TETRA PAK INC.

Décisions


TETRA PAK INC.
v.
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Appel no AP-91-147

TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le jeudi 3 septembre 1992

Appel n o AP-91-147

EU ÉGARD À un appel entendu le 20 mai 1992 en vertu de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E-15, dans sa version modifiée;

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le ministre du Revenu national, le 28 juin 1991, concernant un avis d'opposition signifié en vertu de l'article 81.17 de la Loi sur la taxe d'accise.

ENTRE

TETRA PAK INC. Appelant

ET

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL Intimé

L'appel est admis. Les marchandises en question sont exemptes de la taxe de vente fédérale en vertu de l'article 3 de la partie V de l'annexe III de la Loi sur la taxe d'accise à titre d'articles ou de matières destinés à la fabrication ou à la production des marchandises exemptes de taxe, à savoir des aliments et des boissons destinés à la consommation humaine.


Robert C. Coates, c.r. ______ Robert C. Coates, c.r. Membre présidant

W. Roy Hines ______ W. Roy Hines Membre

Desmond Hallissey ______ Desmond Hallissey Membre

Michel P. Granger ______ Michel P. Granger Secrétaire





Le présent appel porte sur la question de savoir si les pailles à boire fabriquées par l'appelant sont exemptes de la taxe de vente fédérale en vertu de l'article 3 de la partie V de l'annexe III de la Loi sur la taxe d'accise.

DÉCISION : L'appel est admis.

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario) Date de l'audience : Le 20 mai 1992 Date de la décision : Le 3 septembre 1992
Membres du Tribunal : Robert C. Coates, c.r., membre présidant W. Roy Hines, membre Desmond Hallissey, membre
Avocat pour le Tribunal : Brenda C. Swick-Martin
Greffier : Dyna Côté
Ont comparu : T.A. Sweeney, pour l'appelant Linda Wall, pour l'intimé





Il s'agit d'un appel interjeté en vertu de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise [1] (la Loi).

L'appelant se spécialise dans le conditionnement de produits alimentaires liquides. Il fabrique des pailles à boire et des boîtes à boire pour des produits alimentaires liquides et importe les machines servant à remplir et à sceller lesdites boîtes. Il vend ou loue ses machines à des clients qui produisent des boîtes à boire pour y emballer leurs propres produits. L'appelant vend aussi des pailles taillées en biseau qui sont fixées aux boîtes à boire au cours du procédé de fabrication.

L'appelant a réclamé le remboursement de la taxe de vente fédérale payée sur les pailles à boire vendues à ses clients et entrant dans la fabrication des boîtes à boire devant contenir des produits alimentaires liquides. Sa demande ayant été rejetée, il a signifié à l'intimé un avis d'opposition daté du 22 novembre 1990. Le 28 juin 1991, l'intimé a publié un avis d'opposition confirmant sa décision.

Le présent litige porte sur la question de savoir si les pailles à boire sont exemptes de la taxe de vente fédérale en vertu de l'article 3 de la partie V de l'annexe III de la Loi à titre d'articles ou de matières destinés à la fabrication ou à la production des marchandises exemptes de taxe, à savoir des aliments et des boissons destinés à la consommation humaine. Les dispositions pertinentes de la Loi se lisent comme suit :

PARTIE V

DENRÉES ALIMENTAIRES

1. Aliments et boissons destinés à la consommation humaine (y compris les édulcorants, assaisonnements et autres ingrédients devant être mélangés à ces aliments et boissons ou être utilisés dans leur préparation), sauf :

[...]

3. Articles et matières destinés exclusivement à la fabrication ou à la production des marchandises exemptes de taxe énumérées aux articles 1 et 2 de la présente partie.

