KIMBERLY-CLARK CANADA INC.

Décisions


KIMBERLY-CLARK CANADA INC.
v.
LE SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONAL
POUR LES DOUANES ET L'ACCISE
Appel no AP-92-303

TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le mardi 15 février 1994

Appel n o AP-92-303

EU ÉGARD À un appel entendu le 10 septembre 1993 aux termes de l'article 67 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.);

ET EU ÉGARD À des décisions rendues par le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise les 9, 17 et 18 décembre 1992 concernant des demandes de réexamen aux termes de l'article 63 de la Loi sur les douanes.

ENTRE

KIMBERLY - CLARK CANADA INC. Appelant

ET

LE SOUS - MINISTRE DU REVENU NATIONAL

POUR LES DOUANES ET L'ACCISE Intimé

L'appel est rejeté.

Arthur B. Trudeau ______ Arthur B. Trudeau Membre présidant

W. Roy Hines ______ W. Roy Hines Membre

Charles A. Gracey ______ Charles A. Gracey Membre

Michel P. Granger ______ Michel P. Granger Secrétaire





Le présent appel est interjeté aux termes de l'article 67 de la Loi sur les douanes à l'égard de décisions rendues par le sous - ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise les 9, 17 et 18 décembre 1992. Deux points sont en litige. Dans un premier temps, l'appel a pour objet de déterminer si les marchandises de l'appelant, des «protections légères», qui sont importées des États - Unis, sont correctement classées dans le numéro tarifaire 4810.40.10 à titre de serviettes et tampons hygiéniques, comme l'a établi l'intimé, ou doivent être classées dans le numéro tarifaire 4818.40.90 à titre d'autres, comme l'a soutenu l'appelant. Dans un deuxième temps, il s'agit de déterminer si les protections légères, même si elles constituent des serviettes hygiéniques, sont admissibles aux concessions prévues par le code 2519 de l'annexe II du Tarif des douanes. L'appelant a prétendu que les marchandises en cause sont admissibles à ces concessions parce qu'elles sont des marchandises utilisées par des personnes souffrant d'une forme d'incontinence.

DÉCISION : L'appel est rejeté. En ce qui a trait au premier point en litige, le Tribunal conclut que les protections légères sont des serviettes hygiéniques. À cet égard, le Tribunal conclut que les marchandises en cause font partie d'un ensemble de marchandises homogènes qui sont toutes utilisées principalement en rapport avec les menstruations. Quant au deuxième point en litige, le Tribunal statue que les marchandises en cause ne sont pas admissibles aux concessions prévues par le code 2519 de l'annexe II du Tarif des douanes. En rendant cette décision, le Tribunal conclut que les menstruations ne sont pas une forme d'incontinence.

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario) Date de l'audience : Le 10 septembre 1993 Date de la décision : Le 15 février 1994
Membres du Tribunal : Arthur B. Trudeau, membre présidant W. Roy Hines, membre Charles A. Gracey, membre
Avocat pour le Tribunal : John L. Syme
Greffier : Anne Jamieson
Ont comparu : Riyaz Dattu, pour l'appelant Linda J. Wall, pour l'intimé





Le présent appel est interjeté aux termes de l'article 67 de la Loi sur les douanes [1] à l'égard de décisions rendues par le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise (le Sous-ministre) les 9, 17 et 18 décembre 1992.

L'appelant importe au Canada divers produits d'hygiène féminine, dont des marchandises décrites dans le commerce comme des «protections légères». L'appelant doit payer des droits de douane sur les protections légères en cause conformément à l'annexe I du Tarif des douanes [2] .

Les numéros tarifaires pertinents sont les suivants :

4818.40 -Serviettes et tampons hygiéniques, couches pour bébés et articles hygiéniques similaires

4818.40.10 ---Serviettes et tampons hygiéniques

4828.40.90 ---Autres

L'appelant a importé au Canada les protections légères en cause dans le cadre de 14 différentes transactions entre janvier et novembre 1991. Il les a classées dans le numéro tarifaire 4818.40.90 de l'annexe I du Tarif des douanes, soit la catégorie «Autres» de la sous-position no 4818.40. Au moment de l'importation, le ministère du Revenu national pour les douanes et l'accise (Revenu Canada) a reclassé les protections légères dans le numéro tarifaire 4818.40.10. L'appelant a produit des demandes de réexamen pour chacune des transactions et, dans des décisions rendues les 9, 17 et 18 décembre 1992, le Sous-ministre a confirmé le classement des protections légères dans le numéro tarifaire 4818.40.10.

