J.V. MARKETING INC.

Décisions


J.V. MARKETING INC.
v.
LE SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONAL POUR LES DOUANES ET L'ACCISE
ET
AVRECAN INTERNATIONAL INC.
ET
L'ASSOCIATION DES MANUFACTURIERS DE CHAUSSURES DU CANADA
Appel no AP-91-188

TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le mardi 1er septembre 1992

Appel n o AP-91-188

EU ÉGARD À un appel entendu les 13 et 14 mai 1992 en vertu de l'article 61 de la Loi sur les mesures spéciales d'importation, L.R.C. (1985), ch. S-15, dans sa version modifiée;

ET EU ÉGARD À un réexamen effectué par la sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise en vertu de l'article 59 de la Loi sur les mesures spéciales d'importation concernant une demande en vertu de l'article 58 de la Loi sur les mesures spéciales d'importation.

ENTRE

J.V. MARKETING INC. Appelant

ET

LE SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONAL

POUR LES DOUANES ET L'ACCISE Intimé

ET

AVRECAN INTERNATIONAL INC. Intervenant

ET

L'ASSOCIATION DES MANUFACTURIERS

DE CHAUSSURES DU CANADA Intervenant

L'appel est rejeté.


Desmond Hallissey ______ Desmond Hallissey Membre présidant

Sidney A. Fraleigh ______ Sidney A. Fraleigh Membre

Charles A. Gracey ______ Charles A. Gracey Membre

Michel P. Granger ______ Michel P. Granger Secrétaire





Le 3 mai 1990, le Tribunal a rendu des conclusions de préjudice sensible concernant le dumping au Canada des bottes et des souliers en cuir pour dames originaires ou exportés de certains pays, dont Taïwan. Le Tribunal a précisé dans ses conclusions que les «chaussures de sport» étaient exclues. Le litige porte sur la question de savoir si certaines chaussures pour dames importées au Canada en provenance de Taïwan sont des marchandises de la même description que celles assujetties aux conclusions du Tribunal. L'avocat de l'appelant a soutenu que les chaussures sont exclues des conclusions parce qu'il s'agit de chaussures de sport.

DÉCISION : L'appel est rejeté.

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario) Dates de l'audience : Les 13 et 14 mai 1992 Date de la décision : Le 1 er septembre 1992
Membres du Tribunal : Desmond Hallissey, membre présidant Sidney A. Fraleigh, membre Charles A. Gracey, membre
Avocat pour le Tribunal : David M. Attwater
Greffier : Dyna Côté
Ont comparu : Richard A. Wagner, pour l'appelant Brian Saunders, pour l'intimé Donald A. Kubesh, pour l'intervenant, Avrecan International Inc. G.P. MacPherson, pour l'intervenant, l'Association des manufacturiers de chaussures du Canada





Le 3 mai 1990, le Tribunal a rendu des conclusions [1] de préjudice sensible concernant le dumping au Canada des bottes et des souliers en cuir pour dames originaires ou exportés de certains pays, dont Taïwan. Le Tribunal a précisé dans ses conclusions que les «chaussures de sport» étaient exclues. Cette exclusion est précisée dans l'exposé des motifs du Tribunal, qui se lit en partie comme suit :

Les chaussures de sport étaient généralement définies comme des chaussures conçues pour le sport et qui comportaient, ou pouvaient comporter, des crampons, des bouts, des butoirs, des boucles, des bandes, etc. Ces chaussures englobaient également les bottes de patinage, les bottes de ski, les chaussures de ski de fond, les bottes de lutte, les bottes de boxe, les bottes de cyclisme, les souliers de quilles, les souliers de curling et les bottes de moto-cross. Aux fins de la présente enquête, les chaussures de sport comprenaient également les souliers de tennis, de jogging et de course [2] .

L'article 3 de la Loi sur les mesures spéciales d'importation [3] (la LMSI) stipule que des droits antidumping doivent être payés à l'égard de toutes marchandises sous-évaluées importées au Canada alors que le Tribunal a établi dans ses conclusions que le dumping de marchandises de la même description a causé, cause ou est susceptible de causer un préjudice sensible. Le litige porte sur la question de savoir si certaines chaussures pour dames importées au Canada en provenance de Taïwan sont des marchandises de la même description que celles assujetties aux conclusions du Tribunal. L'avocat de l'appelant a soutenu que les chaussures sont exclues des conclusions parce qu'il s'agit de chaussures de sport.

