MACMILLAN BLOEDEL LIMITED

Décisions


MACMILLAN BLOEDEL LIMITED
v.
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Appel no AP-91-077

TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le mercredi 29 septembre 1993

Appel n o AP-91-077

EU ÉGARD À un appel entendu le 9 décembre 1992 aux termes de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E-15;

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le ministre du Revenu national le 15 mars 1991 concernant un avis d'opposition signifié aux termes de l'article 81.17 de la Loi sur la taxe d'accise.

ENTRE

MACMILLAN BLOEDEL LIMITED Appelant

ET

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL Intimé

L'appel est admis.


Desmond Hallissey ______ Desmond Hallissey Membre présidant

Arthur B. Trudeau ______ Arthur B. Trudeau Membre

Robert C. Coates, c.r. ______ Robert C. Coates, c.r. Membre

Michel P. Granger ______ Michel P. Granger Secrétaire





L'appelant est un fabricant et un grossiste titulaire de licence qui travaille dans tous les secteurs de l'industrie forestière en Colombie - Britannique. L'exploitation forestière constitue l'une de ses activités. Cette activité comprend le bottelage des billes en estacades afin de transporter les billes sur l'eau jusqu'aux clients. Les marchandises en cause sont des chaînes d'estacade servant à relier les billes formant l'estacade (une série de billots flottants reliés les uns aux autres de manière à former une sorte d'enclos retenant les billes) laquelle est ensuite remplie de billes. Les questions en litige dans le présent appel consistent à déterminer si l'exploitation forestière de l'appelant peut être considérée comme de la «fabrication ou [de] la production» aux fins de la Loi sur la taxe d'accise et, dans l'affirmative, si les chaînes d'estacade servant à cette exploitation sont exemptées de la taxe de vente fédérale du fait qu'elles sont des appareils vendus à un fabricant ou à un producteur pour être utilisés directement dans la fabrication ou la production de marchandises, et sont, par conséquent, des marchandises mentionnées au sous - alinéa 1a)(i) de la partie XIII de l'annexe III de la Loi sur la taxe d'accise.

DÉCISION : L'appel est admis. Le Tribunal conclut que les éléments de preuve montrent que l'exploitation forestière de l'appelant peut être considérée comme de la production et que les chaînes d'estacade, qui sont des appareils vendus à un producteur, sont utilisées directement dans ce processus de production. En outre, le Tribunal est d'avis qu'il existe un lien ou un rapport suffisamment étroit entre les chaînes d'estacade et l'exploitation forestière de l'appelant et que le caractère «direct» de la relation entre les chaînes d'estacade et la production de billes vendues en estacade par l'appelant n'est pas interrompu par un intermédiaire ou un agent.

Lieu de l'audience : Vancouver (Colombie-Britannique) Date de l'audience : Le 9 décembre 1992 Date de la décision : Le 29 septembre 1993
Membres du Tribunal : Desmond Hallissey, membre présidant Arthur B. Trudeau, membre Robert C. Coates, c.r., membre
Avocat pour le Tribunal : Hugh J. Cheetham
Greffier : Nicole Pelletier
Ont comparu : Douglas C. Morley et P.J. Landry, pour l'appelant Linda J. Wall, pour l'intimé





Le présent appel est interjeté aux termes de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise [1] (la Loi) à l'égard d'une détermination du ministre du Revenu national.

L'appelant est un fabricant et un grossiste titulaire de licence travaillant dans tous les secteurs de l'industrie forestière en Colombie-Britannique. L'exploitation forestière constitue l'une des activités de l'appelant. Cette activité comprend le bottelage des billes en estacades afin de transporter les billes sur l'eau jusqu'aux clients. Les marchandises en question sont des chaînes d'estacade servant à relier les billes qui forment l'estacade (une série de billots flottants reliés les uns aux autres qui forment une sorte d'enclos pour retenir les billes) laquelle est ensuite remplie de billes. Un anneau est fixé à l'une des extrémités de ces chaînes d'acier et un crochet, à l'autre. La chaîne traverse des trous percés aux extrémités de deux billes contiguës. Le crochet est ensuite passé dans l'anneau pour fixer les deux billes ensemble. La longueur de la chaîne est comprise entre 1,5 m et 3 m.

