VIA RAIL CANADA INC.

Décisions


VIA RAIL CANADA INC.
v.
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Appels nos AP-91-190 à AP-91-200

TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le mardi 28 septembre 1993

Appels n os AP-91 - 190 à AP - 91 - 200

EU ÉGARD À un appel entendu entre les 8, 9 et 10 mars 1993 aux termes de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E-15;

ET EU ÉGARD À des décisions rendues par le ministre du Revenu national le 23 septembre 1991 concernant des avis d'opposition signifiés aux termes de l'article 81.17 de la Loi sur la taxe d'accise.

ENTRE

VIA RAIL CANADA INC. Appelant

ET

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL Intimé

Les appels sont admis.


Michèle Blouin ______ Michèle Blouin Membre présidant

Kathleen E. Macmillan ______ Kathleen E. Macmillan Membre

Charles A. Gracey ______ Charles A. Gracey Membre

Michel P. Granger ______ Michel P. Granger Secrétaire





La question principale dans les présents appels consiste à déterminer si le combustible utilisé par l'appelant pour produire de l'électricité en vue d'offrir des services hôteliers (climatisation, chauffage et éclairage) dans les voitures classiques de ses trains de voyageurs est admissible à la franchise de taxe prévue à l'article 3 de la partie VI de l'annexe III de la Loi sur la taxe d'accise. Les autres appels portent sur des questions différentes. Dans le cadre de l'appel n o AP - 91 - 197, la question en litige consiste à déterminer si l'appelant a droit, conformément aux dispositions de l'article 4 de la partie VI de l'annexe III de la Loi sur la taxe d'accise, au remboursement de la taxe sur le combustible utilisé pour chauffer ses voitures classiques lorsque les trains sont en attente dans les gares. L'appel n o AP - 91 - 192 porte sur le chevauchement des demandes de remboursement.

DÉCISION : Pour ce qui est des services hôteliers offerts dans les voitures classiques, les appels sont admis. Des éléments de preuve non contestés ont révélé que l'électricité est produite sous chaque voiture classique au moyen d'une génératrice d'essieu et que cette électricité est utilisée exclusivement pour offrir des services hôteliers. Il existe un lien évident entre le combustible emmagasiné dans le réservoir à combustible de la locomotive et l'électricité utilisée pour offrir des services hôteliers dans les voitures classiques. Ce combustible est visé par les dispositions de l'article 3 de la partie VI de l'annexe III de la Loi sur la taxe d'accise. Pour ce qui est de la question secondaire faisant l'objet de l'appel n o AP-91-197, le Tribunal est d'avis que le brûleur et la chaudière ne constituent pas un «moteur à combustion interne» au sens de l'article 4 de la partie VI de l'annexe III de la Loi sur la taxe d'accise, mais plutôt un «moteur à combustion externe». Le combustible brûlé par ce moteur pour chauffer les trains en attente relève des dispositions de cet article, et est donc admissible à la franchise de taxe. Quant à l'appel n o AP-91-192, l'intimé a reconnu que cet appel devrait être admis et que l'affaire devrait être renvoyée au ministre du Revenu national pour réexamen.

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario) Date de l'audience : Du 8 au 10 mars 1993 Date de la décision : Le 28 septembre 1993
Membres du Tribunal : Michèle Blouin, membre présidant Kathleen E. Macmillan, membre Charles A. Gracey, membre
Avocat pour le Tribunal : Robert Desjardins
Greffier : Dyna Côté
Ont comparu : Guy Du Pont et François Barette, pour l'appelant Alain Préfontaine, pour l'intimé





Il s'agit de 11 appels interjetés aux termes de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise [1] (la Loi) à l'égard de décisions rendues par le ministre du Revenu national (le Ministre) concernant des demandes de remboursement de taxe déposées par l'appelant. Ces demandes portaient sur les périodes comprises entre le 1er décembre 1983 et le 31 mai 1985 et entre le 1erdécembre 1985 et le 31 mars 1989.

Neuf de ces appels ont trait à la même question, c'est-à-dire déterminer si le combustible utilisé pour la production d'électricité en vue de fournir des services hôteliers (climatisation, chauffage et éclairage) dans les voitures classiques des trains de voyageurs de l'appelant est admissible à la franchise de taxe prévue à l'article 3 de la partie VI de l'annexe III de la Loi.

