PALMER JARVIS ADVERTISING

Décisions


PALMER JARVIS ADVERTISING
v.
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Appel no AP-92-375

TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le mardi 17 mai 1994

Appel n o AP-92-375

EU ÉGARD À un appel entendu le 1er décembre 1993 aux termes de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E-15;

ET EU ÉGARD À des décisions rendues par le ministre du Revenu national le 24 décembre 1992 concernant des avis d'opposition signifiés aux termes de l'article 81.17 de la Loi sur la taxe d'accise.

ENTRE

PALMER JARVIS ADVERTISING Appelant

ET

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL Intimé

L'appel est admis.

Charles A. Gracey ______ Charles A. Gracey Membre présidant

Arthur B. Trudeau ______ Arthur B. Trudeau Membre

Lise Bergeron ______ Lise Bergeron Membre

Michel P. Granger ______ Michel P. Granger Secrétaire





L'appelant est une agence de publicité qui passe des marchés avec des clients pour produire des messages publicitaires enregistrés sur bandes originales par des studios de production indépendants. La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si l'appelant est un fabricant ou un producteur de bandes originales aux termes du paragraphe 50(1) de la Loi sur la taxe d'accise ou s'il est plutôt un fabricant réputé de ces marchandises au sens de la définition de l'expression «fabricant ou producteur» donnée au paragraphe 2(1) de la Loi sur la taxe d'accise, auquel cas l'appelant n'a pas droit au remboursement de la taxe de vente.

DÉCISION : L'appel est admis. L'appelant n'est pas un fabricant ni un producteur au sens traditionnel de cette expression et les studios de production ne sont pas ses mandataires. L'appelant n'est donc pas un fabricant ni un producteur aux termes du paragraphe 50(1) de la Loi sur la taxe d'accise. En outre, comme la création de bandes originales ne constitue pas de la fabrication mais de la production, l'alinéa b) de la définition élargie de l'expression «fabricant ou producteur» donnée au paragraphe 2(1) de la Loi sur la taxe d'accise ne s'applique pas.

Lieu de l'audience : Vancouver (Colombie-Britannique) Date de l'audience : Le 1 er décembre 1993 Date de la décision : Le 17 mai 1994
Membres du Tribunal : Charles A. Gracey, membre présidant Arthur B. Trudeau, membre Lise Bergeron, membre
Avocat pour le Tribunal : Gilles B. Legault
Greffier : Nicole Pelletier
Ont comparu : Werner H.G. Heinrich, pour l'appelant Linda J. Wall, pour l'intimé





Le présent appel est interjeté aux termes de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise [1] (la Loi) à l'égard de deux déterminations qui ont eu pour effet de rejeter des demandes de remboursement faites par l'appelant. Ces déterminations ont par la suite été ratifiées par le ministre du Revenu national.

L'appelant est une agence de publicité qui passe des marchés avec des clients pour produire des messages publicitaires destinés à la télévision et à la radio, lesquels sont enregistrés sur bandes originales, puis reproduits sur cassettes par des studios de production indépendants. L'appelant a demandé, aux termes de l'article 68 de la Loi, le remboursement de la taxe de vente payée par erreur sur les ventes des bandes originales. Les parties ne contestent pas le montant demandé, qui représenterait l'écart entre la taxe payée sur le coût des bandes originales et la taxe imputée sur la vente des messages publicitaires.

La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si l'appelant est un fabricant ou un producteur de bandes originales aux termes du paragraphe 50(1) de la Loi ou s'il est plutôt un fabricant réputé de ces marchandises au sens de la définition de l'expression «fabricant ou producteur» donnée au paragraphe 2(1) de la Loi, auquel cas l'appelant n'a pas droit au remboursement de la taxe de vente.

À l'audience, le Tribunal a entendu le témoignage de M. Robert Schneider, un comptable agréé qui a préparé les demandes de remboursement pour le compte de l'appelant. M. Schneider a déclaré que les demandes de remboursement étaient fondées sur une fiche de décision publiée par le ministère du Revenu national.

