OPAL OPTICAL LTD.

Décisions


OPAL OPTICAL LTD.
v.
LE SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONAL
POUR LES DOUANES ET L'ACCISE
Appel no AP-92-385

TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le jeudi 21 avril 1994

Appel n o AP-92-385

EU ÉGARD À un appel entendu le 25 octobre 1993 aux termes de l'article 67 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.);

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise le 10 mars 1993 concernant une demande de réexamen aux termes de l'article 63 de la Loi sur les douanes.

ENTRE

OPAL OPTICAL LTD. Appelant

ET

LE SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONAL

POUR LES DOUANES ET L'ACCISE Intimé

L'appel est admis.

Kathleen E. Macmillan ______ Kathleen E. Macmillan Membre présidant

Charles A. Gracey ______ Charles A. Gracey Membre

Lise Bergeron ______ Lise Bergeron Membre

Michel P. Granger ______ Michel P. Granger Secrétaire





Le présent appel a pour objet de déterminer si les montures de lunettes en métal importées par l'appelant sont correctement classées dans le numéro tarifaire 9003.19.20 à titre de montures en matières autres que les plastiques destinées à «[d]'autres lunettes ou marchandises similaires», comme l'a établi l'intimé, ou si elles doivent être classées dans le numéro tarifaire 9003.19.10 à titre de montures en matières autres que les plastiques «pour verres prismatiques pour la lecture», comme l'a soutenu l'appelant.

DÉCISION : L'appel est admis. Ayant reconnu que les numéros tarifaires en cause sont ambigus, le Tribunal fait remarquer que tous les témoins experts, y compris celui de l'intimé, sont d'accord qu'il est impossible d'établir une distinction entre les montures pour lunettes avec lentilles prismatiques et celles avec lentilles comportant une correction prismatique additionnelle. Compte tenu de ces témoignages, le Tribunal peut difficilement accepter la position de l'intimé, à savoir que l'intention du législateur était de limiter le recours au numéro tarifaire 9003.19.10 au petit nombre de lunettes pour lesquelles une correction prismatique additionnelle est requise, alors qu'au moment de l'importation, il est impossible de savoir si un groupe donné de montures sera utilisé à cette fin. Les éléments de preuve amènent aussi le Tribunal à conclure que l'expression «pour la lecture» est, dans une certaine mesure, redondante puisque toutes les lunettes avec puissance optique peuvent être utilisées «pour la lecture». De plus, en se fondant sur les éléments de preuve produits par les experts de l'industrie, le Tribunal est convaincu que le fait d'associer les lunettes avec une correction prismatique additionnelle à l'expression «pour verres prismatiques pour la lecture» n'a aucune signification pratique au sein de l'industrie. Compte tenu de ces éléments, le Tribunal conclut qu'il est difficile de croire que le numéro tarifaire résiduel de la sous - position n o 9003.19, c. - à - d. le numéro tarifaire 9003.19.20, était destiné, en fait, à constituer le principal numéro tarifaire pour le classement des montures en matières autres que les plastiques.

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario) Date de l'audience : Le 25 octobre 1993 Date de la décision : Le 21 avril 1994
Membres du Tribunal : Kathleen E. Macmillan, membre présidant Charles A. Gracey, membre Lise Bergeron, membre
Avocat pour le Tribunal : Hugh J. Cheetham
Greffier : Anne Jamieson
Ont comparu : Donald G. Grant, Burleigh Trevor-Deutsch et John R. Peillard, pour l'appelant Anne M. Turley, pour l'intimé





Le présent appel est interjeté aux termes de l'article 67 de la Loi sur les douanes [1] (la Loi).