Les autres appels portent sur des questions différentes. Dans le cas de l'appel no AP-91-197, la question en litige consiste à déterminer si l'appelant a droit, conformément à l'article 4 de la partie VI de l'annexe III de la Loi, au remboursement de la taxe sur le combustible utilisé pour chauffer ses voitures classiques lorsque les trains sont en attente dans les gares. Enfin, l'appel no AP-91-192 a trait au chevauchement des demandes de remboursement. Pour ce qui est de ce dernier appel, le Tribunal tient dûment compte du fait qu'au cours de l'audience, l'intimé a reconnu que cet appel devrait être admis et que l'affaire devrait être renvoyée au Ministre pour réexamen.

Aux fins des présents appels, les dispositions pertinentes de la Loi sont les suivantes :

23.(8) La taxe imposée au paragraphe (1) ou par l'article 26 ou 27 n'est pas exigible :

[...]

c) dans le cas de combustible diesel devant servir à la production d'électricité, sauf lorsque l'électricité ainsi produite est principalement utilisée pour faire fonctionner un véhicule.

PARTIE VI

COMBUSTIBLES ET ÉLECTRICITÉ

3. Mazout servant à la production de l'électricité, sauf lorsque l'électricité ainsi produite sert principalement au fonctionnement d'un véhicule.

4. Combustibles pour l'éclairage ou le chauffage, mais à l'exclusion des combustibles destinés aux moteurs à combustion interne; huiles brutes devant servir à la production de combustibles.

M. Timothy S. Secord a témoigné au nom de VIA Rail Canada Inc. (VIA). Maintenant expert-conseil, M. Secord a déjà été un employé de VIA; il a occupé les postes de directeur, Planification de l'acquisition de matériel roulant, et de directeur, Ingénierie. Après avoir fourni des renseignements généraux sur la création de VIA, M. Secord a décrit le genre de matériel roulant (locomotives et voitures) acquis en 1978 par VIA de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) et du Canadien Pacifique Limitée (CP). Ce matériel comprenait des locomotives classiques, des voitures automotrices et des turbotrains.

Conçue au départ pour être affectée au transport de marchandises, la locomotive de type classique a dû être modifiée pour les voyageurs, car elle devait être en mesure de chauffer les voitures destinées aux passagers. En conséquence, un réservoir à eau distinct a été installé dans la locomotive pour produire la vapeur devant servir à chauffer ces voitures. Le combustible utilisé par les chaudières est emmagasiné dans le réservoir à combustible de la locomotive. L'appelant a également acquis des fourgons-chaudières (FC) composés d'un wagon couvert muni d'un réservoir à eau, d'un réservoir à combustible et de chaudières; ces FC fournissent de la vapeur supplémentaire aux voitures par temps extrêmement froid. Enfin, les voitures classiques sont éclairées et climatisées grâce à l'électricité produite par une génératrice d'essieu fixée à l'un des essieux de chaque voiture. Chacune des quelque 1 000 voitures acquises par VIA était munie d'une génératrice d'essieu. Toutes ces voitures ont été conçues pour être chauffées à la chaleur humide. Ce matériel a été maintenu dans sa condition d'origine, malgré les travaux de réparation et de remise à neuf effectués depuis son acquisition par VIA.

M. Secord a également décrit les trains légers, rapides et confortables (LRC) acquis par VIA directement de Bombardier au début des années 80. Ces trains sont également connus comme des locomotives et des voitures à alimentation électrique de service (AES). Les trains à AES ne sont pas chauffés à la vapeur, mais à l'électricité. L'électricité destinée aux services hôteliers dans les voitures provient d'un alternateur réservé à l'alimentation électrique de service situé dans la locomotive. L'énergie produite par cet alternateur, à une tension de 480 volts, est utilisée exclusivement pour éclairer, chauffer et climatiser chaque voiture; elle ne sert pas à la propulsion du train à AES.

M. Secord a ensuite expliqué que CN et CP n'ont transféré la responsabilité des achats de combustible à VIA qu'en 1985. Entre 1978 et 1985, ces deux sociétés ferroviaires établies achetaient du combustible au nom de VIA et lui en facturait le coût net. Selon M. Secord, il incombait à CN et à CP d'acheter le combustible, de le livrer aux trains de VIA et d'assumer tous les aspects administratifs de ces achats, y compris la présentation des demandes de remboursement de la taxe sur le combustible.

