SPECIAL MISSIONS GROUP LIMITED

Décisions


SPECIAL MISSIONS GROUP LIMITED
v.
LE SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Appel no AP-89-284

TABLE DES MATIERES

Ottawa, le mardi 13 février 1996

Appel no AP-89-284

EU ÉGARD À un appel entendu le 6 décembre 1995 aux termes de l'article 67 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.);

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le sous-ministre du Revenu national le 19 février 1990 concernant une demande de réexamen aux termes de l'article 63 de la Loi sur les douanes.

ENTRE

SPECIAL MISSIONS GROUP LIMITED Appelant

ET

LE SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONAL Intimé

L'appel est rejeté.


Arthur B. Trudeau ______ Arthur B. Trudeau Membre présidant

Robert C. Coates, c.r. ______ Robert C. Coates, c.r. Membre

Anita Szlazak ______ Anita Szlazak Membre

Michel P. Granger ______ Michel P. Granger Secrétaire





La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si certaines armes à feu sont correctement classées à titre de marchandises prohibées dans le code 9965 de l'annexe VII du Tarif des douanes. Les marchandises en cause comprennent trois classes d'armes à feu : 1 425 fusils Kalachnikov AK-47, 150 mitraillettes Carl Gustav M-45 et 5 mitrailleuses R.P.D.

DÉCISION : L'appel est rejeté. Le Tribunal conclut que les armes à feu en cause peuvent assez facilement être retransformées en armes à feu automatiques dans un laps de temps assez court. Selon les témoignages recueillis, les pièces requises pour effectuer la retransformation sont facilement disponibles et la tâche peut être accomplie en peu de temps. Le Tribunal est d'avis que ces armes à feu sont des armes prohibées et qu'il est, par conséquent, interdit à l'appelant de les importer.

Place de l'audience : Ottawa (Ontario) Date de l'audience : Le 6 décembre 1995 Date de la décision : Le 13 février 1996
Membres du Tribunal : Arthur B. Trudeau, membre présidant Robert C. Coates, c.r., membre Anita Szlazak, membre
Avocat pour le Tribunal : David M. Attwater
Greffier : Anne Jamieson
A comparu : Geoffrey S. Lester, pour l'intimé





Le présent appel est interjeté aux termes de l'article 67 de la Loi sur les douanes [. L.R.C. (1985), ch. 1 (2 e suppl.).] (la Loi) à l'égard d'une décision rendue par le sous-ministre du Revenu national aux termes de l'alinéa 64a) de la Loi. La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si certaines armes à feu sont correctement classées à titre de marchandises prohibées dans le code 9965 de l'annexe VII du Tarif des douanes [. L.R.C. (1985), ch. 41 (3 e suppl.).] (code 9965). Les marchandises en cause comprennent trois classes d'armes à feu : 1 425 fusils Kalachnikov AK-47, 150 mitraillettes Carl Gustav M-45 et 5 mitrailleuses R.P.D.

Aux termes de l'article 114 du Tarif des douanes, «[l]'importation au Canada des marchandises dénommées ou visées à l'annexe VII [du Tarif des douanes] est prohibée». Le code 9965 vise les marchandises suivantes :

Armes offensives, au sens du Code criminel ou éléments, pièces, accessoires, munitions ou chargeurs grande capacité au sens de ces termes à la définition de «arme prohibée» pour l'application de la partie III de cette loi, mais le présent code ne touche d'aucune façon [certaines armes, munitions, matériel, etc., étrangers à l'objet du présent appel].

Selon la définition donnée à l'article 2 du Code criminel [. L.R.C. (1985), ch. C - 46.] , une arme offensive comprend toute arme à feu décrite à l'article 84 de cette loi. Au moment de l'importation, l'expression «arme prohibée» était définie, en partie, au paragraphe 84(1) de la partie III du Code criminel comme suit :

c) toute arme à feu [...] [à l'exception de certaines «armes à autorisation restreinte»] pouvant tirer rapidement plusieurs balles pendant la durée d'une pression sur la détente.

L'appelant a importé au Canada, au printemps de 1989, trois classes d'armes à feu. Avant d'être importées, les armes à feu ont été modifiées, certaines de leurs parties ayant été soudées, coupées ou meulées, de manière à ce que les armes ne puissent pas tirer rapidement plusieurs balles pendant la durée d'une pression sur la détente (c.-à-d. en mode automatique).