M. Peter Gahagan, contrôleur chez Tetra Pak Inc. (Tetra Pak), a comparu à titre de témoin pour le compte de l'appelant. Il a déclaré que tous les produits fabriqués par l'appelant, à l'exception des pailles à boire, sont exempts de la taxe de vente fédérale parce qu'ils ont été vendus à des fabricants de produits alimentaires liquides. Il a décrit la chaîne de conditionnement continu que l'appelant vend ou loue à ses clients. La machine de remplissage est alimentée par un rouleau de matériau d'emballage, lequel emballage est scellé à la sortie. Les boîtes se déplacent sur un tapis roulant jusqu'à l'appareil de pose des pailles à boire. De la colle chaude est appliquée aux angles de chaque contenant et la paille à boire est fixée. La paille elle-même se présente sous la forme d'un rouleau continu recouvert d'un emballage par rétraction qui alimente la machine servant à poser les pailles. Cette machine taille les pailles individuellement, lesquelles sont ensuite collées sur la paroi du carton d'emballage. Les boîtes sont acheminées sur le tapis roulant vers la machine d'emballage sous film rétractable, où elles sont groupées par trois et recouvertes d'un film rétractable avec les pailles. Les boîtes par séries de trois sont ensuite acheminées vers l'empaqueteuse à plateau et regroupées par séries de neuf sur un plateau en carton. Celui-ci est ensuite aiguillé vers une autre machine qui emballe le tout sous un film rétractable, puis vers un palettiseur qui dépose le plateau sur une palette et le recouvre d'un autre film rétractable aux fins de livraison aux clients.

Mme Lise-Ann Riddell, directrice de la commercialisation chez SunPac Foods Limited (SunPac), un important client de l'appelant, a comparu comme deuxième témoin pour le compte de Tetra Pak. SunPac produit des jus de fruits et des boissons offerts dans une vaste gamme de contenants. Mme Riddell a déclaré que le produit le plus vendu est le contenant Tetra Brik de 250 mL en raison de ses dimensions pratiques et de son emploi facile, vu la présence d'une paille fixée au contenant.

M. Allan McPherson, un expert-conseil indépendant chez Tax Save Consultants Limited, a été le dernier témoin de l'appelant. Il a passé en revue plusieurs décisions administratives du ministère du Revenu national ayant pour effet d'exempter de la taxe de vente fédérale des marchandises qui, à son avis, sont comparables à celles dont il est question ici.

L'intimé n'a cité aucun témoin à comparaître à l'audience.

L'avocat de l'appelant a soutenu que le sens commun et l'application des règles d'interprétation des lois portent à conclure que les pailles à boire doivent être exemptées de la taxe de vente fédérale en vertu de l'article 3 de la partie V de l'annexe III de la Loi à titre d'articles destinés exclusivement à la production de marchandises exemptes de taxe. L'avocat a ajouté que, selon l'article 3, il n'est pas nécessaire que les pailles à boire soient incorporées au jus lui-même pour être exemptes de taxe. Il se fonde sur la décision de la Commission du tarif dans la cause Singer Sewing Machine Co. of Canada Ltd. c. Le ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise [2] pour affirmer que le Parlement voulait sans doute exempter les matières et les articles autres que les ingrédients des jus en établissant le libellé de l'article 3. L'avocat a cité aussi l'opinion dissidente du membre Bertrand dans la cause Universal Grinding Wheel c. Le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise [3] , qui soutient que l'expression «matériaux et articles devant servir exclusivement dans la fabrication des» signifie que ces articles et matières doivent être incorporés au produit fini ou en devenir une partie physique. L'avocat a déclaré que, même si les faits en l'occurrence sont très différents de ceux de la cause Universal Grinding Wheel, les pailles à boire deviennent effectivement une partie physique du produit fini et, par conséquent, sont assujetties à la règle énoncée dans cette cause. À titre de seconde solution, l'avocat a affirmé que les pailles à boire doivent être exemptes de la taxe de vente fédérale en vertu de l'article 3 de la partie I de l'annexe III de la Loi à titre de matières destinées exclusivement à la fabrication ou à la production des marchandises exemptes de taxe énumérées à l'article 1 de ladite partie, à savoir les boîtes à boire Tetra Pak.

L'avocat de l'intimé a soutenu que les pailles à boire ne sont pas admissibles à l'exemption de la taxe de vente fédérale prévue à l'article 3 de la partie V de l'annexe III de la Loi. Suivant la jurisprudence présentée à l'appui, les pailles à boire ne sont pas des articles destinés à la fabrication du jus et ne sont pas un élément constitutif du jus; elles ne sont donc pas admissibles à une exemption de la taxe de vente fédérale. L'intimé se fonde sur la décision rendue dans la cause Dentsply Canada Limited c. Le ministre du Revenu national [4] pour affirmer que les pailles à boire n'entrent pas dans la fabrication du jus, pas plus qu'elles n'en deviennent une partie physique, et que, par conséquent, elles ne sont pas admissibles à l'exemption de la taxe de vente fédérale visée à l'article 3 de la partie V de l'annexe III de la Loi. Les pailles servent plutôt à donner accès au jus et à en faciliter la consommation. L'avocat a ajouté que la taxe de vente fédérale est imposée lorsque l'appelant vend les pailles à boire à ses clients. À ce moment-là, elles sont vendues sous forme d'articles distincts qui ne sont pas fixés sur les boîtes, et le procédé de fabrication expliqué par l'appelant est subséquent à l'incidence de la taxe.