Vu que le combustible était toujours acheté en quantité et emmagasiné dans un réservoir commun monté sur la locomotive, il était toujours nécessaire d'établir la quantité de combustible utilisé pour chauffer les voitures et offrir d'autres services hôteliers en appliquant diverses formules mises au point à cette fin.

Avant que VIA ne commence à déposer ses propres demandes de remboursement, à l'automne de 1986, elle a eu accès aux formules utilisées par CN et CP. Ces formules étaient acceptées depuis longtemps par le ministère du Revenu national (Revenu Canada). Selon M. Secord, Revenu Canada a reconnu ces formules en 1955 après un examen minutieux. Entre cette date et le dépôt des présents appels, Revenu Canada a accepté les demandes de CN et de CP aux fins du remboursement de la taxe sur le combustible utilisé pour chauffer les trains de voyageurs.

L'arrivée du matériel à AES a nécessité l'établissement de nouvelles opérations de calcul et formules pour déterminer la quantité de combustible diesel utilisé par les locomotives à AES pour compenser la résistance offerte par les génératrices d'essieu pour produire l'électricité servant à éclairer, à chauffer et à climatiser les voitures du train LRC. M. Secord, à qui l'on a confié cette tâche, a précisé au Tribunal les diverses variables complexes dont il a fallu tenir compte pour mettre ces formules au point. Selon M. Secord, ces formules ont été vérifiées puis acceptées par Revenu Canada. En ce qui touche l'éclairage et la climatisation à bord des voitures classiques, M. Secord a expliqué qu'une méthodologie semblable à celle acceptée par Revenu Canada pour les voitures du train LRC a été adoptée. Plusieurs documents ont été remis au Tribunal, dont la preuve documentaire de l'appelant [2] , c'est-à-dire une demande de remboursement de la taxe sur le combustible diesel utilisé par VIA pour chauffer et éclairer ses voitures classiques et ses voitures à AES; cette demande de remboursement, comme d'autres, a été vérifiée et acceptée par Revenu Canada.

Cependant, les demandes de remboursement déposées par VIA ont été rejetées en 1988 pour ce qui est de l'éclairage et d'autres services électriques offerts dans les voitures classiques. Comme l'a expliqué M. Secord, VIA a continué à déposer des demandes de remboursement applicables au chauffage et à l'éclairage. Parallèlement au processus d'appel, VIA a également fait des observations à cet égard à divers fonctionnaires de Revenu Canada. Pour étayer ces observations, VIA a envoyé des rapports préparés par des experts canadiens reconnus dans le domaine du génie et du transport ferroviaires, c'est-à-dire M. Gordon W. English, directeur exécutif de l'Institut canadien des transports terrestres guidés et ancien directeur du Laboratoire ferroviaire (maintenant le Centre de technologie des transports de surface) du Conseil national de recherches du Canada et M. Norman Edward Rudback, ancien directeur exécutif du Centre de développement des transports du ministère des Transports. Dans le cadre d'une entente permanente avec le Centre de développement des transports, la firme d'ingénieurs-conseils Beauchemin-Beaton-Lapointe Inc. a également été appelée à préparer un rapport sur la question soulevée par VIA.

Au cours de son témoignage, M. Secord s'est également reporté à une lettre [3] rédigée par un fonctionnaire de Revenu Canada. Dans cette lettre portant la date du 17 octobre 1989, M. J.P. Guèvremont, directeur général de l'Interprétation fiscale, Accise, informait l'appelant qu'après avoir examiné de près les présentations de VIA, Revenu Canada avait [traduction] «décidé d'autoriser la franchise de taxe à l'égard du combustible pour produire de l'électricité servant à chauffer, à éclairer et à climatiser les trains (c'est-à-dire le combustible utilisé pour l'alimentation électrique du service hôtelier)». Étant satisfaite du contenu de cette lettre, VIA a annulé la réunion qui avait déjà été prévue avec le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise à ce sujet.

Enfin, M. Secord a fait part au Tribunal du rôle actif qu'a joué VIA dans la préparation du Communiqué de l'Accise 191/TI [4] intitulé Combustible diesel ou mazout utilisé pour produire de l'électricité dans les véhicules et publié en décembre 1989 par Revenu Canada. Ce communiqué visait à préciser un énoncé paru dans le numéro de juillet 1989 des Nouvelles de l'Accise, à savoir que l'éclairage, le chauffage et la climatisation des véhicules étaient considérés par Revenu Canada comme faisant partie du fonctionnement normal de ces véhicules, et il rejetait cet énoncé. Revenu Canada a consulté VIA avant de publier le texte définitif du communiqué publié en décembre. Selon M. Secord, en demandant à VIA de commenter l'ébauche du communiqué, Revenu Canada voulait s'assurer de la conformité de son approche concernant les nombreuses demandes de remboursement de taxe déposées dans le passé par les sociétés ferroviaires nationales.

