2284791 MANITOBA LTD.

Décisions


2284791 MANITOBA LTD.
v.
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Appel no AP-91-232

TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le jeudi 28 octobre 1993

Appel n o AP-91-232

EU ÉGARD À un appel entendu le 18 février 1993, aux termes de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E-15;

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le ministre du Revenu national le 29 novembre 1991, concernant un avis d'opposition signifié aux termes de l'article 81.15 de la Loi sur la taxe d'accise.

ENTRE

2284791 MANITOBA LTD. Appelant

ET

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL Intimé

L'appel est admis.


Michèle Blouin ______ Michèle Blouin Membre présidant

Desmond Hallissey ______ Desmond Hallissey Membre

Lise Bergeron ______ Lise Bergeron Membre

Michel P. Granger ______ Michel P. Granger Secrétaire





Pendant la période de cotisation, soit du 1 er août 1988 au 31 octobre 1989, l'appelant, qui exploite une entreprise sous la raison sociale Technicrete Precast, a fabriqué des panneaux en béton préfabriqué connus sous le nom «Waffle - Crete», devant servir à la construction de bâtiments. L'appelant appartient à 75 p. 100 à M me Ronda Homenko et à 25 p. 100 à un employé non lié. Pendant la période pertinente, toutes les ventes de l'appelant ont été effectuées auprès de Homenko Builders Inc., qui appartient à 100 p. 100 à l'époux de M me Ronda Homenko, M. Lawrence Homenko. Avant la période de cotisation, une société non liée, qui utilisait certains moules ou certains coffrages fournis par Homenko Builders Inc., fabriquait les marchandises en cause pour cette dernière. Le présent appel porte sur deux questions. La première question consiste à déterminer si l'appelant et Homenko Builders Inc. sont des «personnes liées» au sens du paragraphe 2(2.2) de la Loi sur la taxe d'accise. La deuxième question consiste à savoir, si elles sont liées, si l'appelant a fait payer à Homenko Builders Inc. un «prix de vente raisonnable» pour les marchandises en cause, au sens du paragraphe 58(1) de la Loi sur la taxe d'accise.

DÉCISION : L'appel est admis. Les prix de vente que l'appelant a fait payer à une société liée étaient raisonnables dans les circonstances, ayant été évalués comme si l'appelant avait été sans lien de dépendance avec la société liée au moment des transactions en cause.

Lieu de l'audience : Winnipeg (Manitoba) Date de l'audience : Le 18 février 1993 Date de la décision : Le 28 octobre 1993
Membres du Tribunal : Michèle Blouin, membre présidant Desmond Hallissey, membre Lise Bergeron, membre
Avocat pour le Tribunal : Hugh J. Cheetham
Greffier : Janet Rumball
Ont comparu : Kornelius Loewen, B.A., C.A., pour l'appelant Frederick B. Woyiwada, pour l'intimé





Le présent appel est interjeté aux termes de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise [1] (la Loi) à l'égard d'une décision rendue par le ministre du Revenu national (le Ministre) le 29 novembre 1991.

Pendant la période de cotisation, soit du 1er août 1988 au 31 octobre 1989, l'appelant, qui exploite une entreprise sous la raison sociale Technicrete Precast, a fabriqué des panneaux en béton préfabriqué connus sous le nom «Waffle-Crete», devant servir à la construction de bâtiments. L'appelant appartient à 75 p. 100 à Mme Ronda Homenko et à 25 p. 100 à un employé non lié. Pendant la période pertinente, toutes les ventes de l'appelant ont été effectuées auprès de Homenko Builders Inc. (Homenko Inc.), qui appartient à 100 p. 100 à l'époux de Mme Ronda Homenko, M. Lawrence Homenko. M. Homenko est également directeur général de la société 2284791 Manitoba Ltd. Avant la période de cotisation, une société non liée, qui utilisait certains moules ou certains coffrages fournis par Homenko Inc., fabriquait les marchandises en cause pour cette dernière. Homenko Inc. a obtenu le droit d'utiliser ces coffrages dans le cadre d'un contrat de licence conclu avec le détenteur des droits conférés au brevet. Par un accord daté du 6 mai 1988, Homenko Inc. a cédé ses droits de fabriquer des panneaux «Waffle-Crete» à l'appelant, et, tel qu'il a été indiqué, lorsque l'appelant a commencé la production, Homenko Inc. a satisfait ses besoins au moyen d'achats à celui-ci.