Le Tribunal déclare que les pailles à boire sont exemptes de la taxe de vente fédérale à titre d'articles destinés exclusivement à la production des marchandises exemptes de taxe au sens de l'article 3 de la partie V de l'annexe III de la Loi. Le Tribunal partage le point de vue de l'avocat de l'appelant et admet la jurisprudence invoquée selon laquelle l'acception du mot «article» doit être assez vaste pour englober les pailles à boire [5] . Quant à l'exigence selon laquelle les pailles à boire doivent être destinées exclusivement à la production de marchandises exemptes de taxe, aucun élément de preuve ne permet d'affirmer que les pailles taillées en biseau dont il s'agit servent à une fin autre que la production de produits alimentaires liquides exempts de taxe. Ayant examiné la jurisprudence, le Tribunal est convaincu que le mot «production» employé à l'article 3 de la partie V de l'annexe III de la Loi doit être interprété au sens large. Dans la cause Gaston Charbonneau v. The Queen [6] , qui porte sur la taxe de vente fédérale, le litige portait sur la question de savoir si du sable, du gravier et du sel, mélangés et conditionnés, constituaient des marchandises fabriquées ou produites. La Cour d'appel fédérale a statué que les marchandises en question avaient manifestement été «produites». Le juge Dubé déclare ce qui suit, à la p. 7 :

Même si le gravier et le sel conservent leurs attributs respectifs, du mariage des deux naît un produit commercial présenté dans un emballage distinctif offrant une valeur marchande.

Dans la présente cause, les pailles à boire entrent dans la production d'un article commercial, soit le jus exempt de taxe, présenté dans un emballage distinctif offrant une valeur marchande. De l'avis du Tribunal, les pailles à boire servent manifestement à produire du jus exempt de taxe, ce qui englobe l'étape de production qui comprend le conditionnement du jus.

Enfin, le Tribunal déclare que l'emploi des pailles à boire dans la production du jus exempt de taxe ne signifie pas que ces pailles doivent être incorporées aux marchandises exemptes de taxe ou en former un élément constitutif. De l'avis du Tribunal, si en vertu des articles 1 et 3 de la partie V de l'annexe III de la Loi, les pailles devaient être physiquement intégrées au jus, cela engendrerait une redondance que le Parlement n'aurait pas prévue. La décision rendue dans la cause Dentsply [7] , où le Tribunal déclarait que les articles et matières devant servir à la fabrication des marchandises exemptes de taxe doivent être incorporés au produit fini ou en former un élément constitutif pour être admissibles à l'exemption, se distingue de la présente cause parce qu'elle porte sur une disposition législative qui avait été modifiée pour stipuler expressément que les articles et matières devaient être incorporés aux marchandises exemptes de taxe pour être admissibles à l'exemption. L'article 3 de la partie V de l'annexe III de la Loi n'impose aucune exigence expresse de cette nature.

Ayant déterminé que les pailles à boire sont exemptes de la taxe de vente fédérale en vertu de l'article 3 de la partie V de l'annexe III de la Loi, le Tribunal n'a pas à se prononcer sur la question de savoir si lesdites pailles seraient exemptes de la taxe de vente fédérale en vertu de l'article 3 de la partie I de l'annexe III de la Loi comme l'a proposé l'appelant à titre de seconde solution.

L'appel est admis.


[ Table des matières]

1. L.R.C. (1985), ch. E-15, dans sa version modifiée.

2. (1989), 17 C.E.R. 97.

3. (1985), 6 C.E.R. 236; (1984), 9 R.C.T. 194, à la p. 198.

4. Tribunal canadien du commerce extérieur, appel no 3095, le 30 mars 1990.

5. Voir Singer Sewing Machine Co. of Canada Ltd. c. Le ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise (1989), 17 C.E.R. 97; Les Entreprises Kato Inc. c. Le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise, [1984] 1 C.F. 827.

6. Cour fédérale du Canada, no de la Cour T-2512-75, le 28 mars 1978, à la p. 7.

7. Supra, note 4.


Publication initiale : le 27 juin 1997