LES CARRIÈRES DUCHARME INC.

Décisions


LES CARRIÈRES DUCHARME INC.
v.
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Appel no AP-90-142

TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le mercredi 20 mai 1992

Appel no AP-90-142

EU ÉGARD À un appel entendu le 4 mars 1992 en vertu de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E-15, dans sa version modifiée;

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le ministre du Revenu national le 14 septembre 1990 concernant un avis d'opposition signifié en vertu de l'article 81.17 de la Loi sur la taxe d'accise.

ENTRE

LES CARRIÈRES DUCHARME INC. Appelant

ET

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL Intimé

L'appel est admis. Les bâtons guillotinés produits par l'appelant constituent des moellons au sens de l'article 4 de la partie X de l'annexe III de la Loi sur la taxe d'accise.


Arthur B. Trudeau ______ Arthur B. Trudeau Membre présidant

W. Roy Hines ______ W. Roy Hines Membre

Desmond Hallissey ______ Desmond Hallissey Membre

Robert J. Martin ______ Robert J. Martin Secrétaire





L'appelant exploite une carrière d'où il extrait des pierres de silice appelées aussi grès de silice. L'extraction se fait au moyen du dynamitage qui fractionne la pierre stratifiée. Les pierres de grandes dimensions sont ensuite acheminées vers une guillotine où elles sont de nouveau fractionnées grossièrement en bâtons guillotinés. La question en litige consiste à déterminer si les bâtons guillotinés sont exempts de la taxe de vente fédérale en tant que moellons, conformément à l'article 4 de la partie X de l'annexe III de la Loi sur la taxe d'accise.

DÉCISION : L'appel est admis. Le Tribunal n'admet pas l'argument de l'intimé selon lequel l'on doit appliquer en l'espèce les critères de l'arrêt Her Majesty the Queen v. York Marble, Tile and Terrazzo Limited pour ce qui est des mots «fabrication» et «production». En effet, l'application des critères de l'arrêt York Marble équivaudrait à imposer une condition supplémentaire qui n'existe pas dans la disposition d'exemption. Le Tribunal considère que les décisions administratives rendues par le Ministre du Revenu national, Douanes et Accise, faisant état d'opération de coupe à la carrière et accordant néanmoins l'exemption au titre de moellon en vertu de la partie X de l'annexe III de la Loi sur la taxe d'accise ne vont pas à l'encontre de la disposition d'exemption. Au contraire, il s'agit là d'interprétations fort compatibles avec la définition du mot «moellon» données par les dictionnaires, soit une pierre grossièrement taillée.

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario) Date de l'audience : Le 4 mars 1992 Date de la décision : Le 20 mai 1992
Membres du Tribunal : Arthur B. Trudeau, membre présidant W. Roy Hines, membre Desmond Hallissey, membre
Avocat pour le Tribunal : Gilles B. Legault
Greffier : Dyna Côté
Ont comparu : Claude P. Desaulniers, pour l'appelant Christine Hudon, pour l'intimé





Il s'agit d'un appel interjeté en vertu de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise [. L.R.C. (1985), ch. E-15, dans sa version modifiée.] (la Loi) relativement à une décision rendue par le ministre du Revenu national (le Ministre).

L'appelant exploite une carrière d'où il extrait des pierres de silice appelées aussi grès de silice. Le 17 février 1989, l'appelant a demandé un remboursement de la taxe de vente de 134 646 $ concernant la vente de pierres fracturées à la guillotine. Le 15 septembre 1989, sa demande fut rejetée au motif que l'opération de coupe de pierre en question constituait une opération de fabrication taxable. Le 14 septembre 1990, cette décision était confirmée par le Ministre.

La question en litige consiste à déterminer si la pierre de silice extraite de la carrière de l'appelant, puis guillotinée sur le chantier, est exempte de la taxe de vente fédérale en tant que moellons conformément à l'article 4 de la partie X de l'annexe III de la Loi.

