NABISCO BRANDS LTÉE

Décisions


NABISCO BRANDS LTÉE
v.
LE SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONAL POUR LES DOUANES ET L'ACCISE
Appel no AP-91-133

TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le jeudi 28 octobre 1993

Appel n o AP-91-133

EU ÉGARD À un appel entendu le 30 avril 1993 aux termes de l'article 67 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.);

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise le 28 mai 1991 concernant une demande de réexamen déposée aux termes de l'article 63 de la Loi sur les douanes.

ENTRE

NABISCO BRANDS LTÉE Appelant

ET

LE SOUS - MINISTRE DU REVENU NATIONAL Intimé

POUR LES DOUANES ET L'ACCISE

L'appel est admis.


W. Roy Hines ______ W. Roy Hines Membre présidant

Robert C. Coates, c.r. ______ Robert C. Coates, c.r. Membre

Lise Bergeron ______ Lise Bergeron Membre

Michel P. Granger ______ Michel P. Granger Secrétaire





Le présent appel a pour objet de déterminer si le mélange de fruits décrit comme étant la salade de fruits tropicaux Del Monte est correctement classé dans le numéro tarifaire 2008.92.10 du Tarif des douanes, étant donné qu'il contient de l'ananas, un fruit qui ne figure pas dans la nomenclature de ce numéro tarifaire. Le sous - ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise a soutenu que cette liste était exhaustive et que, puisque les marchandises importées contenaient de l'ananas, elles ne pouvaient être classées dans ce numéro. L'appelant a soutenu que le numéro tarifaire vise les mélanges de fruits qui comprennent au moins deux des fruits nommément indiqués au numéro tarifaire.

DÉCISION : L'appel est admis. Le Tribunal renvoie à la nomenclature française pour appuyer sa conclusion selon laquelle le numéro tarifaire 2008.92.10 ne renferme pas une liste exhaustive des fruits qui composent les mélanges classés dans ce numéro. Pour appuyer cette conclusion, le Tribunal fait remarquer que les mélanges d'agrumes sont classés dans un numéro de classement figurant à ce numéro tarifaire. Puisque les agrumes ne sont pas énumérés dans le numéro tarifaire, mais qu'ils semblent y être classés, il pourrait en être de même pour d'autres fruits qui n'y sont pas classés.

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario) Date de l'audience : Le 30 avril 1993 Date de la décision : Le 28 octobre 1993
Membres du Tribunal : W. Roy Hines, membre présidant Robert C. Coates, c.r., membre Lise Bergeron, membre
Avocat pour le Tribunal : David M. Attwater
Greffier : Janet Rumball
Ont comparu : Shane Brown, pour l'appelant Gilles Villeneuve, pour l'intimé





Le présent appel est interjeté aux termes de l'article 67 de la Loi sur les douanes [1] (la Loi) à l'égard d'une décision rendue par le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise (le Sous-ministre) conformément au paragraphe 63(3) de la Loi.

La marchandise en question est la salade de fruits tropicaux Del Monte conditionnée dans des boîtes de conserve de 14 oz (398 mL) et composée d'ananas, de papaye, de bananes, de purée de goyave, de jus d'ananas, de jus de fruit de la passiflore, d'acide citrique, d'acide ascorbique et d'arômes naturels et artificiels. Le présent appel a pour objet de déterminer si la salade de fruits en question, importée des Philippines par l'appelant le 2 mars 1989, est correctement classée dans le numéro tarifaire 2008.92.90 de l'annexe I du Tarif des douanes [2] comme l'a déterminé le Sous-ministre, ou si elle est plus correctement classée dans le numéro tarifaire 2008.92.10, comme l'a soutenu l'appelant. À la date d'entrée des marchandises, le libellé de la nomenclature tarifaire était le suivant :

20.08 Fruits et autres parties comestibles de plantes, autrement préparés ou conservés avec ou sans addition de sucre ou d'autres édulcorants ou d'alcool, non dénommés ni compris ailleurs.

2008.92 --Mélanges

2008.92.10 ---Comprenant [47 fruits] ou ignames

2008.92.10.10 -----Mélanges d'agrumes, en boîtes hermétiquement closes

2008.92.90.00 -----Autres

Le numéro tarifaire 2008.92.10 a été modifié le 9 avril 1992 par l'ajout des ananas et des agrumes à la liste de fruits qui y figure.

