MIL DAVIE INC.

Décisions


MIL DAVIE INC.
v.
LE SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Appel no AP-91-006

TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le jeudi 19 novembre 1992

Appel n o AP-91-006

EU ÉGARD À un appel entendu le 22 juillet 1992 en vertu de l'article 67 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.), dans sa version modifiée;

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise le 19 février 1991 concernant une demande de réexamen en vertu de l'article 63 de la Loi sur les douanes.

ENTRE

MIL DAVIE INC. Appelant

ET

LE SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONAL

POUR LES DOUANES ET L'ACCISE Intimé

L'appel est rejeté.


Michèle Blouin ______ Michèle Blouin Membre présidant

Kathleen E. Macmillan ______ Kathleen E. Macmillan Membre

Desmond Hallissey ______ Desmond Hallissey Membre

Michel P. Granger ______ Michel P. Granger Secrétaire





Le présent litige porte sur la question de savoir si le système d'évacuation de passagers importé du Danemark par l'appelant pour équiper un traversier est admissible aux dispositions statutaires prévoyant des concessions du code 2351 ou 2360 de l'annexe II du Tarif des douanes.

DÉCISION : L'appel est rejeté.


Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario) Date de l'audience : Le 22 juillet 1992 Date de la décision : Le 19 novembre 1992
Membres du Tribunal : Michèle Blouin, membre présidant Kathleen E. Macmillan, membre Desmond Hallissey, membre
Avocat pour le Tribunal : Robert Desjardins
Greffier : Dyna Côté
Ont comparu : Gilles Desjardins et Zave Kaufman, pour l'appelant Rosemarie Millar et Stéphane Lilkoff, pour l'intimé





Il s'agit d'un appel interjeté en vertu de l'article 67 de la Loi sur les douanes [1] (la Loi) à la suite d'une décision rendue par le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise le 19 février 1991 en vertu du paragraphe 63(3) de la Loi.

Le présent litige porte sur la question de savoir si le système d'évacuation de passagers (marine evacuation system) (le MES), importé du Danemark en 1989 par l'appelant pour équiper le traversier «M/V Joseph & Clara Smallwood», est admissible aux dispositions statutaires prévoyant des concessions du code 2351 ou 2360 de l'annexe II du Tarif des douanes [2] . L'appelant et l'intimé reconnaissent que le classement du MES dans le numéro tarifaire 8907.10.00., en tant que «Radeaux gonflables», est exact.

M. David Christopher a témoigné pour le compte de la société appelante où il est le directeur des opérations, contrôle de la qualité et essais. À l'aide d'enregistrements en vidéo déposés en preuve lors de l'audience, ce témoin a expliqué le mode de fonctionnement du MES. M. Christopher a ensuite décrit les composantes essentielles du MES, à savoir un ensemble de rangement abritant les bonbonnes d'azote gazeux, les cylindres, une rampe gonflable ainsi qu'un radeau plate-forme de réception gonflable. Selon le témoin, cet ensemble, qui est encastré à six endroits sur le navire construit par l'appelant, pèse environ 3 350 kg, l'acier représentant 2 500 kg. Ce système comprend également des radeaux de sauvetage gonflables se trouvant sur des rampes de lancement à l'extérieur de l'ensemble de rangement. Ces rampes sont entièrement faites de métal. Le témoin a aussi fait remarquer que chaque radeau comporte des composantes en métal (p. ex. une antenne radar) qui représentent environ 35 kg du poids total de 255 kg. En outre, M. Christopher a affirmé n'avoir aucune raison de douter de la véracité des documents déposés en preuve et fournis par le fabricant du MES indiquant que les composantes en métal interviennent pour 56 p. 100 du poids total du MES. Enfin, ce témoin a affirmé qu'il n'existe aucun fabricant canadien de système de ce genre et que le MES a été importé au Canada par l'appelant afin de satisfaire aux plus récentes normes de sécurité régissant les traversiers.

Le témoin principal de l'intimé a été M. James Brock dont l'expertise n'a pas été contestée par l'avocat de l'appelant. M. Brock travaille pour la Garde côtière canadienne à titre d'expert maritime principal - opérations et sécurité des navires. Ce témoin a visité à deux reprises les installations du fabricant du MES au Danemark, et ce dans le cadre de la certification du système. Il a affirmé que l'ensemble de rangement qui contient la rampe et les bonbonnes de gaz pouvait être constitué d'un autre matériau que le métal, comme la fibre de verre. En outre, il a expliqué que les cylindres en métal sont fixés à chacun des radeaux. Enfin, lors du contre-interrogatoire, M. Brock a indiqué que le MES, au moment où il a été importé par l'appelant, était une marchandise qui n'était pas fabriquée au Canada.