Le 10 décembre 1987 ou aux alentours de cette date, l'appelant a déposé une demande de remboursement de la taxe de vente fédérale (TVF), y compris les intérêts et la pénalité qu'il a versés relativement à l'achat de chaînes d'estacade pendant la période allant du 1er janvier 1981 au 24 février 1984. Le montant réclamé était de 108 558,58 $. Dans un avis de détermination daté du 19 février 1988, la demande a été rejetée sur le motif que les activités consistant à former des estacades ne sont pas de la «fabrication ou [de] la production», mais font plutôt partie de l'exploitation forestière. Dans un avis d'opposition signifié le 25 mai 1988, l'appelant s'est opposé à la détermination sur le motif qu'une estacade est analogue aux autres formes de conditionnement de produits fabriqués, et est, par conséquent, admissible à une exemption de la TVF. Dans un avis de décision daté du 15 mars 1991, l'intimé a ratifié la détermination.

Les questions en litige dans le présent appel consistent à déterminer si l'exploitation forestière de l'appelant peut être considérée comme de la «fabrication ou [de] la production» aux fins de la Loi et, dans l'affirmative, si les chaînes d'estacade servant à cette exploitation sont exemptées de la TVF pour la raison qu'elles sont des appareils vendus à un fabricant ou à un producteur pour être utilisées directement dans la fabrication ou la production de marchandises, et sont, par conséquent, des marchandises mentionnées au sous-alinéa 1a)(i) de la partie XIII de l'annexe III de la Loi.

L'appelant a cité deux témoins à comparaître. Le premier d'entre eux a été M. John C.R. Allan, directeur commercial - billes pour l'appelant. M. Allan travaille pour l'appelant depuis plus de 20 ans et a exercé diverses fonctions, parmi lesquelles la supervision de différentes étapes de l'exploitation et du génie forestiers. Il a indiqué que, depuis 10 ans, il travaille dans le domaine de la commercialisation des billes, et depuis récemment, à son poste actuel. M. Allan a d'abord expliqué que les opérations forestières de l'appelant étaient organisées en divisions, puis a entrepris d'illustrer le fonctionnement de la division de l'exploitation forestière, en mettant l'accent sur les aspects de ses opérations qui ont trait à la formation des estacades de billes et à leur transport jusqu'aux utilisateurs finals qui achètent les billes en estacade. Il a décrit comment la collecte des billes et la formation d'une estacade font intervenir l'abattage des arbres, le tronçonnage en longueurs (qui peut être fait dans la forêt ou dans une zone de tri où est formée l'estacade), l'ébranchage des arbres (là encore, dans la forêt ou dans une zone de tri), le classement, l'assemblage de l'estacade à un endroit prévu dans le but de constituer une structure permanente de billes flottantes appelée poche, la mise en place des billes dans l'estacade et, enfin, l'entreposage des estacades dans un lieu prévu à cette fin en attendant leur transport jusqu'aux clients. Le témoin a souligné que le tronçonnage, l'ébranchage et le classement sont des étapes du processus où les billes acquièrent une valeur ajoutée notable.

M. Allan a déclaré qu'une estacade consiste en un certain nombre de billes longues (appelées billes pour estacades) percées de trous à chaque extrémité. Ces billes sont reliées l'une à l'autre au moyen des chaînes en question, qui permettent à l'estacade de garder sa forme pendant le transport des billes. M. Allan a poursuivi en déclarant que, après qu'une estacade est formée et «terminée», c'est-à-dire remplie de billes, elle est généralement tirée par un remorqueur jusqu'à une zone d'entreposage, habituellement proche de l'endroit où elle a été formée, où elle est conservée en attendant d'être transportée jusqu'aux clients. M. Allan a confirmé que les billes (le produit des opérations forestières) sont ordinairement vendues en estacade. Il a déclaré que les chaînes d'estacade ne sont normalement pas vendues aux clients, mais généralement rendues par ceux-ci après la livraison d'une estacade.

En réponse à des questions du Tribunal, M. Allan a affirmé que les billes sont triées par classes et espèces en vue de marchés finals déterminés. Il a également convenu que ce que l'appelant fait lorsqu'il termine une estacade est semblable au conditionnement d'un produit fini dans une caisse. M. Allan a ajouté qu'il ne connaît pas d'autre manière de «conditionner» les billes.

Le second témoin de l'appelant a été M. Albert Rossander, directeur des Taxes de consommation chez l'appelant. M. Rossander a déclaré qu'il travaille pour le service fiscal de l'appelant depuis le début des années 80. Il a indiqué que l'appelant et ses concurrents achètent les chaînes d'estacade aux mêmes deux fabricants depuis de nombreuses années. Il a également traité de diverses modifications apportées à la Loi pendant les années 80 et de l'effet de ces modifications sur la façon dont l'appelant traite les marchandises en question aux fins de la taxe.

