LA BANDE INDIENNE DE CROSS LAKE ET LA BANDE INDIENNE BLOODVEIN

Décisions


LA BANDE INDIENNE DE CROSS LAKE ET LA BANDE INDIENNE BLOODVEIN
v.
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Appels nos AP-92-210 et AP-92-211

TABLE DES MATIERES

Ottawa, le vendredi 26 mai 1995

Appels nos AP-92-210 et AP-92-211

EU ÉGARD À des appels entendus le 26 octobre 1994 aux termes de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E-15;

ET EU ÉGARD À des décisions rendues par le ministre du Revenu national le 21 août 1992 concernant des avis d'opposition signifiés aux termes de l'article 81.17 de la Loi sur la taxe d'accise.

ENTRE

LA BANDE INDIENNE DE CROSS LAKE ET

LA BANDE INDIENNE BLOODVEIN Appelants

ET

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL Intimé

Les appels sont rejetés.


Lyle M. Russell ______ Lyle M. Russell Membre présidant

Arthur B. Trudeau ______ Arthur B. Trudeau Membre

Charles A. Gracey ______ Charles A. Gracey Membre

Michel P. Granger ______ Michel P. Granger Secrétaire





La question en litige dans les présents appels consiste à déterminer si chacun des appelants a fait sa demande de remboursement dans le délai prescrit à l'article 68.26 (l'ancien article 44.27) de la Loi sur la taxe d'accise.

DÉCISION : Les appels sont rejetés. Le Tribunal est d'avis que les matériaux en question ont été «achetés» pour le compte des écoles le jour où le ministère des Travaux publics a versé des acomptes aux entrepreneurs qui ont construit les écoles. La date de versement de chacun de ces acomptes constitue donc la date à compter de laquelle le délai de dépôt d'une demande de remboursement doit être calculé. Le Tribunal estime que les remboursements accordés par l'intimé couvrent tous les remboursements pour lesquels une demande a été faite dans le délai prescrit.

Lieu de l'audience : Saskatoon (Saskatchewan) Date de l'audience : Le 26 octobre 1994 Date de la décision : Le 26 mai 1995
Membres du Tribunal : Lyle M. Russell, membre présidant Arthur B. Trudeau, membre Charles A. Gracey, membre
Avocat pour le Tribunal : Hugh J. Cheetham
Greffier : Anne Jamieson
Ont comparu : Warren Baker, pour les appelants Christopher Rupar, pour l'intimé





Les deux présents appels, interjetés aux termes de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise [1] (la Loi) à l'égard de deux déterminations qui ont eu pour effet de rejeter des demandes de remboursement de la taxe de vente fédérale (TVF) ont été entendus conjointement puisqu'ils portent sur des faits analogues et sur la même disposition de la Loi.

Dans le cas de l'appel no AP-92-210, l'appelant est une bande indienne du Manitoba. L'appelant, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (AINC) et le ministère des Travaux publics (TPC) ont conclu une entente pour la construction d'une école devant être utilisée par l'appelant. Le mémoire de projet [2] de l'école décrit en ces termes le rôle de chacune des parties : 1) l'appelant est [traduction] «l'utilisateur ultime»; 2) AINC est [traduction] «l'organisme de financement et d'exploitation»; et 3) TPC est [traduction] «l'organisme concepteur». AINC a également retenu TPC pour gérer la construction de l'école aux termes d'une convention de services spécifique. Le protocole d'entente entre AINC et TPC stipule clairement que ce dernier était chargé de planifier et d'administrer les travaux de construction de l'école (c.-à-d. de conclure des marchés avec les entrepreneurs qui ont effectivement construit l'école). Les paiements aux entrepreneurs étaient versés par TPC au prorata des travaux. Il semble que TPC a ensuite facturé le montant de ces paiements à AINC et que ce dernier a puisé les fonds nécessaires dans le produit versé à l'appelant aux termes d'un accord de contribution conclu entre l'appelant et le gouvernement du Canada.

Les éléments de preuve indiquent que tous les paiements aux entrepreneurs qui ont construit l'école ont été versés entre avril 1984 et février 1989. La demande de remboursement de l'appelant a été reçue le 31 mars 1989 et portait sur le remboursement intégral de la TVF incluse dans le prix des matériaux couverts par les factures progressives présentées par les entrepreneurs dans le cadre des travaux de construction de l'école. Le montant réclamé était de 255 944,15 $. Par le biais d'un avis de détermination daté du 21 août 1989, l'intimé a fait droit, en partie, à la demande de remboursement. L'appelant a contesté l'avis de détermination au moyen d'un avis d'opposition signifié le 17 novembre 1989. Dans un avis de décision daté du 21 août 1992, l'intimé a modifié la détermination et admis une portion additionnelle du remboursement demandé. Selon la décision de l'intimé, un remboursement a été accordé relativement aux acomptes versés entre le 30 avril 1987 et le 30 avril 1989, c.-à-d. aux paiements effectués au cours des deux années suivant la date de la demande de remboursement. L'intimé a également accordé un remboursement relativement aux paiements versés le 23 mai 1985 ou avant cette date, mais non à ceux effectués plus de quatre ans avant la date de la demande de remboursement [3] . Le montant contesté s'élève à 35 594,82 $.

