RÉAL GRONDIN INC.

Décisions


RÉAL GRONDIN INC.
v.
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Appel no AP-91-212

TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le mercredi 30 septembre 1992

Appel n o AP-91-212

EU ÉGARD À un appel entendu le 30 juin 1992 en vertu de l'article 18 de la Loi sur le droit à l'exportation de produits de bois d'oeuvre, L.R.C. (1985), ch. 12 (3e suppl.) et de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E-15, dans sa version modifiée;

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le ministre du Revenu national le 25 octobre 1991 concernant un avis d'opposition signifié en vertu de l'article 81.15 de la Loi sur la taxe d'accise.

ENTRE

RÉAL GRONDIN INC. Appelant

ET

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL Intimé

L'appel est rejeté. Le Tribunal conclut que l'appelant a exporté des produits de bois d'oeuvre du Canada aux États-Unis pendant la période en cause.


Arthur B. Trudeau ______ Arthur B. Trudeau Membre présidant

Charles A. Gracey ______ Charles A. Gracey Membre

Robert C. Coates, c.r. ______ Robert C. Coates, c.r. Membre

Michel P. Granger ______ Michel P. Granger Secrétaire





L'appelant a transporté du bois d'oeuvre de l'usine d'un marchand de bois des États - Unis à sa scierie au Québec, où il l'a traité puis l'a réexpédié aux États - Unis. L'appelant a ajouté également de son propre bois d'oeuvre aux chargements destinés aux États - Unis. Le bois ainsi ajouté provenait entièrement des États - Unis. L'appelant a dû payer un droit à l'exportation en vertu de la Loi sur le droit à l'exportation de produits de bois d'oeuvre pour la période comprise entre le 19 février et le 1 er juin 1987. Il a soutenu que parce que le bois qu'il a exporté aux États - Unis provenait entièrement des États - Unis, il ne doit pas être tenu de payer le droit à l'exportation. Il a prétendu également que le Tribunal est habilité à appliquer rétroactivement les exemptions dont il a bénéficié après 1987 pour englober la période en cause. Selon l'intimé, le Tribunal ne possède pas la compétence invoquée et vu que l'appelant a exporté du bois d'oeuvre vers les États - Unis, le ministre du Revenu national était justifié d'établir une cotisation correspondant à la valeur du droit à l'exportation.

DÉCISION : L'appel est rejeté. Le Tribunal conclut que l'appelant a exporté du bois d'oeuvre vers les États - Unis, donc qu'il doit payer un droit à l'exportation. Le Tribunal n'est pas habilité à appliquer rétroactivement les exemptions qui ont par la suite été accordées à l'appelant, ni d'annuler la pénalité et les frais d'intérêt imposés à l'appelant.

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario) Date de l'audience : Le 30 juin 1992 Date de la décision : Le 30 septembre 1992
Membres du Tribunal : Arthur B. Trudeau, membre présidant Charles A. Gracey, membre Robert C. Coates, c.r., membre
Services juridiques pour le Tribunal : Karen A. Jensen
Greffier : Dyna Côté
Ont comparu : Jean-Denis Rancourt, pour l'appelant Alain Lafontaine, pour l'intimé





Le présent appel est interjeté en vertu de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise [1] conformément aux dispositions de l'article 18 de la Loi sur le droit à l'exportation de produits de bois d'oeuvre [2] (la Loi).

L'appelant, qui fabrique des produits de bois d'oeuvre, a conclu une entente avec la société Isaacson Lumber Company (Isaacson) des États-Unis. L'appelant a transporté du bois de l'usine Isaacson, dans l'État du Maine, à sa scierie située au Québec, où il l'a séché et classé. Il a réexpédié le bois à la société des États-Unis, à l'exception d'une certaine quantité qu'il a conservée, selon l'entente conclue avec Isaacson, en contrepartie des services de séchage et de classement qu'il a rendus.

Le 30 novembre 1990, une cotisation a été établie au nom de l'appelant en vertu de la Loi. L'appelant a été sommé de payer des droits à l'exportation de 11 248,33 $ à l'égard du bois d'oeuvre expédié aux États-Unis entre le 8 janvier 1987 et le 31 août 1990.

Le 30 novembre 1990, l'appelant a signifié un avis d'opposition qui, le 25 octobre 1991, a été rejeté en partie par le ministre du Revenu national (le Ministre).