Les avocats de l'appelant ont d'abord rappelé au Tribunal que la période en cause dans le présent appel était antérieure aux modifications apportées à la Loi en 1985 [2] , modifications qui ont introduit les mots «principalement et» à l'alinéa 1a) de la partie XIII de l'annexe III de la Loi. Les avocats ont ensuite énuméré les trois éléments de la version de l'alinéa 1a) en vigueur lors de la période considérée qui, ont-ils déclaré, doivent être prouvés par l'appelant. Ces éléments sont les suivants : i) les marchandises sont des machines ou des appareils; ii) elles sont vendues à un fabricant ou à un producteur; et iii) le fabricant ou le producteur utilise les marchandises directement dans la fabrication ou la production de marchandises.

Pour ce qui est du premier élément, les avocats de l'appelant se sont reportés à différentes définitions de dictionnaire du mot «appareil», selon lesquelles ce terme désigne de l'équipement, des matériaux et des machines ou une série ou un ensemble de ces articles, conçus pour une utilisation particulière. Ils ont émis l'hypothèse que la chaîne d'estacade, qui consiste en trois parties séparées et sert à relier deux billes d'estacade, correspond entièrement à ces définitions.

Se penchant sur la question consistant à déterminer si les chaînes d'estacade ont été vendues à un fabricant ou à un producteur, les avocats de l'appelant ont fait valoir que le témoignage de M. Rossander avait établi que les marchandises en cause ont été «vendues». Pour ce qui est de la question consistant à déterminer si l'appelant était un fabricant ou un producteur, les avocats ont plaidé que le processus d'exploitation forestière représente la fabrication ou la production d'un produit, en l'occurrence, une bille. Pour étayer cette proposition, les avocats ont déclaré que l'abattage et le tronçonnage des arbres, lesquels ne sont pas des marchandises, et l'ébranchage ultérieur dans la zone de tri, confèrent aux arbres de nouvelles formes, propriétés et qualités, selon ce qui est entendu du concept de fabrication décrit dans la décision de la Cour suprême du Canada dans la cause The Queen v. York Marble, Tile and Terrazzo Limited [3] . Les avocats ont ajouté que l'utilisation des ressources naturelles est généralement considérée comme une production d'une ressource naturelle et qu'elle correspond à la définition de «production» donnée dans la décision Gruen Watch Company of Canada Ltd. et al. v. The Attorney General of Canada [4] , dans laquelle il avait été conclu qu'un produit peut être produit même s'il n'est pas fabriqué, c'est-à-dire que la production est un concept plus vaste.

Enfin, les avocats de l'appelant se sont penchés sur la question de déterminer si les chaînes d'estacade étaient utilisées directement dans la fabrication ou la production de marchandises. Les avocats se sont fondés sur deux causes pour étayer leur thèse selon laquelle les chaînes d'estacade étaient utilisées directement dans la fabrication ou la production d'estacades de billes. La première cause a été la décision de la Cour d'appel fédérale dans Le sous - ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise c. Amoco Canada Petroleum Company Ltd. [5] Les avocats ont plaidé que Amoco Canada pose deux conditions pour qu'il y ait utilisation directe : i) le produit en question doit être essentiel au processus de production/fabrication, et ii) il ne doit pas y avoir, si le produit en cause n'exécute pas lui-même une activité de production/fabrication, d'«intermédiaire» dans le processus de production. Les avocats ont discuté des faits pertinents en l'espèce à la lumière de ces conditions, en se fondant principalement sur la seconde cause invoquée, Coca - Cola Ltd. c. Le sous - ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise [6] . Les avocats ont présenté Coca - Cola comme étant identique à la présente cause, si ce n'est que dans cette dernière, «la bouteille est plus grande».