L'appelant importe des montures pour lunettes, notamment les montures en métal en cause. Les marchandises en question ont été importées le 31 juillet 1991 et classées dans le numéro tarifaire 9003.19.20 de l'annexe I du Tarif des douanes [2] . L'appelant a présenté une demande de révision du classement tarifaire, afin que les montures en cause soient classées dans le numéro tarifaire 9003.19.10, en alléguant que celles-ci ne sont pas des lunettes tant que des lentilles n'y ont pas été montées. Cette demande a été rejetée. L'appelant a ensuite demandé le réexamen de la révision et, par une décision datée du 10 mars 1993, le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise a ratifié le classement des marchandises en question dans le numéro tarifaire 9003.19.20.

Les parties ont convenu que les marchandises en question sont correctement classées dans la position no 90.03, «Montures de lunettes ou d'articles similaires, et leurs parties», et dans la sous-position no 9003.19, «[montures] [e]n autres matières». Le Tribunal souhaitait, à titre de question préliminaire, déterminer si les parties s'entendaient sur le fait que toute lentille pour lunette avec puissance optique a un effet prismatique. Puisque les parties étaient d'accord sur ce point, le Tribunal n'a pas exigé d'argumentation à cet effet.

La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si les montures de lunettes en métal importées par l'appelant sont correctement classées dans le numéro tarifaire 9003.19.20 à titre de montures en matières autres que les plastiques destinées à «[d]'autres lunettes ou marchandises similaires», comme l'a déterminé l'intimé, ou si elles doivent être classées dans le numéro tarifaire 9003.19.10 à titre de montures en matières autres que les plastiques «pour verres prismatiques pour la lecture», comme l'a soutenu l'appelant.

Les dispositions pertinentes du Tarif des douanes sont les suivantes :

90.03 Montures de lunettes ou d'articles similaires, et leurs parties.

9003.19 --En autres matières

9003.19.10 ---Pour lunettes de sûreté conçues pour des travailleurs qui exécutent un travail dangereux; pour verres prismatiques pour la lecture

9003.19.20 ---D'autres lunettes ou marchandises similaires

Les avocats de l'appelant ont assigné cinq témoins qui représentaient divers secteurs de la lunetterie. Il s'agissait de M. Gordon Young, un optométriste de Nepean (Ontario), de M. Kenneth Cresswell, un optométriste de Barrie (Ontario), de M. Ronald W. Adshead, premier vice-président des opérations en laboratoire de la société KW Optical Limited, une entreprise qui procède au meulage des lentilles et qui compte cinq emplacements en Ontario, de M. Yvan Bertrand, gestionnaire de la Division des lentilles chez Rodenstock Canada Inc., le distributeur canadien de Rodenstock, un fabricant allemand de lentilles, et de M. Rosaire Francœur, un opticien qui est copropriétaire d'un laboratoire de meulage des lentilles à Ottawa (Ontario) et qui fabrique aussi des lunettes prescrites. La compétence de tous ces témoins en tant qu'experts a été établie dans leur secteur d'activité respectif.

M. Young a expliqué les grands principes d'optique pertinents à la cause. Il a témoigné que les lentilles de lunettes avec puissance optique servent à faire converger les rayons de lumière dans la fovéa de l'oeil. Bien entendu, ces lentilles sont meulées de façon à corriger l'anomalie visuelle dont souffre la personne qui porte les lunettes. De telles lunettes sont aussi appelées des «lunettes prescrites» parce que l'optométriste prescrit le meulage exact requis pour corriger l'anomalie visuelle d'un patient donné. Il a affirmé qu'un prisme est introduit dans une lentille au moyen du meulage.

Dans son témoignage, M. Young a expliqué qu'il prescrit de 2 000 à 2 500 paires de lunettes par année et qu'un «effet prismatique additionnel» n'est prescrit que dans environ 5 p. 100 des cas. Il a expliqué que dans la plupart des cas l'effet prismatique prescrit permet tout simplement de faire converger les rayons de lumière dans la fovéa ou le centre optique. Toutefois, dans un faible pourcentage de cas, il faut corriger une déviation des axes visuels attribuable à un déséquilibre musculaire. Il faut alors avoir recours à une prescription plus complexe qui nécessite un prisme additionnel. M. Young a aussi déclaré, comme tous les autres témoins qui ont comparu dans la présente cause, qu'il est impossible de reconnaître les montures fabriquées spécialement pour des lentilles munies de ce prisme additionnel.

