LES PRODUITS SECURO INC.

Décisions


LES PRODUITS SECURO INC.
v.
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Appel n
o AP-92-031

TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le vendredi 15 août 1997

Appel n o AP-92-031

EU ÉGARD À un appel entendu le 4 mars 1997 aux termes de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E-15;

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le ministre du Revenu national le 21 février 1992 concernant un avis d 'opposition signifié aux termes de l'article 81.15 de la Loi sur la taxe d'accise.

ENTRE

LES PRODUITS SECURO INC. Appelant

ET

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL Intimé

L'appel est admis en partie.


Raynald Guay ______ Raynald Guay Membre présidant

Lyle M. Russell ______ Lyle M. Russell Membre

Charles A. Gracey ______ Charles A. Gracey Membre

Michel P. Granger ______ Michel P. Granger Secrétaire





Le présent appel a trait à certaines ventes de lunettes de sécurité effectuées par l'appelant. L'appelant a fait valoir qu'il est un grossiste titulaire de licence et non un « fabricant ou producteur » aux termes de la Loi sur la taxe d'accise. L'appelant a soutenu qu'il avait donc raison de verser la taxe calculée en fonction du coût des marchandises plutôt que du prix de vente à ses clients. L'appelant a par ailleurs soutenu que, si le Tribunal devait déclarer qu'il était un « fabricant ou producteur », ses ventes de lunettes de sécurité à Bell Canada et à Hydro-Québec étaient donc exemptes de la taxe de vente pour le motif que ces entités sont elles-mêmes des fabricants ou producteurs qui ont acheté les lunettes de sécurité pour la prévention des accidents dans la fabrication ou la production de marchandises.

Les questions en litige dans le présent appel consistent, premièrement, à déterminer si l'appelant est un fabricant ou producteur aux fins de la Loi sur la taxe d'accise et, à ce titre, assujetti prima facie au paiement de la taxe de vente calculée en fonction du prix de vente de ses marchandises, et, deuxièmement, si tel est le cas, si certaines de ses ventes sont néanmoins exemptes de la taxe de vente.

DÉCISION : L'appel est admis en partie. Le Tribunal est d'avis que l'appelant est un fabricant ou producteur aux termes de la définition élargie donnée à ces mots dans la Loi sur la taxe d'accise. Relativement à l'exemption demandée, le Tribunal n'est pas persuadé que Bell Canada est un fabricant ou producteur et conclut donc que l'assertion de l'appelant touchant ses ventes à Bell Canada ne peut tenir. Le Tribunal est, par contre, persuadé qu'Hydro-Québec est un fabricant ou producteur d'électricité et que les lunettes de sécurité que cette société a achetées étaient destinées à être utilisées pour la prévention d'accidents dans la fabrication ou la production d'électricité.

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario) Date de l'audience : Le 4 mars 1997 Date de la décision : Le 15 août 1997
Membres du Tribunal : Raynald Guay, membre présidant Lyle M. Russell, membre Charles A. Gracey, membre
Avocat pour le Tribunal : John L. Syme
Greffier : Anne Jamieson
Ont comparu : Christopher R. Mostovac, pour l'appelant Jan Brongers, pour l'intimé





Le présent appel a été interjeté aux termes de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise [1] (la Loi) à l'égard d'une cotisation de 40 833,32 $ établie par le ministre du Revenu national le 20 février 1991 relativement à des taxes impayées, plus intérêts et pénalités. La cotisation visait la période allant du 1er mars 1987 au 31 décembre 1990.

Les questions en litige dans le présent appel consistent, premièrement, à déterminer si l'appelant est un fabricant ou producteur aux fins de la Loi et, à ce titre, assujetti prima facie au paiement de la taxe de vente calculée en fonction du prix de vente de ses marchandises, et, deuxièmement, si tel est le cas, si certaines de ses ventes sont néanmoins exemptes de la taxe de vente.

L'avocat de l'appelant a fait comparaître M. Serge Pétrin, président de la société Le Groupe Securo Inc., à titre de témoin de l'appelant. L'avocat de l'intimé a fait comparaître M. Tho Le Quang, vérificateur du ministère du Revenu national. Les faits essentiels de ce litige ne sont pas contestés.