Le Tribunal a également entendu les témoignages de Mmes Janice Bulger et Cynthia Rogers. Mme Bulger est directrice des opérations dans un des studios de production, et Mme Rogers est réalisatrice chez Palmer Jarvis Advertising. Mme Rogers a déclaré qu'un message publicitaire est habituellement produit à la demande d'un client et qu'il fait l'objet d'un contrat d'exécution relativement standard. Un script est préparé, de même qu'une estimation du coût de production. Le client doit ensuite approuver le script et l'estimation. Un script exigeant une aide technique pour la voix, des effets sonores et une trame musicale est reconnu comme un script complexe et il est envoyé à un studio de production pour une proposition de prix. L'«artiste», c'est-à-dire la personne qui lit le message, est habituellement embauché et rémunéré par l'appelant. Cependant, dans le cas d'un script complexe, l'artiste est généralement embauché par le studio de production et ce dernier facture l'appelant. Dans les deux cas, l'appelant doit approuver le choix de l'artiste. La trame musicale, qu'elle soit originale ou enregistrée, est fournie par le studio et approuvée par l'appelant.

Mme Rogers a ensuite expliqué que l'appelant réserve le studio lorsqu'il est prêt pour la séance d'enregistrement. Au studio, tous reçoivent copie du script et Mme Rogers informe l'ingénieur et l'artiste du genre de lecture exigée. Bien que le producteur de la trame musicale puisse donner des instructions à l'artiste pour ce qui est du niveau de la voix, c'est Mme Rogers qui contrôle l'aspect créativité et qui approuve l'enregistrement. Mme Bulger a toutefois déclaré que le processus d'enregistrement est contrôlé par l'ingénieur du studio. Une fois l'enregistrement terminé, l'ingénieur et le producteur procèdent au mixage des pistes, c'est-à-dire qu'ils établissent les niveaux sonores et déterminent la qualité des effets sonores et de la trame musicale. Mme Rogers approuve le produit fini avant d'en soumettre une copie à l'approbation finale du client. Des reproductions à partir de la bande originale sont ensuite produites sur cassettes et expédiées aux stations radiophoniques. Mme Rogers a ajouté que l'appelant possède un droit d'auteur sur le message publicitaire, mais qu'il utilise la musique sous réserve d'un contrat de licence. Enfin, la bande originale demeure la propriété du studio et elle est assurée par ce dernier pour un montant correspondant à son coût de production.

L'avocat de l'appelant a soutenu que l'appelant n'est pas le fabricant ni le producteur des bandes originales aux termes du paragraphe 50(1) de la Loi. L'avocat a prétendu qu'il convient de s'inspirer du sens courant de ces termes. Selon les dictionnaires, ils signifient qu'une personne transforme ou modifie vraiment quelque chose pour créer une chose nouvelle. À cet égard, l'avocat a soutenu que c'est le studio de production qui transforme véritablement une bande vierge en une chose nouvelle. Il a également prétendu que l'appelant n'est pas un fabricant réputé au sens de la définition élargie de «fabricant ou producteur» donnée au paragraphe 2(1) de la Loi. Il a d'ailleurs ajouté à cet égard que l'alinéa b) de cette définition ne s'applique qu'aux marchandises en cours de fabrication et non à celles qui sont en cours de production, et que les activités d'enregistrement auxquelles les studios prennent part sont connues dans l'industrie comme de la production. L'avocat s'est reporté à la décision rendue par le Tribunal dans la cause MCA (Canada) Ltd. c. Le ministre du Revenu national [2] selon laquelle le Tribunal a conclu que le simple fait de reproduire des vidéocassettes et de les emballer sont des activités de production et non de fabrication, et que la production n'est pas une condition de l'alinéa b) ci-dessus. L'avocat a fait remarquer que la seule différence entre l'affaire MCA et la création des bandes originales en l'espèce réside dans le fait qu'en ce qui touche l'affaire MCA, le son était reproduit à partir d'une bande tandis que, dans la présente cause, le son provient de l'artiste qui lit un message dans un microphone. L'avocat a également fait valoir que ce procédé est semblable à celui utilisé dans la production d'un film et que, selon une fiche de décision ministérielle, la réalisation d'un film constitue de la production. Il a prétendu, à cet effet, que la politique ministérielle et son interprétation constituent des facteurs importants qui doivent être pris en compte. Enfin, l'avocat a conclu que, pour faciliter l'interprétation, il est raisonnable de tenir compte du point de vue commercial généralement accepté à l'égard de l'activité en cause et que la réalisation de bandes originales, comme le montrent les éléments de preuve, est considérée comme de la production.