Au cours du contre-interrogatoire, M. Secord a expliqué qu'il a établi les diverses formules (à l'exception de celle permettant de déterminer la consommation de combustible servant à produire de la chaleur humide) utilisées par VIA pour établir la quantité de combustible consommé pour produire l'électricité destinée aux services hôteliers. Il a également affirmé que dans une voiture classique, l'électricité est produite par une génératrice d'essieu montée sur chaque voiture et qu'elle est distribuée dans les circuits de cette voiture. L'avocat de l'intimé a interrogé M. Secord au sujet de la quantité de combustible utilisé à des fins de propulsion et celle servant à offrir des services hôteliers à bord des voitures classiques. M. Secord a répondu que plusieurs variables ou facteurs influent sur la consommation de combustible et que ces variables sont prises en compte lors de l'élaboration des formules utilisées. Enfin, M. Secord a souligné qu'une partie de l'énergie produite par les moteurs de la locomotive sert à compenser la résistance au déplacement du train classique que créent les génératrices d'essieu.

Un expert-conseil privé, M. Bernard-André Genest, a comparu au nom de l'appelant à titre de témoin expert. À la demande de VIA, il a préparé un rapport daté de décembre 1992 et intitulé The Use and Consumption of Diesel Fuel by VIA Rail for the Generation of Electricity for the Provision of Train Operation and Passenger Comfort. L'avocat de l'intimé avait indiqué antérieurement qu'il était disposé à accepter l'ensemble de ce rapport. Selon M. Genest, ce document explique les procédés de production, de conversion et de transmission de l'énergie à bord des trains de voyageurs de VIA. Selon le rapport, dans le cas d'un train classique, il y a production d'électricité, le combustible est brûlé pour produire cette électricité et l'électricité ainsi produite ne sert qu'à assurer le confort des voyageurs; elle ne pourrait être utilisée à aucune autre fin. À l'aide de graphiques [5] et dans son témoignage, M. Genest a insisté sur ces points bien précis.

En conséquence, M. Genest a brièvement exposé au Tribunal le fonctionnement d'une locomotive à AES et d'une locomotive classique. Dans ce dernier cas, le procédé de conversion de l'énergie part de l'énergie chimique contenue dans le combustible diesel se trouvant dans le réservoir à combustible de la locomotive. Le combustible est acheminé vers le moteur diesel qui convertit l'énergie chimique en énergie thermique (c'est-à-dire en chaleur), puis en énergie mécanique pour faire tourner l'arbre du moteur diesel. L'arbre transmet ensuite l'énergie mécanique à la génératrice de la locomotive qui la transforme en électricité transmise aux moteurs de traction au moyen d'une série de câbles d'alimentation. À leur tour, ces moteurs convertissent l'électricité en énergie mécanique pour faire tourner les roues et déplacer la locomotive.

M. Genest a ensuite expliqué les diverses étapes du processus qui vise à assurer le «confort» dans un train à AES et dans un train classique. Pour ce qui est de ce dernier, M. Genest a déclaré que de l'énergie mécanique supplémentaire est requise pour annuler ou compenser la résistance offerte par les génératrices d'essieu et pour empêcher que le train ne décélère lorsque les génératrices entrent en fonction. Selon lui, cette énergie supplémentaire doit provenir de la seule source d'énergie disponible à bord du train, c'est-à-dire le réservoir de combustible de la locomotive. Une quantité supplémentaire de combustible doit être utilisée pour compenser la résistance et pour produire de l'électricité. Comme l'a souligné M. Genest, cette énergie supplémentaire «is eventually picked up, by the fact that the wheels turn on the rail, by the axle generator, the axle generator transforms this into electricity, and that electricity is fed to the hotel service appliances in the car» ([traduction] est par la suite récupérée par la génératrice d'essieu du fait que les roues tournent sur les rails; la génératrice d'essieu convertit cette énergie en électricité et cette dernière est transmise aux appareils de services hôteliers dans la voiture).

