LES PLASTIQUES M.C. LTÉE

Décisions


LES PLASTIQUES M.C. LTÉE
v.
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Appel no AP-90-239

TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le mercredi 24 février 1993

Appel n o AP-90-239

EU ÉGARD À un appel entendu le 10 novembre 1992 aux termes de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E-15;

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le ministre du Revenu national le 25 janvier 1991 concernant un avis d'opposition signifié aux termes de l'article 81.15 de la Loi sur la taxe d'accise.

ENTRE

LES PLASTIQUES M.C. LTÉE Appelant

ET

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL Intimé

L'appel est admis.


Michèle Blouin ______ Michèle Blouin Membre présidant

John C. Coleman ______ John C. Coleman Membre

Kathleen E. Macmillan ______ Kathleen E. Macmillan Membre

Michel P. Granger ______ Michel P. Granger Secrétaire





La question dans le présent appel consiste à déterminer si certains des bains tourbillons fabriqués par l'appelant constituent des «baignoires» au sens de l'article 20 de la partie I de l'annexe IV de la Loi sur la taxe d'accise.

DÉCISION : L'appel est admis.

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario) Date de l'audience : Le 10 novembre 1992 Date de la décision : Le 24 février 1993
Membres du Tribunal : Michèle Blouin, membre présidant John C. Coleman, membre Kathleen E. Macmillan, membre
Avocat pour le Tribunal : Robert Desjardins
Greffier : Dyna Côté
Ont comparu : Michael Kaylor, pour l'appelant Alain Lafontaine, pour l'intimé





Il s'agit d'un appel interjeté aux termes de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise [1] (la Loi) à l'égard d'une décision du ministre du Revenu national (le Ministre).

L'appelant, Les Plastiques M.C. Ltée, est un fabricant de douches et de baignoires. Le 26 avril 1989, il a fait l'objet d'une cotisation de 143 658,57 $, comprenant la taxe, les intérêts et la p 9‚nalité, relativement à des ventes effectuées entre le 1er mars 1985 et le 30 novembre 1988. L'appelant a signifié un avis d'opposition à cette cotisation, laquelle a été ratifiée par le Ministre le 25 janvier 1991.

La question dans le présent appel consiste à déterminer si certains des bains tourbillons fabriqués par l'appelant constituent des «baignoires» au sens de l'article 20 de la partie I de l'annexe IV de la Loi, auquel cas la taxe est perçue à un taux réduit. Les baignoires en litige sont les modèles de grandes dimensions, par exemple les baignoires Alcove MC 3000, 3500, 4000 et 5000. Les modèles de plus petites dimensions à trois numéros, comme les MC 200, 300, 600 et 700, sont considérés par l'intimé comme des baignoires au sens de l'article susmentionné.

Le premier témoin de l'appelant a été M. Michel Lippé, propriétaire et président de la société Les Plastiques M.C. Ltée. M. Lippé a d'abord décrit les caractéristiques semblables et les différences entre les modèles MC 200 et 4000. Selon ce témoin, les deux modèles sont constitués des mêmes matières premières et des mêmes composants, comme la source d'alimentation en eau, la pompe, le renvoi, le trop-plein, les commandes pour les jets d'air, les raccords et la minuterie. Seuls le filtre et le chauffe-eau sont inhérents au modèle MC 4000. Interrogé par l'avocat de l'appelant quant à l'usage fait de ces deux modèles, M. Lippé a affirmé que les baignoires, peu importe leurs dimensions, ont pour objet d'assurer la relaxation des clients.

