F.D. JUL INC.

Décisions


F.D. JUL INC.
v.
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Appel no AP-90-183

TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le lundi 18 janvier 1993

Appel n o AP-90-183

EU ÉGARD À un appel entendu le 5 novembre 1992 en vertu de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E-15;

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le ministre du Revenu national le 31 octobre 1990 concernant un avis d'opposition signifié conformément à l'article 81.17 de la Loi sur la taxe d'accise.

ENTRE

F.D. JUL INC. Appelant

ET

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL Intimé

L'appel est admis.


Desmond Hallissey ______ Desmond Hallissey Membre présidant

Kathleen E. Macmillan ______ Kathleen E. Macmillan Membre

Arthur B. Trudeau ______ Arthur B. Trudeau Membre

Michel P. Granger ______ Michel P. Granger Secrétaire





L'appelant achète, aux fins de revente, des chiffres et lettres imprimés sur des collants plastifiés de couleurs variées ainsi que des chemises. Dans le cours de ses opérations, il doit parfois retirer les chemises de leurs boîtes pour y apposer les chiffres et lettres plastifiés selon les précisions de ses clients. L'appelant a demandé un remboursement de la taxe de vente fédérale remise à l'intimé sur la base de son prix de vente à ses clients au motif qu'il aurait dû payer la taxe sur le coût des marchandises, i.e. chemises, et chiffres et lettres plastifiés. La question en litige consiste à déterminer si l'apposition des chiffres et lettres imprimés sur des collants plastifiés sur les onglets des chemises constitue de la fabrication ou de la production au sens du paragraphe 50(1) de la Loi sur la taxe d'accise, auquel cas l'appelant est redevable de la taxe calculée sur son prix de vente.

DÉCISION : L'appel est admis. Le Tribunal considère que l'apposition des collants plastifiés ne confère aucune nouvelle fonction aux chemises en question, car celles-ci servent au classement en tout état de cause, le Tribunal étant d'avis qu'une chemise même sans l'apposition desdits collants est par définition une chemise de classement. Les clients de l'appelant peuvent d'ailleurs se procurer des chemises vierges auprès de ce dernier et y inscrire eux-mêmes à la main ou y apposer des lettres ou numéros. Lorsque l'appelant exécute cette tâche pour ses clients, il ne fait pas de la fabrication ni de la production en vertu de la Loi sur la taxe d'accise, mais il accomplit plutôt un travail de la nature d'un service sans pour autant donner de nouvelles formes, de nouvelles qualités ou de nouvelles propriétés aux chemises.

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario) Date de l'audience : Le 5 novembre 1992 Date de la décision : Le 18 janvier 1993
Membres du Tribunal : Desmond Hallissey, membre présidant Kathleen E. Macmillan, membre Arthur B. Trudeau, membre
Avocat pour le Tribunal : Gilles B. Legault
Greffier : Dyna Côté
Ont comparu : Claude P. Desaulniers, pour l'appelant Alain Lafontaine, pour l'intimé





Cet appel est interjeté en vertu de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise [1] (la Loi) à l'égard d'une décision du ministre du Revenu national (le Ministre) confirmant en partie un avis de détermination qui a rejeté partiellement une demande de remboursement présentée par l'appelant.

Les faits dans la présente cause sont relativement simples. L'appelant achète, aux fins de revente, des chiffres et lettres imprimés sur des collants plastifiés de couleurs variées ainsi que des chemises. Dans le cours de ses opérations, il doit parfois retirer les chemises de leurs boîtes pour y apposer les chiffres et lettres plastifiés selon les précisions de ses clients. L'appelant achète les marchandises susmentionnées exemptes de la taxe de vente. Toutefois, il effectue les remises de la taxe de vente fédérale à l'intimé sur le prix de vente demandé à ses clients. L'appelant a réclamé un remboursement de la taxe de vente fédérale au motif qu'il aurait dû payer la taxe sur le coût des marchandises, i.e. chemises, et chiffres et lettres plastifiés. L'appelant prétend essentiellement qu'il ne devrait pas être considéré comme étant le fabricant des chemises sur lesquelles il a apposé les chiffres et lettres plastifiés. L'avis de détermination du sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise, daté du 13 février 1990, n'a accordé un remboursement de la taxe de vente que sur les marchandises revendues telles quelles. L'appelant s'est opposé à cette détermination et, le 31 octobre 1990, le Ministre a accueilli sa demande en partie, l'appelant ayant démontré que d'autres marchandises avaient aussi été revendues telles quelles.