M. Genest a également confirmé que l'électricité transmise aux moteurs de traction d'une locomotive classique ne peut servir à alimenter les services hôteliers. Inversement, il a ajouté que l'électricité produite par les génératrices d'essieu n'est et ne peut être utilisée que pour assurer le confort des voyageurs à bord des voitures.

Enfin, M. Genest a qualifié la chaudière et le brûleur utilisés pour produire de la vapeur de moteur à combustion externe ou de «dispositif à combustion externe».

Au sujet de la question principale, les avocats de l'appelant ont essentiellement formulé trois arguments. Premièrement, ils ont soutenu que VIA satisfait à toutes les exigences de l'article 3 de la partie VI de l'annexe III de la Loi. À leur avis, il existe des éléments de preuve non contestés selon lesquels de l'électricité était produite à bord des voitures classiques alimentées en mazout et que cette électricité n'était pas utilisée principalement pour faire fonctionner un véhicule, mais qu'elle servait exclusivement à offrir des services hôteliers dans ces voitures. Ils ont prétendu que la proportion de combustible diesel consommé pour produire l'électricité dans les génératrices d'essieu était sans importance, car toute l'électricité ainsi produite servait exclusivement à offrir des services hôteliers. Ils ont également fait remarquer que la disposition de la loi en cause ne renferme aucun critère d'«utilisation directe de l'électricité». Les avocats ont également soutenu que le nombre d'étapes que comporte le processus de production d'électricité ne constitue pas une question pertinente en l'espèce. Il ne faudrait donc pas tenir compte du fait que le processus de production d'électricité comporte plus d'étapes dans le cas des voitures classiques que dans celui des voitures à AES.

Deuxièmement, les avocats de l'appelant ont opposé une fin de non-recevoir contre l'intimé. En d'autres termes, l'intimé est empêché par un estoppel. De l'avis des avocats, le terme «estoppel» signifie qu'une partie ne peut faire à un tiers des observations sur lesquelles se fonderait ce dernier et qui seraient contraires à ses propres intérêts. À cet égard, les avocats ont mentionné certaines observations faites par Revenu Canada auprès de l'appelant; ils se sont reportés plus particulièrement à quelques documents, dont la pièce A-92.

Troisièmement, les avocats de l'appelant ont soutenu que tout changement rétroactif à la politique administrative n'a pas de fondement juridique, particulièrement en raison de toutes les observations faites par Revenu Canada auprès de VIA et de ses prédécesseurs, CN et CP, pendant quatre décennies. De l'avis des avocats, en vertu de la doctrine de l'équité, les modifications apportées à une politique en vigueur depuis longtemps ne devraient pas avoir d'effet rétroactif.

Pour ce qui est de la question secondaire soulevée dans le cadre de l'appel no AP-91-197, c'est-à-dire celle des trains en attente, les avocats de l'appelant ont affirmé, eu égard à l'article 4 de la partie VI de l'annexe III de la Loi, que la chaudière et le brûleur ne constituent pas un «moteur à combustion interne», mais plutôt un «moteur à combustion externe». Par ailleurs, compte tenu du fait que l'avocat de l'intimé a soutenu que la chaudière et le brûleur ne constituent même pas un «moteur», les avocats de l'appelant ont prétendu que l'intimé ne devrait pas s'opposer à la demande de remboursement de taxe.

L'avocat de l'intimé a tenté de déterminer l'intention du législateur lors de la promulgation de l'article 3 de la partie VI de l'annexe III de la Loi. Selon lui, le législateur voulait offrir la franchise de taxe, par exemple, aux localités isolées n'ayant pas accès au réseau électrique public. À son avis, la franchise ne peut être élargie outre mesure pour satisfaire une demande particulière, comme la présente. En outre, à la lecture de l'article 3 de la partie VI de l'annexe III de la Loi, il convient de tenir compte du fait que le combustible utilisé pour le transport est taxable aux termes de la Loi et que la partie XVII de l'annexe III de la Loi (exemptions visant précisément le secteur des transports) ne renferme aucune disposition portant sur le combustible utilisé à des fins de transport.

