BOIS-AISÉ DE ROBERVAL INC.

Décisions


BOIS-AISÉ DE ROBERVAL INC.
v.
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Appels nos AP-90-169 et AP-91-100

TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le vendredi 20 mars 1992

Appel n o AP-91-100

EU ÉGARD À une demande entendue le 21 janvier 1992 en vertu des articles 18 de la Loi sur le droit à l'exportation de produits de bois d'oeuvre, L.R.C. (1985), ch. 12 (3e suppl.), et 81.21 de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E-15, dans sa version modifiée;

ET EU ÉGARD À une autorisation du ministre du Revenu national datée du 26 juin 1991 permettant à l'appelant d'en appeler directement au Tribunal relativement à une demande de remboursement, à un avis de détermination et, enfin, à un avis d'opposition signifié conformément à l'article 81.17 de la Loi sur la taxe d'accise.

ENTRE

BOIS - AISÉ DE ROBERVAL INC. Appelant

ET

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL Intimé

Le Tribunal admet l'appel. Les marchandises exportées par l'appelant n'étaient pas assujetties à la Loi sur le droit à l'exportation de produits de bois d'oeuvre et, en conséquence, l'appelant a droit au remboursement des sommes d'argents payées par erreur.


Michèle Blouin ______ Michèle Blouin Membre présidant

W. Roy Hines ______ W. Roy Hines Membre

Desmond Hallissey ______ Desmond Hallissey Membre

Robert J. Martin ______ Robert J. Martin Secrétaire





Ottawa, le vendredi 20 mars 1992

Appel n o AP-90-169

EU ÉGARD À une demande entendue le 21 janvier 1992 en vertu des articles 18 de la Loi sur le droit à l'exportation de produits de bois d'oeuvre, L.R.C. (1985), ch. 12 (3e suppl.), et 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E-15, dans sa version modifiée;

ET EU ÉGARD À une dE9‚cision rendue par le ministre du Revenu national le 9 novembre 1990 relativement à un avis d'opposition signifié conformément à l'article 81.15 de la Loi sur la taxe d'accise.

ENTRE

BOIS - AISÉ DE ROBERVAL INC. Appelant

ET

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL Intimé

DÉCISION DU TRIBUNAL

L'appel est admis. À l'époque de la cotisation, les marchandises en litige n'étaient pas assujetties à la Loi sur le droit à l'exportation de produits de bois d'oeuvre.





CORRIGENDUM

L'appelant fabrique et exporte aux États-Unis des éléments de cadres de sommiers. Il s'agit de déterminer si ces marchandises constituent des produits de bois d'oeuvre au sens de l'article 4 et de la partie II de l'annexe de la Loi sur le droit à l'exportation de produits de bois d'oeuvre (la Loi).

DÉCISION : Les appels sont admis. À la suite de l'amendement du Mémorandum d'entente concernant le commerce de certains produits de bois d'oeuvre résineux, signé par les gouvernements du Canada et des États-Unis le 30 décembre 1986, la modification de la partie III de l'annexe de la Loi est venue combler un vide en incluant dans la catégorie des produits de seconde transformation «les éléments de cadres de sommiers à ressorts conformes aux dimensions spécifiées par l'acheteur». Par conséquent, il n'est pas permis de dire que les marchandises étaient couvertes par des dispositions soi-disant plus générales de la Loi, en l'occurrence celles de la partie II, avant la modification de la Loi. En outre, si le Parlement avait voulu lier l'assiette fiscale de la Loi au classement du Tariff Schedule of the United States, il l'aurait fait expressément ou aurait employé la forme impérative au paragraphe 2(3) de la Loi. Les marchandises en question n'étaient donc pas assujetties à la Loi à l'époque de la cotisation.

