GOLDEN BEAR OPERATING COMPANY LTD.

Décisions


GOLDEN BEAR OPERATING COMPANY LTD.
v.
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Appel no AP-92-072

TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le lundi 17 mai 1993

Appel n o AP-92-072

EU ÉGARD À un appel entendu le 9 décembre 1992 aux termes de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E-15;

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le ministre du Revenu national le 24 avril 1992 concernant un avis d'opposition signifié aux termes de l'article 81.17 de la Loi sur la taxe d'accise.

ENTRE

GOLDEN BEAR OPERATING COMPANY LTD. Appelant

ET

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL Intimé

L'appel est admis.


Robert C. Coates, c.r. ______ Robert C. Coates, c.r. Membre présidant

Arthur B. Trudeau ______ Arthur B. Trudeau Membre

Desmond Hallissey ______ Desmond Hallissey Membre

Michel P. Granger ______ Michel P. Granger Secrétaire





L'appelant exploite une mine d'or et une usine de transformation du minerai dans le nord de la Colombie - Britannique. Vu l'éloignement de la mine et de l'usine, l'appelant n'a pas accès au réseau électrique de B.C. Hydro; il utilise donc du combustible diesel pour produire de l'électricité et chauffer les installations de la mine et l'usine, de même que pour faire fonctionner des véhicules de surface utilisés à l'emplacement de la mine et dans les environs. Le combustible est livré à un parc de stockage, qui fait l'objet du présent appel, puis distribué pour diverses utilisations finales au moyen d'un réseau de tuyauterie circulaire intégré au parc de stockage. Le présent appel porte sur la question de déterminer si les marchandises en cause, c'est - à - dire les réservoirs à combustible du parc de stockage de l'appelant et des marchandises connexes, doivent être exemptées de la taxe de vente parce qu'elles sont utilisées principalement et directement dans la fabrication ou la production de marchandises et sont donc des marchandises mentionnées au sous - alinéa 1a)(i) de la partie XIII de l'annexe III de la Loi sur la taxe d'accise.

DÉCISION : L'appel est admis. Le Tribunal est d'avis que les éléments de preuve révèlent un lien ou un rapport suffisamment étroit entre le parc de stockage et la production de l'électricité utilisée par l'appelant dans le cadre de ses activités de transformation et qu'aucun intermédiaire n'est suffisamment important pour rompre le «lien direct» entre le parc de stockage et la production de l'électricité.

Lieu de l'audience : Vancouver (Colombie-Britannique) Date de l'audience : Le 9 décembre 1992 Date de la décision : Le 17 mai 1993
Membres du Tribunal : Robert C. Coates, c.r., membre présidant Arthur B. Trudeau, membre Desmond Hallissey, membre
Avocat pour le Tribunal : Hugh. J. Cheetham
Greffier : Nicole Pelletier
Ont comparu : Kimberley L.D. Cook, pour l'appelant Linda J. Wall, pour l'intimé






Le présent appel est interjeté aux termes de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise [1] (la Loi) à l'égard d'une détermination du ministre du Revenu national (le Ministre).

L'appelant exploite une mine d'or et une usine de transformation du minerai dans le nord de la Colombie-Britannique. Le procédé d'exploitation appliqué par l'appelant comprend l'extraction du minerai dans des mines souterraines et à ciel ouvert et la transformation du minerai en lingots d'or. Vu l'éloignement de la mine et de l'usine, l'appelant n'a pas accès au réseau électrique de B.C. Hydro; il utilise donc du combustible diesel pour produire de l'électricité et chauffer les installations de la mine et de l'usine.

L'appelant a passé avec Produits Shell Canada Limitée (Shell) un marché prévoyant la fourniture et l'installation d'un parc de stockage du combustible où il entrepose le combustible diesel. Plus précisément, le parc de stockage, qui est situé à l'extérieur de l'emplacement de la mine, est raccordé par un réseau de tuyauterie circulaire à divers appareils (p. ex. des génératrices, des appareils de chauffage, des moteurs, etc.) alimentés au combustible diesel. Avant d'être utilisé dans les génératrices intégrées aux installations de transformation, le combustible passe dans un réservoir journalier.

Shell a acheté, taxes comprises, les réservoirs, les chemises, les pompes et d'autres appareils entrant dans la construction du parc de stockage. L'appelant a ensuite chargé Shell de présenter une demande de remboursement de la taxe payée sur les matériaux utilisés pour construire le parc.