Plus précisément, le Tribunal devait déterminer si le mélange de fruits en question est plus correctement classé dans le numéro tarifaire 2008.92.10, étant donné qu'il contient de l'ananas, un fruit qui ne figure pas à la liste donnée à la nomenclature de ce numéro tarifaire. Le Sous-ministre a soutenu que la liste est exhaustive et que, comme les marchandises importées contenaient de l'ananas, elles ne peuvent être classées dans ce numéro. L'appelant a prétendu que ce numéro tarifaire s'applique aux mélanges de fruits composés d'au moins deux des fruits nommément indiqués à ce numéro.

L'avocat de l'appelant a cité à comparaître deux témoins, tous deux admis comme témoins experts. M. Randy Weyersberg, directeur principal de produit qui travaille pour l'appelant, a affirmé que l'appelant a cessé d'importer la salade de fruits tropicaux Del Monte en juin 1991. Il a témoigné que l'effet sensoriel (l'effet combiné du goût, de la texture et de l'apparence) conférait au mélange de fruits son «caractère essentiel», soit la caractéristique qui régit la préférence des consommateurs pour des marchandises de ce genre.

Le second témoin, M. Richard Naruse, scientifique en produits alimentaires qui travaille pour le compte de l'appelant, s'est référé à un certain nombre de documents confidentiels pour expliquer au Tribunal la nature et la composition des marchandises en question. Il a également affirmé que l'effet sensoriel du mélange de fruits confère aux marchandises leur caractère essentiel. Il a souligné que les morceaux d'ananas et de papaye donnent au mélange de fruits une texture ferme, tandis que les bananes confèrent à ce dernier une texture molle. L'apparence découle de la couleur jaune clair tirant sur l'orangé de la papaye, le jaune pâle de l'ananas et la couleur pâle des bananes. Le goût provient des morceaux de banane et de papaye qui se marient au jus du fruit de la passiflore et à la purée de goyave.

M. Naruse a indiqué que, à son avis d'expert, «the fruit components other than pineapple predominate in imparting all three aspects of essential character of the subject goods» ([traduction] les fruits autres que l'ananas contribuent, de façon prédominante, à conférer aux marchandises en question les trois aspects de leur caractère essentiel). Il a ajouté que la papaye, les bananes et la purée de goyave représentent environ 53,9 p. 100 du poids total des fruits en morceaux et en purée des marchandises en question. Toutefois, les morceaux d'ananas et le jus d'ananas constituent ensemble le composant unique le plus important en poids du produit final.

Pour étayer le classement dans le numéro tarifaire 2008.92.10, l'avocat de l'appelant a soumis les arguments suivants. Premièrement, les importations des marchandises en question, sauf l'entrée des marchandises en litige, avaient toutes été classées dans ce numéro tarifaire, sans contestation de la part du ministère du Revenu national (Revenu Canada), jusqu'en février 1990. Deuxièmement, le renvoi croisé mentionné dans le système en vigueur avant le Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises [3] , publié par Revenu Canada, précisait que seulement le numéro tarifaire 2008.92.10 remplaçait l'ancien numéro tarifaire 10609-1, qui visait antérieurement les marchandises en question et était libellé comme suit : «Fruits, préparés, dans des boîtes hermétiques ou d'autres récipients hermétiques, n.d. [...] [d]'une classe ou espèce non cultivée au Canada». Par conséquent, l'appelant n'a pas jugé nécessaire de faire modifier le libellé du nouveau numéro tarifaire lors de la conversion du tarif. Enfin, en octobre 1991, l'appelant a demandé que le numéro tarifaire soit modifié afin que l'ananas soit ajouté à la liste de fruits mentionnés dans le numéro tarifaire 2008.92.10. Ce numéro tarifaire a été modifié le 9 avril 1992.

L'avocat de l'appelant a soutenu que les modifications apportées au numéro tarifaire 2008.92.10 visaient à clarifier le classement dans ce dernier des marchandises en question, même si, à son avis, les marchandises étaient correctement classées dans ce numéro tarifaire conformément soit à la Règle 1 des Règles générales pour l'interprétation du Système harmonisé [4] (les Règles générales) soit, subsidiairement, aux Règles 2 et 3 des Règles générales.

L'avocat de l'intimé a soutenu que la salade de fruits tropicaux ne peut être classée dans le numéro tarifaire 2008.92.10 parce qu'elle contenait de l'ananas, qui ne figure pas au nombre des fruits tropicaux énumérés dans ce numéro. De plus, l'ananas est l'ingrédient principal du produit importé, tant du point de vue des morceaux que du point de vue des morceaux et des liquides combinés. L'avocat a prétendu que l'utilisation des termes «[c]onsisting of» (comprenant), ainsi que la liste des fruits tropicaux contenue dans le numéro tarifaire, laisse clairement entendre que le législateur avait l'intention de restreindre ce classement seulement aux mélanges composés des fruits nommément indiqués au numéro tarifaire. À cet égard, il a soutenu que le terme anglais «consisting of» (comprenant) suppose une interprétation restrictive, telle que «composé» (made up of ou composed of), plutôt qu'une interprétation plus extensive qui pourrait être associée au terme «including» (comprenant).

