TOTAL GRAPHICS

Décisions


TOTAL GRAPHICS
v.
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Appel no AP-90-043

TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le mardi 8 septembre 1992

Appel n o AP-90-043

EU ÉGARD À un appel entendu le 31 mars 1992 en vertu de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E-15, dans sa version modifiée;

ET EU ÉGARD À des décisions rendues par le ministre du Revenu national les 27 et 28 mars 1990 relativement à des avis d'opposition signifiés en vertu de l'article 81.17 de la Loi sur la taxe d'accise.

ENTRE

TOTAL GRAPHICS Appelant

ET

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL Intimé

L'appel est admis.


Sidney A. Fraleigh ______ Sidney A. Fraleigh Membre présidant

Kathleen E. Macmillan ______ Kathleen E. Macmillan Membre

W. Roy Hines ______ W. Roy Hines Membre

Michel P. Granger ______ Michel P. Granger Secrétaire





L'appelant fournit des services d'arts graphiques à ses clients. La question, dans le présent appel, consiste à déterminer si les articles fabriqués par l'appelant sont exemptés de la taxe de vente fédérale aux termes du paragraphe 51(1) de la Loi sur la taxe d'accise et de l'article 4 de la partie XIII de l'annexe III de la Loi sur la taxe d'accise.

DÉCISION : L'appel est admis.

Lieu de l'audience : Vancouver (Colombie-Britannique) Date de l'audience : Le 31 mars 1992 Date de la décision : Le 8 septembre 1992
Membres du Tribunal : Sidney A. Fraleigh, membre présidant Kathleen E. Macmillan, membre Roy Hines, membre
Avocat pour le Tribunal : Robert Desjardins
Greffier : Janet Rumball
Ont comparu : Michael Kaylor, pour l'appelant John B. Edmond, pour l'intimé





Le 14 octobre 1988, l'appelant a déposé des demandes de remboursement de la taxe de vente qu'il avait payée relativement à la vente d'articles portant l'empreinte d'une image à ses clients. L'intimé a rejeté ces demandes dans des avis de détermination datés du 28 octobre et du 19 décembre 1988. L'appelant a signifié des avis d'opposition le 13 janvier 1989. Dans des avis de décision datés du 27 et du 28 mars 1990, l'intimé a confirmé les déterminations.

La question, dans le présent appel, consiste à déterminer si les articles fabriqués par l'appelant sont exemptés de la taxe de vente fédérale aux termes du paragraphe 51(1) de la Loi sur la taxe d'accise [1] (la Loi) et de l'article 4 de la partie XIII de l'annexe III de la Loi. Les marchandises visées par cette exemption sont les suivantes : «Composition typographique, planches métalliques, cylindres, matrices, film, œuvres d'art, dessins, photographies, matériel en caoutchouc, matériel en plastique et matériel en papier, lorsqu'ils portent l'empreinte d'une image destinée à la reproduction par impression, ou mettent en vedette ou comportent une telle image, et qu'ils sont fabriqués ou importés par un fabricant ou producteur, ou vendus à un fabricant ou producteur, pour servir exclusivement à la fabrication ou à la production d'imprimés».

L'appelant fournit des services d'arts graphiques à ses clients. M. Greg Franklin, directeur général de l'appelant, a comparu comme témoin pour ce dernier et en a décrit les activités. Il a expliqué que l'appelant, un fabricant titulaire de licence, est considéré dans le commerce comme une «maison de pré-presse». En se fondant sur un manuscrit fourni par le client, les graphistes de l'appelant collent ou assemblent par un procédé mécanique différentes images graphiques sur un carton pour affiche. En outre, l'appelant fait des illustrations et retouche des photographies de même qu'il produit la pellicule finale et effectue la sélection photographique des couleurs en vue de l'impression. Il ne fait pas lui-même le tirage de la pellicule, mais fournit aux imprimeurs une pellicule bonne à tirer. M. Franklin a expliqué que les différentes étapes du processus constitutif de l'activité de l'appelant ne sont pas toutes nécessaires à l'exécution de chaque projet.

Le témoin a déclaré qu'un certain nombre de factures déposées auprès du Tribunal à titre de pièces étaient représentatives du travail accompli par l'appelant. C'est ainsi que M. Franklin a témoigné à propos de la pièce A-10 (une facture du 15 septembre 1987 adressée à Great Escape Vacations Limited), que la disposition et la composition typographiques, les maquettes de montage et la pellicule finale en vue de l'impression entrent dans la définition des marchandises décrites à l'article 4 de la partie XIII de l'annexe III de la Loi, attendu qu'ils portent l'empreinte d'une image destinée à la reproduction par impression. Il a ajouté que l'appelant avait inclus la taxe de vente dans cette facture.

