ISLAND COASTAL SERVICES LTD.

Décisions


ISLAND COASTAL SERVICES LTD.
v.
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Appel n° AP-90-004

TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le jeudi 31 octobre 1991

Appel n ° AP - 90 - 004

EU ÉGARD À un appel entendu le 4 juin 1991 en vertu de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E-15;

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le ministre du Revenu national, le 30 mars 1990, concernant un avis d'opposition déposé en vertu de l'article 81.15 de la Loi sur la taxe d'accise.

ENTRE

ISLAND COASTAL SERVICES LTD. Appelante

ET

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL Intimé

L'appel est rejeté. La municipalité de North River (Île-du-Prince-Édouard) a demandé le remboursement des taxes payées à l'égard des marchandises intégrées à son réseau d'égouts municipal après la période prescrite de deux ans suivant le transfert de la propriété de ces marchandises. En conséquence, sa demande est non avenue en vertu de la loi. (Dissidence du membre Fraleigh)


Michèle Blouin ______ Michèle Blouin Membre présidant

John C. Coleman ______ John C. Coleman Membre

Robert J. Martin ______ Robert J. Martin Secrétaire

Il s'agit d'un appel interjeté en vertu de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise par Island Coastal Services Ltd. à la suite d'une décision du ministre du Revenu national qui a rejeté l'opposition de l'appelante et confirmé une détermination. Le 21 mars 1989, la municipalité de North River (Île - du - Prince-Édouard), qui avait été autorisée par l'appelante à recevoir un remboursement, a déposé une demande de remboursement de la taxe payée à l'égard de marchandises intégrées au réseau d'égouts municipal. Conformément à l'avis de détermination du 28 avril 1989, le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise a rejeté cette demande, prétextant que le délai prescrit de deux ans au cours duquel une demande de remboursement peut être présentée était terminé. La municipalité a déposé un avis d'opposition et a soutenu que la période de remboursement devait commencer au moment de la réception de la «déclaration statutaire». Elle a également prétendu qu'elle n'a pas respecté le délai prescrit parce qu'elle s'est fondée sur des renseignements et sur des mémorandums périmés de Revenu Canada. Le 30 mars 1990, le ministre du Revenu national a publié un avis pour confirmer la décision selon laquelle le remboursement devait être demandé dans les deux ans suivant la vente du réseau d'égouts, qui est réputée avoir été effectuée le 26 novembre 1986, jour de quasi - achèvement des travaux. Le 10 avril 1990, la municipalité a interjeté appel auprès du Tribunal, au nom de Island Coastal Services Ltd.

DÉCISION : L'appel est rejeté. La municipalité de North River (Île-du-Prince-Édouard) a demandé le remboursement des taxes payées à l'égard des marchandises intégrées à son réseau d'égouts municipal après la période prescrite de deux ans suivant le transfert de la propriété de ces marchandises. En conséquence, sa demande est non avenue en vertu de la loi. (Dissidence du membre Fraleigh)

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario) Date de l'audience : Le 4 juin 1990 Date de la décision : Le 31 octobre 1991
Membres du Tribunal : Michèle Blouin, membre présidant Sidney A. Fraleigh, membre John C. Coleman, membre
Avocat pour le Tribunal : David M. Attwater
Greffier : Nicole Pelletier
Ont comparu : Eldon I. Sentner, pour l'appelante Gilles Villeneuve, pour l'intimé





LA QUESTION EN LITIGE ET LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

Dans le cadre du présent appel, il s'agit de déterminer si, en vertu d'une autorisation de l'appelante, Island Coastal Services Ltd., la municipalité de North River (Île-du-Prince-Édouard) (la municipalité) a déposé dans le délai prescrit par l'article 68.2 de la Loi sur la taxe d'accise [1] (la Loi) une demande de remboursement de la taxe payée à l'achat de marchandises à intégrer à son réseau d'égouts municipal. S'il est décidé que la municipalité a déposé sa demande après le délai prescrit parce qu'elle s'est fondée sur des mémorandums soi-disant périmés et à des conseils inopportuns fournis par l'intimé, le Tribunal doit déterminer si une telle situation affecte le résultat du dépôt tardif.

Dans le cadre du présent appel, les dispositions pertinentes de la Loi sont les suivantes :

50.(1) Est imposée, prélevée et perçue une taxe de consommation ou de vente... sur le prix de vente ou sur la quantité de toutes les marchandises :

a) produites ou fabriquées au Canada :

...