Lors du contre-interrogatoire, M. Young s'est dit d'accord avec la définition suivante d'une «lentille prismatique», tirée de l'ouvrage Emsley and Swaine's Ophthalmic Lenses, «a lens incorporating a prescribed prism [3] » ([traduction] une lentille avec un prisme prescrit), et a confirmé qu'elle se réfère aux situations où le prisme est ajouté à une lentille qui a déjà un effet prismatique. M. Young est aussi d'accord avec la définition suivante de «prismatique» tirée du Dictionary of Visual Science, «A lens with prism power. In a spectacle lens, one with prism power at the major reference point [4] ». ([traduction] Une lentille avec puissance prismatique. Dans un verre de lunettes, une lentille avec une puissance prismatique au principal point de référence.) Il a confirmé qu'à son avis le «principal point de référence» est propre à chaque patient et a trait à une correction prismatique additionnelle.

En réponse aux questions du Tribunal, M. Young a indiqué qu'à sa connaissance la description tarifaire en cause a déjà été associée à une paire de lunettes conçue pour permettre à une personne alitée de lire sans lever la tête. Une photo de ces lunettes a été déposée dans le cadre de la réponse du témoin. M. Young a convenu que l'expression «lunettes prismatiques» ne serait pas normalement utilisée par un praticien pour parler de lunettes utilisées par un patient confiné à son lit. M. Young a aussi déclaré qu'il existe des besoins en matière de lecture quelle que soit l'acuité visuelle de loin.

M. Cresswell a fourni au Tribunal des exemples de lunettes non prismatiques, notamment des lunettes pour non-voyants et certaines lunettes de sport sans lentilles meulées qui sont utilisées pour protéger les yeux des athlètes. De 90 à 95 p. 100 des lunettes qu'il prescrit sont à prismes. M. Cresswell a aussi fait une distinction entre des «lunettes utilisées pour la lecture» et des «verres de lecture», les premières ne servant, à son avis, pas uniquement à la lecture de près.

Lors du contre-interrogatoire, M. Cresswell a convenu qu'il existe une différence entre la qualité ou l'effet prismatique d'une lentille et la prescription d'une correction prismatique additionnelle ou ce qu'il a qualifié de prisme thérapeutique pour déviations oculomotrices. M. Cresswell était d'accord que la définition suivante tirée de l'ouvrage Ophthalmic Terminology: Speller and Vocabulary Builder (Ophthalmic Terminology) se réfère aux corrections prismatiques : «Prismatic lenses are designed to compensate for or aid muscle imbalance in one or both eyes [5] » ([traduction] Les lentilles prismatiques sont conçues pour compenser un déséquilibre musculaire ou venir en aide à un tel déséquilibre dans un oeil ou les deux yeux.) Il a aussi convenu que la définition de «lentilles prismatiques» tirée du Dictionary of Visual Science se réfère à ce qu'il a appelé un «prisme thérapeutique».

M. Adshead a indiqué qu'un prisme additionnel est prescrit dans environ 5 p. 100 des commandes de lunettes reçues par les laboratoires de son entreprise. Lors du contre-interrogatoire, il a confirmé que les demandes pour un prisme additionnel sont fonction des besoins de chacun des patients. En réponse à des questions du Tribunal au sujet des lunettes pour patients alités décrites par M. Young, M. Adshead a indiqué que les «montures» de telles lunettes ne semblent pas être des montures, mais un simple morceau de plastique avec deux branches et une pièce transversale à laquelle deux prismes sont fixés.