La description la plus complète des chaussures en question se trouve dans le mémoire de l'appelant. Il s'agit de chaussures de marche de santé Saucony InStep 6220. Ces chaussures englobent trois composantes principales : la tige, la semelle et la semelle intérieure. La tige est faite en cuir. La semelle renferme de l'éthylène-acétate de vinyle de simple densité en sa partie intercalaire, un cambrillon Hytrel, un dispositif de contrôle de mouvement en nylon dans le talon et une semelle en caoutchouc souple. La semelle intérieure est un appareil breveté qui porte une marque de commerce et qui est fait de polyuréthanne soufflé et de Hytrel, ainsi que la coquille du talon. L'appelant a soutenu que les marchandises sont des chassures de confection très soignée conçues pour la marche de santé.

L'avocat de l'appelant a soutenu que ce sont les conclusions du Tribunal qui servent à déterminer si les marchandises font l'objet de droits antidumping, et non la décision provisoire ou définitive de dumping rendue par le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise (le Sous-ministre), ni les éléments de preuve fournis au Tribunal dans le cadre de l'enquête de préjudice, ni toute politique ministérielle émanant du Sous-ministre. L'avocat a fait référence aux articles 3 et 43 de la LMSI et à des décisions rendues par le Tribunal [4] et par la Cour d'appel fédérale [5] à l'appui de cette proposition. En réponse, il a précisé que l'on peut consulter l'exposé des motifs pour faciliter l'interprétation des conclusions.

Selon l'avocat, les conclusions ne s'appliquent à aucun type de chaussures de sport. Il a souligné que l'enquête du Tribunal portait sur les chaussures habillées et tout-aller, et qu'il n'a pas été question des chaussures de sport au cours de l'enquête. Il a aussi fait allusion au libellé explicite des conclusions, qui ne qualifie ni ne limite aucunement le sens de l'expression «chaussures de sport». À son avis, la définition explicite figurant dans l'exposé des motifs du Tribunal ne se voulait pas exhaustive. De même, les conclusions ne visaient pas à exclure les chaussures de sport selon la définition qu'en donne le Chapitre 64 du Système harmonisé de description et de codification des marchandises (le Système harmonisé) aux fins de classement tarifaire figurant à l'annexe I du Tarif des douanes [6] . Si tel avait été le cas, on y trouverait une mention à cette effet. Cette définition est très restreinte et n'englobe pas plusieurs types de chaussures expressément mentionnés dans l'exposé des motifs.

L'avocat a déclaré que, pour déterminer ce qui constitue des chaussures de sport, il faut s'en remettre aux sens courant et commercial de cette expression. Il a souligné la définition de «sport» contenue dans The Oxford English Dictionary [7] et a soutenu que «chaussures de sport» s'entend des chaussures utilisées dans la pratique des sports ou de jeux axés sur le conditionnement physique ou l'athlétisme et comportant un exercice physique quelconque. Quant au sens de cette expression dans le commerce, l'avocat s'est référé aux éléments de preuve fournis par plusieurs témoins oeuvrant dans divers secteurs de l'industrie. Il a souligné que tous ont déclaré que les marchandises étaient conçues pour la pratique d'une activité sportive, offrant le soutien, la protection et la souplesse requis pour la pratique de cette activité.

L'avocat a soutenu que les chaussures de marche de santé Saucony InStep 6220 sont des chaussures de sport. Elles sont conçues et utilisées pour pratiquer la marche de santé, activité qui, ajoute-t-il, est un sport. En outre, l'importateur américain et l'appelant sont membres d'associations de fournisseurs d'articles de sport, les factures de vente des marchandises stipulent que ces dernières sont des chaussures d'athlétisme, tous les documents de publicité traitant des chaussures et déposés comme éléments de preuve sont destinés aux adeptes de sport et les chaussures sont vendues dans les magasins d'articles de sport, et non dans les magasins de chaussures ordinaires. L'avocat a de plus déclaré que les chaussures en question ne peuvent pas non plus être considérées comme des chaussures habillées ou tout-aller pour dames, car elles ne sont pas conçues pour être attrayantes sur le plan esthétique.

En se reportant à la définition des chaussures de sport contenue dans l'exposé des motifs du Tribunal, l'avocat a affirmé que les semelles de caoutchouc des chaussures sont munies de «bandes», c'est-à-dire de sections souples.