Pour ce qui est de la première condition, les avocats de l'appelant ont plaidé que la production comporte toutes les activités depuis la réception des composants, c'est-à-dire du bois d'oeuvre, jusqu'à l'entreposage du produit fini, c'est-à-dire l'estacade de billes. Les avocats ont déclaré que la production devrait être considérée comme une activité plus vaste que les actes déterminés conférant à un article de nouvelles formes, propriétés ou qualités, qu'elle consiste en l'ensemble du processus, et qu'en l'espèce, enlever l'estacade de la zone où celle-ci a été formée constitue la dernière étape de l'exploitation forestière. Les avocats ont fait valoir que cette conception est compatible avec Coca - Cola, cause dans laquelle il a été conclu que les conteneurs moulés, dans lesquels les bouteilles de Coca-Cola sont placées dans la chaîne de conditionnement et qui servent ensuite au transport des bouteilles jusqu'aux zones d'entreposage avant leur transport jusqu'aux points de vente, étaient exemptés de la taxe de vente. À l'appui de cette thèse, les avocats ont cité le passage suivant de cette décision :

Dans une telle opération, les moyens d'enlever le produit de la chaîne de production sont aussi essentiels que les autres parties des machines ou appareils employés directement dans la fabrication ou la production du produit et sont, comme les autres parties, employés directement dans ce processus. En l'espèce, les caisses et les paniers en cause entrent dans la définition d'«appareils» et sont utilisés dans le processus de production à un moment où les opérations de distribution et d'entreposage n'ont pas encore débuté. Le fait que les caisses et les paniers soient employés par la suite durant les étapes d'entreposage et de distribution n'est pas pertinent en l'espèce [7] .

Les avocats de l'appelant ont déclaré que, de même que les gens achètent du Coca-Cola en bouteille, l'appelant vend des billes en estacade, et les chaînes d'estacade font partie de l'estacade qui est utilisée pour enlever les billes de la zone de production, si bien qu'elles fournissent un service identique à celui des conteneurs de Coca-Cola. Ils ont également fait valoir que cette interprétation est conforme à Amoco Canada, cause dans laquelle il a été conclu que l'on ne peut considérer que le processus de production s'arrête à des points artificiels ou arbitraires.

Les avocats de l'appelant ont indiqué que, même si le fait d'enlever les billes de la zone de formation de l'estacade n'était pas considéré comme faisant partie de la production, la cause Coca - Cola fonde la proposition selon laquelle l'exemption de la taxe de vente peut s'appliquer aux appareils qui n'exécutent pas eux-mêmes l'activité de production s'ils sont utilisés dans le processus de production avant le moment où commence la fonction de distribution et d'entreposage. À cet égard, ils ont cité la dernière phrase de la citation susmentionnée.

Se penchant sur la deuxième condition posée par Amoco Canada, les avocats de l'appelant ont plaidé qu'il y aurait présence d'un intermédiaire si, par exemple, l'estacade transportait un produit essentiel au processus de production. Cependant, ils ont soutenu que, comme l'estacade est utilisée pour transporter les billes elles-mêmes, il n'y a pas d'intermédiaire. Les avocats ont établi une distinction entre Amoco Canada et la décision rendue par le Tribunal dans Esso Resources Canada Limited c. Le ministre du Revenu national [8] , en faisant observer que le pipeline en cause dans Esso Resources était utilisé pour transporter du combustible destiné à la fabrication de vapeur, laquelle servait ensuite à l'extraction du pétrole, alors que le pipeline dans Amoco Canada était utilisé pour transporter du gaz naturel brut jusqu'à une usine de fractionnement où ce gaz était transformé en ses parties composantes.

L'avocate de l'intimé a d'abord fait remarquer que, dans Esso Resources, le Tribunal avait approuvé le critère établi par Amoco Canada et avait ensuite interprété celui-ci dans le cadre déterminé des faits pertinents en l'espèce. Elle a soutenu que la loi avait clairement changé depuis Coca - Cola et que, par conséquent, la cause devait être lue avec précaution. L'avocate a indiqué également que, dans Coca - Cola, les caisses et les transporteurs jouaient des rôles différents dans le processus de production et étaient apparemment une partie active de la chaîne de montage elle-même. Il est facile de constater la différence, a-t-elle fait valoir, entre ceci et le rôle passif d'entreposage ou d'endiguement joué par les estacades.

Pour ce qui est des modifications apportées à la Loi en 1985, l'avocate a plaidé que l'inclusion des chaînes d'estacade dans l'alinéa 1h) de la partie XIII de l'annexe III de la Loi indique que, premièrement, comme les chaînes n'étaient pas incluses avant les modifications, les contribuables ne pouvaient bénéficier de l'exemption de la TVF avant ce moment, et, deuxièmement, que les modifications sont une indication du fait que le législateur ne considérait pas l'exploitation forestière comme une forme de fabrication ou de production de marchandises, parce que, si tel avait été le cas, la création d'un alinéa précis pour l'exploitation forestière dans l'article 1 n'aurait pas été nécessaire.

