l'article 26.

Quelques dispositions stipulant que certaines personnes sont réputées des fabricants ou des producteurs ont été intégrées à la Loi. À titre d'exemple, citons le paragraphe 26(5), qui prévoit, d'une part, qu'une personne qui exerce le commerce de rechapage de pneus est réputée le fabricant ou producteur des pneus qu'elle a rechapés. Le même paragraphe prévoit, d'autre part, que les pneus rechapés par elle, pour une autre personne ou pour le compte de cette autre personne, sont réputés être vendus, lors de leur livraison à cette autre personne, à un prix de vente équivalent aux frais de rechapage.

Le paragraphe 26(5) a été édicté en 1966 en application de la Loi modifiant la Loi sur la taxe d'accise (projet de loi C-198) [10] . Selon la jurisprudence récente, il est clair que les tribunaux peuvent consulter les débats de la Chambre des communes pour découvrir le «désordre» ou le «malaise» qu'une modification législative est censée corriger [11] . Le 23 juin 1966, le ministre des Finances de l'époque, l'honorable Mitchell Sharp, a proposé le débat en deuxième lecture du projet de loi C-198 et a déclaré ce qui suit en réponse à une question de l'honorable Marcel Lambert (Edmonton ouest) au sujet de l'assujettissement des pneus rechapés à la taxe de vente [12] :

Tous les producteurs et fabricants, qu'ils s'occupent de refaire les articles qu'ils possèdent ou d'en fabriquer de nouveaux, doivent payer la taxe de vente. C'est là un principe bien établi de la loi sur la taxe d'accise et il est appliqué depuis longtemps. Cependant, la taxe de vente fédérale ne s'appliquait pas aux services avant cette modification de la loi. Cela a parfois causé des problèmes dans les domaines où la valeur des articles anciens est surtout constituée par le prix des réparations. En pareil cas, les réparateurs font concurrence à ceux qui vendent ces articles ou les articles refaits qu'ils possèdent déjà.

En toute justice, et c'est le principe fondamental de ce changement, la taxe devrait s'appliquer aux frais de service. C'est sûrement le cas pour ce qui est du rechapage des pneus.

Le Tribunal estime que ces extraits du Hansard aident à préciser la nature du «désordre» ou du «malaise» que la modification législative était censée corriger. De toute évidence, l'administration de la taxe et son application aux pneus rechapés faisaient problème. Les pneus rechapés en magasin étaient taxables, mais non ceux rechapés sur commande spéciale. La modification visait à corriger cette iniquité. C'est ainsi que la taxe s'applique tant aux pneus rechapés appartenant à celui les ayant rechapés qu'à la valeur ajoutée aux pneus qu'un client apporte lui-même pour les faire rechaper.

Il reste à déterminer si, en éliminant la différence, au plan fiscal, entre les personnes rechapant les pneus de leurs clients et celles rechapant des pneus pour les revendre ou les échanger, le Parlement entendait signifier que le prix de vente est égal aux frais de rechapage dans les deux cas ou uniquement lorsque les pneus sont rechapés pour leurs clients ou pour le compte de ces derniers.

La première proposition du paragraphe 26(5) de la Loi prévoit qu'une personne qui exerce le commerce de rechapage de pneus est réputée le fabricant ou producteur des pneus qu'elle a rechapés. Les parties au présent appel conviennent que l'appelante est un fabricant au sens de la Loi. Toutefois, cette même proposition ne définit aucunement la notion de prix de vente pour ce qui est des enveloppes appartenant au fabricant et rechapées par celui-ci.

La deuxième proposition du paragraphe 26(5) prévoit que les pneus rechapés par elle (la personne qui exerce le commerce de rechapage de pneus), pour une autre personne ou pour le compte de cette autre personne, sont réputés être vendus, lors de leur livraison à cette autre personne, à un prix de vente équivalent aux frais de rechapage. Il est intéressant de souligner que lorsque ce paragraphe a été édicté en 1966, aucun signe de ponctuation ne séparait les deux propositions dans la version anglaise, tandis qu'une virgule avait été ajoutée dans la version française. Par la suite, dans les Statuts révisés de 1970, un point-virgule a été inséré entre les deux propositions dans la version anglaise et un point a remplacé la virgule dans la version française. Enfin, dans les Lois révisées de 1985, une virgule a remplacé le point-virgule de la version anglaise alors que la ponctuation de la version française est demeurée intacte.