(ii) payable, dans un cas où le contrat de vente... stipule que le prix de vente ou autre contrepartie doit être payé au fabricant ou producteur par versements... par le producteur ou fabricant au moment où chacun des versements devient exigible en conformité avec les conditions du contrat...

68.2 Lorsque la taxe a été payée en vertu de la partie III ou VI à l'égard de marchandises et que subséquemment les marchandises sont vendues à un acheteur en des circonstances qui, à cause de la nature de cet acheteur ou de l'utilisation qui sera faite de ces marchandises ou de ces deux éléments, auraient rendu la vente à cet acheteur exempte ou exonérée de cette taxe aux termes du paragraphe... 51(1)... , une somme égale au montant de cette taxe doit, sous réserve des autres dispositions de la présente partie, être versée à la personne qui a vendu les marchandises à cet acheteur, si la personne qui a vendu les marchandises en fait la demande dans les deux ans qui suivent la vente.

LES FAITS ET LES ÉLÉMENTS DE PREUVE

Il s'agit d'un appel interjeté par Island Coastal Services Ltd., en vertu de l'article 81.19 de la Loi, à l'égard d'une décision rendue par le ministre du Revenu national (le Ministre), qui a rejeté une opposition et maintenu sa décision. Le 21 mars 1989, la municipalité, qui avait été autorisée par l'appelante à recevoir un remboursement, a déposé une demande de remboursement de la taxe payée sur les marchandises intégrées à son réseau d'égouts municipal. En vertu de l'avis de détermination du 28 avril 1989, le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise a rejeté cette demande, prétextant que le délai prescrit de deux ans au cours duquel une demande de remboursement peut être présentée, était terminé.

La municipalité a déposé un avis d'opposition et a soutenu que la période de remboursement devait commencer au moment de la réception de la «déclaration statutaire». Elle a également prétendu qu'elle n'a pas respecté le délai prescrit parce qu'elle s'est fondée sur des renseignements et sur des mémorandums périmés fournis par Revenu Canada. Le 30 mars 1990, le Ministre a publié un avis de décision confirmant la détermination, c'est-à-dire que le remboursement devait être demandé dans les deux ans suivant la vente du réseau d'égouts, qui est réputée avoir eu lieu le 26 novembre 1986, jour du quasi-achèvement des travaux. Le 10 avril 1990, la municipalité a interjeté appel auprès du Tribunal, au nom de Island Coastal Services Ltd.

À l'audience, la municipalité était représentée par son agent d'administration, M. Eldon Sentner, qui a également témoigné. Dans son témoignage, M. Sentner a déclaré que le 30 août 1986 Island Coastal Services Ltd. a passé un marché avec la municipalité pour la construction de la première étape du réseau d'égouts municipal. Le 17 décembre 1986, les ingénieurs-conseils de la municipalité ont confirmé que les travaux étaient quasi-achevés le 26 novembre 1986. Ils ont signé un certificat d'inspection daté du 9 février 1987, dans lequel ils confirmaient que l'entrepreneur avait terminé la construction du réseau d'égouts selon les dispositions du contrat. Le dernier versement progressif a été effectué le 2 mars 1987; une somme de 49 182,59 $ représentant la retenue prescrite par la loi demeurait impayée. La déclaration statutaire de l'entrepreneur, qui a été préparée à la date de la demande de déblocage des fonds retenus ou du dépôt de garantie a été assermentée le 18 mars 1987 et, selon le témoin, elle a été reçue le 23 mars 1987. La demande de remboursement de toutes les taxes payées à l'égard des marchandises a été signée le 21 mars 1989. La demande visait la période comprise entre le 20 août 1986 et le 9 février 1987.

Le témoin a déclaré que le 15 novembre 1987 il a communiqué avec le bureau local de Revenu Canada, Douanes et Accise (le Ministère) pour obtenir des renseignements sur la façon de demander le remboursement de la taxe de vente payée par l'appelante au nom de la municipalité pour les marchandises intégrées à la première étape du réseau d'égouts. Au début de février 1988, des demandes de remboursement et les mémorandums de l'Accise ET-313 et ET-403 ont été fournis par le Ministère. M. Sentner affirme que les formulaires s'accompagnaient d'une note précisant que les mémorandums étaient les plus récents à ce moment. Le mémorandum de l'Accise ET-313 indique que l'appelante doit présenter une demande de remboursement dans les quatre ans.