Deux points doivent être tranchés en l'espèce. Dans un premier temps, l'appel a pour objet de déterminer si les protections légères de l'appelant, qui sont importées des États-Unis, sont correctement classées dans le numéro tarifaire 4810.40.10 à titre de serviettes et tampons hygiéniques, comme l'a établi l'intimé, ou doivent être classées dans le numéro tarifaire 4818.40.90 à titre d'autres, comme l'a soutenu l'appelant. Dans un deuxième temps, il s'agit de déterminer si les protections légères, même si elles constituent des serviettes hygiéniques, sont admissibles aux concessions prévues par le code 2519 de l'annexe II du Tarif des douanes.

Reclassement des protections légères

L'avocat de l'appelant a prétendu que les protections légères ne sont pas des serviettes hygiéniques au sens du numéro tarifaire 4818.40.10, mais plutôt des articles sanitaires similaires et, à ce titre, relèvent du numéro tarifaire 4818.40.90. Pour appuyer son allégation, l'avocat a présenté des éléments de preuve par l'entremise de son témoin, M. F.W. Mixdorf, qui travaille pour Kimberly-Clark Corp., la société mère américaine de l'appelant. M. Mixdorf est superviseur du groupe de recherche en commercialisation chargé des produits d'hygiène féminine chez Kimberly-Clark Corp.

Dans son témoignage, M. Mixdorf a indiqué que l'appelant commercialise au Canada, outre les marchandises en cause, 12 genres différents de serviettes. Les serviettes sont plus épaisses et plus absorbantes que les protections légères. Il existe également des différences en matière de poids, de taille et de capacité d'absorption entre les 12 genres de serviettes. M. Mixdorf a témoigné que chaque genre de serviettes est conçu pour être utilisé à des stades différents du cycle menstruel de la femme, en fonction de l'intensité du flux. La gamme des produits passe des serviettes appelées «ultra minces maxi serviettes», qui sont les plus légères et les moins absorbantes, aux serviettes appelées «maxi serviettes de nuit», qui sont les serviettes les plus épaisses et les plus absorbantes produites par l'appelant.

D'après le témoignage de M. Mixdorf, l'appelant estime que les serviettes sont des serviettes hygiéniques, mais ne considère pas que les protections légères sont des serviettes hygiéniques. Il a énuméré les caractéristiques suivantes qui permettent de distinguer un produit de l'autre :

1) Le nom — l'appelant a choisi d'appeler son produit des «protections légères»; un de ses concurrents utilise la désignation «protège-dessous» pour décrire un produit semblable. Toutefois, les deux sociétés utilisent le terme «serviette» («pad» et «towel») pour décrire leurs serviettes hygiéniques.

2) L'utilisation — les protections légères servent principalement à protéger les vêtements contre diverses sécrétions du corps, dont une seule correspond au flux menstruel, tandis que l'utilisation principale des serviettes est l'absorption du flux menstruel.

3) Les caractéristiques physiques — les serviettes sont considérablement plus épaisses que les protections légères et de 12 à 13 fois plus absorbantes.

4) La commercialisation — les protections légères de l'appelant sont vendues à titre de produit qui favorise en général la sensation de fraîcheur et protège les vêtements contre diverses sécrétions et pertes d'urine minimes, tandis que les serviettes sont vendues précisément en rapport avec les besoins pendant les menstruations.

5) Les emballages — l'appelant met les protections légères non enveloppées individuellement dans une boîte de carton, tandis qu'il enveloppe individuellement les serviettes et les met dans des sacs de polyéthylène.

6) L'organisation de l'entreprise — aux fins des budgets de recherche et de développement, de la production et de la commercialisation, l'appelant établit une distinction entre ses activités relatives aux serviettes et celles relatives aux protections légères.