Dans le cas de l'appel no AP-92-211, l'appelant est une autre bande indienne du Manitoba. L'appelant, AINC et TPC ont conclu une entente pour la construction d'une école devant être utilisée par l'appelant. Le mémoire de projet de l'école décrit en ces termes le rôle de chacune des parties : 1) l'appelant est [traduction] «l'utilisateur ultime»; 2) AINC est [traduction] «l'organisme de financement et d'exploitation»; et 3) TPC est [traduction] «l'organisme concepteur». AINC a également retenu TPC pour gérer la construction de l'école aux termes d'une convention de services spécifique. Le protocole d'entente entre AINC et TPC stipule clairement que ce dernier était chargé de planifier et d'administrer les travaux de construction de l'école (c.-à-d. de conclure des marchés avec les entrepreneurs qui ont effectivement construit l'école). Les paiements aux entrepreneurs étaient versés par TPC au prorata des travaux. Il semble que TPC a ensuite facturé le montant de ces paiements à AINC et que ce dernier a puisé les fonds nécessaires dans le produit versé à l'appelant aux termes d'un accord de contribution conclu entre l'appelant et le gouvernement du Canada.

Les éléments de preuve indiquent que tous les paiements aux entrepreneurs qui ont construit l'école ont été versés entre août 1984 et mars 1987. La demande de remboursement de l'appelant a été reçue le 30 novembre 1988 et portait sur le remboursement intégral de la TVF incluse dans le prix des matériaux couverts par les factures progressives présentées par les entrepreneurs dans le cadre des travaux de construction de l'école. Le montant réclamé était de 103 500,00 $. Par le biais d'un avis de détermination daté du 21 août 1989, l'intimé a fait droit, en partie, à la demande de remboursement. L'appelant a contesté l'avis de détermination au moyen d'un avis d'opposition signifié le 17 novembre 1989. Dans un avis de décision daté du 21 août 1992, l'intimé a modifié la détermination et admis une portion additionnelle du remboursement demandé. Selon la décision de l'intimé, un remboursement a été accordé relativement aux acomptes versés entre le 30 novembre 1986 et le 30 novembre 1988, c.-à-d. aux paiements effectués au cours des deux années suivant la date de la demande de remboursement. L'intimé a également accordé un remboursement relativement aux paiements versés le 23 mai 1985 ou avant cette date, mais non à ceux effectués plus de quatre ans avant la date de la demande de remboursement [4] . Le montant contesté s'élève à 53 494,14 $.

La question en litige dans les présents appels consiste à déterminer si chacun des appelants a fait sa demande de remboursement dans le délai prescrit à l'article 68.26 (l'ancien article 44.27) de la Loi.

Les dispositions pertinentes de l'article 68.26 de la Loi sont rédigées comme suit :

68.26 Lorsque la taxe a été payée en vertu de la partie VI à l'égard de matériaux et que les matériaux ont été achetés :

a) par une école, une université ou une autre semblable institution d'enseignement, ou pour son compte, et sont destinés exclusivement à la construction d'un bâtiment pour cette institution;

une somme égale au montant de cette taxe doit, sous réserve des autres dispositions de la présente partie, être versée à cette institution [...] si elle en fait la demande dans les deux ans suivant l'achat des matériaux.

Les appelants étaient représentés par leur fiscaliste-conseil, M. Warren Baker. Le représentant des appelants a soutenu que les décisions de l'intimé dans les présentes affaires contrevenaient à la fois à la politique administrative établie du ministère du Revenu national (Revenu Canada) et à la correspondance ministérielle énonçant cette même politique. Selon le représentant des appelants, cette politique, même si elle n'est pas toujours appliquée de façon uniforme partout au pays, permet depuis des années aux demandeurs de choisir entre deux méthodes de remboursement de la TVF dans le cadre de marchés de construction pour lesquels les paiements sont échelonnés sur la période d'exécution des travaux. Les demandeurs pouvaient soit demander un remboursement pour chaque acompte versé dans les deux (ou quatre) ans suivant le paiement, soit attendre d'avoir effectué le dernier paiement et faire, dans les deux (ou quatre) ans suivant cette date, une demande de remboursement visant la totalité des paiements, même si tous les paiements, sauf le dernier, avaient été effectués après le délai prescrit. Par conséquent, les appelants soutiennent que, si le dernier paiement effectué dans le cadre d'un marché est versé avant l'expiration du délai de deux (ou de quatre) ans, tous les paiements effectués dans le cadre de ce marché devraient être admissibles à un remboursement.

En outre, le représentant des appelants a fait valoir que, si le Tribunal devait décider que les délais commencent à compter de la date de chacun des acomptes, ces dates devraient correspondre à celles où AINC a viré les fonds à TPC pour le compte des appelants, et non à celles où TPC a payé les entrepreneurs.