M. Lippé a ensuite décrit les étapes marquant l'installation des baignoires vendues. À cet égard, il a mentionné les raccordements des baignoires au collecteur ainsi qu'au tableau de distribution de l'habitation. Il a ajouté que l'installation est complétée par ce qu'il est convenu d'appeler l'accès, à savoir un podium ou des marches. Ces installations sont faites par des menuisiers et sont revêtues de carreaux de céramique. Selon ce témoin, une baignoire ainsi installée est un produit qui reste en place et qui fait partie de l'habitation. En outre, M. Lippé a affirmé que 95 p. 100 des baignoires sont installées à l'intérieur de la demeure, soit au sous-sol, dans la chambre à coucher ou dans la salle de bains. Enfin, pour ce qui est du terme «spa» (cuve thermale), le témoin a mentionné le lien établi récemment par les publicitaires entre un «spa» et une grande baignoire.

En réponse à une question de l'avocat de l'intimé selon laquelle les marchandises en litige et les modèles de baignoires plus petits sont différents en ce que les premiers peuvent recevoir plus d'une personne, M. Lippé a fait remarquer que, selon son expérience, la baignoire de modèle MC 200 peut contenir deux personnes et qu'elle est souvent achetée à cette fin. Il a de plus affirmé n'avoir jamais déconseillé l'usage de savons dans les bains tourbillons, quelle qu'en soit la grandeur. Selon lui, l'utilisation de savons ne nuit pas au fonctionnement ni à la durabilité des bains tourbillons. Toutefois, afin d'éviter d'avoir à enlever le cerne laissé par le savon dans les grands modèles, M. Lippé a mentionné que les gens se douchent avant d'entrer dans la baignoire. Il a ensuite précisé qu'il existe des produits qui neutralisent les savons dans l'eau. Enfin, ce témoin a répondu par la négative à la proposition voulant que les bains tourbillons en litige ne soient pas utilisés à des fins sanitaires. Selon M. Lippé, ce qui lave est l'eau et non le savon qui permet d'effectuer un meilleur nettoyage ou de traiter la peau. En réponse à une question du Tribunal, M. Lippé a précisé que les modèles MC 600 et 700 sont conçus pour recevoir plus d'une personne à la fois.

M. Mario Allaire a été le deuxième témoin de l'appelant. Le Centre de plomberie Saint-Jérôme (le Centre), où travaille ce témoin à titre de gérant des ventes, assure la distribution et l'installation de baignoires ainsi que d'autres produits. II appert que la salle d'exposition du Centre soit l'une des plus grandes au Québec, contenant 25 salles de bains décorées. Selon M. Allaire, les modèles de grandes dimensions constituent des baignoires. Il a répété que les diverses baignoires peuvent être installées à différents endroits dans l'habitation et que l'installation de certains modèles comporte l'emploi d'un podium et de carreaux de céramique. Il a répondu par l'affirmative à la question voulant que les modèles en litige, une fois l'installation terminée, demeurent en place pour une longue période. Il a également indiqué que, selon les ventes du Centre, 97 p. 100 desdits modèles sont installés à l'intérieur et que leur emplacement dépend du plan de l'habitation.

Mme Nicole Vekemans-Leurquin, designer d'intérieur et professeure en design et en histoire de l'art, a été le dernier témoin de l'appelant. S'appuyant sur certains chapitres de l'ouvrage intitulé The Bed and Bath Book [2] , lesquels ont été déposés en preuve lors de l'audience, Mme Vekemans-Leurquin a fait un bref survol de l'histoire et de l'évolution de la baignoire, depuis l'époque des Grecs de l'Antiquité jusqu'au 20e siècle. Elle a notamment souligné le caractère social de la baignoire chez les Grecs et les Romains. Elle a aussi mentionné que, selon l'auteur, l'évolution de la baignoire s'est faite de façon extraordinaire au cours des vingt dernières années; les raisons en seraient que la vie moderne et active a fait de la baignoire un endroit de relaxation et que son emplacement n'est plus confiné à la salle de bains. Ce témoin a commenté certains extraits de périodiques spécialisés, mentionnant, entre autres, le besoin de relaxation auquel répond la baignoire. Elle a indiqué que les marchandises en litige sont très semblables aux produits décrits dans la pièce A-13 (extrait du magazine français Bains Cuisines Confort [3] ) qui sont désignés comme des baignoires.