Le présent appel a pour objet de déterminer si le bois que l'appelant a reçu de la société des États-Unis, qu'il a traité puis réexpédié à cette même société, est assujetti à un droit à l'exportation conformément aux dispositions du paragraphe 4(1) de la Loi. Dès l'ouverture de l'audience, il a été établi que la présente cause ne portait que sur le droit à l'exportation, plus les pénalités et frais d'intérêt exigibles pour la période comprise entre le 19 février et le 1er juin 1987.

M. Réal Grondin, le propriétaire et président de la société appelante, a déclaré que son entreprise assure le transport de quatre classes de bois d'oeuvre de l'usine Isaacson, dans l'État du Maine, à la scierie Réal Grondin Inc., au Québec. Il a affirmé que les classes vont de 1 à 4, la classe 1 correspondant au bois de qualité supérieure. Environ 15 à 25 p. 100 des livraisons à destination du Québec se composaient de bois de classes 1, 2 et 3, le reste étant constitué de bois de classe 4. Après avoir séché et classé le bois, sa société retourne le bois de classe 4 et le bois de moindre qualité de la classe 3 à Isaacson. M. Grondin a déclaré que sa société conserve le bois des classes 1 et 2 et le bois de qualité supérieure de classe 3 en contrepartie des services rendus. Pour compléter le chargement de bois retourné à Isaacson, l'appelant ajoute du bois produit à sa scierie. M. Grondin a expliqué que ce bois provient de billes achetées à Isaacson.

Au cours du contre-interrogatoire, M. Grondin a affirmé que le prix des services de séchage, de classement et de transport n'était inscrit sur aucun reçu ni bon de commande. Il a déclaré que l'entente qu'il a conclue avec Isaacson constituait une forme de troc. La quantité de bois réexpédiée à la société des États-Unis dépassait parfois la quantité envoyée à l'appelant aux fins de séchage, l'écart étant attribuable au fait que l'opération de séchage a pour effet de réduire le poids du bois, ce qui permet à l'appelant d'ajouter du bois au chargement destiné aux États-Unis. Le témoin a été incapable de préciser la quantité de bois de sa scierie qui était ajoutée pour compléter le chargement. Il a évalué le supplément à quelque 15 à 25 p. 100 du chargement total. M. Grondin a expliqué qu'il est essentiel de sécher le pin avant de le vendre. Le séchage accroît la résistance et la souplesse du pin. Le pin non séché est pratiquement inutile et non commercialisable.

M. Grondin a déclaré qu'en 1987, il a demandé une exemption du droit à l'exportation de bois d'oeuvre, mais que sa demande a été refusée. En 1990, il a obtenu un contingent de 800 000 pieds-planche de bois d'oeuvre pouvant être exportés aux États-Unis avant que soit imposé un droit à l'exportation. En 1991, il a soumis une nouvelle demande d'exemption, et cette fois sa demande a été approuvée. Encore une fois, il a été exempté du paiement du droit à l'exportation en 1992. M. Grondin a soutenu que la décision d'exempter sa société du droit à l'exportation reposait sur le fait que le bois exporté vers les États-Unis provenait de ce pays. Le témoin a prétendu qu'il exerce le même genre d'activité à l'égard du bois reçu d'Isaacson depuis 1983. Il s'est dit étonné que sa société n'ait pas obtenu d'exemption alors que ses activités et le bois utilisé étaient les mêmes en 1987 et en 1991.

M. Gilles Cantin, vérificateur auprès du ministère du Revenu national (Revenu Canada), a témoigné au nom de l'intimé. Il a déclaré qu'en octobre 1987, un vérificateur s'est rendu à l'établissement de commerce de l'appelant pour y effectuer une vérification. Pendant la vérification, M. Grondin a appris que sa société était tenu de payer un droit à l'exportation calculé sur le prix de vente du bois exporté aux États-Unis. Comme M. Grondin était incapable de fournir une preuve du prix de vente du bois que sa société a exporté à Isaacson, on a dû s'en remettre au prix de produits identiques vendus au Canada pour déterminer le montant du droit à l'exportation dû par l'appelant. M. Cantin n'a pas pu préciser le pourcentage du bois exporté qui était constitué de bois provenant de la scierie de l'appelant parce qu'il n'existait aucune preuve de la composition des chargements destinés aux États-Unis.