Le présent appel a trait aux ventes, par l'appelant, de lunettes de sécurité à Hydro-Québec et à Bell Canada pendant la période visée. Avant le 1er janvier 1989, l'appelant importait des lunettes de sécurité entièrement assemblées, qu'il vendait à ses clients. L'appelant versait la taxe de vente en tant que grossiste titulaire de licence, en la calculant sur le coût des marchandises plutôt que sur le prix de vente à ses clients. Le 1er janvier 1989, l'appelant a commencé à importer séparément les montures et les lentilles pour les lunettes de sécurité. Il assemblait ces composantes et les emballait pour la vente. Croyant que son statut de grossiste titulaire de licence était inchangé, l'appelant a continué de verser la taxe de vente calculée sur le coût des marchandises. Cependant, en établissant une cotisation pour la taxe de vente impayée par l'appelant, l'intimé a adopté pour position que, depuis le 1er janvier 1989, l'appelant était un fabricant ou producteur de lunettes de sécurité et aurait donc dû verser la taxe de vente calculée sur le prix de vente à ses clients plutôt que sur le coût des composantes.

L'avocat de l'appelant a fait valoir deux arguments. Sa première position était que l'appelant n'est pas un fabricant ou producteur aux termes de la Loi. À l'appui de cette position, l'avocat a rappelé le témoignage de M. Pétrin selon lequel un seul des 30 employés de l'appelant travaille à l'assemblage des lunettes de sécurité en cause. En outre, l'employé ne consacre à cette activité que cinq ou six heures de chaque jour ouvrable. L'avocat a aussi renvoyé le Tribunal au témoignage de M. Pétrin selon lequel il n'y a pas de différence de coût pour l'appelant entre l'achat des lunettes de sécurité entièrement assemblées et leur achat en pièces détachées. L'avocat a déclaré que ce fait indique que la fonction d'assemblage n'ajoute aucune « valeur » aux composantes et que, par conséquent, cet assemblage ne constitue pas de la « production ou fabrication ».

L'avocat de l'appelant a par ailleurs fait valoir que, si le Tribunal jugeait que l'appelant est un fabricant ou producteur et, à ce titre, assujetti prima facie au versement de la taxe de vente calculée en fonction de son prix de vente, les ventes de lunettes de sécurité par l'appelant à Hydro-Québec et à Bell Canada devraient donc être exemptes de la taxe de vente aux termes du paragraphe 51(1) de la Loi. Ce paragraphe se lit comme suit :

51.(1) La taxe imposée par l'article 50 ne s'applique pas à la vente ou à l'importation des marchandises mentionnées à l'annexe III, excepté les marchandises mentionnées à la partie XIII de cette annexe qui sont vendues ou importées par des personnes exemptées du paiement de la taxe de consommation ou de vente en application du paragraphe 54(2).

L'alinéa 1d) de la partie XIII de l'annexe III de la Loi prévoit une exemption de la taxe de vente pour « les dispositifs et matériels de sécurité vendus à des fabricants ou producteurs, ou importés par eux et destinés à être utilisés par eux pour la prévention des accidents dans la fabrication ou la production de marchandises ».

L'avocat de l'appelant a fait valoir que les lunettes de sécurité vendues par l'appelant sont des « dispositifs […] de sécurité » au sens de l'alinéa 1d). L'avocat de l'intimé en a convenu.

Relativement à la question de savoir si les lunettes de sécurité ont été ou non vendues à des fabricants ou producteurs pour être utilisées par ces derniers pour la prévention des accidents dans la fabrication ou la production de marchandises, l'avocat de l'appelant a soutenu qu'Hydro-Québec se livre à la production d'électricité. À l'appui de cette affirmation, l'avocat a renvoyé le Tribunal à un arrêt où la Cour suprême du Canada [2] décrétait que l'électricité est une « marchandise » au sens de ce mot dans les dispositions applicables de la Loi et que la Commission hydroélectrique de Québec (prédécesseur d'Hydro-Québec) était un « fabricant ou producteur de marchandises [3] ». L'avocat a avancé que Bell Canada se livre aussi à une entreprise de fabrication. L'avocat a signalé que la conception, la fabrication et l'installation de lignes téléphoniques et du matériel nécessaire à leur exploitation sont essentiellement une opération de fabrication. Selon les termes mêmes employés par l'avocat, « lorsqu'on regarde une forêt et qu'on découvre deux ans plus tard qu'elle a fait place à un quartier, muni d'un système téléphonique entièrement fonctionnel et actif, il a bien fallu que Bell Canada construise, conçoive, fabrique et mette en place ce système [4] » [traduction].