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario) Date de l'audience : Le 21 janvier 1992 Date de la décision : Le 20 mars 1992
Membres du Tribunal : Michèle Blouin, membre présidant W. Roy Hines, membre Desmond Hallissey, membre
Avocat pour le Tribunal : Gilles B. Legault
Greffier : Dyna Côté
Ont comparu : Claude Nadeau, pour l'appelant Rosemarie Millar, pour l'intimé Gordon B. Greenwood, pour l'intervenant Clemson Corporation, faisant affaire sous le nom de National Frame Company, au soutien de l'appelant dans l'appel n o AP-90-169





Il s'agit en l'espèce de deux appels interjetés conformément à l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise [1] relativement à une cotisation imposée en vertu des articles 4 et 7 de la Loi sur le droit à l'exportation de produits de bois d'oeuvre [2] (la Loi), ainsi qu'à une demande de remboursement.

L'appelant fabrique et exporte aux États-Unis des éléments de cadres de sommiers. Le 31 mars 1988, il a reçu un avis de cotisation pour un montant total de 659 905,17 $, incluant la taxe, les intérêts et la pénalité. La période visée par la cotisation s'étend du 8 janvier au 31 décembre 1987. Le 24 mai 1988, l'appelant s'est objecté à la cotisation, laquelle a toutefois été confirmée par le ministre du Revenu national le 9 novembre 1990. Le 18 janvier 1991, l'appelant interjetait appel de cette décision devant ce Tribunal. Par ailleurs, le 20 février 1991, l'appelant s'est également vu refuser une demande de remboursement de la taxe qu'il allègue avoir payé par erreur pendant la période de cotisation. Or, le 26 juin 1991, l'appelant obtenait de l'intimé la permission d'en appeler directement au Tribunal. Le Tribunal a donc entendu les deux appels ensemble le 21 janvier 1992.

Les questions en litige dans le premier appel consistent à déterminer si les éléments de cadres de sommiers produits par l'appelant et exportés aux États-Unis constituent des produits de bois d'oeuvre au sens de l'article 4 et de la partie II de l'annexe de la Loi et, le cas échéant, si l'appelant est assujetti au droit à l'exportation à titre d'exportateur des marchandises en litige conformément à l'article 7 de la Loi. Dans le second appel, il s'agit de déterminer si l'appelant a droit au remboursement de la taxe qu'il allègue avoir payé par erreur.

L'appelant a fait comparaître plusieurs témoins. M. Ghislain Lamontagne, président et directeur général d'une scierie, a d'abord expliqué qu'il fournissait à l'appelant du bois de petites dimensions. Du bois, a-t-il précisé, trop petit pour l'industrie de la construction et qu'il transformerait en copeaux si ce n'était des besoins de l'appelant. Puis, M. Gaston Castonguay, président de la société appelante, a indiqué que le bois acheté en lot de la scierie est d'abord transformé en lattes, pour être ensuite séché, aplani sur quatre faces et ébouté. Toutefois, la production des éléments de cadres de sommiers ne débute qu'après réception de commandes fermes exprimant les besoins spécifiques d'un client. Les éléments de cadres de sommiers peuvent être produits suivant près de 200 dimensions différentes. Ce témoin a aussi expliqué que 25 p. 100 des éléments qui entrent dans la production d'un sommier sont arrondis grâce à une machine fabriquée par l'appelant. Le bois destiné aux éléments de cadres de sommiers doit, de plus, répondre aux normes de qualité exigées par le client dont celles relatives à la présence de noeuds, de fentes ou de trous. Le taux d'humidité du bois doit également répondre aux exigences du client. Une fois la production terminée, le logo du client est apposé sur les éléments qui sont ensuite entreposés. Lors de la livraison, les éléments de cadres de sommiers sont expédiés en pièces détachées. Enfin, selon M. Robert Rosecrans, président de la National Frame Company, grossiste et principale cliente de l'appelant, la moitié de ces expéditions quitte directement l'usine de l'appelant sise à Roberval afin d'être livrée aux clients de la National Frame Company, lesquels sont essentiellement des fabricants de sommiers. L'autre moitié est livrée aux entrepôts de la National Frame Company.