L'avocat de l'appelant a rejeté tout argument voulant que le bénéfice de l'exemption en question soit limité aux fabricants qui utilisent eux-mêmes des articles portant l'empreinte d'une image dans leur propre travail d'impression. La soumission de l'appelant repose fondamentalement sur le fait que le sens clair et l'interprétation des termes de l'article 4 ainsi que les règles normales d'interprétation des lois s'opposent à toute interprétation restrictive de ce genre. Il a soutenu que le fabricant ou le producteur qui achète les marchandises peut les vendre à un autre fabricant ou producteur tout en se prévalant de l'exemption aux termes de l'article 4 dans la mesure où les marchandises elles-mêmes sont destinées à être utilisées dans la fabrication ou dans la production d'imprimés. L'avocat a étayé son argument en faisant remarquer que la Loi est pleine de dispositions dans lesquelles le Parlement a limité la portée des exemptions en utilisant les mots «destiné à être utilisé par le fabricant et non à être revendu». Il a soutenu que l'absence d'une telle expression limitative dans l'article 4 traduit l'intention délibérée du Parlement de ne pas limiter l'application de l'exemption prévue à cet article. Lorsque les mots sont clairs et non susceptibles de comporter un deuxième sens, le Tribunal doit les lire tels qu'ils sont, sauf raison contraignante d'agir autrement. L'avocat a renvoyé à la décision rendue par le juge MacGuigan dans la cause Lor - Wes Contracting Ltd. c. La Reine [2] , et selon laquelle il était impossible de lire les mots «par lui» dans la disposition pertinente de la Loi de l'impôt sur le revenu parce qu'il ne conviendrait pas à la Cour fédérale de jouer, ce faisant, un rôle législatif.

L'avocat de l'appelant a également plaidé que l'ajout des mots «par lui ou par eux» enlèverait leur sens aux mots «fabriqués par». Le paragraphe 52(1) de la Loi vise les ventes de marchandises que le fabricant affecte à son propre usage. L'avocat a plaidé que si les mots «fabriqués par» signifiaient «fabriqués par, pour son propre usage» (en vertu du paragraphe 52(1)), on en viendrait à une situation où l'inclusion des mots «par lui ou par eux» serait redondante. À son avis, on doit présumer que le législateur n'avait pas pour intention de placer une disposition redondante dans la législation.

Il a également soutenu que l'interprétation qu'il pressait le Tribunal d'adopter était des plus conformes à l'objet global de la Loi. La taxe de vente fédérale est une taxe qui ne s'applique qu'une fois au même objet. C'est pourquoi des dispositions d'exemption ont été adoptées, telles que celles qui figurent dans l'article en question, afin de permettre aux fabricants d'acheter exempts de taxe les articles et le matériel qui entrent dans la fabrication de marchandises taxables. La taxe peut être perçue sur les matériaux qui entrent dans la fabrication de produits tels que l'article portant l'empreinte d'une image, mais l'article lui-même n'est pas taxé dans la mesure où il entre à son tour dans la composition d'un produit taxable. L'article 4 de la partie XIII de l'annexe III de la Loi ne devrait donc pas être limité aux seuls producteurs ou fabricants qui ont utilisé l'article eux-mêmes parce que cela serait contraire à l'objet et à l'esprit de la Loi.

Enfin, l'avocat de l'appelant a soutenu que l'intention du Parlement n'était pas de taxer les services et les apports intellectuels. La Loi vise plutôt, et d'abord et avant tout, à imposer une taxe sur les marchandises. L'avocat a soumis que, l'article portant l'empreinte d'une image ayant une valeur essentiellement intellectuelle, il serait conforme à l'intention du Parlement que cet élément du processus d'impression soit exempté, quelle que soit l'identité du producteur dudit article et celle de la partie qui l'a utilisé dans la production d'imprimés.

L'avocat de l'intimé, pour sa part, a soutenu qu'il était possible d'interpréter la Loi comme limitant l'exemption aux fabricants et aux producteurs qui utilisent eux-mêmes les articles portant l'empreinte d'une image dans leur propre travail d'impression sans y ajouter aucun mot. La présence des autre mots n'aurait pour effet que de rendre cette interprétation plus certaine.

Il a également soutenu que l'économie générale de la Loi exige que le coût de toutes les composantes du produit final soit inclus dans le prix de l'article vendu au consommateur. Si l'imprimeur reçoit gratuitement l'article portant l'empreinte d'une image, comme c'est le cas en l'espèce, le coût de cet article n'est pas inclus dans le coût de l'imprimé. S'il en était autrement, cela serait contraire à l'économie générale de la Loi, et donc inadmissible.

L'avocat a plaidé, en outre, que la distinction faite par l'appelant entre un produit matériel et un produit intellectuel est erronée. Il a fait valoir qu'une automobile comprend une bonne part d'ingénierie et d'effort créatif et intellectuel, y compris les essais. Pourtant, les automobiles sont taxées sur le coût global de toutes les composantes de ce genre.

