GEORGES BEAULIEU

Décisions


GEORGES BEAULIEU
v.
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Appel no AP-92-204

TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le jeudi 30 septembre 1993

Appel n o AP-92-204

EU ÉGARD À un appel entendu le 6 avril 1993 aux termes de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E-15;

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le ministre du Revenu national le 10 octobre 1991 concernant un avis d'opposition signifié aux termes de l'article 81.15 de la Loi sur la taxe d'accise.

ENTRE

GEORGES BEAULIEU Appelant

ET

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL Intimé

L'appel est admis.

Lise Bergeron ______ Lise Bergeron Membre présidant

W. Roy Hines ______ W. Roy Hines Membre

Michèle Blouin ______ Michèle Blouin Membre

Michel P. Granger ______ Michel P. Granger Secrétaire





La question dans le présent appel consiste à déterminer si l'appelant devrait être assujetti au paiement de la taxe de vente aux termes de la disposition de la Loi sur la taxe d'accise concernant l'affectation de combustible.

DÉCISION : L'appel est admis. Il appert que, depuis près de 15 ans, l'appelant vend et fournit du mazout domestique à un certain client. Toutefois, pendant une période de six mois, l'appelant a inscrit les mots «diesel coloré» sur la facture, tout en fournissant le même produit au même client au même endroit sans faire payer de taxe. À la lumière des explications données lors de l'audience, le Tribunal n'a aucune raison de croire, pour paraphraser le paragraphe 27(5) (maintenant le paragraphe 50(8)) de la Loi sur la taxe d'accise, que le combustible acheté par l'appelant pour servir à chauffer ou à éclairer a été vendu ou affecté par celui - ci à des fins auxquelles il n'aurait pu être acheté ou importé exempt de taxe aux termes de la partie VI de l'annexe III de la Loi sur la taxe d'accise.

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario) Date de l'audience : Le 6 avril 1993 Date de la décision : Le 30 septembre 1993
Membres du Tribunal : Lise Bergeron, membre présidant W. Roy Hines, membre Michèle Blouin, membre
Avocat pour le Tribunal : Gilles B. Legault
Greffier : Dyna Côté
Ont comparu : Rénald Beaulieu, pour l'appelant Gilles Villeneuve, pour l'intimé





Le présent appel est interjeté aux termes de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise [1] (la Loi) à l'égard d'une cotisation ratifiée par le ministre du Revenu national.

Vendeur en vrac pour le compte d'Husky Oil Ltd. (Husky Oil), l'appelant a fourni du combustible à différents entrepreneurs pendant la période de cotisation. Le 27 février 1989, une cotisation d'un montant de 120 251,75 $, y compris la taxe de vente impayée, les intérêts et la pénalité, a été établie à l'égard de l'appelant au motif qu'il avait éludé le paiement de la taxe de vente sur le combustible acheté aux fins de chauffage ou d'éclairage pendant la période allant du 1er août 1984 au 8 juin 1987. Le 25 juin 1990, l'appelant a signifié un avis d'opposition dans lequel il soutenait être un intermédiaire entre Husky Oil et les clients et, étant donné qu'il n'était pas au courant de l'utilisation finale du combustible, il ne devait pas être assujetti au paiement de la taxe de vente. Le 10 octobre 1991, l'intimé a admis, en partie, l'opposition de l'appelant. L'avis de décision mentionne qu'il ressort de l'examen des états financiers de l'appelant ainsi que de l'entente de location conclue par celui-ci avec Husky Oil que l'appelant a acheté du mazout domestique qu'il a revendu comme mazout domestique ou comme combustible diesel. L'intimé a annulé la partie de la cotisation touchant l'achat et la revente du mazout domestique, ce dernier ayant été facturé comme tel aux clients de l'appelant. Cependant, il a ratifié la partie de la cotisation concernant le mazout domestique acheté exempt de taxe aux termes de la partie VI de l'annexe III de la Loi et revendu comme combustible diesel. Sur le montant initial de la taxe impayée, qui était de 83 127,58 $, l'appelant doit maintenant la somme de 23 816,43 $, pour un montant total de 51 448,20 $, incluant les intérêts et la pénalité.