Pour appuyer l'allégation de l'appelant selon laquelle les serviettes sont utilisées à des fins différentes de celles des protections légères, l'avocat de ce dernier a présenté en preuve une étude confidentielle menée pour le compte de Kimberly-Clark Canada Inc. par ISL International Survey Limited et intitulée Usage Diary Study: Feminine Protection Products (Canada) [3] (l'étude).

L'étude visait à fournir à l'appelant une meilleure connaissance des utilisations aux fins des menstruations et à d'autres fins que les femmes canadiennes faisaient des serviettes et des protections légères. Elle a montré qu'à la fois les serviettes et les protections légères étaient utilisées à des degrés divers tant pendant les menstruations qu'en dehors des menstruations. Il est également ressorti de cette étude que, lorsque les produits étaient utilisés en dehors des menstruations, les femmes interrogées utilisaient plus souvent des protections légères que des serviettes. Compte tenu des différences entre les serviettes (que l'appelant reconnaît comme étant des serviettes hygiéniques) et les protections légères, l'avocat de l'appelant a soutenu que les protections légères n'étaient pas des serviettes hygiéniques. Il a prétendu que les protections légères sont d'autres articles hygiéniques similaires aux serviettes hygiéniques et, par conséquent, doivent être classées dans le numéro tarifaire 4818.40.90.

En ce qui a trait à l'allégation de l'avocat de l'appelant selon laquelle les protections légères ne sont pas des serviettes hygiéniques, l'avocate de l'intimé a, dans son plaidoyer, renvoyé le Tribunal au témoignage présenté par M. Mixdorf et par le témoin de l'intimé, le Dr W.J.W. Freeland [4] . Elle a fait remarquer que M. Mixdorf et le Dr Freeland avaient tous les deux indiqué dans leur témoignage que, il y a 30 ans, les femmes n'avaient pas un aussi grand choix de produits d'hygiène féminine. Elles ne disposaient à cette époque que de serviettes épaisses qu'elles utilisaient dès le début de leurs menstrues, lorsque le flux est abondant, jusqu'à la fin, lorsque l'écoulement est sur le point de s'arrêter. Selon l'avocate de l'intimé, le fait que les nouvelles techniques ont rendu possible la fabrication de protections légères ultra minces et super absorbantes, qui conviennent mieux au début et à la fin du cycle menstruel, ne change en rien la nature de ces produits. Dans son argumentation, l'avocate a soutenu que tous ces produits servaient à la même fin, à savoir l'absorption du flux menstruel.

L'avocate de l'intimé a également renvoyé le Tribunal à une illustration qui figure sur l'emballage de maxi serviettes minces de marque Kotex vendues par l'appelant. Il s'agit d'une bande de couleur qui passe graduellement du rose pâle au rose foncé. Lors du contre-interrogatoire, M. Mixdorf a qualifié de continuum cette bande de couleur. Il a de plus déclaré que le texte correspondant à ce continuum recommande d'utiliser les protections légères les jours où le flux est moins abondant et des serviettes de plus en plus absorbantes à mesure que le flux devient plus abondant. Selon l'avocate de l'intimé, l'illustration constitue une autre preuve que toutes les protections légères et les serviettes de l'appelant font partie d'un ensemble de produits homogènes, qui remplissent tous la même fonction.

En conclusion, l'avocate de l'intimé a prétendu que, de fait, l'appelant demandait au Tribunal de retirer d'une gamme de produits un certain type de produit que l'appelant avait décidé de commercialiser différemment. Elle a soutenu que tous les produits de l'appelant, depuis les protections légères jusqu'aux maxi serviettes les plus épaisses, remplissent la même fonction. Ces produits ont tout simplement différents degrés d'efficacité et d'absorption.

Le Tribunal partage l'avis des parties selon lequel seuls deux classements de l'annexe I du Tarif des douanes peuvent s'appliquer aux protections légères, à savoir le numéro tarifaire 4818.40.10, «Serviettes et tampons hygiéniques», ou le numéro tarifaire 4818.40.90, «Autres».