Le Tribunal doit donc déterminer si l'apposition sur les onglets des chemises de chiffres et lettres imprimés sur des collants plastifiés est de la fabrication ou de la production au sens du paragraphe 50(1) de la Loi, auquel cas l'appelant est redevable de la taxe calculée sur son prix de vente.

Lors de l'audience, l'avocat de l'appelant a appelé un témoin, Mme Josette Cooper, contrôleur chez F.D. Jul Inc. Mme Cooper a expliqué, notamment, que les prix des chemises sur lesquelles des collants plastifiés ont été apposés varient en fonction du nombre de codes, i.e. de chiffres ou de lettres, demandés par les clients. Mme Cooper a indiqué qu'en général, l'appelant reçoit une commande par téléphone ou par télécopieur d'un client pour un certain nombre de chemises et, qu'à ce moment, le client lui indique le nombre et les caractéristiques des codes requis. Le témoin a aussi révélé que les chemises ainsi préparées pour les besoins d'un client ne peuvent alors être vendues qu'à ce dernier.

L'avocat de l'appelant a prétendu que le fait d'apposer les collants plastifiés en question sur les chemises ne constitue pas une opération de fabrication ou de production au sens de l'arrêt The Queen v. York Marble, Tile and Terrazzo Limited [2] , car cette activité n'a pas donné de nouvelles formes, qualités ou propriétés aux chemises. L'avocat de l'appelant a maintenu en outre que les termes «nouvelles formes, nouvelles qualités [ou] nouvelles propriétés», utilisés une première fois par la Cour supérieure du Québec dans l'affaire Minister of National Revenue v. Dominion Shuttle Company Limited [3] , puis repris par la Cour suprême du Canada dans l'affaire York Marble, avaient depuis lors été circonscrits par les tribunaux. Selon lui, ces mots ont été interprétés comme signifiant qu'un bien non utilisable ou non vendable devait subir une transformation suffisante pour en faire un bien utilisable ou vendable. L'avocat a cité à l'appui de ses prétentions les affaires Gruen Watch Company of Canada Limited v. Attorney-General of Canada [4] , George W. Crothers Limited v. The Minister of National Revenue [5] , Commission hydroélectrique de Québec c. Le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise [6] , The Queen v. E J Piggott Enterprises Limited [7] , The Queen v. Stuart House Canada Limited [8] ainsi que la dissidence du juge Spence dans l'arrêt Consumers' Gas Company c. Le sous - ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise [9] . L'avocat de l'appelant s'est appuyé également sur la décision de la Cour fédérale dans l'affaire Fiat Auto Canada Limited v. The Queen [10] , où il a été décidé que l'installation de radios dans des automobiles ne constituait pas une activité de fabrication ou de production puisque les automobiles en soi ne recevaient pas de nouvelles formes, qualités ou propriétés.

Quant à l'avocat de l'intimé, il était d'avis que les chemises ne peuvent servir de chemises de classement qu'une fois les chiffres et lettres plastifiés apposés. Cette activité, a-t-il prétendu, leur apporte une propriété essentielle qu'elles n'auraient pas autrement comme l'a d'ailleurs révélé, selon lui, le témoin de l'appelant. En outre, une valeur ajoutée substantielle est donnée aux chemises dès l'apposition des collants plastifiés. Enfin, l'avocat s'est appuyé sur l'affaire Ministre du Revenu national c. Enseignes Imperial Signs Ltée [11] où la Cour d'appel fédérale a décidé, d'une part, qu'il y a production «si ce que fait une personne a pour résultat de produire une chose nouvelle» et, d'autre part, qu'une «chose est nouvelle lorsqu'elle peut remplir une fonction que ne pouvaient remplir les choses qui existaient auparavant».