La question, dans le présent appel, consiste à déterminer si l'appelant doit être assujetti au paiement de la taxe de vente aux termes de la disposition de la Loi relative à l'affectation de combustible. Le paragraphe 27(5) (maintenant le paragraphe 50(8)) de la Loi se lit comme suit :

27.(5) Lorsque le combustible a été acheté ou importé pour servir à chauffer ou à éclairer et que l'acheteur ou l'importateur, selon le cas, vend ou affecte ce combustible à des fins pour lesquelles il n'aurait pu être acheté ou importé exempt de taxe en vertu de la présente Partie au moment de l'achat ou de l'importation, la taxe imposée sous le régime de la présente Partie est payable par la personne qui vend ou affecte le combustible aux fins en question sur le prix de vente [2]

a) à la date de la livraison du combustible à l'acheteur, lorsqu'il est vendu, et

b) à la date où il est affecté aux fins en question, lorsqu'il est affecté à de telles fins,

et le Ministre peut déterminer la valeur du combustible aux fins du calcul de la taxe imposée sous le régime de la présente Partie.

L'appelant était représenté à l'audience par son fils, M. Rénald Beaulieu. M. Rénald Beaulieu a en outre témoigné pour le compte de l'appelant, tout comme Mme Linda Beaulieu, une commis de bureau de ce dernier, et M. Danny Beaulieu, un autre fils de l'appelant, qui a fait la livraison des produits en question. L'avocat de l'intimé a demandé et a obtenu l'exclusion des témoins.

Mme Beaulieu a déclaré qu'en janvier 1987, elle a téléphoné à un représentant d'Husky Oil au sujet des différents produits vendus par l'appelant, car elle s'était rendu compte que des taxes différentes s'appliquaient à ces produits. Mme Beaulieu a témoigné qu'au cours de sa conversation téléphonique, elle s'était fait dire de commencer à inscrire les mots «diesel coloré» sur les factures de l'un des clients de l'appelant, M. Lionel Veilleux, quoique ce client achetait toujours le même produit, à savoir, du mazout domestique. Ce n'est pas avant le 11 juin 1987 qu'elle a reçu du représentant d'Husky Oil une lettre expliquant la modification. À partir de ce moment, les taxes ont été imposées sur les ventes à ce client. Mme Beaulieu a également expliqué que l'appelant vend le produit selon les instructions d'Husky Oil concernant la livraison et les prix, et conformément aux factures d'Husky Oil. De plus, l'appelant ne verse jamais la taxe de vente directement au ministère du Revenu national (Revenu Canada), mais celle-ci est incluse dans le prix payé à Husky Oil qui se charge de verser la taxe de vente à Revenu Canada.

M. Danny Beaulieu a témoigné qu'il a livré, dans les bois, le mazout domestique à M. Veilleux, dans un réservoir de 2 000 gallons relié à un garage chauffé où est installée une génératrice d'électricité. Le témoin a également expliqué qu'il a livré en ville du combustible diesel non coloré qui comprenait les taxes d'accise et qui était utilisé dans les camions et les machines de M. Veilleux. Lors du contre-interrogatoire, le témoin a reconnu que M. Veilleux avait des machines dans les bois, là où le témoin livrait le mazout domestique. En réponse à des questions du Tribunal, le témoin a affirmé que pendant 15 ans, il avait livré le même produit à M. Veilleux dans les bois, que pendant les six mois de la période en question la facture portait la mention «diesel coloré» et que, après avoir reçu les explications d'Husky Oil, il avait commencé à imputer les taxes sur les factures.

Le Tribunal a également entendu le témoignage de Mme Kathleen Styacko, directrice du bureau de district de l'accise de Revenu Canada à Brandon. Mme Styacko n'a pas une connaissance personnelle des faits en cause, mais elle a examiné le dossier après la vérification de l'appelant, et, à ce titre, a déposé comme pièce le rapport de vérification de l'accise préparé par Mme K.E. Kuzik.

Dans son argumentation, M. Rénald Beaulieu a plaidé, pour le compte de l'appelant, que les éléments de preuve établissent que l'appelant a bien imputé, perçu et versé les taxes lorsqu'elles étaient dues et que les transactions faisant l'objet du présent appel ne lui ont pas rapporté d'argent.

L'avocat de l'intimé a plaidé que l'appelant avait vendu le mazout domestique à titre de «diesel coloré» à trois de ses clients, et qu'il était donc assujetti au paiement de la taxe de vente aux termes de la disposition du paragraphe 27(5) de la Loi relative à l'affectation de combustible. L'avocat a également soutenu qu'il incombe à l'appelant de prouver que la cotisation est erronée, et a cité, à ce sujet, la décision rendue par la Section de première instance de la Cour fédérale dans la cause Moshe Schwarz c. Sa Majesté la Reine [3] . Enfin, l'avocat a plaidé qu'il ressort clairement du témoignage de M. Danny Beaulieu que les opérations de M. Veilleux dans les bois sont à 60 milles de la ville où le témoin a déclaré avoir livré le combustible diesel, et il s'est demandé où M. Veilleux aurait pu se procurer du combustible à cet endroit pour ses machines si du mazout domestique n'avait pas été affecté à cette fin.