Le 14 février 1991, Shell a demandé le remboursement d'une somme de 15 267 $ pour la période comprise entre le 1er septembre et le 31 décembre 1989. Dans un avis de détermination en date du 30 avril 1991, l'intimé a rejeté la demande de Shell au motif que les marchandises ont été vendues dans des conditions nécessitant l'imposition de la taxe. Ayant obtenu de Shell les droits d'opposition ou d'appel prévus par la Loi, l'appelant a signifié un avis d'opposition à la détermination de l'intimé le 10 juillet 1991. Le 24 avril 1992, l'intimé a émis un avis de décision ratifiant sa détermination.

Le présent appel porte sur la question de déterminer si les marchandises en cause, c'est-à-dire les réservoirs du parc de stockage de l'appelant et des marchandises connexes, sont exemptées de la taxe de vente parce qu'elles sont utilisées principalement et directement dans la fabrication ou la production de marchandises et sont donc des marchandises mentionnées au sous-alinéa 1a)(i) de la partie XIII de l'annexe III de la Loi.

L'avocate de l'appelant a cité à comparaître un témoin, M. Jeffrey Mason, contrôleur auprès de North American Metals Corporation, société mère de l'appelant. M. Mason a expliqué la nature des activités d'exploitation et de transformation de l'appelant au gisement aurifère Golden Bear. Il a déclaré que la construction du parc de stockage visait principalement à assurer une capacité d'entreposage suffisante pour permettre le fonctionnement des installations et du matériel dans un endroit aussi éloigné. M. Mason a indiqué que le réservoir journalier a été construit principalement pour régler les problèmes de pression liés au système d'acheminement du combustible. Il a fait remarquer que la capacité du réservoir journalier correspond à environ le tiers de la consommation quotidienne normale des génératrices. Il a ajouté que l'appelant pourrait poursuivre ses activités sans avoir recours au réservoir journalier, ce qu'il a déjà fait à l'occasion, mais il ne saurait se passer d'un parc de stockage parce qu'il s'agit des seules installations dont la capacité est supérieure à la consommation quotidienne de combustible au gisement et à l'usine. M. Mason a affirmé que 81 p. 100 du combustible consommé sur place est destiné aux génératrices qui produisent de l'électricité.

Au cours du contre-interrogatoire, M. Mason a indiqué que le reste du combustible, soit 19 p. 100 est consommé à 9 p. 100 par des fours de grillage et des brûleurs de séparation du minerai qui servent à chauffer le minerai à l'étape de la transformation, le reste étant utilisé par des véhicules de surface à l'emplacement de la mine et dans les environs. Lorsqu'il a été mentionné que ces chiffres contredisaient ceux fournis par l'appelant dans son mémoire, M. Mason a répliqué que les chiffres qu'il présentait à l'audience portaient sur le dernier mois où ils ont été publiés, c'est-à-dire novembre 1992. En réponse à d'autres questions, M. Mason a convenu que les pourcentages variaient d'un mois à l'autre et qu'il n'était pas possible de connaître à l'avance la répartition exacte de la consommation. Au cours du nouvel interrogatoire, M. Mason a indiqué qu'à son avis seule la fermeture prolongée de l'usine pourrait faire passer à moins de 50 p. 100 la consommation globale de combustible destiné aux génératrices.

L'avocate de l'appelant a amorcé son plaidoyer en précisant que l'élément important à retenir porte sur le fait que l'électricité ne pourrait être produite en l'absence d'un parc de stockage. Pour justifier cette affirmation, elle a analysé les faits en l'espèce en se reportant à quatre arrêts. Elle a d'abord invoqué l'affaire Esso Resources Canada Limited c. Le ministre du Revenu national [2] . L'avocate a examiné les critères fixés par le Tribunal dans l'affaire Esso Resources et a tenté d'établir une distinction entre la présente cause et la situation de fait découlant de cette affaire.

L'avocate a invoqué la décision de la Cour d'appel fédérale dans Le sous - ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise c. Amoco Canada Petroleum Ltd. [3] pour appuyer le point de vue selon lequel les réservoirs ont été utilisés directement pour produire de l'électricité et que, sans eux, il aurait été impossible de produire de l'électricité. L'avocate a ajouté que dans l'affaire Amoco Canada, la Cour d'appel fédérale a conclu qu'un pipeline acheminant une matière première à une usine de fabrication située à 30 km entre «directement» dans le procédé de fabrication.