Dans un avis de cotisation daté du 15 décembre 1989, le Ministre a établi à l'égard de l'appelant une cotisation de 8 930,80 $ au titre de taxes impayées, y compris les intérêts et la pénalité, sur le motif qu'aux termes du paragraphe 58(1) de la Loi, l'appelant a effectué auprès d'une personne liée des ventes à un prix inférieur à un «prix de vente raisonnable». Le 3 janvier 1990, l'appelant s'est opposé à la cotisation sur le motif que le prix utilisé par l'appelant était raisonnable et que la première année des activités de l'appelant ne donnait pas une idée exacte de sa véritable marge brute, si bien qu'elle n'était pas valable pour les besoins de la détermination d'un prix raisonnable. Par un avis de décision daté du 29 novembre 1991, le Ministre a accepté des observations de l'appelant relativement à la marge brute, mais, ce faisant, a utilisé une marge brute moyenne en fonction de laquelle il a conclu que l'appelant devait toujours 4 936,20 $, y compris les intérêts et la pénalité.

Le présent appel porte sur deux questions. La première question consiste à déterminer si l'appelant et Homenko Inc. sont des «personnes liées» au sens du paragraphe 2(2.2) de la Loi. La deuxième question consiste à savoir, si elles sont liées, si l'appelant a fait payer à Homenko Inc. un «prix de vente raisonnable» pour les marchandises en cause, au sens du paragraphe 58(1) de la Loi et, si elles ne le sont pas, si l'intimé a utilisé la méthode qui convenait pour établir un «prix de vente raisonnable».

Les parties pertinentes du paragraphe 58(1) de la Loi se lisent comme suit :

pour l'application de la présente partie et de la partie III, lorsque des marchandises fabriquées ou produites au Canada [...] sont vendues [...] par leur fabricant ou producteur à une personne avec laquelle il a un lien de dépendance [...] pour un prix moindre que celui qui aurait été raisonnable dans les circonstances s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance à cette date, le fabricant ou producteur est réputé avoir vendu les marchandises à cette date pour un prix de vente raisonnable.

Au début de l'audience, le représentant de l'appelant a fait savoir que, pour ce qui était de la première question, l'appelant n'avait jamais mis en cause le fait que les deux sociétés concernées étaient liE9‚es. L'audience s'est donc poursuivie afin de considérer la deuxième question.

Le représentant de l'appelant a convoqué un témoin, M. Lawrence Homenko. M. Homenko a expliqué qu'au cours des trois années qui ont précédé le début des activités de l'appelant, Homenko Inc. faisait faire les panneaux par deux sociétés locales. Il a déclaré qu'au moment où ses relations d'affaires avec ces autres sociétés ont pris fin, Homenko Inc. devait payer environ 2,50 $/pi2 pour les panneaux en béton non armé, et environ 2,75 $/pi2 pour les panneaux en béton apparent. M. Homenko a témoigné que l'appelant avait utilisé ces prix comme points de référence pour l'établissement des prix auxquels l'appelant vendrait les marchandises en cause à Homenko Inc. Le témoin a avancé en outre que ses prix étaient raisonnables, comparés à ceux qu'exigeait le seul autre fabricant de panneaux «Waffle-Crete» au Canada dont il avait connaissance, et qui est installé à Kelowna (Colombie-Britannique). M. Homenko a également fait remarquer que les marchandises en cause sont utilisées sur le segment «bas de gamme» du marché de la construction de bâtiments, principalement dans de petits bâtiments commerciaux d'un étage.

Lors du contre-interrogatoire, M. Homenko a convenu du fait que les factures relatives aux achats de Homenko Inc. auprès de ses autres sociétés et qui ont été produites à titre d'éléments de preuve étaient datées d'un an ou de plusieurs mois avant le début de la période de cotisation. M. Homenko a expliqué que les coffrages utilisés pour faire les panneaux étaient achetés du titulaire du brevet, aux États-Unis, et que Homenko Inc., et maintenant l'appelant, avait payé des droits annuels pour utiliser l'expression «Waffle-Crete» lorsqu'elle utilisait le produit fait avec les coffrages. M. Homenko a confirmé qu'il n'avait pas fait payer de frais pour l'utilisation des coffrages aux sociétés qui faisaient antérieurement les panneaux pour Homenko Inc. M. Homenko a également déclaré qu'entre 1985 et 1988, le prix exigé de Homenko Inc. pour les panneaux n'avait pas changé. Il a aussi fait remarquer que certaines des factures établies par l'appelant pour Homenko Inc. montraient que le prix exigé par l'appelant était supérieur au prix demandé par ces autres sociétés. En réponse à des questions du Tribunal sur ce dernier point, M. Homenko a indiqué que les prix avaient été sciemment majorés pour éviter d'avoir des problèmes.