Au moment de leur importation, les armes à feu ont été classées à titre de marchandises prohibées pour le motif que, même si dans leur état actuel elles avaient été transformées et ne pouvaient plus produire un tir automatique, elles pourraient être retransformées en armes automatiques en un laps de temps relativement court et assez facilement.

Le témoin de l'intimé était M. Earl Soley, expert en armes à feu et en munitions, qui a récemment pris sa retraite en qualité de constable rattaché au bureau du chef du contrôle provincial des armes à feu de la Police provinciale de l'Ontario. Peu de temps après l'importation des armes à feu, il a été demandé à M. Soley de les examiner et d'indiquer dans un rapport dans quelle mesure leur capacité de tir automatique avait été transformée. À cette fin, il a constitué un échantillon au hasard de chaque type d'armes à feu en vue d'évaluer dans quelle mesure ces armes pouvaient être retransformées en arme automatique.

Le pistolet-mitrailleur Carl Gustav M-45 a été conçue pour être une arme de combat rapproché. À la sortie de l'usine, il s'agit d'une arme exclusivement et entièrement automatique. M. Soley a dit au Tribunal que, dans le cas de l'échantillon qu'il avait inspecté, la tEAˆte de culasse mobile et le percuteur étaient soudés, la chambre du canon était partiellement obstruée par soudure, le canon et le manchon de canon étaient soudés à la carcasse, et le bouchon arrière était soudé à la carcasse. Ces modifications correspondaient aux transformations que l'arme à feu avait subies selon les explications fournies par l'appelant à l'intimé dans un document du 9 mai 1989 et désigné pièce B-2. M. Soley a expliqué que les deux premières modifications empêchaient l'arme à feu de tirer mais que les deux dernières modifications ne servaient qu'à ralentir la réparation.

M. Soley a dit au Tribunal qu'il avait pu acheter pour 80 $ à un salon des armes à feu à Ancaster (Ontario) les pièces requises pour retransformer l'arme à feu. Une fois ces pièces installées, l'arme à feu pouvait produire un tir en mode automatique. Que les pièces soient disponibles ou non, il a expliqué que pour retransformer l'arme à feu en arme automatique il suffisait de casser la soudure de la chambre du canon et d'usiner la tranche avant du bloc-culasse pour façonner un percuteur. Il a dit au Tribunal que la retransformation prenait 15 minutes si les pièces étaient disponibles et, qu'à son avis, elle prendrait de 30 à 45 minutes s'il fallait procéder par usinage.

Le fusil AK-47 Kalachnikov est l'arme militaire standard de l'Union soviétique et de ses alliés. Il est fabriqué comme fusil d'assaut pour produire un tir en mode semi-automatique ou automatique. M. Soley a dit au Tribunal que, dans le cas de l'échantillon qu'il avait inspecté, le haut du chien avait été limé, une portion de la gâchette automatique avait été enlevée, la queue du séparateur avait été supprimée et la goupille de détente avait été soudée à la détente. Dans l'état où elle a été importée, l'arme à feu pouvait produire un tir en mode semi-automatique.

M. Soley a dit au Tribunal qu'il a simplement appelé un fournisseur aux États-Unis pour obtenir les pièces de rechange. La trousse dite de conversion a été reçue par messagerie le lendemain. Il a expliqué que ces pièces sont faciles à obtenir et à importer au Canada. La retransformation à l'aide des pièces de rechange a exigé environ une heure. M. Soley a admis, cependant, que cette retransformation aurait été difficile, bien que pas impossible, sans les pièces.

La mitrailleuse R.P.D. est une arme lourde, pesant entre 12 et 14 livres, normalement munie d'un chargeur à tambour grande capacité. Elle est fabriquée pour tirer un seul coup ou plusieurs coups en mode automatique. M. Soley a dit au Tribunal que, dans l'état où elle a été importée, le piston avait été retiré de l'arme à feu et que le régulateur de gaz avait été soudé à la carcasse. Bien que, selon les illustrations de la pièce B-2, les mitrailleuses avaient prétendument été transformées, entre autres par la soudure de l'orifice du régulateur de gaz, cette transformation n'avait pas été effectuée sur l'échantillon inspecté par le témoin. Pour retransformer l'arme à feu, il a fallu que M. Soley retranche la soudure sur le régulateur de gaz et installe le piston expédié avec l'arme à feu. Ainsi, l'arme redevenait entièrement automatique. Il a dit au Tribunal que cette retransformation avait pris cinq minutes à réaliser. M. Soley a affirmé que, avec des outils adéquats, un piston de remplacement pourrait être usiné au bout d'environ une heure.