Le Tribunal conclut que les protections légères sont des serviettes hygiéniques et qu'à ce titre, elles sont correctement classées dans le numéro tarifaire 4818.40.10. Il fonde sa décision sur le fait que, à son avis, les protections légères font partie d'un ensemble de produits homogènes que les femmes utilisent principalement en rapport avec leurs menstruations. Le Tribunal estime que, en dépit des différences entre les protections légères et les serviettes, ces différences ne changent pas la nature fondamentalement commune des produits. Il est ressorti des éléments de preuve présentés par l'appelant que tous les produits de l'ensemble peuvent être utilisés pendant les menstruations. Les éléments de preuve également montrent que, à des degrés divers, les femmes peuvent utiliser tous ces produits lorsqu'elles ne sont pas menstruées. Toutefois, le Tribunal estime qu'il ne convient pas d'établir arbitrairement un taux d'utilisation de ces produits qui permettrait d'admettre ou de refuser l'un ou l'autre à titre de serviettes hygiéniques.

Le Tribunal constate également que l'emballage des protections légères Lightdays de marque Kotex dresse une liste de cinq utilisations pour le produit. Les produits peuvent être utilisés pour les écoulements légers, comme protection supplémentaire avec un tampon, comme simple précaution, pour les pertes et les taches, et pour se sentir fraîche tous les jours. Lors du contre-interrogatoire, M. Mixdorf a reconnu que les trois premières utilisations de la liste surviennent pendant les menstruations et que quatre des cinq utilisations se rapportent aux menstruations. En outre, l'utilisation des protections légères «pour se sentir fraîche» qui, d'après le témoignage de M. Mixdorf, constitue le fondement de la commercialisation des protections légères, figure en dernier sur la liste. Bien que cet élément de preuve ne soit pas concluant, le Tribunal estime que l'étiquetage sur l'emballage du produit de l'appelant n'est pas conforme à la thèse de ce dernier selon laquelle les protections légères sont principalement des produits utilisés en dehors des menstruations.

Le Tribunal conclut que le fait pour l'appelant de présenter ses serviettes hygiéniques et ses protections légères dans des emballages différents ne permet pas d'établir de distinctions entre ces deux produits. De même, il n'estime pas que le fait que l'appelant et Kimberly-Clark Corp. déploient des efforts distincts en matière de recherche à l'égard des protections légères et des serviettes permet de conclure que les protections légères constituent un produit différent des serviettes hygiéniques.

Par conséquent, de l'avis du Tribunal, les protections légères sont correctement classées dans le numéro tarifaire 4818.40.10.

Concessions prévues par le code 2519 de l'annexe II du Tarif des douanes

L'avocat de l'appelant a prétendu que, même si le Tribunal conclut que les protections légères sont des serviettes hygiéniques et, qu'à ce titre, elles relèvent du numéro tarifaire 4818.40.10, ces dernières sont admissibles aux concessions prévues par le code 2519 de l'annexe II du Tarif des douanes [5] .

En l'espèce, le Tribunal a soulevé une question préjudicielle quant à l'application du code 2519 au numéro tarifaire 4818.40.10. Cette question découlait de la manière dont était présentée l'annexe I du Tarif des douanes. La sous-position no 4818.40 est présentée comme suit :

Codes

potentiels

4818.40 -Serviettes et tampons hygiéniques, couches pour

bébés et articles hygiéniques similaires

4818.40.10 ---Serviettes et tampons hygiéniques

4828.40.90 ---Autres [...] 2519

Le Tribunal s'est demandé si le code 2519 pouvait s'appliquer au numéro tarifaire 4818.40.10 étant donné que ce code apparaît à côté du numéro tarifaire «Autres», mais non à côté du numéro tarifaire «Serviettes et tampons hygiéniques». De plus, le Tribunal constate que le code 2519 ne figure pas dans la liste des codes énoncés dans les Notes du Chapitre 48 ou sur la page de titre de la section X de l'annexe I du Tarif des douanes, où sont identifiés les codes qui peuvent s'appliquer à tout numéro tarifaire du Chapitre ou de la Section.