L'avocate de l'intimé a soutenu que, même si le Tribunal conclut que l'appelant fabrique ou produit des billes, les éléments de preuve montrent que les chaînes d'estacade ne sont pas utilisées dans ce processus. À l'appui de cette allégation, l'avocate a prétendu que le témoignage de M. Allan devait être interprété comme montrant que la production se termine dans la zone de tri qui se trouve en terre sèche, avant que les billes ne soient mises à l'eau et qu'un produit de consommation commercialisable a été produit avant ce moment. De plus, l'avocate a déclaré que le rôle des estacades devrait être considéré comme consistant à transporter les billes à un autre emplacement après que le processus de production a pris fin. Pour ce qui est de la question du conditionnement, l'avocate a plaidé que, si conditionnement il y avait, il consistait en l'emballage de billes à un certain moment après que le processus de production a pris fin.

En réponse, les avocats de l'appelant ont soutenu que les modifications à la Loi se sont produites après la période en cause et que, par conséquent, elles sont sans objet pour le Tribunal. Ils ont également déclaré que la cause Coca - Cola était toujours valable en droit relativement à la période antérieure aux modifications en question, puisqu'elle n'avait été sapée par aucune des décisions ultérieures de la Cour d'appel fédérale. Quant à la question de la nature exacte de ce que vend l'appelant, les avocats ont déclaré que les clients de l'appelant veulent des billes livrées dans un conteneur, c'est-à-dire une estacade. Quant aux allégations de l'avocate de l'intimé en ce qui a trait aux implications de l'alinéa 1h) de la partie XIII de l'annexe III de la Loi, les avocats de l'appelant ont soutenu que, si l'exploitation forestière n'avait pas été incluse dans la fabrication et dans la production, il y aurait eu de la jurisprudence sur ce point et que, si les opérations minières sont prises comme un exemple de production, ce qui, à leur avis, ne saurait être contesté, on constate que le fait que certains équipements utilisés dans ce type d'opérations soient explicitement mentionnés à l'alinéa 1e) de la partie XIII de l'annexe III de la Loi ne signifie pas que l'exemption pour les opérations minières est limitée aux marchandises mentionnées dans cet alinéa. Les avocats ont soutenu que l'intention réelle du législateur, lors de la rédaction de l'alinéa 1h), était de maintenir l'exemption pour les chaînes d'estacade après l'inclusion des mots «principalement et» dans l'alinéa 1a), qui aurait eu pour effet d'exclure les chaînes d'estacade de cet alinéa. Enfin, pour ce qui est de l'argument selon lequel la production des billes se termine avant la mise à l'eau, les avocats ont fait valoir, en se fondant sur Coca - Cola, qu'elle ne finit pas à cet endroit, mais plutôt au moment où le tri des billes à l'estacade est terminé.

Le Tribunal conclut que les chaînes d'estacade sont admissibles à l'exemption de la TVF à titre d'appareils vendus à un producteur (l'appelant) pour être utilisés par ce dernier directement dans la fabrication ou la production de marchandises au sens du sous-alinéa 1a)(i) de la partie XIII de l'annexe III de la Loi.

Avant de conclure en ce sens, le Tribunal a dû répondre à deux questions : premièrement, l'exploitation forestière de l'appelant peut-elle être caractérisée comme étant de la «fabrication ou [de] la production» aux fins de la Loi? Et deuxièmement, dans l'affirmative, les chaînes d'estacade sont-elles des appareils utilisés directement dans cette «fabrication ou [...] production»?

Pour ce qui est de la première question, le Tribunal conclut que les opérations en cause correspondent clairement au sens général du terme «production» exposé dans Gruen Watch. Il est certain que, en abattant, tronçonnant et ébranchant les arbres, puis en classant les billes ainsi produites et en les plaçant dans une estacade en vue de leur transport ultérieur jusqu'aux clients, l'appelant s'engage dans un processus dont il peut être dit, à tout le moins, qu'il confère de nouvelles formes aux marchandises qui sont ensuite mises sur le commerce.

Le Tribunal conclut que les marchandises en question que l'appelant achète correspondent au sens clair des définitions du mot «appareil» offertes par l'appelant. Le Tribunal se penche donc ensuite sur la question consistant à déterminer si les chaînes d'estacade sont utilisées «directement» dans l'exploitation forestière de l'appelant. En donnant son sens au mot «directement» dans le contexte des faits dans la présente cause, le Tribunal se fonde sur Amoco Canada et Coca - Cola. Le Tribunal fait remarquer que, dans la décision qu'il a récemment rendue dans la cause BHP - Utah Mines Ltd. c. Le ministre du Revenu national [9] , il a cité Amoco Canada à l'appui de la proposition selon laquelle le mot «directement» ne doit pas être interprété de façon restrictive et qu'il faut le comprendre en tenant compte des faits propres à chaque cause.