L'appelante a fourni au Tribunal de nombreux arguments quant à l'impact considérable de la ponctuation sur l'interprétation du paragraphe 26(5) dans son ensemble. Selon l'appelante, la ponctuation de la version anglaise témoigne d'un enchaînement continu de la pensée. Par conséquent, le prix de vente ne devrait comprendre que les frais de rechapage. De son cF4“té, l'intimé a soutenu que la première proposition constitue une disposition en soi et que les enveloppes appartenant aux fabricants et rechapées par ces derniers pour la revente devaient donc être comprises dans le prix de vente du pneu rechapé fini.

Pour le Tribunal, il semble évident que la ponctuation des versions française et anglaise détermine l'interprétation qu'il convient de donner du paragraphe 26(5). L'insertion du point-virgule, puis de la virgule, dans la version anglaise, et surtout du point dans la version française, porte à conclure que la disposition comporte deux volets et que le Parlement tenait manifestement à ce que le prix de vente des pneus rechapés ne se limite aux frais de rechapage que si le fabricant rechapait des pneus appartenant à une autre personne pour cette autre personne ou pour le compte de cette autre personne. De l'avis du Tribunal, l'insertion des mots «pour une autre personne ou pour le compte de cette autre personne» dans le libellé du paragraphe 26(5) signifie que le Parlement voulait limiter le prix de vente réputé aux pneus rechapés sur commande spéciale, auquel cas la taxe s'applique aux frais exigés du client en contrepartie du service.

Le Tribunal est également convaincu que le Parlement ne tenait pas à ce que le prix de vente réputé corresponde aux frais de rechapage des pneus destinés à la revente. Dans ce cas, le principe général qui sous-tend la Loi s'applique : il y a fabrication et vente au sens de la loi et le fabricant est tenu d'acquitter la taxe sur le «prix de vente» intégral du pneu rechapé fini, qui comprend la valeur de l'enveloppe si elle fait partie du prix de vente.

En appliquant ces conclusions à la présente cause, le Tribunal conclut que si l'appelante ne fait que rechaper des pneus appartenant à ses clients pour eux ou pour leur compte, sans fournir l'enveloppe, les pneus rechapés sont réputés vendus à un prix de vente équivalent aux frais de rechapage.

Dans les autres cas, comme ceux faisant l'objet du présent appel, si l'appelante vend un pneu rechapé qu'elle avait en stock et facture l'enveloppe séparément, la taxe est payable sur le «prix de vente» tel que défini au paragraphe 26(1) de la Loi, savoir sur le total du «... montant exigé comme prix... , [et] de tout montant que l'acheteur est tenu de payer au vendeur en raison ou à l'égard de la vente en sus de la somme exigée comme prix... ». Par conséquent, si la valeur de l'enveloppe est ajoutée au prix de vente que l'acheteur est tenu de payer au vendeur, cette valeur fait partie du prix de vente pour l'application de la taxe aux fins de ces transactions.

En conséquence, le Tribunal déclare qu'en ce qui a trait aux pneus rechapés vendus en magasin et aux enveloppes facturées séparément, Mo-Tires, en tant que fabricant de pneus rechapés et en application du paragraphe 27(1) de la Loi, est tenue de payer la taxe de vente fédérale calculée sur le prix de vente, tel que défini au paragraphe 26(1) de la Loi, des pneus rechapés. En conséquence, l'appel n'est pas admis.


[ Table des matières]

1. S.R.C. (1970), ch. E-13, tel que modifié; maintenant paragraphe 42(1), L.R.C. (1985), ch. E - 15.

2. S.R.C. (1970), ch. E-13, tel que modifié; maintenant article 45, L.R.C. (1985), ch. E-15.

3. S.R.C. (1970), ch. E-13, tel que modifié; maintenant article 50, L.R.C. (1985), ch. E-15.

4. S.R.C. (1970), ch. E-13, tel que modifié; maintenant article 81.19, L.R.C. (1985), ch. E-15.

5. 1 D.T.C. 360 (S.C.R. 1937).

6. Supra, note 5, p. 361.

7. 1 D.T.C. 443 (Ex. C.R. 1938).

8. 2 e édition, page 87.

9. [1986] 1 C.F. 346, p. 352.

10. S.C. 1966, ch. 40, art. 2; promulgué le 11 juillet 1966 et entré en vigueur le 30 mars 1966.

11. Thompson c. Le Canada , [1988] 3 C.F. 108, p. 133, juge Stone; Le Procureur général du Canada c. Royden Young , non publié, C.F.A., le 31 juillet 1989, Dossier de la cour n o A-978-88, p. 9, J.A. Heald.

12. Débats des Communes, le 23 juin 1966, p. 6806.


Publication initiale : le 16 mai 1997