L'avocate a ensuite cité le passage suivant de la cause Amoco Canada :

Les parties ont reconnu qu'il ne doit pas être tenu compte, dans les circonstances de l'espèce, de ce qu'il faut effectuer un pompage pour assurer la circulation des mélanges [d'hydrocarbures] dans les pipelines; cette action, dont le seul effet est de faciliter l'acheminement des mélanges, ne modifie en rien la nature du produit acheminé.

L'avocate a fait valoir que le réservoir journalier ne constitue pas un intermédiaire dans le procédé de production entre les réservoirs et les génératrices; il doit plutôt être considéré comme un élément d'un système intégré. L'avocate s'est ensuite appuyée sur un autre arrêt dont elle a tenu compte, Petro - Canada Inc. c. Le sous - ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise [4] , pour insister sur ces points et, plus particulièrement, sur la notion selon laquelle il n'y a pas d'intermédiaire entre les réservoirs et les génératrices qui produisent l'électricité.

La dernière cause examinée est l'affaire Horton CBI Limited c. Le sous - ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise [5] . L'avocate a fait valoir que cette décision qui, à son avis, renferme des faits très proches de ceux que doit considérer le Tribunal, n'a pas été annulée par la jurisprudence ultérieure à laquelle elle s'est reportée.

Dans sa réponse, l'avocate de l'appelant a déclaré que les éléments de preuve fournis par M. Mason révèlent que le parc de stockage ne constitue pas de simples installations d'entreposage, mais plutôt une partie d'un système intégré servant à produire de l'électricité. L'avocate a également confirmé que ses arguments ne visent pas la production d'or, mais bien la production d'électricité.

L'avocate de l'intimé a plaidé que depuis la décision du Tribunal dans l'affaire Esso Resources, la question à l'étude ne consiste pas à déterminer si les marchandises en cause font partie intégrante des marchandises produites ou si elles constituent un élément essentiel de ces marchandises, comme l'a apparemment soutenu l'appelant, mais plutôt d'établir le rapport fonctionnel entre les réservoirs et les génératrices de l'appelant. L'avocate a déclaré que ce point de vue a été appuyé par le Tribunal qui a ordonné, dans l'affaire Esso Resources, de tenir compte du «lien ou rapport» entre les marchandises en cause et le procédé de production. L'avocate a fait valoir que les éléments de preuve indiquent que les réservoirs ont principalement pour fonction d'entreposer le combustible et qu'ils ne transforment ni ne préparent le combustible, comme c'était le cas dans l'affaire Horton.

L'avocate de l'intimé a ensuite examiné la jurisprudence relative au critère de l'«intermédiaire». Elle a fait valoir que ce critère a été spécifiquement approuvé par la Cour d'appel fédérale dans des affaires comme Amoco Canada et qu'il s'applique au présent appel. Selon l'avocate, ce critère n'est pas respecté dans la présente cause parce que les éléments de preuve révèlent que la pompe et le réservoir journalier, qui fonctionnent dans le cadre du procédé de production entre les réservoirs et les génératrices, jouent un rôle dans la régulation de la pression du combustible entre les divers composants du système. L'avocate a fait remarquer que, même si M. Mason a déclaré que le système n'a pas vraiment besoin de réservoirs journaliers, rien n'indique que l'appelant n'a pas utilisé ces réservoirs.

Pour ce qui est des nombreux usages du combustible, l'avocate a affirmé que le Tribunal devrait tenir compte de l'absence de lien entre certains usages, par exemple l'alimentation des véhicules de surface et la production d'électricité. Enfin, l'avocate a fait valoir que, si le Tribunal estimait nécessaire de tenir compte de la production d'or et non de la production d'électricité, comme le lui a expressément demandé l'appelant, le lien entre les réservoirs et la production d'or serait beaucoup trop lointain pour que le Tribunal en tienne compte.

Le Tribunal conclut que le parc de stockage et les marchandises connexes sont admissibles à l'exemption de la taxe à titre de machines et appareils vendus à un producteur (l'appelant) pour être utilisés par lui principalement et directement dans la fabrication ou la production de marchandises aux termes du sous-alinéa 1a)(i) de la partie XIII de l'annexe III de la Loi.

Pour en arriver à cette conclusion, le Tribunal a dû répondre à deux questions. Premièrement, l'électricité est-elle considérée comme une «marchandise» aux fins de l'application de la Loi? Deuxièmement, si l'électricité est jugée «marchandise», le parc de stockage de l'appelant sert-il principalement et directement à fabriquer ou à produire de l'électricité?