L'avocat de l'intimé a convoqué un témoin, M. Amado Mendoza, vérificateur principal au ministère du Revenu national. M. Mendoza est l'agent qui a effectué la vérification initiale de l'appelant relativement à l'établissement du «prix de vente raisonnable» des marchandises en cause. M. Mendoza a déclaré que l'intimé avait pour position qu'il devait, aux termes de la Loi et attendu que les transactions pertinentes s'étaient produites entre des sociétés liées, déterminer un prix de vente raisonnable en fonction des critères établis par l'intimé. Le témoin a ensuite décrit les trois méthodes qui s'offrent à l'intimé en pareil cas et a expliqué pourquoi les deux premières méthodes, qu'il a appelées la méthode du prix comparable sur le marché libre et la méthode du prix de revente, n'avaient pas été considérées appropriées en l'espèce. M. Mendoza a poursuivi en exposant comment il avait suivi la troisième méthode, la méthode du prix de revient majoré d'une marge bénéficiaire, et comment l'application qu'il en a faite a été révisée à la suite de l'objection faite par l'appelant à l'encontre de la cotisation d'origine.

Au cours du contre-interrogatoire, M. Mendoza a déclaré que les ventes effectuées entre l'appelant et des tierces parties n'étaient pas utilisables dans le cadre de la méthode du prix comparable sur le marché libre, parce que cette méthode porte sur les ventes d'une société en cause à des tierces parties, et non sur les ventes de tierces parties à une société en cause. M. Mendoza a également témoigné au cours de l'interrogatoire principal, du contre-interrogatoire et du réinterrogatoire relativement aux premiers états financiers de l'appelant, qui couvraient des périodes de 5 et 12 mois, respectivement, ainsi qu'au sujet des marges bénéficiaires qui y étaient déclarées.

Le représentant de l'appelant a ouvert son argumentation en mettant en question les marges bénéficiaires attribuées à l'appelant pour les besoins de la détermination du «prix de vente raisonnable» par l'intimé. Il a avancé que ces marges ne donnaient pas une idée exacte du segment bas de gamme du marché de la construction de bâtiments, qui, a-t-il déclaré, possède des marges bénéficiaires moins importantes. Le représentant de l'appelant a également expliqué les différences qui figuraient dans les états financiers de l'appelant. Il a traité des prix demandés par l'appelant à Homenko Inc. et a allégué que l'appelant avait fait son possible pour demander un prix correspondant à une valeur marchande réaliste du produit, et a réitéré que l'appelant avait expressément majoré le prix des marchandises par rapport à celui qui était demandé par les sociétés non liées pour éviter le genre de problèmes qu'il avait maintenant. Il a également émis l'hypothèse que les coûts de production de ces sociétés non liées seraient inférieurs à ceux de l'appelant parce que, contrairement à ce dernier, ces sociétés mélangent leur propre béton, et évitent ainsi de verser la marge que l'appelant doit payer à l'achat du béton qu'il coule dans les coffrages. Lors de la contre preuve, le représentant de l'appelant a fait valoir que le fait que l'appelant ne faisait pas payer aux sociétés non liées l'utilisation des coffrages devait être considéré comme non pertinent, car les coffrages avaient été transférés à l'appelant par Homenko Inc. et amortis par l'appelant dans ses états financiers.