M. Cantin a expliqué qu'en vertu de la politique de Revenu Canada, les marchandises sont réputées exportées du Canada lorsqu'elles franchissent la frontière canado-américaine après avoir été transformées par un procédé de fabrication au Canada. Il a déclaré que dans le cas présent, le séchage du bois importé au Canada constitue un procédé de fabrication qui entraîne la transformation du bois d'oeuvre. Pour justifier l'imposition d'un droit sur le bois d'oeuvre, il s'en est remis à une fiche de décision de Revenu Canada qui précise que le séchage constitue une activité de fabrication parce qu'il accroît sensiblement la valeur du bois et lui confère de nouvelles propriétés.

M. Cantin a expliqué que bien que certaines sociétés aient été exemptées du paiement du droit à l'exportation du bois d'oeuvre au moment où la Loi est entrée en vigueur en 1987, l'appelant ne faisait pas partie de ce groupe. Au cours du contre-interrogatoire, M. Cantin a affirmé qu'il n'a jamais appliqué rétroactivement une exemption obtenue par une société après l'année de la cotisation. Il a déclaré que son travail consiste à appliquer la loi en vigueur au cours de la période de cotisation.

En se fondant sur les dépositions des témoins et les documents remis au Tribunal, l'avocat de l'appelant a prétendu que ce dernier n'aurait jamais dû être assujetti à un droit à l'exportation, étant donné que tout le bois transporté par son client aux États-Unis était toujours originaire des États-Unis. Il a fait valoir que l'exemption accordée à l'appelant pour 1992 était fondée sur les activités de ce dernier avant 1992. Il a donc soutenu que le Tribunal est habilité à appliquer rétroactivement à 1987 l'exemption accordée à l'appelant en 1992. Comme deuxième élément, l'avocat a prétendu que l'on doit obliger l'appelant à payer un droit à l'exportation seulement sur la partie du chargement qui comprend du bois transformé par l'appelant dans sa scierie, c'est-à-dire entre 15 et 25 p. 100 des expéditions destinées aux États-Unis. Enfin, il a soutenu que l'appelant ne doit pas être tenu de payer une pénalité, car il n'avait pas reçu les renseignements pertinents de la part des fonctionnaires de Revenu Canada au sujet du droit à l'exportation. Si l'appelant avait reçu des renseignements justes, il aurait acquitté le droit sans délai et il aurait par la suite demandé un allégement.

L'avocat de l'intimé a fait valoir que dans le cas de marchandises originaires des États-Unis, deux conditions régissent l'imposition d'un droit à l'exportation de bois d'oeuvre : (1) les marchandises doivent être fabriquées ou transformées au Canada et (2) elles doivent ensuite être exportées aux États-Unis. L'avocat de l'intimé a soutenu que selon la jurisprudence, une marchandise est réputée exportée lorsqu'elle franchit une frontière. Il a fait remarquer que l'appelant a admis s'être conformé aux conditions précitées. Il a donc prétendu que le droit à l'exportation a correctement été imposé par Revenu Canada. Il a ajouté que le Tribunal n'est pas habilité à appliquer rétroactivement aux marchandises exportées en 1987 l'exemption accordée à l'appelant pour 1992. De même, le Tribunal n'a pas la compétence nécessaire pour appliquer rétroactivement aux marchandises exportées en 1987 le contingent accordé à l'appelant pour 1988. L'avocat a insisté sur le fait que le système de contingents et d'exemption a été établi à la suite de négociations et d'ententes entre les gouvernements du Canada et des États-Unis. Il a soutenu que le Tribunal n'est pas autorisé à se soustraire à ces ententes.

L'article 4 de la Loi prévoit que tous les produits de bois d'oeuvre exportés aux États-Unis après le 7 janvier 1987 sont assujettis à un droit à l'exportation. La Loi précise uniquement que le terme «exporter» signifie «[e]xporter hors du Canada». Pour plus de précision sur le sens du terme «exporter», le Tribunal s'en est remis à la décision du juge Strayer dans la cause Old HW - GW Ltd. c. Le ministre du Revenu national [3] , à l'égard de laquelle ce dernier a déclaré ce qui suit :

Il ressort des deux arrêts canadiens les plus pertinents dans lesquels sont interprétées les expressions «marchandises exportées B ¯ ou «marchandises ... pour l'exportation», qui s'appliquaient à des marchandises exemptées de certaines taxes sur la vente, que le terme «exportation» comporte normalement le transfert de marchandises d'un pays à un autre.

Après avoir consulté la définition du verbe «exporter» dans des dictionnaires, le juge Strayer a ajouté ce qui suit :

D'après ces définitions, il semblerait que mis à part le sens littéral de sa racine latine, ex portare , qui signifie emporter ou enlever, le sens le plus naturel dans un contexte commercial du verbe «exporter» ou du substantif «exportation» est l'envoi de marchandises d'un pays à un autre pays étranger.