À cet égard, l'avocat de l'intimé a signalé que la nomenclature française du numéro tarifaire 2008.92.10 utilise le terme «comprenant» qui signifie en anglais «including». Compte tenu de cette contradiction apparente et puisque les deux versions de la loi font autorité, l'avocat a proposé de se reporter, lors de l'interprétation de lois bilingues, à l'intention du législateur. Il a également fait remarquer que, selon Pierre-André Côté dans son ouvrage Interprétation des lois [5] , le terme «comprenant» peut signifier en anglais «including». L'avocat de l'intimé a conclu que la version anglaise traduit mieux l'intention du législateur en raison de la longue liste de produits figurant dans le numéro tarifaire, en raison de la modification de la disposition en 1992 afin d'ajouter l'ananas et les agrumes ainsi qu'en raison de la disposition distincte de la nomenclature tarifaire visant les «autres» mélanges de fruits.

Le Tribunal a soigneusement examiné les arguments présentés par les deux avocats en l'espèce. Il n'estime pas nécessaire d'aller plus loin que la Règle 1 des Règles générales pour classer le mélange de fruits en question, car il s'agit d'un produit qui, de par sa nature et sa composition, est un «mélange» de fruits mentionné à la sous-position no 2008.92. Cette sous-position renferme deux numéros tarifaires de statut égal, la question étant de déterminer quel numéro tarifaire englobe plus correctement un mélange de fruits qui renferme de l'ananas.

Bien que le Tribunal reconnaisse entièrement la thèse avancée par l'avocat de l'intimé, il conclut que les marchandises en question sont plus correctement classées dans le numéro tarifaire 2008.92.10. Comme l'a fait remarquer l'avocat de l'intimé, la nomenclature française utilise le terme «comprenant». Selon Côté, une définition qui commence par le terme «comprend» est extensive ou illustrative. En revanche, le terme «signifie» ou «désigne» est utilisé dans le cas d'une définition exhaustive [6] . Toutefois, Côté signale que, dans certains cas, un sens exhaustif a été conféré au terme «comprenant» en raison du contexte dans lequel il était utilisé ou pour tenir compte de l'intention du législateur. Côté fait ressortir la nécessité de situer le terme dans son contexte, car il peut être nécessaire de s'écarter du sens général d'un terme afin de tenir compte de l'intention du législateur. En l'espèce, la version française utilise le terme «comprenant» qui, selon le Tribunal, ne vise pas une définition exhaustive.

Le Tribunal n'est pas convaincu que le législateur avait l'intention de faire entrer dans le numéro tarifaire 2008.92.10 seulement les mélanges de fruits qui y sont énumérés. Par exemple, le renvoi aux «mélanges d'agrumes» que renferme un numéro de classement figurant à ce numéro tarifaire laisse entendre que des combinaisons de fruits autres que ceux énumérés ont été envisagées étant donné que les agrumes ne sont pas mentionnés dans le numéro tarifaire. Le Tribunal estime que la disposition doit être interprétée en tenant compte du contexte dans lequel elle est utilisée et de l'intention du législateur. Le Tribunal est d'avis que l'intention était d'englober toutes les marchandises relevant de l'ancien numéro tarifaire 10609-1, soit des fruits d'une espèce non cultivée au Canada, ce qui, évidemment, comprend les ananas et les agrumes. Le fait que les ananas et les agrumes aient été omis involontairement est sans rapport avec le classement opéré en l'espèce, quoique la modification ultérieure apportée au numéro tarifaire semble appuyer l'avis du Tribunal en ce qui a trait à l'intention initiale du législateur. Enfin, les marchandises en question comprennent trois des fruits en morceaux nommément indiqués au numéro tarifaire 2008.92.10. Ces fruits représentent 53,9 p. 100 du poids total des fruits en morceaux et en purée des marchandises importées et, à ce titre, satisfont aux exigences pour être classées dans ce numéro tarifaire.

Par conséquent, l'appel est admis.


[ Table des matières]

1. L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.).

2. L.R.C. (1985), ch. 41 (3e suppl.).

3. Conseil de coopération douanière, 1re éd., Bruxelles, 1986.

4. Ibid., annexe I.

5. 2e éd., Montréal, Yvon Blais, 1990.

6. Ibid. à la p. 63.


Publication initiale : le 27 juin 1997