L'avocat de l'intimé a également soulevé certains principes relatifs à l'interprétation des lois. À cet égard, il a souligné qu'il incombait à VIA de prouver qu'elle a droit à la franchise. Il a également signalé certains principes concernant l'interprétation de lois bilingues. À ce sujet, il a soutenu, entre autres, que le terme «generation» dans la version anglaise de l'article 3 de la partie VI de l'annexe III de la Loi a un sens plus restreint que le terme «production» dans la version française et que ce sens plus restreint doit être considéré comme pertinent. Compte tenu de la signification du terme «generation», dans certains dictionnaires, la franchise se limite donc à la locomotive proprement dite. Cela correspond à la création d'électricité dans la génératrice de la locomotive; le travail effectué par les génératrices d'essieu n'est pas visé par le champ d'application de la franchise. Selon l'avocat de l'intimé, la jurisprudence invoquée par les avocats de l'appelant porte sur un scénario différent de celui en l'espèce, car les causes en question avaient trait à du matériel de «production» d'électricité.

De l'avis de l'avocat de l'intimé, le législateur avait l'intention d'établir un rapport direct — un lien — entre la consommation de combustible et la production d'électricité. Il a soutenu que les génératrices d'essieu ne produisent pas d'électricité en raison d'une consommation de combustible. Elles produisent de l'électricité parce que l'énergie mécanique qui fait avancer le train leur est transmise.

L'avocat de l'intimé a présenté un argument au sujet de la proportion de combustible utilisé pour produire l'électricité destinée aux services hôteliers. Il a prétendu que la plus grande partie du combustible utilisé et de l'électricité produite par consommation du combustible servait à faire fonctionner les trains de VIA et non à fournir des services hôteliers.

L'avocat de l'intimé a mis en doute la pertinence de l'estoppel dans les appels en cause. Pour ce qui est de l'équité, il a souligné que le Tribunal n'a pas compétence en matière d'équité.

En ce qui touche la question secondaire, l'avocat de l'intimé a demandé au Tribunal de considérer le matériel comme un «moteur à combustion interne» ou, à titre de solution de rechange, comme s'il ne s'agissait pas du tout d'un moteur, car il ne permet aucun déplacement; il produit seulement de la vapeur pour chauffer les voitures.

Avant de rendre sa décision, le Tribunal a examiné les éléments de preuve et les arguments qui lui ont été présentés. Il a également tenu compte du fait que l'intimé a accepté les nombreuses preuves documentaires déposées par VIA et les divers rapports d'experts qui établissent la méthode de production et d'utilisation de l'électricité dans les différents trains de voyageurs et locomotives en cause dans le cadre des présents appels. Les parties s'entendent sur le fond des faits relatifs à ces appels. La question porte sur l'interprétation des dispositions de la loi et plus particulièrement sur l'étroitesse nécessaire du lien entre le combustible consommé et l'électricité produite pour les services hôteliers offerts dans les trains de voyageurs classiques pour que soit accordée la franchise. Le Tribunal fait remarquer que les trains à AES ne sont pas en cause, car l'intimé a autorisé les demandes de remboursement de taxe déposées par VIA portant sur ce matériel roulant relativement nouveau. En d'autres termes, le remboursement est accordé à l'égard du combustible consommé pour produire de l'électricité dans l'alternateur spécialisé monté dans les locomotives à AES; cette électricité sert à chauffer, à éclairer et à climatiser les voitures à AES pour passagers.

Pour ce qui est de la question des services hôteliers offerts dans les voitures classiques pour passagers, le Tribunal conclut que les appels doivent être admis.

Conformément au paragraphe 51(1) de la Loi, la taxe de vente ne s'applique pas à la vente des marchandises mentionnées à l'annexe III de la Loi. L'article 3 de la partie VI de cette annexe prévoit la franchise de taxe dans le cas du «[m]azout servant à la production de l'électricité, sauf lorsque l'électricité ainsi produite sert principalement au fonctionnement d'un véhicule». Le Tribunal est d'avis que cet article s'applique aux appels en cause. Si le législateur avait eu l'intention de restreindre l'application de cette franchise aux situations invoquées par l'avocat de l'intimé, il n'aurait pas ajouté l'expression sauf lorsque l'électricité «sert principalement au fonctionnement d'un véhicule». Le Tribunal est persuadé que le combustible diesel utilisé par VIA pour produire de l'électricité pour les services hôteliers offerts à bord des voitures classiques satisfait aux exigences réglementaires énoncées à l'article 3 de la partie VI de l'annexe III de la Loi.

Le Tribunal a reçu des éléments de preuve non contestés selon lesquels l'électricité est produite sous chaque voiture classique au moyen d'une génératrice d'essieu et que cette électricité sert exclusivement à fournir des services hôteliers et qu'elle ne peut faire avancer le train.