L'avocat de l'intimé a d'abord traité de la question qui consiste à déterminer si l'appelant est ou non un « fabricant ou producteur » aux termes de la Loi. À ce sujet, l'avocat a renvoyé le Tribunal au paragraphe 2(1) de la Loi, qui prévoit, en partie :

2.(1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

« fabricant ou producteur » Y sont assimilés :

f) toute personne qui, y compris par l'intermédiaire d'une autre personne agissant pour le compte de celle-ci, prépare des marchandises pour la vente en les assemblant, fusionnant, mélangeant, coupant sur mesure, diluant, embouteillant, emballant ou remballant, ou en les enduisant ou les finissant, à l'exclusion d'une personne qui prépare ainsi des marchandises dans un magasin de détail afin de les y vendre exclusivement et directement aux consommateurs. (Soulignement ajouté)

L'avocat de l'intimé a fait valoir que, étant donné qu'il assemble et emballe ou remballe les lunettes de sécurité, l'appelant est clairement un fabricant ou producteur aux termes de l'alinéa f) de la définition de « fabricant ou producteur ». Par conséquent, les ventes de lunettes de sécurité de l'appelant sont assujetties à la taxe de vente conformément au paragraphe 50(1) de la Loi, à moins qu'une exemption ne s'applique.

Quant à savoir si les ventes de l'appelant à Hydro-Québec et à Bell Canada étaient exemptes de la taxe de vente, l'avocat de l'intimé a fait valoir que c'est à l'appelant qu'il incombe de faire la preuve que : a) ces deux entités sont des fabricants ou producteurs; et b) les lunettes de sécurité achetées par ces sociétés étaient destinées à être utilisées pour la prévention des accidents dans la fabrication ou la production de marchandises. Après avoir analysé les éléments de preuve produits par l'appelant sur ces points, l'avocat a fait valoir que l'appelant ne s'était tout simplement pas acquitté de ce fardeau. L'avocat a soutenu que, même s'il était disposé à accepter qu'Hydro-Québec ou Bell Canada., ou les deux, sont des fabricants ou producteurs, le Tribunal ne saurait déclarer que ces entités ont acheté des lunettes de sécurité à l'appelant « pour la prévention des accidents dans la fabrication ou la production de marchandises », l'appelant n'ayant présenté aucun élément de preuve en ce sens.

De l'avis du Tribunal, il est incontestable que, à compter du 1er janvier 1991, l'appelant était un fabricant ou producteur de lunettes de sécurité selon l'alinéa f) de la définition de « fabricant ou producteur » aux termes du paragraphe 2(1) de la Loi. M. Pétrin a reconnu d'emblée que l'employé de l'appelant « assemble » et « emballe » les lunettes de sécurité avant la vente. Ces activités sont expressément énumérées à l'alinéa f). Le fait que l'activité n'ajoute pas à la valeur des lunettes de sécurité est sans importance pour déterminer si l'appelant est ou non un fabricant ou producteur.

Comme l'appelant est un fabricant ou producteur, les ventes des marchandises qu'il fabrique et produit seraient normalement assujetties à la taxe de vente aux termes du paragraphe 50(1) de la Loi. Cependant, en l'espèce, l'appelant a fait valoir que ses ventes de lunettes de sécurité à Hydro-Québec et à Bell Canada sont exemptes de la taxe de vente conformément au paragraphe 51(1) et à l'alinéa 1d) de la partie XIII de l'annexe III de la Loi. Pour tomber sous le coup de l'exemption prévue à l'alinéa 1d), il faut satisfaire à trois conditions, à savoir que :

• les marchandises doivent être des dispositifs ou matériels de sécurité;

• les marchandises doivent être achetées ou importées par un fabricant ou producteur;

• les marchandises doivent être destinées à être utilisées par le fabricant ou producteur pour la prévention des accidents dans la fabrication ou la production de marchandises.

Relativement à la première condition, le Tribunal est convaincu que les lunettes en cause sont des dispositifs ou matériels de sécurité.

Relativement à la deuxième condition, le Tribunal est convaincu qu'Hydro-Québec est un fabricant ou producteur au sens de la Loi. Le Tribunal fonde cette conclusion sur les opinions exprimées par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Commission hydroélectrique de Québec. Ainsi qu'il a déjà été signalé, la Cour suprême du Canada a jugé que l'électricité est une « marchandise » au sens de ce mot dans les dispositions applicables de la Loi et que la Commission hydroélectrique de Québec est un fabricant ou producteur de cette marchandise. Le Tribunal fait observer que la Cour d'appel fédérale, dans une affaire traitant d'une demande d'exemption de la taxe de vente par Hydro-Québec aux termes de la Loi, a appliqué l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Commission hydroélectrique de Québec en statuant que l'électricité est une « marchandise » et qu'Hydro-Québec est un fabricant ou producteur [5] .

L'avocat de l'appelant a fait valoir que Bell Canada était un fabricant ou producteur du fait qu'elle « fabriquait » ou « construisait » l'installation physique nécessaire pour acheminer des appels téléphoniques. Invité en contre-interrogatoire à préciser quelle « marchandise » Bell Canada fabrique ou produit, M. Pétrin a dit que Bell Canada produit de l'électricité à basse tension.