Le Tribunal croit que le verbe «exporter», au sens que lui confère la Cour fédérale dans la cause Old HW - GW Ltd., s'applique également à la Loi. Il est d'avis que ce terme signifie envoyer ou faire envoyer des marchandises d'un pays à un autre pays.

M. Grondin a déclaré qu'entre le 19 février et le 1er juin 1987, l'appelant a transporté du bois d'oeuvre de sa scierie située au Québec jusque dans l'État du Maine en passant par la frontière entre le Canada et les États-Unis. En principe, l'appelant a «exporté» du bois d'oeuvre du Canada vers les États-Unis en 1987.

Le paragraphe 4(3) de la Loi prévoit l'exemption du paiement des droits à l'exportation dans seulement deux cas : (1) les produits qui ne font que transiter aux États-Unis et (2) les produits exportés aux États-Unis au titre d'un connaissement ou de lettres de voiture portant une date antérieure au 31 décembre 1986. Aucune de ces deux conditions n'a été respectée dans le cas de l'exportation des marchandises en cause.

L'article 15 de la Loi autorise le gouverneur en conseil, sur recommandation du ministre du Commerce extérieur, à accorder des exemptions aux exportateurs de bois d'oeuvre. L'appelant n'a pas obtenu une telle exemption pour la période en cause. Comme il a été mentionné dans une décision antérieure [4] , le Tribunal n'est pas habilité à entendre des appels découlant de décisions du ministre du Commerce extérieur et du gouverneur en conseil concernant le rejet d'une demande d'exemption d'un appelant en vertu de la Loi.

Le Tribunal est conscient du fait que la Loi a été mise en oeuvre pour éviter que les États-Unis n'imposent un droit compensateur sur les exportations de bois d'oeuvre en provenance du Canada. On doit donc supposer que la Loi ne visait pas à imposer un droit sur les produits originaires des États-Unis. Toutefois, en l'absence d'une exemption explicite dans la Loi, le Tribunal n'est pas autorisé à tenir compte de cette supposition et à conclure que le droit ne doit pas être imposé. Une exemption particulière n'est pas stipulée dans la Loi et le Tribunal ne peut pas accorder une telle exemption.

En conséquence, vu que l'appelant exportait des produits de bois d'oeuvre aux États-Unis et qu'il n'a pas respecté les conditions applicables aux exemptions prévues par la Loi, le Tribunal conclut que le Ministre était justifié d'imposer à l'appelant un droit à l'exportation aux termes de l'article 4 de la Loi.

La Loi n'autorise pas le Tribunal à appliquer rétroactivement l'exemption ou le contingent dont l'appelant a bénéficié après 1987. De même, le Tribunal n'a pas le pouvoir d'annuler une pénalité ou des frais d'intérêt imposés à l'appelant.

Par conséquent, l'appel est rejeté. Le Tribunal conclut que l'appelant a exporté des produits de bois d'oeuvre aux États-Unis en 1987. Le Ministre était donc justifié d'obliger l'appelant de payer un droit à l'exportation en vertu de l'article 4 de la Loi.

C'est avec grand regret que le Tribunal rend ce jugement. Il éprouve beaucoup de sympathie pour l'appelant, plus particulièrement parce que le rejet de sa demande d'exemption pour la période en cause ne semble fondé sur aucun motif défendable. Le Tribunal s'explique mal que l'appelant ait été tenu de payer un droit à l'exportation de bois d'oeuvre lorsqu'au cours des années suivantes, la décision de l'exempter du paiement d'un tel droit se fondait sur la même activité d'exportation et lorsque d'autres avaient demandé des exemptions et les avaient préalablement reçues. Cependant, pour les motifs énoncés ci-dessus, le Tribunal n'a d'autre choix que de rejeter l'appel.


[ Table des matières]

1. L.R.C. (1985), ch. E - 15, dans sa version modifiée.

2. L.R.C. (1985), ch. 12 (3e suppl.).

3. Section de première instance de la Cour fédérale du Canada, nos du greffe : T-560-87, T - 602-87, T-690-87; 43 F.T.R. 197, à la p. 203.

4. Non publiée, Nova Lumber Co. Ltd. c. Le ministre du Revenu national, Tribunal canadien du commerce extérieur, appel no 3071, le 19 juillet 1991.


Publication initiale : le 2 juillet 1997