Pour ce qui est de la première question, le Tribunal fait remarquer que dans la décision qu'il a rendue dans Hydro - Québec c. Le ministre du Revenu national [6] , il a conclu que les compagnies produisant de l'électricité peuvent être considérées comme fabriquant ou produisant des marchandises aux termes des dispositions de la Loi [7] . Ayant répondu à la première question par l'affirmative, le Tribunal amorce ensuite l'examen de la deuxième question.

Pour ce qui est de l'interprétation du terme «directement», le Tribunal fait remarquer que dans une récente décision concernant l'affaire BHP - Utah Mines Ltd. c. Le ministre du Revenu national [8] , le Tribunal s'est fondé sur la décision Amoco Canada à l'issue de laquelle la Cour d'appel fédérale a conclu que le terme «directement» ne devrait pas être interprété dans son sens strict et qu'«[e]n l'absence de directives précises dans la Loi, aucun motif rationnel ne nous justifie de fixer arbitrairement ce commencement [du procédé de production] [9] ». Dans l'affaire BHP-Utah, le Tribunal a également fait remarquer qu'il partageait le point de vue de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Amoco Canada, à savoir qu'il faut interpréter le terme «directement» en tenant compte des faits propres à chaque cas.

Dans l'affaire Amoco Canada, la Cour d'appel fédérale a conclu que le terme «directement» signifie «sans intermédiaire». Dans la présente cause, le Tribunal est convaincu que le parc de stockage joue un rôle direct dans la production d'électricité et que ce rôle n'est pas interrompu par le réservoir journalier et les marchandises connexes. Les éléments de preuve révèlent que la capacité du réservoir journalier équivaut à environ le tiers de la consommation quotidienne normale de combustible des génératrices. En outre, le rôle joué par les réservoirs à l'égard du problème de pression lors de l'acheminement du combustible n'est pas à un tel point crucial que le système du parc de stockage pourrait fonctionner sans le réservoir journalier. En conséquence, le parc de stockage et les marchandises connexes satisfont au critère énoncé dans la cause Amoco Canada.

Le Tribunal croit également que le rôle des marchandises en cause dans le procédé de production d'électricité de l'appelant satisfait au critère qu'il a appliqué à Esso Resources. Dans cette cause, le Tribunal a conclu que le critère mentionné dans Amoco Canada ne permettait pas d'examiner la situation de fait propre à Esso Resources (qui portait sur des pipelines utilisés pour acheminer du gaz naturel servant à produire de la vapeur qui, à son tour, facilitait la récupération de pétrole lourd). Le Tribunal a ensuite précisé que, dans la cause précitée, le terme «directement» signifiait qu'il devait exister «un lien ou un rapport étroit» entre les marchandises faisant l'objet de la demande d'exemption et le procédé de production. Le Tribunal a conclu, dans cette affaire, que les pipelines et le matériel connexe en question ne servaient pas à transporter une matière première à partir de laquelle le bitume (pétrole lourd) est produit ou qui permet de rapprocher le bitume de son état fini et que, par conséquent, les pipelines n'avaient pas un lien ou un rapport suffisamment étroit avec le procédé de production pour être admissibles à l'exemption. Dans la présente cause, les éléments de preuve révèlent que le système du parc de stockage assure le transport du combustible à partir duquel de l'électricité est produite et, qu'en outre, ce rôle dans le procédé de production a grandement facilité le processus visant à rapprocher l'électricité de son état final. De fait, en l'absence du parc de stockage, l'usine ne serait pas alimentée en électricité. De plus, le Tribunal conclut que, même si les éléments de preuve indiquent que le combustible a été utilisé à diverses fins, la quantité de combustible utilisée pour produire de l'électricité est suffisante pour établir un lien ou un rapport étroit entre le parc de stockage et la production d'électricité.

En conséquence, l'appel est admis.


[ Table des matières]

1. L.R.C. (1985), ch. E - 15.

2. Tribunal canadien du commerce extérieur, appel n o 2984, le 4 décembre 1989.

3. Non publié, Cour d'appel fédérale, n o du greffe A-1845-83, le 3 décembre 1985.

4. Non publié, Cour d'appel fédérale, le 3 mai 1985.

5. 6 R.C.T. 415.

6. Appel n o 2374, le 20 décembre 1991.

7. Ibid . à la p. 21. Pour arriver à cette conclusion, le Tribunal a invoqué diverses causes dont, plus particulièrement, la décision de la Cour suprême du Canada dans La Banque Royale du Canada c. Le sous - ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise, [1981] 2 R.C.S. 139.

8. Appel n o AP-91-047, le 19 mars 1993.

9. Supra, note 3 à la p. 109.


Publication initiale : le 16 juin 1997