Le Tribunal n'est pas convaincu, en examinant les éléments de preuve produits par l'appelant, que Bell Canada est un fabricant ou producteur. Il est implicite que quiconque porte des lunettes de sécurité sur un chantier le fait pour prévenir des accidents. Cependant, l'alinéa 1d) de la partie XIII de l'annexe III de la Loi ne prévoit une exemption de la taxe de vente que lorsque les lunettes de sécurité sont achetées par un fabricant ou producteur, et non pas lorsqu'elles sont achetées par un fournisseur de services. Comme il n'est pas convaincu que Bell Canada est un fabricant ou producteur, le Tribunal ne saurait accorder l'exemption que réclame l'appelant.

Reste à déterminer si les ventes de l'appelant à Hydro-Québec répondent à la troisième condition énoncée plus haut et, en particulier si les lunettes de sécurité étaient destinées à être utilisées par Hydro-Québec pour la prévention des accidents dans la fabrication ou la production de marchandises. Dans cette troisième condition, il y a deux éléments : d'abord, si les lunettes de sécurité étaient utilisées pour la prévention des accidents; et, en second lieu, si elles étaient destinées à être utilisées au cours de la fabrication de marchandises.

Pour ce qui est du premier élément, de l'avis du Tribunal, il est raisonnable de croire que les lunettes de sécurité achetées par Hydro-Québec l'ont été pour la prévention des accidents. Les lunettes de sécurité sont spécifiquement conçues et utilisées pour empêcher des objets étrangers ou des substances étrangères de s'introduire accidentellement dans les yeux de celui qui les porte. De fait, il est difficile de concevoir une fin, autre que la prévention des accidents, pour laquelle Hydro-Québec achèterait ces lunettes.

Le Tribunal est aussi disposé à accepter qu'Hydro-Québec a acheté les lunettes de sécurité pour les utiliser dans la fabrication de marchandises, soit l'électricité. La disposition d'exemption fait état des marchandises qui sont « vendu[e]s à des fabricants ou producteurs, ou importé[e]s par eux et destiné[e]s à être utilisé[e]s par eux pour la prévention des accidents dans la fabrication ou la production de marchandises ». Le Tribunal est d'avis que, selon l'esprit de la Loi, la question de savoir si l'exemption s'applique doit être déterminée au moment de l'achat, et non pas par la suite, pendant l'utilisation effective des marchandises [. Le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise c. Steel Company of Canada Limited, non publié, [1983] A.C.F. no 520, le 13 juin 1983.] . Dans le cas de certaines marchandises achetées par Hydro-Québec, l'utilisation précise des marchandises et, partant, leur admissibilité ou non-admissibilité à une exemption serait manifeste au moment de l'achat. Par exemple, les turbines utilisées pour la production d'électricité entreraient dans cette catégorie, vu qu'elles ne sauraient être utilisées à quelque fin autre que la production d'électricité.

Les lunettes de sécurité ne sont pas des marchandises d'un genre similaire aux turbines, en ce sens que, bien qu'elles aient toujours la même fonction de base, elles peuvent être utilisées dans des cadres différents. Il faut se rappeler, toutefois, qu'Hydro-Québec ne se livre qu'à une seule entreprise commerciale, la production d'électricité. Tout bien considéré, le Tribunal est d'avis qu'il est raisonnable de conclure que des objets comme des lunettes de sécurité ou des outils ou du matériel, qui, par leur nature même, sont destinés à être utilisés pour des activités de construction, de réparation ou d'autres activités semblables, lorsqu'ils sont achetés par une entité comme Hydro-Québec, dont l'activité unique ou principale est la production d'une « marchandise », sont achetés pour être utilisés pour la production de cette « marchandise ».

À la lumière de ce qui précède, le Tribunal est d'avis que les ventes de lunettes de sécurité par l'appelant à Hydro-Québec pour la période allant du 1er janvier 1989 au 31 décembre 1990 étaient exemptes de la taxe de vente. Par conséquent, l'appel est admis en partie.


[ Table des matières]

1. L.R.C. (1985), ch. E-15.

2. Commission hydroélectrique de Québec c. Le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise, [1970] R.C.S. 30.

3. Ibid. à la p. 32.

4. Transcription de l'argumentation publique, le 4 mars 1997 à la p. 14.

5. Sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise c. Hydro-Québec, non publié, [1994] A.C.F. no 963, le 20 juin 1994.


Publication initiale : le 8 septembre 1997