L'introduction du code 2360 comporte les mots «Ce qui suit, en métaux communs, des Sections XV, XVI, XVII [...] devant servir à la construction ou à l'équipement des navires, des bateaux». Lors des plaidoiries, M. Desjardins, le représentant de l'appelant, a soutenu que les conditions d'admission aux dispositions statutaires prévoyant des concessions de ce code étaient satisfaites dans le cas présent. À cet égard, il a mentionné que le MES a une teneur en métal de 56 p. 100, qu'il est classé dans la Section XVII et qu'il est utilisé pour la construction d'un navire. En outre, s'appuyant sur le témoignage de M. Christopher, il a fait remarquer que le MES, conformément au code 2360, était l'un des «Autres produits, d'une classe ou d'une espèce non fabriquée au Canada».

Lors de son argumentation concernant le code 2351, dont le libellé est «Ce qui suit, importé spécialement par des sociétés pour le sauvetage de vies [...] Radeaux de sauvetage du no tarifaire 8907.10.00», le représentant de l'appelant a d'abord fait état d'une politique administrative énoncée dans le Mémorandum D10-8-15 (le Mémorandum) qui traite du numéro tarifaire 44006-1, remplacé par le code 2351. Ce Mémorandum inédit du ministère du Revenu national, Douanes et Accise (Revenu Canada) précise que les avantages conférés par ce numéro tarifaire «ne visent que les sociétés qui sont constituées afin de participer aux opérations de sauvetage de vies humaines». Ainsi, les particuliers, les établissements commerciaux, de même que les forces policières ne pourraient pas importer les appareils de sauvetage à la faveur dudit numéro tarifaire. Selon M. Desjardins, le long délai de publication de ce document (10 ans) indiquerait un manque de volonté de la part de Revenu Canada pour ce qui est de clarifier sa position. Le représentant de l'appelant a ensuite invoqué une note au dossier portant le nom d'un gestionnaire de Revenu Canada pour faire ressortir le fait que Revenu Canada était au courant de l'ambiguïté du libellé du code 2351. M. Desjardins s'est ensuite reporté au Précis de grammaire française [3] de Maurice Grévisse et à certains autres documents comme le dictionnaire Oxford English Dictionary [4] pour analyser le libellé. Il s'est arrêté notamment sur les prépositions «par» et «pour» et le mot «société». À ce dernier égard, il s'est opposé à l'interprétation donnée par l'intimé au mot «société», laquelle se limiterait à un groupe de personnes réunies pour une activité commune. Selon le représentant de l'appelant, accepter cette interprétation aussi restrictive équivaudrait à annuler le code 2351, «car personne d'autre qu'un chantier maritime ne peut l'utiliser».

Les avocats de l'intimé ont prétendu que le code 2360 n'est pas applicable dans le présent cas. Selon eux, la notion de «métaux communs» est une notion juridique et non, comme le prétend l'appelant, une notion de sens commun. Le critère qui doit être utilisé pour déterminer cette notion est le critère du caractère essentiel. Il faut établir ce caractère essentiel en procédant à un jugement de valeur, à une appréciation générale de l'objet à classer, laquelle appréciation se fait en vertu de plusieurs éléments. À cet égard, il n'est pas suffisant de considérer seulement le poids de la marchandise. Selon les avocats de l'intimé, lorsque se pose la question de l'applicabilité du code 2360, il faut considérer l'objet déjà classé en vertu de l'annexe I. En l'instance, il s'agit de «Radeaux gonflables». Il faut alors procéder à une analyse en vertu du critère du caractère essentiel. Or, le principal matériau constitutif des radeaux gonflables est le caoutchouc revêtu de nylon. C'est ce même matériau qui est gonflé pour assurer la flottaison des radeaux. Ce matériau assure, entre autres, l'utilité réelle des radeaux. L'autre argument invoqué par les avocats de l'intimé pour réfuter l'application du code 2360 repose sur la règle ejusdem generis. En effet, les objets que l'on désire inclure dans l'expression «autres produits» doivent être du même genre que ceux énumérés au code 2360. Or, selon eux, le MES ne peut pas faire partie de ces «autres produits».

En ce qui a trait au code 2351, les avocats de l'intimé ont prétendu que le sens commun du mot «society» en anglais n'est pas «companies» ni «corporations», mais plutôt société à but non lucratif. Cela dit, en l'absence d'une définition du mot «société» dans ledit code, ils ont précisé qu'il faut alors procéder à une recherche de l'intention du législateur. À cet égard, l'annexe II doit être considérée comme une intention d'accorder des concessions dans certains cas particuliers à certains importateurs pour certaines marchandises précises. Les avocats de l'intimé ont ensuite cité l'arrêt Nowegijick c. La Reine [5] dans lequel le juge Dickson a affirmé que les politiques et interprétations administratives peuvent être un important facteur en cas de doute sur le sens d'une législation. Ils ont ensuite fait valoir la politique administrative susmentionnée. Bien qu'inédite, elle demeure applicable et peut être utilisée par le Tribunal pour interpréter les dispositions du code 2351. En outre, le but sous-jacent de cette politique est d'aider les sociétés à but non lucratif qui ont comme objectif l'importation de radeaux de sauvetage pour sauver des vies humaines. Puisque l'appelant n'est pas une société à but non lucratif, il ne peut pas bénéficier des dispositions statutaires prévoyant des concessions du code 2351.