Lors de l'audience, M. Serge Ducharme, vice-président de la société appelante, a témoigné. Il a expliqué que la pierre extraite de la carrière de l'appelant est destinée au revêtement et à l'aménagement extérieurs de maisons. La pierre se présente sous forme de couches ou de bancs stratifiés. L'extraction de la pierre se fait par dynamitage afin d'en détacher les strates dont la hauteur peut varier entre 1 et 14 po. Après le dynamitage, les pierres de petites et moyennes dimensions sont retirées manuellement de la carrière. Les plus minces serviront de pierres à patio, celles de hauteur moyenne de pierres à muret et les plus hautes, de pierres pour revêtement extérieur. Les pierres en litige sont des pierres de grandes dimensions (largeur et longueur) dont la hauteur peut varier. En raison de leurs dimensions, elles ne sont pas maniables. Elles sont donc acheminées par camion jusqu'à une usine sur place. Ces pierres sont ensuite amenées jusqu'à une guillotine afin d'y être réduites en blocs de 4 à 6 po de largeur, de 18 à 36 po de longueur et de 2 à 12 po de hauteur, selon la hauteur d'origine de la strate. La guillotine est une machine qui, à l'aide d'un mécanisme hydraulique, exerce une pression sur la pierre pour la fractionner grossièrement. Les blocs sont ensuite vendus sous le nom de bâtons guillotinés. Ils servent de revêtements extérieurs de maisons et sont utilisés pour la construction de murets et de trottoirs.

M. Michel Régimbald, vérificateur au ministère du Revenu national, Douanes et Accise (Revenu Canada), a témoigné pour l'intimé. Il a aidé à élaborer l'avis de détermination en vertu duquel la demande de remboursement présentée par l'appelant a été rejetée. À l'époque de la demande, M. Régimbald s'est rendu à la carrière. Il a vu dans le guillotinage une opération de transformation, notamment parce que la pierre y était placée dans un sens spécifique. Selon lui, la guillotine constitue une machine de production qui fabrique un produit relativement standard. De fait, a-t-il ajouté, elle a été acquise exempte de la taxe de vente à titre de matériel de production conformément à la partie XIII de l'annexe III de la Loi. En contre-interrogatoire, M. Régimbald a indiqué que les bâtons guillotinés étaient assujettis à la taxe de vente en raison du supplément d'ouvraison résultant de l'utilisation de la guillotine.

Lors de son plaidoyer, l'avocat de l'appelant a d'abord fait un résumé des éléments de preuve présentés au Tribunal. Selon lui, la preuve révèle que la pierre en question est soumise à la guillotine pour lui donner des dimensions qui facilitent son transport et sa manutention et non pour lui donner des formes et des dimensions précises. La pierre guillotinée n'est ni sciée ni taillée. Elle est plutôt fractionnée grossièrement; le bâton guillotiné qui en résulte exigera, dans certains cas, une ouvraison supplémentaire par le maçon désirant l'utiliser. Il n'en demeure pas moins, a-t-il plaidé, que les pierres guillotinées constituent des moellons au sens de l'article 4 de la partie X de l'annexe III de la Loi. De fait, le terme «moellon» n'est pas défini par la Loi. L'avocat prétend qu'on doit donc s'en remettre au sens ordinaire de ce mot. Or, le Petit Larousse illustré [. Petit Larousse illustré 1985, Paris, Librairie Larousse, 1985, p. 647.] de même que le dictionnaire Webster [. Webster's Third New International Dictionary, U.S.A., Merriam-Webster Inc., 1986, p. 1983.] définissent les mots «moellon» et «rubble» (dans la version anglaise de la Loi) comme signifiant une pierre non taillée ou grossièrement taillée, tandis que le Dictionnaire nord-américain de la langue française [. Dictionnaire nord-américain de la langue française, Montréal, Beauchemin, 1986, c1979, p. 608.] parle de pierre de petite dimension ou pierre des champs.

En outre, l'avocat a également invoqué deux décisions administratives rendues par Revenu Canada. Ces décisions ont accordé l'exemption dans des situations où l'on faisait état d'un processus opérationnel en tout point semblable à celui décrit par la preuve. Ces décisions, a-t-il prétendu, ajoutent une interprétation administrative qui, sur la foi d'une décision de la Cour Suprême du Canada dans Harel c. Sous-ministre du Revenu (Québec) [. [1978] 1 R.C.S. 851.] , doit être prise en compte puisqu'elle ne va pas à l'encontre du texte de la Loi. L'avocat de l'appelant a conclu en faisant remarquer que la société appelante devait bénéficier de l'existence d'un doute quant à l'assujettissement des bâtons guillotinés à la taxe.