Lors de l'argumentation, l'avocat de l'appelant a prétendu que le mot «baignoire» de l'article 20 de la partie I de l'annexe IV de la Loi doit être interprété selon son sens ordinaire. À son avis, les définitions offertes par certains dictionnaires sont fort larges; il n'existe aucune restriction quant à la nécessité de se laver ou d'utiliser du savon dans une baignoire. En outre, la baignoire peut servir à de nombreuses fins, lesquelles sont fonction du désir de l'utilisateur. Ce qu'il faut retenir de ces définitions, a-t-il ajouté, c'est essentiellement l'immersion du corps dans un liquide, généralement de l'eau, et que cela peut être fait pour une raison autre que celle du nettoyage du corps. De plus, les définitions n'imposent aucune restriction quant aux accessoires pouvant être utilisés avec une baignoire, ni n'imposent aucune limite quant au nombre de personnes pouvant s'y trouver. D'autre part, ces définitions ne requièrent pas que la baignoire soit placée dans la salle de bains.

L'avocat de l'appelant a également prétendu que l'article susmentionné, contrairement à d'autres articles de la partie I de l'annexe IV de la Loi, ne comprend aucune exigence concernant la fixation à demeure des baignoires. Quoi qu'il en soit, dans l'hypothèse où le Tribunal en viendrait à des conclusions contraires, la preuve faite au cours de l'audience selon laquelle les marchandises en litige sont destinées à être installées de façon permanente n'a pas été contredite. Selon l'avocat de l'appelant, les éléments de preuve indiquent clairement que les marchandises en litige peuvent être qualifiées de matériaux de construction au sens de la rubrique de la partie I de l'annexe IV de la Loi, que leur installation se fasse lors de la construction d'origine ou lors de rénovations.

Enfin, l'avocat de l'appelant s'est arrêté sur le sens ordinaire du mot «wash» (laver). Il a mentionné la définition du Webster's New World Dictionary [4] , selon laquelle «wash» (laver) n'implique pas nécessairement l'emploi du savon.

Ne contestant pas qu'il faille donner au mot «baignoire» son sens ordinaire, l'avocat de l'intimé a par contre soutenu que les définitions offertes par les dictionnaires comportent toujours une restriction excluant les marchandises en litige. Par exemple, la définition donnée dans le Random House Webster's College Dictionary [5] précise que la baignoire constitue «a permanent fixture in the bathroom» ([traduction] un accessoire permanent dans la salle de bains). Selon lui, le sens commun du mot «baignoire» ne nous renvoie pas aux marchandises en litige. Le Petit Robert [6] précise qu'«une personne peut se baigner» dans la baignoire; or, les marchandises en litige sont employées par plusieurs personnes, car ces marchandises servent à des fins de loisirs.

Selon l'avocat de l'intimé, qui a cité le document décrivant la politique administrative du ministère du Revenu national pour les douanes et l'accise visant les bains tourbillons [7] , le critère retenu pour déterminer lorsqu'un contenant cesse d'être une baignoire est celui du vidage. Pour constituer une baignoire, le contenant doit être vidé chaque fois qu'il est utilisé. Si le contenant est assez gros pour contenir plusieurs personnes et si l'eau peut être conservée pendant une période prolongée, le produit en question n'est pas une baignoire.

Enfin, l'avocat de l'intimé a soutenu que les marchandises en litige ne constituent pas des «matériaux de construction» et que le législateur ne voulait pas inclure ces marchandises dans sa description du mot »baignoire». Contrairement à la fonction première des marchandises en litige qui en est une de relaxation, la fonction principale d'une baignoire est sanitaire et c'est la raison pour laquelle les baignoires peuvent profiter de l'exemption prévue par le législateur.