Le Tribunal a également entendu le témoignage expert de M. Gilles Jeanrie, directeur du Service de contrôle de la qualité et chef inspecteur de l'Association des manufacturiers de bois de sciage du Québec, qui a témoigné pour l'appelant. Dans le cadre de son travail, M. Jeanrie fait l'inspection du bois classé en vertu des Règles de classification pour le bois d'oeuvre canadien (les Règles canadiennes). Ce témoin a d'abord indiqué que les éléments de cadres de sommiers ne pouvaient être classés en vertu de ces règles. M. Jeanrie a comparé ensuite les rubriques des Règles canadiennes avec celles des Standard Grading Rules for West Coast Lumber (les Règles américaines). Il faut savoir que l'annexe B du Mémorandum d'entente concernant le commerce de certains produits de bois d'oeuvre résineux (le Mémorandum), signé par les gouvernements du Canada et des États-Unis le 30 décembre 1986, renvoie aux Règles américaines en ce qui à trait à l'énumération de produits de seconde transformation compris dans l'entente. M. Jeanrie a mentionné qu'il ne pourrait classer les marchandises en cause comme étant des éléments de cadres de sommiers en vertu d'une quelconque rubrique des Règles canadiennes parce que cette distinction n'existe pas ou, en d'autres mots, parce que ni les rubriques des Règles américaines, ni leur équivalent canadien, ne prévoient de normes écrites pour décrire ce type de marchandises. En contre-interrogatoire, le témoin a toutefois identifié la pièce B-1, c'est-à-dire quelques échantillons des marchandises en cause, comme étant du bois d'oeuvre plané ou corroyé, ce qui, du reste, est conforme au témoignage écrit de M. Réal Rhéaume, témoin expert de l'intimé et inspecteur pour la Canadian Lumber Standards Accreditation Board (CLSAB).

Enfin, M. Louis-Philippe Dion, qui a effectué la vérification comptable aux fins de la cotisation, a témoigné pour l'intimé. M. Dion a expliqué qu'en s'appuyant sur une lettre du service d'interprétation du ministère du Revenu national, Douanes et Accise, il avait exclu de l'assiette de la taxation les éléments de cadres de sommiers lorsque ceux-ci étaient arrondis.

À l'appui de sa position voulant que le produit exporté n'est pas du bois d'oeuvre, à l'état brut, corroyé ou façonné au sens de la Loi, l'appelant prétend que les marchandises en litige sont des pièces de meubles non visées par le Mémorandum. L'avocat de l'appelant soutient, en effet, que la modification dudit Mémorandum en 1987 et le Décret n o 2 sur la modification de l'annexe de la Loi sur le droit à l'exportation de produits de bois d'oeuvre [3] qui en a résulté ont eu pour effet d'ajouter à la partie III de l'annexe de la Loi les éléments de cadres de sommiers à ressort conformes aux dimensions spécifiées par l'acheteur. Ces derniers n'étaient donc pas visés par la Loi avant la modification, laquelle n'est entrée en vigueur qu'après la période de cotisation. Il ressort donc dudit Mémorandum que, sauf pour la modification apportée le 16 décembre 1987, les parties signataires n'ont pas voulu que soit imposé un droit à l'exportation du bois d'oeuvre transformé pour usages spéciaux, comme le sont les marchandises en litige. Puisqu'un texte clair est nécessaire en matière de taxation afin d'imposer un droit, on ne peut présumer que les marchandises en litige étaient assujetties à la taxe pendant la période de cotisation et c'est à bon droit, allègue l'avocat, que l'appelant s'est objecté à la cotisation.

Pour la période antérieure à la modification apportée à la partie III de l'annexe de la Loi, l'avocate représentant l'intimé prétend que les marchandises en litige étaient régies par l'article 4 de la Loi, disposition qui renvoie à la partie II de l'annexe où sont énumérés les différents types de bois d'oeuvre assujettis à la Loi. La modification apportée à l'annexe III de la Loi n'a donc pas d'effet rétroactif et ne peut être invoquée à l'encontre du principe général d'imposition. D'autre part, elle soutient qu'en vertu du paragraphe 2(3) de la Loi, le Mémorandum peut servir à l'interprétation de l'annexe et que l'expression «produits de bois d'oeuvre résineux» au sens du Mémorandum englobe les marchandises ainsi classées aux rubriques 202.03 à 202.30 du Tariff Schedule of the United States (le Tarif américain). Or, selon elle, le Department of the Treasury - U.S. Customs Service classerait les marchandises en litige dans la rubrique 202.03, 202.09 ou 202.18, ce qui en ferait, au sens de l'annexe de la Loi, des produits de bois d'oeuvre assujettis aux droits prévus à l'article 4.