Bien qu'il ait été informé de la date de l'audience et ait indiqué qu'il avait l'intention de comparaître, l'appelant n'a pas été représenté à l'audience. Dans son exposé, cependant, l'appelant fait valoir que, pour déterminer si une arme à feu peut produire un tir automatique, il faut déterminer : a) si l'arme à feu, dans son état présent, est capable de produire un tir automatique en étant maniée d'une certaine façon; b) si l'arme à feu peut être retransformée en arme à tir automatique en cassant simplement une soudure ou en manipulant les mécanismes internes de l'arme à feu; c) si les pièces requises pour retransformer l'arme à feu en arme à tir automatique sont faciles à obtenir et d) quelles compétences techniques et quel temps sont requis pour effectuer la retransformation.

L'appelant a soutenu que les armes à feu en cause ne peuvent produire un tir automatique et ne peuvent être retransformées pour fournir un tir en mode automatique simplement par l'enlèvement des soudures. Cette retransformation exigerait plutôt le remplacement de certaines pièces qui ne sont pas disponibles. Si les pièces requises étaient disponibles, il faudrait pour retransformer l'arme avoir des compétences et connaissances techniques poussées et appliquer un procédé élaboré et long à réaliser.

L'appelant a soutenu qu'il n'est pas nécessaire que la transformation d'une arme à feu en arme incapable de produire un tir automatique soit permanente et irréversible pour éviter d'être classée à titre d'arme prohibée. Une telle exigence signifierait que toutes les armes semi-automatiques, y compris celles conçues pour produire uniquement un tir en mode semi-automatique en leur état original, doivent être considérées comme des armes prohibées aux termes du Code criminel.

L'avocat de l'intimé a soutenu que les armes à feu en cause sont des armes offensives aux termes du code 9965, parce que ce sont des armes prohibées au sens du Code criminel. Une arme à feu sera classée à titre d'arme prohibée si elle peut «tirer rapidement plusieurs balles pendant la durée d'une pression sur la détente». Même si les armes à feu en cause, dans l'état où elles avaient été importées, ne pouvaient produire un tir en mode automatique, la Cour suprême du Canada a décidé, à la majorité, dans l'affaire Sa Majesté la Reine c. Bernhard Hasselwander [. [1993] 2 R.C.S. 398.] qu'une arme à feu était capable de produire un tel tir si elle «[pouvait] être transformée en une arme automatique dans un laps de temps assez court avec assez de facilité [. Ibid. à la p. 416.] ». L'avocat a soutenu que, en vertu des éléments de preuve fournis par M. Soley, le Tribunal doit conclure que les marchandises en cause sont capables d'être transformées en armes automatiques en un laps de temps assez court et avec assez de facilité.

Le Tribunal a sans grande difficulté conclu, à partir des éléments de preuve, que les armes à feu en cause pouvaient être retransformées en armes automatiques dans un laps de temps assez court et avec assez de facilité. Selon le témoignage de M. Soley, les pièces nécessaires à la retransformation étaient faciles à obtenir et la tâche pouvait être accomplie en peu de temps. S'appuyant sur le raisonnement de la Cour suprême du Canada dans Hasselwander, le Tribunal est d'avis que lesdites armes à feu sont des armes prohibées et qu'il est, par conséquent, interdit à l'appelant de les importer.

En examinant si la retransformation d'une arme à feu en arme automatique peut être effectuée dans un laps de temps relativement court et avec assez de facilité, le Tribunal estime que le fait que les pièces de rechange soient faciles à obtenir ou que de telles armes soient importées au pays par une personne qui connaît bien les armes ou autrement ne constituent pas des éléments déterminants. Quoi qu'il en soit de la possibilité d'obtenir les pièces de rechange par M. Soley, le Tribunal aurait conclu, en s'appuyant sur les faits, que les armes à feu en cause sont des armes à feu prohibées en raison de la facilité avec laquelle elles peuvent être retransformées.

Par conséquent, l'appel est rejeté.


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Publication initiale : le 28 août 1996