L'avocate représentant l'intimé a prétendu à son tour que la maniabilité constitue le seul critère commun de toutes les définitions données au mot «moellon». Or, la pierre en question n'acquiert cette maniabilité qu'une fois transformée en bâtons guillotinés. Un bâton guillotiné n'a pas les mêmes dimensions qu'un moellon à l'état brut. Et, de fait, la liste de prix de l'appelant (pièce B-1) révèle que les bâtons guillotinés sont plus chers que d'autres produits pouvant servir aux mêmes fins. Selon l'avocate, cela démontre que l'ouvraison de ces bâtons au moyen de la guillotine les distingue des moellons ordinaires.

Par ailleurs, l'avocate prétend que les décisions administratives de Revenu Canada n'ont pas de valeur interprétative et qu'il est préférable de s'en remettre aux principes de l'arrêt Her Majesty the Queen v. York Marble, Tile and Terrazzo Limited [. [1968] R.C.S. 140.] pour interpréter la Loi. Dans cette affaire, la Cour suprême devait déterminer si certaines opérations effectuées sur des plaques de marbre signifiaient que ces dernières étaient «fabriquées» ou «produites» au Canada, auquel cas elles étaient assujetties à la taxe de vente en vertu de l'alinéa 30(1)a) de la Loi sur la taxe d'accise [. S.R.C. (1952), ch. 100, aujourd'hui l'alinéa 50(1)a) de la Loi.] .

L'avocate s'appuie d'abord sur le passage de l'arrêt York Marble où la Cour a mentionné que le sable, le gravier, les moellons et la pierre ne pouvaient pas être considérés comme fabriqués ou produits, bien que le Parlement ait décidé de les inclure dans la partie de la Loi ayant trait aux exemptions. Elle prétend donc qu'il peut se trouver des marchandises à l'annexe III qui, comme les moellons, ne soient pas fabriquées ni produites. L'avocate soumet ensuite que les critères de l'arrêt York Marble permettant de déterminer s'il y a eu production ou fabrication s'appliquent à la présente cause. Elle prétend, en effet, que le recours à la guillotine pour produire les bâtons guillotinés a donné, selon l'expression de la Cour maintenant consacrée par la jurisprudence, de «nouvelles formes, qualités et propriétés» à la pierre et, qu'il y a donc eu fabrication au sens de la décision. Elle affirme également que le simple fait de soumettre la pierre à la guillotine est suffisant pour qu'il y ait eu production au sens du même arrêt. Cette fabrication ou production, conclut l'avocate, fait en sorte que les bâtons guillotinés ne sont pas des moellons et, par conséquent, n'ont pas droit à l'exemption prévue à ce titre.

Enfin, l'avocate de l'intimé a conclu en mentionnant que les exemptions prévues à la partie X de l'annexe III de la Loi montrent que le législateur a été circonspect quant à ce qui peut faire l'objet d'une exemption et quant au taux de transformation que les marchandises peuvent subir sans être exclues du champ d'application de l'exemption. Ainsi, l'exemption pour les scories de haut fourneau et de chaudière prévue à l'article 6 de la partie X est limitée aux produits transformés qui sont au plus broyés et criblés. C'est dans le même esprit, selon elle, que doit être interprétée la transformation de blocs de pierres en bâtons guillotinés.

Afin de bien circonscrire le débat, le Tribunal estime d'abord nécessaire de rappeler le mécanisme d'exemption propre à l'annexe III de la Loi. En premier lieu, l'article 50 de la Loi impose une taxe de vente ou de consommation sur la vente de : (1) marchandises fabriquées au Canada; (2) marchandises importées au pays; et (3) marchandises qui font l'objet d'une vente entre des personnes dans des conditions bien précises. Puis, le paragraphe 51(1) de la Loi exempte les marchandises énumérées à l'annexe III de la taxe de vente imposée par l'article 50. Or, puisque l'article 50 ne vise pas seulement les marchandises fabriquées ou produites au Canada, mais aussi celles qui sont importées ou vendues dans des conditions précises, rien ne permet de conclure que les marchandises énumérées à l'annexe III ont nécessairement été fabriquées ou produites.