L'avocat de l'intimé a d'abord soutenu que les éléments de preuve produits par l'appelant n'étaient pas suffisants pour s'acquitter du fardeau de prouver que la cotisation établie par l'intimé était erronée. L'avocat a donné deux raisons pour lesquelles le Tribunal devrait ignorer les éléments de preuve relatifs aux achats de l'appelant à des sociétés sans lien de dépendance avec lui. Premièrement, ces transactions se sont produites bien avant les transactions en cause. Deuxièmement, ces autres sociétés ont utilisé les coffrages de l'appelant sans rien débourser. Si les frais liés à l'utilisation des coffrages avaient été transmis, a fait valoir l'avocat, le prix demandé par ces sociétés aurait de toute évidence été nettement plus élevé, quoique l'avocat a admis ne pas savoir ce qu'il aurait été. L'avocat a également avancé qu'il ne faut pas tenir compte des renseignements relatifs aux prix reçus de la société de Kelowna (Colombie-Britannique), parce que la marché géographique d'où proviennent ces renseignements est extrêmement différent de celui dans lequel se trouve l'appelant. Enfin, pour ce qui est des trois méthodes utilisées par l'intimé pour déterminer un «prix de vente raisonnable», l'avocat a déclaré que ces méthodes sont conformes, non seulement au bon sens, mais encore aux principes comptables généralement reconnus.

Le Tribunal est d'avis que l'appelant a bien fait payer à Homenko Inc. un «prix de vente raisonnable» pour les panneaux en cause au sens du paragraphe 58(1) de la Loi et, par conséquent, que l'appel doit être admis. Le Tribunal en vient à cette conclusion en interprétant le libellé du paragraphe 58(1) de la Loi comme signifiant ce qui suit : i) le fabricant ou le producteur en cause a le droit d'établir un prix de vente avec une partie avec laquelle il a un lien de dépendance; ii) ce prix sera le prix utilisé comme référence pour les besoins de la détermination de la taxe éventuellement payable aux termes de la Loi, s'il est raisonnable dans les circonstances, si le fabricant ou le producteur ainsi que la personne avec laquelle il fait affaire étaient sans lien de dépendance (c'est-à-dire que ce prix est considéré comme étant un «prix de vente raisonnable»); iii) le fabricant ou le producteur ne sera que réputé avoir vendu les marchandises concernées pour un «prix de vente raisonnable» si aucun prix de vente n'a été établi ou si le prix de vente établi était un prix de vente moindre que celui qui aurait été raisonnable dans les circonstances (c'est-à-dire un prix inférieur au «prix de vente raisonnable»); et iv) si le fabricant ou le producteur est réputé vendre à un «prix de vente raisonnable», l'intimé peut établir ce prix selon l'une des différentes méthodes évoquées ci-dessus. En d'autres termes, lorsqu'il a été déterminé que les transactions en cause sont des transactions entre des sociétés liées et qu'il y a un prix de vente, il faut d'abord évaluer si ce prix lui-même est un «prix de vente raisonnable», et ce n'est que si ce prix s'avère ne pas être un «prix de vente raisonnable» qu'il faut envisager un prix réputé et considérer si le prix réputé a été établi au moyen de la méthode appropriée dans le contexte des faits pertinents en l'espèce.

Dans la présente cause, le Tribunal est convaincu que les prix demandés par l'appelant à Homenko Inc. étaient raisonnables dans les circonstances, les évaluant comme si l'appelant et Homenko Inc. avaient été sans lien de dépendance au moment où les ventes ont été conclues. Quoique les transactions sur lesquelles l'appelant s'est fondé se soient effectivement produites un certain temps avant les transactions en cause, le Tribunal est d'avis que cet écart temporel n'est pas suffisant pour invalider une comparaison, en particulier au regard de l'existence d'éléments de preuve non contestés quant au fait que les prix des panneaux n'ont pas changé pendant trois ans. En outre, le Tribunal remarque que certaines des transactions entre l'appelant et Homenko Inc. ont été effectuées à des prix sensiblement supérieurs aux prix auxquels Homenko Inc. a acheté des panneaux à des sociétés non liées, et que l'appelant les avait sciemment fixés à ces niveaux pour qu'ils soient plus conformes au prix du marché. Pour ce qui est de l'argument de l'avocat de l'intimé selon lequel les prix des sociétés non liées étaient artificiellement bas parce qu'il n'avait pas été tenu compte dans leur établissement des frais de licence que Homenko Inc. devait acquitter pour l'utilisation des coffrages, le Tribunal est d'avis que ces coûts sont pour le moins compensés par la majoration de prix pratiquée par l'appelant et par les coûts supplémentaires qu'il a dû supporter en achetant son béton plutôt qu'en le mélangeant lui-même.

En conséquence, l'appel est admis.


[ Table des matières]

1. L.R.C. (1985), ch. E - 15.


Publication initiale : le 2 juillet 1997