M. Bertrand a déclaré dans son témoignage que son entreprise ne fabrique pas de montures utilisées spécifiquement avec des lentilles qui corrigent une dysfonction oculomotrice. Lors du contre-interrogatoire, il a confirmé le fait que les prescriptions avec prismes additionnels étaient adaptées aux besoins des patients. M. Bertrand a aussi reconnu que la définition de «lentilles prismatiques» donnée dans le Dictionary of Visual Science est plus restrictive que celle à laquelle il souscrirait.

Les avocats de l'appelant ont déposé en preuve certaines lunettes que M. Francœur avait été invité à préparer à partir de prescriptions fictives, dont une avec un prisme thérapeutique. M. Francœur a déclaré avoir reçu les montures pour ces pièces de M. John R. Peillard, un des représentants de l'appelant. M. Peillard a été assermenté comme témoin et a affirmé que les montures déposées comme pièces étaient au nombre des modèles importés visés dans la présente cause. En réponse aux questions du Tribunal à savoir s'il avait utilisé une monture particulière soit au moment du meulage d'une lentille pour déplacer le centre optique ou au moment d'y ajouter un prisme additionnel pour la lecture, M. Francœur a déclaré que toutes les lunettes étaient utilisées pour lire, que ce soit de près ou de loin.

L'avocate de l'intimé a assigné un témoin expert, M. Bernt Ralph Chou, docteur en optométrie, qui enseigne à l'École d'optométrie de la University of Waterloo et qui a une clientèle privée à temps partiel. M. Chou a témoigné que les lunettes prismatiques sont des lunettes prescrites munies de lentilles comprenant un composant prismatique conçu précisément pour fournir un certaine puissance prismatique. À son avis, bien qu'un effet prismatique puisse faire partie intégrante de nombreuses lentilles, il ne qualifierait pas de telles lentilles de prismatiques puisque l'effet prismatique varie sur la surface de la lentille, alors qu'un prisme suppose un effet prismatique fixe sur l'ensemble de la lentille.

M. Chou a témoigné que les lunettes prismatiques font office de dispositif optique qui corrige un déséquilibre oculomoteur ou une déviation oculaire dont souffre un patient donné. À cet égard, il s'est dit d'accord avec la définition de «lentille prismatique» donnée dans le Dictionary of Visual Science et avec l'énoncé tiré de l'ouvrage Ophthalmic Terminology mentionnés précédemment. Il a aussi déclaré que dans l'enseignement de l'optométrie, il fait une distinction entre des lunettes prismatiques et des verres qui ont simplement un effet prismatique. Il a expliqué que du point de vue clinique, une correction prismatique est apportée dans des lunettes prismatiques uniquement lorsqu'il faut assurer la coordination oculomotrice afin de corriger un déséquilibre oculomoteur.

En ce qui a trait à l'expression «pour la lecture», M. Chou a déclaré que l'interprétation la plus courante de cette expression serait qu'une personne utilise des lunettes ou des lentilles pour regarder un objet à une distance d'environ 40 cm ou 16 po.

Dans leur plaidoirie, les avocats de l'appelant ont soutenu que le Tribunal doit appliquer l'acception courante ou ordinaire des mots pour interpréter les dispositions en cause du Tarif des douanes. Selon eux, le litige dans cette affaire porte réellement sur la signification des expressions «verres prismatiques» et «pour la lecture». Quant à la première expression, les avocats ont soutenu que la signification courante de «prismatique» (effet prismatique comme en ont convenu les parties au début de l'audience) est la tendance des lentilles à diffracter la lumière. Les avocats ont fait valoir que l'expression «pour la lecture» doit être interprétée comme signifiant «aux fins de la lecture» et que, dans ce contexte, l'expression n'avait pas de signification spécialisée. Ils ont également indiqué que cette acception de l'expression «pour la lecture» ne doit pas être interprétée de façon restrictive, mais comprendre plus que le fait de lire de près. En d'autres mots, elle doit comprendre la «lecture» de choses comme des panneaux placés à une certaine distance.