L'avocat de Avrecan International Inc., le premier intervenant, a souscrit à la position et aux arguments de l'appelant. Faisant allusion à la structure grammaticale de l'exposé des motifs, il a souligné que la définition des chaussures de sport n'était pas exhaustive. Il a ajouté que l'emploi de l'expression «etc.» dans l'exposé des motifs du Tribunal laisse entendre que les chaussures de sport renferment des composantes qui ne sont pas expressément mentionnées.

L'avocat a estimé que le Tribunal doit interpréter l'expression «chaussures de sport» de la même façon qu'une loi. Par conséquent, les éléments de preuve liés au but de l'enquête sont irrecevables. Ce sont les mots eux-mêmes qu'il convient d'interpréter rigoureusement, dans le contexte de l'exposé des motifs et des conclusions. Pour ce qui est du lien entre l'expression «chaussures de sport» utilisée dans les conclusions et la définition contenue dans l'exposé des motifs, il a soutenu que cette dernière devrait servir aux fins d'interprétation ou pour rédiger les conclusions.

Quant à savoir si la marche de santé est un sport, l'avocat a appuyé la définition de «sport» donnée par son témoin, M. Mark Fenton, un adepte de la marche de santé ayant une expérience académique et professionnelle de cette activité. À son avis, un sport est une activité de loisir pratiquée à des fins de conditionnement physique ou en raison des avantages qu'elle offre au plan médical, que ce soit en compétition avec d'autres adeptes de la discipline ou contre soi-même.

L'avocat de l'intimé a déclaré que l'expression «chaussures de sport» employée dans les conclusions du Tribunal est ambiguë, et il justifie [8] l'emploi de la définition étoffée contenue dans l'exposé des motifs du Tribunal. Il a affirmé que, pour bénéficier de l'exclusion visant les chaussures de sport, les marchandises doivent être expressément mentionnées ou remplir deux conditions. Premièrement, elles doivent être conçues pour un sport. Deuxièmement, elles doivent comporter, ou pouvoir comporter, des crampons, des bouts, des butoirs, des boucles, des bandes, etc.

L'avocat a souligné qu'il n'existe ni une définition des chaussures pour la marche de santé qui fasse autorité, ni une norme au sein de l'industrie permettant de distinguer une chaussure pour la marche de santé d'une chaussure pour la marche de loisir. Il a estimé que les éléments de preuve ne suffisent pas à établir une différence et à déterminer si les marchandises en question sont des chaussures pour la marche de santé, ou même des chaussures de sport. Il a déclaré que toutes les chaussures conçues pour la marche ne sont pas des chaussures de sport. Ce n'est pas parce que les chaussures sont produites par un fabricant de chaussures d'athlétisme qu'elles constituent des chaussures de sport. Le fait que les chaussures soient vendues dans un magasin d'articles de sport n'est pas plus probant. À son avis, la marche de santé n'est pas un sport, car une activité sportive suppose une compétition entre au moins deux personnes. Il faudrait plutôt la considérer comme une forme d'exercice.

L'avocat a affirmé que la deuxième condition n'est pas remplie. Il a ajouté que, selon la fiche technique des marchandises annexée au mémoire de l'appelant, la pièce souple de la semelle n'est pas une «bande». D'ailleurs, aucun document n'en donne une telle description. Il a affirmé que le mot «bande» est défini comme une «lanière» dans un dictionnaire technique et un manuel sur la fabrication des chaussures déposé comme pièce par le témoin de l'Association des manufacturiers de chaussures du Canada (l'AMCC).

L'avocat de l'AMCC, le deuxième intervenant, a partagé le point de vue de l'intimé. Il a souligné que l'AMCC, qui a déposé la plainte à l'origine de l'enquête ayant débouché sur les conclusions rendues par le Tribunal en 1990, a demandé l'exclusion des chaussures de sport en invoquant le Système harmonisé de classement tarifaire. C'est cette définition que le Sous-ministre a adopté dans sa décision définitive de dumping et que le Tribunal a repris dans son exposé des motifs. L'avocat a soutenu que, selon le Système harmonisé, les chaussures de sport sont classées dans les sous-positions 6403.11 et 6403.19. Or, au moment de leur importation au Canada, les chaussures en question ont été classées dans le numéro tarifaire 6403.99.00.91. Elles n'ont donc pas été considérées comme des chaussures de sport d'après la définition du Système harmonisé retenue par le Tribunal dans son exposé des motifs. En terminant, l'avocat a déclaré que les chaussures en question ne peuvent être exclues des conclusions rendues par le Tribunal à titre de chaussures de sport que si elles répondaient à la définition qu'en donne le Système harmonisé ou si elles étaient mentionnées expressément dans l'exposé des motifs du Tribunal.