Dans Amoco Canada, la Cour d'appel fédérale a conclu que le mot «directement» signifie qu'il n'y a aucun «intermédiaire» ou agent. Le Tribunal est convaincu que, pour la présente cause, les chaînes d'estacade jouent un rôle direct dans la production de billes vendues en estacade. Le Tribunal est également convaincu, compte tenu de la lecture faite par la Cour d'appel fédérale du mot «production» dans Coca - Cola, que, dans la présente cause, la production ne prend pas fin lorsque le tri des billes est terminé, mais plutôt lorsque les billes, après avoir été «conditionnées» dans l'estacade, sont transportées à la zone d'entreposage. En outre, le Tribunal conclut que les chaînes d'estacade sont essentielles à la formation d'une estacade puisqu'elles constituent en fait la «colle» qui empêche celle-ci de se défaire. Par conséquent, les chaînes d'estacade répondent au critère établi dans Amoco Canada.

Le Tribunal est également d'avis que le rôle joué par les marchandises en cause dans la production, par l'appelant, des billes vendues en estacade répond au critère utilisé par le Tribunal dans Esso Resources. Dans cette dernière cause, le Tribunal avait conclu que le critère énoncé dans Amoco Canada n'était pas utile à l'appréciation de la situation factuelle pertinente en l'espèce (laquelle avait trait à des pipelines transportant du gaz naturel servant à la production de vapeur qui, à son tour, était utilisée pour faciliter la récupération du pétrole lourd). Le Tribunal avait déclaré que, en les circonstances de ladite cause, le mot «directement» signifiait qu'il devait y avoir un «rapport ou lien étroit» entre les marchandises faisant l'objet de la demande d'exemption de la TVF et le processus de production. Le Tribunal avait conclu que les pipelines et l'équipement connexe en cause ne transportaient pas la matière brute d'où était tiré le bitume (pétrole lourd), et ne transportaient pas non plus une matière qui, par l'introduction dans le bitume, devait franchir une autre étape vers la production d'un produit fini, et que, par conséquent, le pipeline n'avait pas de lien ni de rapport suffisamment étroit avec le processus de production pour être admissible à l'exemption. Dans le cas présent, les éléments de preuve ont montré que les chaînes d'estacade étaient utilisées pour former l'estacade dans laquelle les billes sont déplacées de la zone de production jusqu'à la zone d'entreposage et, comme M. Allan l'a déclaré, il ne semble y avoir d'autre moyen de conditionner les billes à cette fin et de les transporter ensuite jusqu'aux clients. En conséquence, le Tribunal estime qu'il y a un lien ou un rapport étroit entre les chaînes d'estacade et la production de billes vendues en estacade.

En ce qui a trait aux modifications de 1985 à la Loi, qui ajoutaient les mots «principalement et» à l'alinéa 1a) de la partie XIII de l'annexe III [10] , le Tribunal remarque que l'inclusion aurait dû être en vigueur à partir du 16 février 1984 [11] . La période visée par la demande de remboursement de l'appelant se termine le 24 février 1984. Par conséquent, l'appelant n'a pas droit au remboursement pour toute taxe payée entre les 16 et 24 février 1984. Il relève du Ministre de décider si des taxes ont été payées pendant cette période.

En conséquence, l'appel est admis, et l'affaire est renvoyée au Ministre pour que le remboursement auquel l'appelant a droit puisse être calculé de la façon susmentionnée.


[ Table des matières]

1. L.R.C. (1985), ch. E - 15.

2. Loi modifiant la Loi sur la taxe d'accise et la Loi sur l'accise, L.R.C. (1985), ch. 15 (1er suppl.), sanctionné le 26 février 1985.

3. [1968] R.C.S. 140.

4. (1950) 4 D.L.R. 156.

5. Non publié, Cour d'appel fédérale, no du greffe A-1845-83, le 3 décembre 1985.

6. [1984] 1 C.F. 447.

7. Ibid. à la p. 457.

8. Appel no 2984, le 4 décembre 1989.

9. Appel no AP - 91 - 47, le 19 mars 1993.

10. Supra, note 2, par. 45(1) et art. 57.

11. Ibid., art. 57.


Publication initiale : le 25 juin 1997