En ce qui a trait à la question préjudicielle, l'avocat de l'appelant a renvoyé le Tribunal à l'avertissement suivant qui figure à la deuxième page du Tarif des douanes :

Nous devons rappeler aux personnes qui utiliseront cet ouvrage qu'il a été préparé uniquement à titre de document de référence et que, par conséquent, il n'est pas officiellement sanctionné. La Loi de même que les Règlements et amendements qui s'y rattachent devront être consultés pour tout ce qui touche l'interprétation et l'application de la Loi.

L'avocat de l'appelant a soutenu que, lorsque le Tribunal déterminera si le code 2519 s'applique aux protections légères, il devra se fonder sur le libellé réel des annexes I et II du Tarif des douanes, selon le texte de loi. Il a prétendu que, si des différences existent entre le libellé des annexes figurant dans le Tarif des douanes et le libellé de celles-ci selon le texte de loi, c'est ce dernier qui a préséance.

L'avocat de l'appelant a fait remarquer au Tribunal que le libellé de l'annexe I du Tarif des douanes selon le texte de loi ne renferme aucun renvoi aux codes potentiels dans les Notes du Chapitre 48 ou sur la page de titre de la Section X de l'annexe I du Tarif des douanes. De plus, l'annexe I ne renferme aucune colonne intitulée «Codes potentiels». Bref, l'annexe I ne contient aucun renvoi aux codes potentiels ni à l'annexe II. Dans son argumentation, l'avocat a indiqué que l'annexe I ne pouvait donc pas servir à déterminer quels codes de l'annexe II s'appliquent à un produit donné. C'est pourquoi il a fait valoir que l'application des codes de l'annexe II devait être déterminée abstraction faite de l'annexe I.

L'avocat de l'appelant a soutenu que l'application d'un code de l'annexe II du Tarif des douanes à un produit donné doit être déterminée uniquement après consultation de l'annexe II. Le code 2519 de l'annexe II prévoit des concessions à l'égard de :

Caleçons, culottes, slips, couches, doublures de couches et autres articles hygiéniques similaires pour incontinence des positions n os 48.18 , 56.01, 61.07, 61.08 ou 63.07, conçus pour être portés par des personnes, à l'exclusion des articles du type utilisé pour bébés.

(Soulignement ajouté)

Selon l'avocat de l'appelant, le code 2519 s'applique sans restriction à l'ensemble de la position no 48.18. Il a donc prétendu que tout produit pouvant être classé dans la position no 48.18 peut être admissible aux concessions prévues par le code 2519. Puisque les protections légères peuvent être classées dans la position no 48.18, l'avocat a soutenu qu'elles étaient admissibles aux concessions. Dans son argumentation, la seule question consistait à déterminer si les protections légères faisaient partie de la catégorie de marchandises décrites dans le code 2519.

En ce qui a trait à cette question préjudicielle, le Tribunal conclut que toutes les marchandises pouvant être classées dans la position no 48.18 peuvent être admissibles aux concessions prévues par le code 2519. Le Tribunal partage l'avis de l'appelant selon lequel, en cas de divergence entre le libellé du Tarif des douanes et le libellé de l'annexe I selon le texte de loi, ce dernier a préséance.

Le Tribunal partage également l'avis de l'appelant selon lequel l'application à un produit d'un code donné de l'annexe II du Tarif des douanes doit être déterminé uniquement après consultation du libellé de ce code qui figure à l'annexe II, étant donné que l'annexe I ne renferme aucun renvoi à l'annexe II. Le Tribunal estime que le libellé du code 2519 précise clairement que ce code peut s'appliquer à tout article pouvant être classé dans la position no 48.18. Il considère donc que les protections légères peuvent, quelle que soit la sous-position dont elles relèvent à l'intérieur de la position no 48.18, être admissibles aux concessions prévues par le code 2519.

Ayant conclu que les protections légères peuvent être admissibles aux concessions prévues par le code 2519, le Tribunal doit maintenant décider si elles font partie de la catégorie de marchandises décrites dans le code 2519.