Après avoir examiné les éléments de preuve et revu les arguments, le Tribunal est d'avis que l'appel doit être admis. Tout d'abord, à l'instar des avocats des parties, le Tribunal considère que le mot «baignoire» mentionné à l'article 20 de la partie I de l'annexe IV de la Loi doit recevoir son sens ordinaire. Il y a lieu de noter le caractère large des définitions des dictionnaires. Ainsi, selon Le Petit Robert [8] , une baignoire est une «[c]uve plus ou moins allongée où une personne peut se baigner». D'autre part, le Dictionnaire de la langue française Lexis [9] précise qu'une baignoire est un «[a]ppareil sanitaire dans lequel on prend des bains»; le mot «bain» est défini comme l'«[a]ction de plonger un corps (surtout le corps humain) dans un liquide, complètement ou partiellement». Enfin, le Littré [10] définit le mot «baignoire» comme un «[v]aisseau pour prendre des bains».

Le Tribunal estime que ces définitions ne contiennent aucune restriction marquée qui pourrait amener à exclure de la définition du mot «baignoire» les marchandises fabriquées par l'appelant. Ainsi, elles n'imposent aucune limite obligatoire quant au nombre de personnes pouvant occuper simultanément une baignoire. Ce fait semble être reconnu par l'intimé puisqu'il considère, par exemple, que les modèles MC 600 et MC 700 ont droit à l'exemption dont il est ici question; or, il est clair que ces modèles peuvent recevoir plus d'une personne à la fois. En outre, rien dans ces définitions n'impose l'emploi d'agents de nettoyage. Le fait pour une personne de tremper dans une baignoire ne doit pas être dénué de certaines vertus nettoyantes; les éléments de preuve ont révélé que le filtre est destiné à capter les peaux mortes ainsi que les poils.

Selon le Tribunal, le fait que les baignoires ne soient pas vidées après chaque utilisation ne leur fait pas perdre leur caractère de «baignoire» pour autant. Le Tribunal considère que la conservation de l'eau témoigne de la sophistication grandissante de la baignoire. Comme l'a indiqué Mme Vekemans-Leurquin lors de son survol historique, la baignoire est un objet qui évolue au gré des besoins éprouvés lors de chaque époque, comme le besoin contemporain de la relaxation. D'autre part, le Tribunal est d'avis que l'emplacement des marchandises en litige à l'extérieur de la salle de bains n'influe pas sur leur caractère de «baignoire». Comme l'a mentionné Mme Vekemans-Leurquin, il arrive que, de nos jours, les baignoires soient installées dans les chambres à coucher ainsi que dans les salles de séjour ou d'exercice.

D'autre part, même si l'article 20 ne contient pas les mots «devant être installées à demeure», les baignoires en cause dans le présent appel sont fixées de façon permanente. À cet égard, les éléments de preuve ont montré, par exemple, que ces baignoires sont raccordées au collecteur et au tableau de distribution de l'habitation et qu'elles sont souvent entourées de céramique. Le Tribunal estime qu'il serait quelque peu illogique et coûteux de déplacer une baignoire une fois qu'elle a fait l'objet d'importants travaux d'installation.

Pour toutes ces raisons, le Tribunal est convaincu que les baignoires qui font l'objet du litige sont des «baignoires» au sens de l'article 20 de la partie I de l'annexe IV de la Loi.


[ Table des matières]

1. L.R.C. (1985), ch. E-15.

2. Terence Conran, New York, Crown Publishers à la p. 193.

3. Septembre à décembre 1992 à la p. 9.

4. David B. Guralnik, Second College Edition, Toronto, Nelson, Foster & Scott à la p. 1603.

5. New York, Random House, 1991 à la p. 116.

6. Montréal, Les dictionnaires ROBERT-CANADA S.C.C., 1991 à la p. 152.

7. Note de service ET/PS 289, ministère du Revenu national pour les douanes et l'accise, le 19 mars 1985.

8. Supra, note 6.

9. Paris, Librairie Larousse, 1989 à la p. 153.

10. 0. Émile Littré, Dictionnaire de la langue française, tome 1, Jean - Jacques Pauvert, 1956 à la p. 826.


Publication initiale : le 9 juillet 1997