Le témoin a déclaré qu'à l'automne 1988 il a de nouveau communiqué avec le Ministère pour savoir si des renseignements supplémentaires avaient été publiés au sujet de la procédure de remboursement. On lui a fait savoir qu'un fonctionnaire du Ministère se rendrait dans la municipalité à sa prochaine visite dans la province. Cette visite a eu lieu au début de mars 1989 et M. Sentner a alors été informé que le délai prescrit avait été ramené à deux ans. En vertu d'une procuration, Island Coastal Services Ltd. a remis ses droits au remboursement à la municipalité. Puis, le 21 mars 1989, la demande de remboursement a été déposée par la municipalité.

L'avocat de l'intimé n'a pas cité de témoins à comparaître, pas plus qu'il n'a présenté d'éléments de preuve pour contredire le témoignage de M. Sentner.

L'ARGUMENTATION

Dans son plaidoyer et dans ses présentations subséquentes, l'avocat de la municipalité a fait valoir qu'en vertu de l'article 68.2 de la Loi la municipalité avait droit à une exemption. Il a soutenu que la date de début du délai de deux ans correspond à la date de la vente des marchandises, c'est-à-dire lorsque la propriété des marchandises a été transférée. La propriété a en effet été transférée selon l'intention des parties, tel qu'il en découle des modalités du contrat, de la conduite des parties et des circonstances entourant la cause. Le contrat n'abordant pas la question de la date du transfert de la propriété, le Tribunal doit s'en remettre à d'autres éléments pour préciser l'intention des parties. À cet égard, l'avocat a consulté la transcription et a noté que M. Sentner a laissé à entendre que la municipalité n'acceptait pas le transfert de la propriété des marchandises avant le paiement final, qui a eu lieu en juin 1988. L'avocat a fait valoir par la suite que la date de livraison figurant sur la déclaration statutaire de l'entrepreneur, le 23 mars 1987, peut également être considérée comme le début du délai prescrit de deux ans.

L'avocat de la municipalité soutient que si cette dernière n'a pas respecté le délai prescrit pour le remboursement de la taxe payée à l'égard des matériaux intégrés à son réseau d'égouts municipal, c'est parce qu'elle s'est fondée sur des mémorandums périmés et les conseils erronés que lui a fournis un fonctionnaire du bureau régional de Moncton de Revenu Canada. C'est pourquoi elle a demandé au Tribunal de renverser la décision du Ministre. Dans les documents qu'il a soumis, l'avocat prétend également que le Tribunal est doté de pouvoirs correspondant à ceux d'une cour de justice supérieure [2] .

L'avocat de l'intimé a fait valoir qu'il incombe à l'appelante de prouver qu'elle a droit à l'exemption demandée [3] . Il a ajouté que le début du délai prescrit de deux ans doit correspondre à la date où les marchandises ont été vendues à la municipalité. Il soutient que la vente a été effectuée avant le 18 mars 1987 et que l'appelante n'a pas respecté le délai de deux ans, sa demande ayant été soumise le 21 mars 1989.

Selon l'avocat de l'intimé, vu que le contrat n'aborde pas la question de la date du transfert de la propriété, le Tribunal doit envisager les circonstances entourant ladite opération. À cet égard, l'avocat a mentionné : que le contrat stipule que la date de quasi-achèvement a été fixée au 20 novembre 1986; que le certificat de quasi-achèvement publié le 17 décembre 1986 précise que les travaux étaient quasi-achevés le 26 novembre 1986; qu'un certificat d'inspection daté du 9 février 1987 précise que le réseau d'égouts a été achevé conformément aux plans et devis; qu'un relevé de compte produit le 23 mars 1987 indique que le paiement final (quatrième versement progressif) a été effectué le 2 mars 1987 et que seul le montant de la retenue prescrite de 15 p. 100 n'avait pas été payé; et, enfin, que la déclaration statutaire du 18 mars 1987 précise que toutes les factures relatives à la main-d'oeuvre, aux produits, aux machines, etc., afférentes à l'aménagement du réseau d'égouts ont été acquittées en entier, à l'exception des sommes dûment retenues. Par ailleurs, l'avocat soutient que la retenue n'a rien à voir avec l'achat et la vente des marchandises.