Le Tribunal est d'accord avec l'avocat de l'intimé quant au fait qu'il incombe à l'appelant d'établir que la cotisation est erronée. Cependant, il importe de faire remarquer que, dans la cause Moshe Schwartz citée par l'avocat de l'intimé à l'appui de la thèse selon laquelle l'appelant doit prouver que la cotisation est erronée, le juge Strayer a accordé une importance considérable à la question de la crédibilité des témoins. À propos du fardeau de la preuve, le juge Strayer a déclaré ce qui suit :

La loi oblige le contribuable à prouver l'erreur entachant la nouvelle cotisation du ministre, parce qu'il est en meilleure position pour établir ce qui a réellement eu lieu, s'il choisit de le faire et s'il le peut.

Puis, le savant juge a ajouté :

Malheureusement le demandeur n'était pas disposé à préciser, de quelque façon que ce soit, les achats qu'il a effectués, ni ne peut le faire. À maintes reprises, il a confirmé que les montants fournis par son comptable quant à ses achats totaux étaient exacts. S'il avait tenté de confirmer ces montants, et si son témoignage oral avait semblé disponible et crédible , une décision en sa faveur aurait pu être rendue même en l'absence de pièces justificatives, de quittances ou de tout autre document écrit. Malheureusement, aucune de ces exigences n'a été remplie.

(Soulignement ajouté)

Dans la présente cause, le Tribunal accorde beaucoup de crédibilité aux témoignages entendus qui étaient explicites, concordants et sans ambiguïté quant aux circonstances ayant entouré les transactions en cause. Il appert que, depuis près de 15 ans, l'appelant vend du mazout domestique à un certain client. Le seul changement qui s'est produit, pendant les six premiers mois de 1987, est que l'appelant a inscrit, à la demande d'Husky Oil, les mots «diesel coloré» sur les factures. La taxe n'a été ajoutée aux ventes qu'après les explications données par Husky Oil en juin 1987. Cette situation a porté l'intimé à croire que l'appelant avait affecté le combustible à un autre usage, et qu'il était donc assujetti au paiement de la taxe de vente aux termes de la disposition de la Loi relative à l'affectation de combustible. À la lumière des témoignages entendus lors de l'audience, le Tribunal n'est pas d'accord avec l'intimé. Le Tribunal n'a vraiment aucune raison de croire, pour paraphraser le paragraphe 27(5) de la Loi, que le combustible qui a été acheté par l'appelant pour servir à chauffer ou à éclairer a été vendu ou affecté par lui à des fins auxquelles il n'aurait pu être acheté ou importé exempt de taxe aux termes de la partie VI de l'annexe III de la Loi. Dans l'interprétation du paragraphe 27(5) de la Loi, le Tribunal met l'accent sur les mots «à des fins», qui indiquent clairement qu'il doit y avoir intention frauduleuse dans une certaine mesure. Le Tribunal conclut que les éléments de preuve ont montré que l'appelant n'avait aucune intention frauduleuse de ce genre.

Enfin, le Tribunal fait remarquer qu'au paragraphe 17 de son mémoire, l'avocat de l'intimé mentionne des ventes à deux autres clients, soit J.L. Veilleux et Fortier and Sons, ventes qui, selon l'avocat, ont également été faites à d'autres fins. Mais, à l'onglet 6 du mémoire de l'intimé, il n'y a qu'une seule facture à J.L. Veilleux, qui ne porte pas la mention «diesel coloré», mais celle de «mazout domestique». Le Tribunal n'a reçu aucun élément de preuve quant à l'affectation du combustible à d'autres fins dans le cas de ces deux clients mentionnés dans le mémoire de l'intimé.

À la lumière de ce qui précède, l'appel est admis.


[ Table des matières]

1. L.R.C. (1985), ch. E - 15.

2. Version française modifiée par S.C. 1985, ch. 3, par. 16(4).

3. Non publié, Cour fédérale du Canada, n o du greffe T - 3048-81, le 25 mai 1987.


Publication initiale : le 5 juin 1997