Le Tribunal est d'avis que l'absence de disposition claire à l'égard des marchandises en cause est un facteur déterminant dans cette affaire. Il convient ainsi, avec l'appelant, qu'en droit fiscal canadien il ne peut être imposée une taxe sans un texte clair. Or, il ressort du Mémorandum, et cela est aussi apparent dans la Loi, que les parties signataires ont convenu de faire une distinction entre les produits de bois d'oeuvre et ceux de seconde transformation : les premiers se voient imposer un droit à l'exportation de 15 p. 100, les autres, un droit basé sur la valeur du bois d'oeuvre entrant dans leur fabrication. La modification de la partie III de l'annexe de la Loi, consécutive à celle du Mémorandum, a fait en sorte d'inclure dans la catégorie des produits de seconde transformation «les éléments de cadres de sommiers à ressorts conformes aux dimensions spécifiées par l'acheteur». Ce libellé, comme la preuve le démontre, s'applique aux marchandises en cause. En fait, bien que ces marchandises soient constituées de bois d'oeuvre, elles ont des caractéristiques supplémentaires, telles que le degré d'humidité et les exigences de qualité, sans oublier les dimensions exigées par l'acheteur. Selon le Tribunal, ces caractéristiques en font plus que du «bois d'oeuvre, à l'état brut, corroyé ou façonné» visé par la partie II de l'annexe de la Loi et les définitions contenues E0… la partie I. Dans cette optique, la modification est venue combler un vide à la partie III et, conséquemment, il n'est pas permis de dire que les marchandises étaient couvertes antérieurement par des dispositions soi-disant plus générales de la Loi, en l'occurrence, celles de la partie II.

Quant à l'argument de l'intimé relativement au classement américain, le Tribunal constate que le paragraphe 2(3) de la Loi mentionne que l'on «peut» avoir recours au Mémorandum afin d'interpréter l'annexe de la Loi. Néanmoins, les dispositions du Mémorandum et, de là, celles du Tarif américain, ne font pas partie intégrante de la Loi. Il y a donc là une importante distinction à faire car si le Parlement avait voulu lier, sans l'ombre d'un doute, l'assiette fiscale de la Loi au classement du Tarif américain, il l'aurait fait expressément ou il aurait utilisé la forme impérative au paragraphe 2(3). Ceci dit, même s'il se disait disposé à considérer le recours au classement américain, le Tribunal est d'avis que la preuve de ce classement devait être clairement établie, et ce, bien que le fardeau de démontrer que la cotisation est mal fondée repose généralement sur l'appelant. Or, eu égard à la preuve présentée par l'intimé, à savoir, une lettre d'un agent des douanes américaines dans laquelle il n'y a aucune mention expresse des marchandises en litige, le Tribunal n'est pas convaincu que ces dernières auraient effectivement reçu le classement suggéré par l'intimé.

Pour toutes ces raisons, le Tribunal est donc d'avis que les marchandises en litige n'étaient pas assujetties à la Loi pendant la période en cause. Considérant la conclusion du Tribunal sur la première question en litige, il n'y a pas lieu de se prononcer sur la seconde. Quant à la demande de remboursement, elle doit aussi être admise étant donné que l'appelant a versé des sommes d'argent par erreur et qu'il a été tenu compte de ces sommes d'argent à titre de taxe alors que celle-ci n'existait pas.

Pour ces motifs, le Tribunal admet les appels.


[ Table des matières]

1. L.R.C. (1985), ch. E-15, dans sa version modifiée.

2. L.R.C. (1985), ch. 12 (3e suppl.), dans sa version modifiée.

3. DORS/88-158, Gazette du Canada, partie II, 1988, p. 1444.


Publication initiale : le 9 juillet 1997