L'avocat a pressé le Tribunal de prendre en considération le Mémorandum de l'Accise ET 207 [3] (le Mémorandum) dans son interprétation de la Loi. Il a fait valoir l'autorité que constitue la cause Nowegijick c. La Reine [4] , dans laquelle le juge Dickson a statué qu'une politique administrative peut être d'un secours précieux en cas de doute sur le sens d'un texte législatif. À son avis, le Mémorandum prouve que l'interprétation dont la disposition en question a fait l'objet limite l'exemption aux articles portant l'empreinte d'une image produits et utilisés par le même fabricant ou producteur.

Il a ajouté qu'il incombait davantage à l'appelant, dans la présente cause, de prouver que les marchandises entrent dans le champ d'application de la disposition d'exemption, car le fardeau de la preuve pèse davantage sur ceux qui réclament une exemption que sur ceux qui tentent d'écarter l'application d'une disposition d'imposition. Il a prétendu que l'appelant n'avait pas répondu à la norme de preuve requise pour établir que les marchandises entraient dans le champ d'application de la disposition d'exemption de la Loi. Enfin, l'avocat de l'intimé a pressé le Tribunal d'interpréter la disposition de la façon la plus raisonnable. Il s'est fondé à ce sujet sur la cause invoquée par l'appelant et dans laquelle la Cour fédérale avait statué que l'on doit supposer que le Parlement entend agir de façon raisonnable. Par conséquent, il y a lieu, dans l'alternative, d'opter pour une interprétation raisonnable de la disposition. Il a soutenu que l'interprétation la plus raisonnable serait celle qui aurait pour effet de limiter l'exemption aux fabricants et aux producteurs qui ont utilisé l'article portant l'empreinte d'une image eux-mêmes parce que cette interprétation est conforme à l'économie générale de la Loi.

Après avoir examiné les éléments de preuve et pris les arguments en considération, le Tribunal est d'avis que l'appel doit être admis. L'article en question, dans sa version actuelle, a été inclus dans la Loi en 1963 dans la partie de l'annexe intitulée «Impressions et matières pour l'enseignement» [5] . En 1966, cette disposition d'exemption a été déplacée par le Parlement à la partie XIII (intitulée «Matériel de production et matières de conditionnement») de l'annexe III nouvellement adoptée [6] . Le Parlement a également inclus dans la Loi effectuant ces modifications législatives une annexe V qui, entre autres choses, visait à exonérer de la taxe de vente fédérale des marchandises telles que les machines et les appareils, lorsqu'ils sont utilisés à une certaine fin. Dans le cas de l'annexe V, le Parlement a limité fréquemment l'exemption en utilisant les mots «destinés à être utilisés par eux». C'est ainsi, par exemple, que l'alinéa a) de cette annexe visait «les machines et appareils vendus aux fabricants ou producteurs ou importés par eux et destinés à être utilisés par eux directement dans la fabrication ou la production de marchandises». Contrairement aux cas spécifiques mentionnés à l'annexe V, le Parlement a décidé de ne pas utiliser de thèmes limitatifs si précis dans la partie XIII, qui comprend l'article en question. De l'avis du Tribunal, il s'agissait là d'une décision délibérée de la part du législateur, qui indique que le Parlement n'avait pas l'intention de limiter la portée de la disposition d'exemption sur laquelle s'est fondé l'appelant.

En 1968, le Parlement a abrogé l'annexe V et a adopté une nouvelle partie XIII de l'annexe III intitulée «Matériel de production, matières de conditionnement et plans» [7] . Cette partie comprenait des dispositions de l'annexe V abrogée. Le Parlement, en dépit du fait qu'il connaissait les termes «pour être utilisés par eux» qui figuraient dans certaines nouvelles dispositions de la partie XIII, a décidé de ne pas les utiliser dans le cas de la disposition d'exemption pertinente dans la présente cause. Là encore, le Tribunal est d'avis que cette décision du législateur montre à l'évidence l'intention du Parlement de ne pas limiter la portée de l'article 4 de la partie XIII de l'annexe III de la Loi. Il est à noter que le libellé de cet article est resté inchangé depuis 1968, en dépit des modifications qui ont été apportées depuis par le Parlement à cette partie de l'annexe III ainsi qu'à d'autres encore. Par conséquent, le Tribunal ne peut pas restreindre l'application de cette disposition en lui prêtant un sous-entendu restrictif.

L'appel est admis.


[ Table des matières]

1. L.R.C. (1985), ch. E-15, dans sa version modifiée.

2. [1986] 1 C.F. 346.

3. Revenu Canada, Douanes et Accise, le 5 mars 1990.

4. [1983] 1 R.C.S. 29.

5. Loi modifiant la Loi sur la taxe d'accise, S.C. (1963), ch. 12.

6. Loi modifiant la Loi sur la taxe d'accise, S.C. (1966), ch. 40.

7. Loi modifiant la Loi sur la taxe d'accise, S.C. (1967-1968), ch. 29.


Publication initiale : le 7 juillet 1997