En ce qui a trait à l'argument selon lequel les lunettes prismatiques doivent inclure les verres avec prismes additionnels prescrits, les avocats de l'appelant ont soutenu que les éléments de preuve montrent que de telles lunettes ne constituent qu'environ 5 p. 100 de l'ensemble des lunettes prismatiques et que les deux types de lentilles doivent être considE9‚rées comme prismatiques. Les avocats ont ensuite souligné que les éléments de preuve montrent qu'il est impossible de déterminer quelles montures sont destinées à recevoir les lentilles avec prismes prescrits ou les prismes habituels. En dernier lieu, les avocats ont attiré l'attention du Tribunal sur une décision rendue par la Commission du tarif avant l'introduction du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises [6] selon laquelle dans les cas de doutes sérieux quant au classement exact, le bénéfice du doute doit être accordé à l'importateur [7] .

L'avocate de l'intimé a soutenu qu'il incombe à l'appelant de prouver que les marchandises en cause doivent Aˆtre classées dans le classement proposé. Elle a fait valoir que le meilleur élément de preuve, quant à l'utilisation des montures en cause, est celle que pourrait fournir le fabricant. Elle a fait remarquer qu'aucun élément de preuve du genre n'a été soumis au Tribunal.

L'avocate de l'intimé a accepté l'argument des avocats de l'appelant selon lequel le mot «pour» dans l'expression «pour la lecture» doit être interprété comme signifiant «aux fins de». Elle a souligné que l'appelant et l'intimé sont en désaccord quant à la signification de l'expression «verres prismatiques». L'avocate a fait valoir qu'en vertu des arguments soumis par l'appelant, toutes les montures seraient comprises dans le numéro tarifaire proposé par l'appelant parce que toutes les lunettes dont elles font partie ont un effet prismatique. Elle a soutenu, toutefois, que la plupart de ces lunettes n'ont pas de correction prismatique, mais une qualité prismatique.

L'avocate de l'intimé a fait valoir que le numéro tarifaire 9003.19.10 est un numéro tarifaire très particulier qui s'applique à deux types précis de montures destinées à deux fins particulières, soit la protection de l'oeil et la correction prismatique. Le numéro tarifaire suivant est, selon elle, un numéro tarifaire général visant toutes les autres montures. L'avocate a déclaré que la définition de lunettes prismatiques fournie par le témoignage de M. Chou et tirée des divers manuels et dictionnaires mentionnés par les témoins des deux parties est la définition restrictive ou clinique concernant des lentilles prismatiques qui servent à corriger des déséquilibres musculaires. Elle a fait valoir que cette définition clinique doit être la définition commerciale de «verres prismatiques» et s'est reportée à une décision de la Commission du tarif dans laquelle il est énoncé que le législateur souhaitait que le sens courant ou usuel des mots soit employé dans la loi, à moins que l'usage dans un commerce donné ne confère aux mots un sens particulier [8] . L'avocate de l'intimé a soutenu que le Tribunal avait adopté une telle approche dans la décision qu'il a rendue dans la cause Diamant Boart Truco Ltd. c. Le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise [9] .

Après la plaidoirie de l'avocate de l'intimé, le Tribunal a demandé à cette dernière de quelle façon, en supposant que la définition de «verres prismatiques» proposée par l'intimé soit acceptée, les fonctionnaires des douanes pourraient distinguer le faible pourcentage de montures qui serviront, de fait, à la fabrication de lunettes munies de lentilles avec un prisme prescrit. L'avocate a répondu qu'il incomberait alors à l'importateur de démontrer aux fonctionnaires des douanes que les montures serviront à cette fin.

En réponse, les avocats de l'appelant sont revenus sur la question de l'application de la Loi et ont fait valoir qu'en se fondant sur la définition de «verres prismatiques» fournie par l'intimé, il serait impossible de déterminer quelles montures classer ainsi. Les avocats ont aussi fait remarquer qu'ils avaient produit des éléments de preuve reflétant un large éventail de secteurs de l'industrie, y compris des éléments de preuve fournis par un fabricant de montures.