En réalité, la seule conclusion que nous permet de tirer la mention d'un article à l'annexe III est que l'article en question constitue une marchandise au sens de la Loi. Et de fait, une marchandise n'est ni plus ni moins qu'une «chose mobilière pouvant faire l'objet d'un commerce, d'un marché [. Le Petit Robert 1, Montréal, Canada, Les Dictionnaires ROBERT-CANADA S.C.C., 1988, p. 1213.] ». Cette définition cadre parfaitement avec l'objet de la partie VI de la Loi qui est d'imposer une taxe de vente aussi appelée «taxe de consommation». Le Tribunal estime qu'il faut interpréter le passage de l'arrêt York Marble sur lequel se fonde le premier argument de l'intimé en tenant compte du mécanisme d'exemption et de l'objet de la Loi. Dans ce contexte, on comprend que la Cour suprême a tout simplement affirmé qu'il était difficile d'imaginer que le sable, le gravier, les pierres des champs et les moellons énumérés à l'annexe III puissent être produits, fabriqués ou même importés. Toutefois, la Cour n'a jamais dit que ces articles, notamment les moellons, n'étaient pas des marchandises au sens de la Loi. Or, les moellons étant des marchandises, le Tribunal est d'avis qu'ils sont exemptés en vertu de l'annexe III, peu importe leur état, c'est-à-dire qu'ils soient fabriqués ou non, dans la mesure où ils satisfont aux termes de la disposition d'exemption.

En outre, le Tribunal ne peut pas admettre l'argument de l'intimé selon lequel les critères de «fabrication» et de «production» de l'arrêt York Marble s'appliquent à la présente affaire. Le Tribunal est d'accord avec l'intimé quant à la nouvelle forme, qualité ou propriété qu'acquièrent les blocs de pierres guillotinés. Mais dans la présente cause, le Tribunal traite d'une disposition d'exemption qui n'a rien à voir avec la disposition d'imposition dont traitait la Cour suprême dans cette affaire. L'inclusion pure et simple des «moellons» à l'article 4 de la partie X de l'annexe III de la Loi ne commande pas l'application des critères établis par la Cour pour déterminer s'il y a eu fabrication ou production. En fait, si les prétentions de l'intimé E9‚taient acceptées, elles conduiraient à l'imposition d'une condition supplémentaire qui n'existe tout simplement pas. Par conséquent, le Tribunal est d'avis que sa seule tâche consiste à déterminer la signification du mot «moellon» et à décider si les bâtons guillotinés sont inclus dans cette définition.

Après avoir étudié la disposition d'exemption et examiné les éléments de preuve, le Tribunal conclut que les bâtons guillotinés constituent des moellons au sens de la Loi au même titre que les pierres maniables qui résultent du dynamitage des strates. Premièrement, il n'y a rien dans la Loi qui empêche de considérer la marchandise résultant du guillotinage comme un moellon. Deuxièmement, le sens ordinaire du mot «moellon» et l'interprétation administrative de Revenu Canada confirment, eu égard aux éléments de preuve recueillis, que les bâtons guillotinés sont des moellons. En effet, le dictionnaire Petit Larousse illustré [. Supra, note no 2.] définit un moellon comme une «Pierre, non taillée ou grossièrement taillée, de petites dimensions». Or, les éléments de preuve révèlent que les bâtons guillotinés sont grossièrement taillés. D'autre part, le Petit Robert [. Supra, note no 8.] mentionne qu'un moellon est une «Pierre de construction maniable en raison de son poids et de sa forme». Or, tel qu'il en ressort du témoignage de M. Ducharme, le guillotinage a justement pour but de rendre la pierre maniable, et cela, conclut le Tribunal, est démontré par le poids et la forme conférés à la pierre. En outre, les deux décisions administratives de Revenu Canada citées par l'appelant accordent l'exemption au titre de moellon en vertu de la partie X de l'annexe III malgré la coupe grossière effectuée à la carrière. Le Tribunal considère que ces décisions ne vont pas à l'encontre de la disposition d'exemption et qu'il s'agit là, bien au contraire, d'interprétations fort compatibles avec le sens ordinaire du mot «moellon».

Pour tous ces motifs, l'appel est admis.


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Publication initiale : le 8 juillet 1997