Dans l'argumentation qu'il a présentée sur cette question, l'avocat de l'appelant s'est, en premier, penché sur le sens du terme «incontinence». Il s'est fondé principalement sur la décision rendue par le Tribunal dans la cause Jolly Jumper Inc. c. Le Sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise [6] . Dans cette affaire, le Tribunal a conclu que l'écoulement de lait excessif et spontané que connaissent certaines mères qui allaitent (galactorrhée) constituait une forme d'incontinence. C'est pourquoi il a statué que les boucliers de seins utilisés par les mères qui allaitent pour protéger leurs vêtements contre de tels écoulements de lait étaient conçus pour parer à l'incontinence. Dans la cause Jolly Jumper, le produit de l'appelant a donc été admissible aux concessions prévues par le code 2519.

L'avocat de l'appelant a soutenu que, dans l'affaire Jolly Jumper, le Tribunal avait conclu qu'une des caractéristiques communes de l'incontinence selon toutes les définitions trouvées dans des dictionnaires médicaux était l'incapacité de prévenir l'écoulement de sécrétions naturelles du corps. Il a prétendu que, en l'absence de médicaments, les femmes ne peuvent pas contrôler les écoulements vaginaux dus ou non aux menstruations, ces deux genres d'écoulement représentant donc une forme d'incontinence. L'avocat a soutenu que, les protections légères étant conçues et utilisées pour absorber de tels écoulements, elles étaient des produits utilisés en cas d'incontinence au sens du code 2519. C'est pourquoi, de l'avis de l'avocat, les protections légères de l'appelant sont admissibles aux concessions prévoyant l'exonération des droits de douane.

L'avocat de l'appelant a contesté les impressions du Dr Freeland sur le sens du terme «incontinence». Dans son témoignage direct, le Dr Freeland s'est dit d'avis qu'il y a incontinence d'une fonction du corps seulement si, dans le cours normal des choses, la capacité d'être continent existe. Selon lui, l'incontinence sous-entend un certain élément d'incapacité. Il a jugé qu'il ne convenait pas de qualifier d'incontinence les menstruations parce qu'une femme normale ne peut pas être continente à cet égard. En réfutant l'élément de preuve produit par le Dr Freeland, l'avocat de l'appelant a fait remarquer qu'aucune des définitions de dictionnaire présentées en preuve ne laisse entendre que l'incontinence dépend de l'existence d'une certaine incapacité. L'avocat a également fait remarquer que le Stedman's Medical Dictionary [7] compte nommément la galactorrhée au nombre des genres d'incontinence. Lors du contre-interrogatoire, le Dr Freeland a convenu que la galactorrhée n'était pas une incapacité.

L'avocate de l'intimé a soutenu que deux points permettent de distinguer la cause Jolly Jumper de la cause en l'espèce. Dans un premier temps, elle a souligné que, dans l'affaire Jolly Jumper, le Tribunal n'avait pas été saisi de témoignage d'expert. En revanche, l'avocate de l'intimé a prétendu que, en l'espèce, le Tribunal a été saisi de l'opinion du Dr Freeland qui, si elle est retenue, devrait former la base sur laquelle fonder une décision selon laquelle les menstruations ne constituent pas une forme d'incontinence. Selon l'avocate de l'intimé, l'affaire Jolly Jumper se distingue également de la cause en l'espèce parce que, dans cette affaire, le Tribunal avait été saisi d'une définition tirée d'un ouvrage médical selon laquelle la galactorrhée était nommément indiquée comme une forme d'incontinence. L'avocate de l'intimé a soutenu qu'en l'espèce, aucune des définitions produites par l'appelant n'indique que les menstruations sont une forme d'incontinence.

L'avocate de l'intimé a également signalé au Tribunal le fait que le code 2519 prévoit des concessions dans le cas de caleçons, de culottes pour incontinence, etc. à l'exclusion des articles du type utilisé pour bébés. Elle a soutenu que des adultes souffrant d'incontinence urinaire ou anale utilisent habituellement le genre de produits décrits dans le code 2519. L'avocate a fait valoir qu'aucun produit lié aux menstruations n'est mentionné au code 2519.