L'avocat de l'intimé a invoqué la décision du Tribunal dans l'affaire West Shore Constructors Ltd. c. Le ministre du Revenu national [5] et divers documents contractuels portant sur la construction des écoles en question. Il a déclaré que, pour l'application de l'article 68.26 de la Loi, la date pertinente est celle où l'entrepreneur a fourni les matériaux pour les besoins du projet de construction ou, plus précisément, la date où l'entrepreneur a cédé la propriété des matériaux à Sa Majesté conformément aux modalités du marché passé avec TPC. L'avocat a soutenu que, conformément à la décision West Shore, la facturation progressive ou le versement d'acomptes doit servir à déterminer le moment du transfert de propriété des matériaux à Sa Majesté et que les dates de ces paiements doivent servir à calculer le délai à l'intérieur duquel un remboursement peut être demandé. À son avis, les dates où les fonds ont été virés d'un ministère fédéral (AINC) à un autre (TPC) ne sont pas pertinentes puisque ces deux ministères sont des mandataires de l'État et qu'ils partagent avec les appelants la responsabilité de gérer le projet.

Le Tribunal doit d'abord déterminer à quel moment les matériaux en question ont été «achetés» pour l'application de l'article 68.26 de la Loi. Comme l'a souligné le Tribunal dans l'affaire West Shore, la fourniture de matériaux acquis aux termes d'un marché pour un projet de construction est considérée une vente (ou un achat) aux fins d'une demande de remboursement de la TVF [6] . Pour déterminer à quel moment a eu lieu le transfert de propriété ou, en d'autres mots, à quel moment la vente ou l'achat a eu lieu, le Tribunal a examiné les modalités des marchés passés par les parties. Comme dans l'affaire West Shore, les marchés entre TPC et les entreprises de construction renferment la condition générale no 13, qui prévoit que tous les matériaux acquis, utilisés ou fournis par les entrepreneurs pour l'exécution des marchés deviennent la propriété de Sa Majesté aux fins des travaux «à compter de l'époque où ils ont été acquis, utilisés ou fournis». La date d'achat est donc celle où les matériaux ont été acquis aux fins des projets de construction des écoles, et le délai prévu pour la demande de remboursement est calculé à compter de cette même date.

En l'occurrence, les éléments de preuve n'indiquent pas à quel moment les matériaux ont été effectivement acquis pour les projets de construction des écoles. Compte tenu des circonstances, le Tribunal est d'avis qu'il convient de se fonder sur les dates des acomptes au moyen desquels TPC a réglé le coût des matériaux utilisés pour construire les écoles. Par conséquent, le droit à un remboursement ne s'applique qu'aux paiements progressifs à l'égard desquels une demande de remboursement a été faite dans les deux ans de la date de chacun, c.-à-d. les dates auxquelles les matériaux ont été «achetés». En l'occurrence, le Tribunal déclare que les appelants ont obtenu un remboursement au titre des paiements répondant à ce critère et les appels doivent donc être rejetés.

En outre, le Tribunal est d'avis que le virement des fonds d'AINC à TPC (c.-à-d. les dates de ces virements) n'est pas pertinent pour trancher le présent litige parce qu'il ne vise pas le transfert à l'État de la propriété des matériaux de construction. De plus, le Tribunal n'a relevé aucune disposition législative à l'appui de l'argument selon lequel il suffit qu'un seul paiement ait été effectué au cours du délai de deux ans pour que tous les paiements relatifs à un projet et effectués après ce délai donnent droit au remboursement. Selon la pièce B-7, il semble que, par suite de la décision dans l'affaire West Shore, Revenu Canada a cessé de permettre aux écoles de calculer le délai de dépôt d'une demande de remboursement de la taxe à compter de la date du paiement final ou de l'achèvement du projet et a commencé à calculer systématiquement ce délai à compter de la date de chacun des acomptes. Bien que le Tribunal reconnaisse que ce changement à la politique administrative a pu engendrer une certaine confusion, il souligne que cette confusion ne résulte pas directement de la question d'admissibilité aux termes de la disposition pertinente de la Loi.

Par conséquent, les appels sont rejetés.


[ Table des matières]

1. L.R.C. (1985), ch. E-15.

2. Voir la pièce B - 5, qui vise uniquement le projet de la bande Bloodvein. Le représentant des appelants a confirmé l’existence d’un document similaire pour le projet de la bande de Cross Lake, qui décrit de la même manière les rôles des parties.

3. Une modification apportée à la Loi pour réduire de quatre à deux ans le délai de dépôt d’une demande de remboursement est entrée en vigueur le 23 mai 1985.

4. Ibid.

5. Appel no 3066, le 2 février 1990.

6. Voir, par exemple, The King v. Dominion Bridge Co. Ltd ., [1940] R.C.S. 487; et The Queen v. Stevenson Construction Co. Ltd. , non publié, Cour d'appel fédérale, no du greffe A - 77 - 77, le 22 novembre 1978.


Publication initiale : le 28 août 1996