Pour interpréter le sens de l'expression «chaussures de sport» utilisée dans les conclusions rendues par le Tribunal en 1990, on a fait référence à la définition étoffée de ces chaussures contenue dans l'exposé des motifs connexe. Celle-ci correspond aux deux critères prônés par l'avocat de l'intimé pour déterminer si les chaussures en question peuvent être exclues des conclusions en tant que chaussures de sport. Les chaussures doivent être expressément mentionnées dans la définition étoffée ou répondre à deux exigences : être conçues pour un sport et comporter, ou pouvoir comporter, des crampons, des bouts, des butoirs, des boucles, des bandes, etc.

Le Tribunal souligne que les chaussures pour la marche, de santé ou non, ne sont pas mentionnées dans la définition étoffée des chaussures de sport. Parmi celles qui y figurent, le Tribunal a estimé que les chaussures en question sont similaires à des chaussures de jogging ou de course. Toutefois, au cours de leur témoignage et en réponse aux questions du Tribunal, plusieurs témoins de l'appelant ont déclaré que les souliers de marche diffèrent des chaussures de jogging ou de course. Par exemple, M. Neil Slepian, directeur de la recherche-développement de Hyde Athletic Industries, Inc., a précisé que les chaussures en question auraient constitué de meilleures chaussures de course que celles vendues à cette fin il y a 20 ans. Il a toutefois mentionné que, à son avis, les chaussures pour la marche de santé ne sont pas des chaussures de course. De même, M. John Vicario, président et co-propriétaire de l'appelant, a déclaré que les chaussures de marche doivent présenter des caractéristiques autres que celles des chaussures de course qui ne conviennent pas à la pratique de la marche de santé. Enfin, Mme Susan A. Fawcett, qui pratique tant la marche de santé que le jogging, a déclaré qu'elle ne porterait pas ses chaussures pour la marche de santé pour aller faire du jogging. Le Tribunal a aussi recueilli des éléments de preuve relatifs à la conception biomécanique des chaussures de marche de santé Saucony InStep 6220 qui les rend expressément adaptées à la mécanique de la marche de santé. Le Tribunal déclare donc que les chaussures de marche ne sont pas des chaussures de jogging ou de course, lesquelles sont exclues des conclusions qu'il a rendues en 1990.

Pour ce qui est des deux critères, le Tribunal a jugé inutile de déterminer si la marche de santé est une activité sportive. Il reconnaît qu'il est difficile de distinguer ce qui constitue un sport ou une activité sportive de ce qui constitue une activité d'athlétisme. Le Tribunal a déclaré que la pièce souple de la semelle des chaussures n'est pas une bande. Il a souscrit plutôt à la définition fournie pour le compte de l'AMCC, selon laquelle une bande est définie comme une lanière. L'appelant n'a pas convaincu le Tribunal que les chaussures comportaient, ou pouvaient comporter, des crampons, des bouts, des butoirs, des boucles ou des bandes. Le Tribunal n'a pas été davantage convaincu que l'expression «etc.» s'appliquait au motif de la semelle ou à quelque autre caractéristique des chaussures en question.

En conséquence, l'appel est rejeté.


[ Table des matières]

1. Bottes et souliers en cuir pour dames, originaires ou exportés du Brésil, de la République populaire de Chine et de Taïwan; bottes en cuir pour dames, originaires ou exportées de la Pologne, de la Roumanie et de la Yougoslavie; et bottes et souliers autres qu'en cuir pour dames, originaires ou exportés de la République populaire de Chine et de Taïwan, enquête no NQ-89-003, le 3 mai 1990; 2 T.T.R. 251.

2. Ibid., enquête no NQ-89-003, à la p. 4.

3. L.R.C. (1985), ch. S-15, dans sa version modifiée.

4. Nikka Industries Ltd. c. Le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise, Tribunal canadien du commerce extérieur, appel no AP-90-018, le 20 août 1991.

5. Le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise c. Trane Company of Canada, Limited, [1982] 2 C.F. 194.

6. L.R.C. (1985), ch. 41 (3e suppl.).

7. Oxford, Clarendon Press, 1989, volume XVI.

8. Supra, renvoi no 5, aux pages 205 et 206.


Publication initiale : le 30 juin 1997