Enfin, l'avocate de l'intimé a fait valoir que le Tribunal devrait tenir compte de l'intention du rédacteur du code 2519 lorsqu'il décide si l'appelant est admissible aux concessions prévoyant l'exonération des droits de douane. Pour connaître cette intention, elle a renvoyé le Tribunal au Tarif des douanes [8] dans sa version de 1987. Elle a fait remarquer que, dans cette version, les serviettes hygiéniques étaient frappées de taux de droit de douane élevés. Elle a prétendu que rien dans les annexes du Tarif des douanes n'indique l'intention de changer radicalement le traitement réservé aux serviettes hygiéniques.

En ce qui a trait à la question de l'intention, l'avocate de l'intimé a également dirigé l'attention du Tribunal vers l'Avis des douanes N-271 [9] (l'Avis). Dans l'avis N-271, le ministre d'État (Finances) fait savoir qu'il a consenti à recommander au Comité spécial du Conseil du Cabinet certaines modifications au Tarif des douanes. Une des modifications recommandées était l'adjonction du code 2519 à l'annexe II. Dans l'avis N-271, le ministre d'État indique que l'objet de l'adjonction du code 2519 est de « [r]estituer les taux de douanes en franchise pour les appareils ou articles d'iléostomie, de colostomie et appareils ou articles pour voies urinaires, autres que les culottes et couches pour bébés». L'avocate de l'intimé a soutenu que l'avis N-271 constituait une autre preuve que le code 2519 avait été ajouté à l'annexe II pour abolir les droits qui, selon le système harmonisé [10] , s'appliqueraient par ailleurs à des marchandises qui, dans l'ancien Tarif des douanes, étaient expressément classées en franchise de droit.

Pour ce qui est du sens du terme «incontinence», le Tribunal n'est pas prêt à accepter la vaste définition de l'appelant selon laquelle ce terme constitue l'incapacité de prévenir l'écoulement de toute sécrétion du corps. Il est vrai que, dans la cause Jolly Jumper, le Tribunal a conclu que la galactorrhée est une forme d'incontinence. Toutefois, les éléments de preuve produits par l'appelant dans cette cause comprenait une définition tirée d'un dictionnaire médical faisant autorité dans laquelle la galactorrhée figurait nommément à titre de forme d'incontinence.

En dépit des recherches exhaustives que l'appelant a menées dans les dictionnaires médicaux et généraux, il n'a pas été en mesure de trouver une définition d'incontinence qui comprend les menstruations. Sur ce seul fait, la présente cause se distingue de l'affaire Jolly Jumper. De plus, cette dernière se distingue de la présente cause parce que, dans cette affaire, le Tribunal n'a pas été saisi du témoignage d'un médecin, tandis qu'en l'espèce, il l'a été.

Par conséquent, de l'avis du Tribunal, les protections légères en question ne sont pas admissibles aux concessions prévues par le code 2519 de l'annexe II du Tarif des douanes.

Pour ces motifs, l'appel est rejeté.


[ Table des matières]

1. L.R.C. (1985), ch. 1 (2 e suppl.).

2. L.R.C. (1985), ch. 41 (3 e suppl.).

3. L'appelant ayant demandé au Tribunal de considérer l'étude comme un document confidentiel, certaines parties du témoignage de M. Mixdorf à l'égard de l'étude ont été entendues à huis clos. Aucun représentant de la société ISL International Survey Limited n'a présenté de témoignage à l'audience concernant l'étude.

4. Le D r Freeland est actuellement chef par intérim de l'Évaluation des instruments au Bureau des instruments médicaux du ministère de la Santé. Il a été omnipraticien en Saskatchewan de 1977 à 1988.

5. Le paragraphe 68(2) du Tarif des douanes stipule, entre autres choses, qu'en dépit de l'assujettissement d'un produit à un droit en application de l'annexe I, les droits sur ce produit sont réduits ou supprimés si ce dernier appartient à l'une des catégories de marchandises énoncées à l'annexe II.

6. Appel n o AP-91-235, le 14 septembre 1992.

7. Vingt - cinquième éd., Baltimore, Williams & Wilkins, 1990 à la p. 774.

8. S.R.C. 1970, ch. C - 41.

9. Ministère du Revenu national, Douanes et Accise, le 3 octobre 1988.

10. Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises , Conseil de coopération douanière, 1 re éd., Bruxelles, 1986.


Publication initiale : le 4 juin 1997