Après avoir étudié la preuve et considéré les arguments, le Tribunal est d'avis que l'appel doit être rejeté. En premier lieu, le Tribunal souscrit à l'argumentation présentée par l'intimé au sujet du code 2360. À cet égard, il paraît utile de réitérer que l'application de la règle ejusdem generis dans l'interprétation de cette disposition exclut du champ de ce code le MES importé par l'appelant.

Quant au code 2351, le Tribunal, à l'instar de l'appelant, estime que l'utilisation du Mémorandum ne peut pas guider le Tribunal dans le présent cas, car ce document est étranger au code 2351. En effet, ce Mémorandum s'applique strictement à l'ancien numéro tarifaire 44006-1. Cela dit, le Tribunal estime qu'il est nécessaire de déterminer le sens du mot «société». Pour ce faire, il faut donc chercher à établir l'intention du législateur. Louis-Philippe Pigeon, dans son court ouvrage intitulé Rédaction et interprétation des lois [6] , fait état des règles générales à suivre. La première de ces règles est l'interdépendance des dispositions législatives. En un mot, il est nécessaire de tenir compte de l'ensemble de la législation lors de l'interprétation d'une disposition particulière. Il faut savoir que chaque disposition s'interprète en regard des autres dispositions. Comme l'a souligné Elmer A. Driedger dans Construction of Statutes [7] , «What the words say, either expressly or by necessary implication, is the intention of Parliament. That intention, therefore, is to be found in the words» ([traduction] Ce que les mots signifient, soit expressément ou implicitement, est l'intention du législateur. Par conséquent, cette intention doit se retrouver dans les mots). C'est avec ces principes à l'esprit qu'il faut examiner le Tarif des douanes. Plus particulièrement, il faut se pencher sur les mots utilisés dans la rédaction des différents codes de l'annexe II, puisque c'est dans les mots qu'il sera possible de retrouver l'intention du législateur.

Par exemple, le code 2338 emploie le mot «compagnie» dans sa version française et le mot «company» dans sa version anglaise. Par ailleurs, une partie du texte relatif au code 2345 se lit comme suit : «Ce qui suit devant être utilisés avec des tombereaux automoteurs». Il faut noter dans ce cas que le texte ne mentionne pas «importés par des compagnies ou spécialement importés par des sociétés». Aucune mention n'étant faite, ce dernier code s'applique à tout importateur et non seulement aux compagnies ou aux sociétés. Dans le cas du code 2351, on peut s'interroger sur les motifs du législateur quant à l'ajout des mots «importé spécialement par des sociétés pour le sauvetage de vies». Si le législateur avait voulu inclure les compagnies, comme c'est le cas pour le code 2338, il l'aurait indiqué explicitement. De plus, si le législateur avait voulu accorder une concession tarifaire à tous les importateurs de radeaux de sauvetage pour le sauvetage de vies, il n'aurait pas utilisé les mots «société» et «society» dans le texte du code 2351. Si telle avait été son intention, le législateur aurait rédigé ce code différemment. Il aurait ainsi écrit «Ce qui suit, importé pour le sauvetage des vies». Un tel libellé aurait permis à tous les importateurs, quels qu'ils soient, de bénéficier de cette concession tarifaire.

Le Tribunal est d'avis que l'admission au code 2351 est limitée aux sociétés particulièrement constituées pour le sauvetage de vies. Il est possible que ce code ne soit pas appliqué souvent, mais il s'agit là d'une considération dont n'a pas à tenir compte le Tribunal. Ainsi, cette admission ne saurait être obtenue, par exemple, par des entités corporatives commerciales. Sur la foi de la preuve présente au dossier, il n'existe aucun doute que l'appelant constitue une telle entité, dont les activités englobent la construction de navires à des fins lucratives. L'appelant ne peut donc pas bénéficier des dispositions statutaires prévoyant des concessions du code 2351.

Pour tous ces motifs, l'appel est rejeté.


[ Table des matières]

1. L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.), dans sa version modifiée.

2. L.R.C. (1985), ch. 41 (3e suppl.).

3. M. Grévisse, Montréal, Éditions du Renouveau Pédagogique Inc., 1987.

4. Volume XV, deuxième édition, Oxford, Clarendon Press, 1989.

5. [1983] 1 R.C.S. 29.

6. L.-P. Pigeon, Québec, Les Publications du Québec, 1986.

7. E.A. Driedger, deuxième édition, Toronto, Butterworths, 1983, à la p. 131.


Publication initiale : le 20 juin 1997