L'intimé a en outre prétendu que la non-recevabilité ne peut être invoquée contre la Couronne et que même si Revenu Canada a mal informé la municipalité au sujet du délai de dépôt de l'appel, le Tribunal n'est pas investi du pouvoir de rendre une décision en faveur de celle-ci.

LES MOTIFS

En vertu de l'article 68.2 de la Loi, la municipalité devait, en vertu des pouvoirs que lui avaient accordés l'appelante, déposer une demande de remboursement de la taxe payée sur les marchandises intégrées à son réseau d'égouts dans les deux ans suivant leur acquisition. Le transfert de la propriété de ces marchandises n'a pas été effectué en une seule opération et les marchandises ont été payées en versements échelonnés pendant toute la période de construction. Revenu Canada a pour politique de permettre à une personne de retarder le dépôt d'une demande de remboursement jusqu'à l'achèvement de la construction. Il a donc accepté la date d'achèvement du projet comme point de départ du délai prescrit. Selon Revenu Canada, la municipalité avait donc deux ans, à partir de la date d'achèvement des travaux, pour déposer une demande de remboursement des taxes payées sur les matériaux de construction.

La demande de remboursement des taxes payées par la municipalité a été signée le 21 mars 1989, date à laquelle le Tribunal considère que celle-ci a déposé une demande de remboursement. Le Tribunal doit donc déterminer si la construction a été achevée avant le 21 mars 1987 ou si le dernier transfert de propriété des marchandises intégrées au réseau d'égouts a été effectué avant cette date.

La majorité du Tribunal convient avec les avocats des deux parties que la propriété des marchandises devait être transférée selon l'intention des parties, qui peut être découverte grâce aux modalités du contrat, à la conduite des parties et aux circonstances relatives à l'opération. Pour ce qui est des faits non contestés, la majorité du Tribunal déclare que la propriété a été transférée pour la dernière fois avant le 21 mars 1987. En conséquence, la municipalité a déposé sa demande de remboursement après le délai prescrit.

La majorité du Tribunal note que Revenu Canada ne conteste pas le fait que la municipalité a été mal informée par ses agents au sujet de la date limite de dépôt de la demande de remboursement. Elle regrette de ne pas être investie du pouvoir nécessaire pour rendre une décision favorable à la municipalité, qui a agi en fonction des conseils ou des renseignements erronés que lui a fournis le Ministère.

LA CONCLUSION

L'appel est rejeté. La municipalité a demandé le remboursement des taxes payées à l'égard des marchandises intégrées à son réseau d'égouts municipal après la période prescrite de deux ans suivant le transfert de la propriété de ces marchandises. En conséquence, sa demande est non avenue en vertu de la loi.




Ma dissidence est entièrement fondée sur ce que devrait être une attente raisonnable pour un contribuable lorsqu'il tente de calculer son obligation fiscale.

Dans cette affaire, les faits incontestés sont très simples :

1. Revenu Canada a envoyé à ce contribuable, la municipalité, des mémorandums officiels contenant des renseignements erronés et il le savait.

2. Revenu Canada a subséquemment confirmé à la municipalité que ces renseignements étaient exacts.

Je suis d'avis que la municipalité aurait dû pouvoir se fier aux renseignements contenus dans les mémorandums officiels, expédiés par Revenu Canada par suite de la demande de la municipalité, qui désirait établir son obligation fiscale envers l'État.

Il n'est tout de même pas possible que Revenu Canada soit autorisé à se couvrir du principe de l'estoppel ou de la fin de non-recevoir pour bafouer les droits d'un contribuable.

Je ferais donc droit à l'appel étant donné que la municipalité aurait dû pouvoir raisonnablement s'attendre à ce que les renseignements contenus dans les mémorandums officiels que Revenu Canada lui a expédiés par suite de sa demande puissent lui permettre d'établir son obligation fiscale envers l'État.


Sidney A. Fraleigh ______ Sidney A. Fraleigh Membre
[ Table des matières]

1. L.R.C. (1985), ch. E-15.

2. Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, (L.R.C.) 1985, ch. 47 (4e suppl.), par. 17(2).

3. Gustavson Drilling (1964) Limited c. Le ministre du Revenu national, [1977] 1 R.C.S. 271.


Publication initiale : le 7 juillet 1997