Le Tribunal est d'avis que les marchandises en cause doivent être classées dans le numéro tarifaire 9003.19.10 à titre de montures en matières autres que les plastiques «pour verres prismatiques pour la lecture». Le Tribunal reconnaît ainsi l'ambiguïté du numéro tarifaire en cause. Cette ambiguïté découle du fait que le Tarif des douanes ne prévoit pas clairement de numéro tarifaire pour la plupart des marchandises courantes comme les montures pour lunettes, qu'elles soient en plastiques ou en matières autres que les plastiques.

Comme il a été mentionné précédemment, les parties se sont entendues sur le classement des marchandises en cause dans le Tarif des douanes aux niveaux de quatre et de six chiffres. Par conséquent, le litige soumis au Tribunal porte sur le classement au niveau de huit chiffres. À cet égard, le Tribunal fait remarquer tout particulièrement que tous les témoins experts, y compris celui de l'intimé, ont convenu qu'il est impossible d'établir une distinction entre les montures pour lunettes avec lentilles prismatiques et celles avec lentilles comportant une correction prismatique additionnelle. Le Tribunal peut donc difficilement accepter l'argument de l'intimé selon lequel l'intention du législateur était de limiter le numéro tarifaire 9003.19.10 au petit nombre de lunettes pour lesquelles une correction prismatique additionnelle est requise, alors qu'au moment de l'importation, il est impossible de savoir si un groupe donné de montures sera utilisé à cette fin. Les éléments de preuve amènent aussi le Tribunal à conclure que l'expression «pour la lecture» est, dans une certaine mesure, redondante puisque toutes les lunettes avec puissance optique peuvent être utilisées «pour la lecture».

Par ailleurs, le Tribunal est convaincu, compte tenu des éléments de preuve produits par les experts de l'industrie, que le fait d'associer les lunettes avec une correction prismatique additionnelle à l'expression «pour verres prismatiques pour la lecture» n'a aucune signification pratique au sein de l'industrie. Pour ces raisons, le Tribunal conclut qu'il est difficile de croire que le numéro tarifaire résiduel de la sous-position no 9003.19, c.-à-d. le numéro tarifaire 9003.19.20, était destiné à constituer le numéro tarifaire principal pour le classement d'un objet aussi courant que les montures de lunettes en matières autres que les plastiques.

Quant aux arguments qui portent sur les lunettes pour personnes alitées, le Tribunal est d'accord avec les témoins qui ont abordé cette question, notamment M. Chou qui a parlé en connaissance de cause sur le sujet, et qui ont affirmé que ces articles ne sont pas des «montures» au sens où l'entend l'industrie, en partie parce qu'elles ne comportent pas un pont de quelque sorte ou un porte-lentilles.

Par conséquent, l'appel est admis.


[ Table des matières]

1. L.R.C. (1985), ch. 1 (2 e suppl.).

2. L.R.C. (1985), ch. 41 (3 e suppl.).

3. A.G. Bennett, Londres, Hatton Press, 1968 à la p. 131.

4. D. Cline, H.W. Hofstetter et J.R. Griffin, 4 e éd., Radnor, Pa., Chilton, 1989 à la p. 399.

5. H.A. Stein, B.J. Slatt et R.M. Stein, 3 e éd., St. Louis, Mosby, 1992 à la p. 100.

6. Conseil de coopération douanière, 1 re éd., Bruxelles, 1987.

7. Canadian Housewares Limited v. The Deputy Minister of National Revenue for Customs and Excise (1949), 1 R.C.T. 8.

8. J. H. Ryde Machinery Company Limited v. The Deputy Minister of National Revenue for Customs and Excise (1952), 1 R.C.T. 66.

9. Appel n o AP-90-166, le 27 juillet 1992.


Publication initiale : le 4 juin 1997