Au sujet de l'allégation de l'avocat de l'intimé voulant qu'il n'existe pas de lien entre la consommation de combustible et la production d'électricité à bord des voitures classiques, le Tribunal fait remarquer que l'article 3 de la partie VI de l'annexe III de la Loi ne renferme pas, explicitement ou implicitement, la mention de critère d'«utilisation directe» et ne mentionne pas le terme «direct». Cela dit, il existe un lien évident entre le combustible diesel dans le réservoir à combustible de la locomotive et l'électricité utilisée pour offrir des services hôteliers à bord de ces voitures. Sur ce point, les divers spécialistes présentés par VIA s'entendent. Ainsi, selon M. Rudback, «the energy required to furnish the hotel load can only come from one source, the fuel tank of the locomotive» ([traduction] l'énergie requise pour fournir les services hôteliers ne peut provenir que d'une source, le réservoir à combustible de la locomotive). Selon M. English de l'Institut canadien des transports terrestres guidés, il convient de demander la franchise de taxe sur le combustible utilisé pour actionner les génératrices d'essieu, car «this energy must come from the locomotive engine as it is the only source of energy for the train» ([traduction] cette énergie doit provenir du moteur de la locomotive, vu qu'il s'agit de la seule source d'énergie alimentant le train).

Des éléments de preuve non contestés révèlent que la production d'électricité dans les voitures classiques découle d'un procédé de conversion de l'énergie comportant plusieurs étapes. En bref, l'énergie contenue dans le combustible emmagasiné dans la locomotive est transformée à l'aide d'un procédé relativement complexe qui est entièrement intégré. Cette transformation a été particulièrement bien expliquée par M. Genest au cours de son témoignage.

Des éléments de preuve non contredits révèlent également qu'une quantité de combustible diesel supplémentaire est utilisée pour compenser la résistance qu'impose le fonctionnement des génératrices d'essieu au déplacement du train. De l'avis du Tribunal, il s'agit là d'un facteur important pour démontrer le lien entre le combustible diesel et la production d'électricité à bord des voitures. Le rapport préparé par la firme Beauchemin-Beaton-Lapointe Inc. à la demande de M. Rudback (et qu'il a d'ailleurs appuyé) est tout à fait pertinent. Selon M. Edwin I. Garnis, qui a rédigé le rapport de la firme, le fait que la génératrice d'essieu soit raccordée à l'essieu de chaque voiture accroît la résistance au roulement de cet essieu et augmente l'énergie requise par le système de propulsion de la locomotive pour faire avancer le train. En conséquence, une partie du combustible consommé par le système de propulsion de la locomotive est directement attribuable à l'augmentation de la résistance au roulement du fait que la génératrice d'essieu est raccordée à l'essieu de la voiture. L'expert-conseil conclut donc que le combustible consommé par la locomotive peut être partagé en combustible utilisé pour faire avancer le train et en combustible servant à offrir des services hôteliers.

Pour tous les motifs qui précèdent, le Tribunal conclut que VIA a droit au remboursement de la taxe sur la partie du combustible, établie au moyen de diverses formules complexes, servant à produire l'électricité requise pour offrir des services hôteliers à bord des voitures classiques. Ce combustible est visé par les dispositions de l'article 3 de la partie VI de l'annexe III de la Loi. Compte tenu de cette conclusion, il ne semble pas que le Tribunal soit tenu d'aborder les autres arguments des avocats de l'appelant au sujet de la question principale.

Pour ce qui est de la question secondaire soulevée dans le cadre de l'appel no AP-91-197, le Tribunal est d'avis que le brûleur et la chaudière ne constituent pas un «moteur à combustion interne» au sens de l'article 4 de la partie VI de l'annexe III de la Loi, mais plutôt un «moteur à combustion externe». Le combustible brûlé par ce moteur pour chauffer les trains en attente relève des dispositions de cet article, et est donc admissible à la franchise de taxe.

En conséquence, les appels sont admis.


[ Table des matières]

1. L.R.C. (1985), ch. E-15.

2. Vol. 2 à l'onglet A-15.

3. Preuve documentaire de l'appelant, vol. 4 à l'onglet A-92.

4. Preuve documentaire de l'appelant, vol. 3 à l'onglet A-74.

5. Pièces A-11 et A-12.


Publication initiale : le 2 juillet 1997