Le Tribunal, dans un premier temps, ne croit pas qu'il existe un courant jurisprudentiel voulant que les mots maintenant célèbres de l'affaire Dominion Shuttle aient été circonscrits de façon telle qu'un producteur ou un fabricant en vertu de la Loi ne soit plus que la personne qui rend vendable des biens qui ne l'étaient pas auparavant. Il existe, en effet, un nombre incalculable de situations où un producteur produira ou fabriquera une marchandise, au sens de la Loi, à partir d'une ou de plusieurs marchandises qui étaient pourtant vendables avant son intervention. Le fait qu'une marchandise devienne vendable à la suite de l'action d'un tiers est un facteur d'appréciation de la transformation subie qui a pu influencer la décision de certains tribunaux, compte tenu de la nature des biens en question dans chaque cas. Toutefois, on ne peut pas poser comme règle générale qu'une marchandise acquiert de nouvelles formes, qualités ou propriétés que dans la mesure où elle devient vendable.

C'est d'ailleurs en ce sens, croit le Tribunal, qu'on doit interpréter la décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Enseignes Imperial. Après s'être référée à l'arrêt York Marble, la Cour a en effet décidé de mettre l'accent dans cette cause sur le caractère de nouveauté de la chose produite ou fabriquée. Elle a ensuite déterminé que cette nouveauté s'appréciait par rapport aux fonctions nouvelles que la marchandise pouvait remplir. Ainsi, les enseignes lumineuses produites à partir d'enseignes usagées acquéraient-elles de nouvelles fonctions une fois qu'on les avait remises à neuf et repeintes, et qu'un nouveau message publicitaire était inscrit sur le couvert de plastique.

Dans la présente cause, le Tribunal considère que l'apposition des collants plastifiés ne confère aucune nouvelle fonction aux chemises en question. Ces dernières servent au classement en tout état de cause, le Tribunal étant convaincu qu'une chemise même sans l'apposition desdits collants est par définition une chemise de classement. Les clients de l'appelant peuvent d'ailleurs se procurer des chemises vierges auprès de ce dernier et y inscrire eux-mêmes à la main des lettres ou numéros ou encore y apposer les collants plastifiés aussi vendus par l'appelant. Le Tribunal est donc d'avis que lorsque l'appelant exécute cette tâche pour ses clients, il ne fait pas de la fabrication ni de la production en vertu de la Loi, mais il accomplit plutôt un travail de la nature d'un service sans pour autant donner de nouvelles formes, de nouvelles qualités ou de nouvelles propriétés aux chemises. Le fait que ces chemises soient vendues plus cher que les chemises vierges n'a aucune incidence dans la présente affaire et indique seulement que le prix des chemises ainsi vendues comprend le coût de ce travail. L'appelant n'est donc pas, au sens du paragraphe 50(1) de la Loi, le fabricant ou producteur des chemises sur lesquelles il a apposé les collants plastifiés.

Pour toutes ces raisons, le Tribunal admet l'appel.


[ Table des matières]

1. L.R.C. (1985), ch. E-15.

2. [1968] R.C.S. 140.

3. (1933), 72 C.S. du Québec 15.

4. [1950] C.T.C. 440.

5. [1969] C.T.C. 546.

6. [1970] R.C.S. 30.

7. [1973] C.T.C. 65.

8. [1976] C.T.C. 37.

9. [1976] 2 R.C.S. 640.

10. 83 D.T.C. 5451.

11. Cour d'appel fédrérale, no du greffe A-264-89, le 28 février 1990.


Publication initiale : le 9 juillet 1997