L'avocate de l'intimé a soutenu qu'il incombe à l'appelant de prouver qu'il n'est pas un fabricant ou un producteur aux termes de la Loi et, donc, qu'il a droit au remboursement. L'avocate a rejeté la prétention de l'appelant pour trois motifs. Elle a d'abord soutenu que l'appelant est un fabricant ou un producteur au sens traditionnel de cette expression parce qu'il est le pivot du processus de création des bandes originales et que c'est lui qui le contrôle, même si le studio fournit les installations et le matériel d'enregistrement des messages publicitaires. L'avocate a soutenu, à cet égard, que les éléments de preuve sont suffisants pour montrer que l'appelant exerce un contrôle absolu sur la création des messages publicitaires. Selon elle, la création des bandes originales représente un processus continu dans lequel le studio joue le rôle d'un simple exécutant. Elle a fait valoir que le fait que l'appelant n'exerce aucun contrôle sur certains travaux techniques, comme ceux exécutés par l'ingénieur, ne modifie pas le fait que l'appelant contrôle tout le processus. L'avocate a, par la suite, fait valoir que si le Tribunal estime que c'est le studio, et non l'appelant, qui est le fabricant ou le producteur, il n'en demeure pas moins que le studio est un mandataire de l'appelant, les éléments de preuve ayant révélé que ce dernier contrôle et dirige le projet. Enfin, l'avocate a soutenu que si le Tribunal rejette les deux premiers arguments, l'appelant est toutefois visé par la définition de «fabricant ou producteur» aux termes du paragraphe 2(1) de la Loi. Elle a établi une distinction par rapport à l'affaire MCA, car le simple fait de reproduire et d'emballer des vidéocassettes contraste avec la création de bandes originales dans la présente cause. L'avocate s'est également reportée à la décision rendue par le Tribunal dans l'affaire Corporation des Technologies ICAM c. Le ministre du Revenu national [3] selon laquelle la perforation de trous dans une bande magnétique et le transfert de logiciels sur des bandes ou des disques conféraient respectivement à ces marchandises une nouvelle forme et de nouvelles propriétés, de même que de nouvelles qualités. Compte tenu de cette décision, l'avocate a prétendu que la création des bandes originales doit également être considérée comme des activités de fabrication aux termes de la définition élargie de «fabricant ou producteur».

Le Tribunal est d'avis que l'appel doit être admis. Premièrement, il considère que l'appelant n'est pas le fabricant ni le producteur des bandes originales en question aux termes du paragraphe 50(1) de la Loi. Ce sont les studios qui fabriquent les bandes originales et qui reproduisent sur cassette les messages publicitaires créés par l'appelant. Deuxièmement, les studios avec lesquels l'appelant exerce son activité ne sont pas ses mandataires. Dans la cause Palmolive Manufacturing Co. (Ontario) Ltd. v. The King [4] , la Cour suprême du Canada devait décider lequel des prix, celui payé par un vendeur à un fabricant ou celui payé par les consommateurs au vendeur, constituait le prix de vente réel aux fins de l'application des dispositions de la Loi spéciale des Revenus de guerre, 1915 [5] relativement à la taxe d'accise. La Cour suprême du Canada a décidé que le vendeur devait assumer la charge de la taxe calculée sur le prix de vente aux consommateurs. Elle a conclu que le fabricant était essentiellement une unité administrative du vendeur, qu'aucune vente n'avait véritablement été effectuée entre ces deux sociétés sur le marché libre et que, par conséquent, le fabricant était tout simplement un mandataire du vendeur. Les éléments de preuve dans la présente cause sont plutôt différents. Dans le cas d'un message publicitaire complexe, l'appelant reçoit une proposition de prix et accepte ou refuse une proposition que lui soumet un studio de production. En fait, le seul pouvoir que l'appelant exerce sur le studio réside dans la surveillance de l'aspect créativité, ce qui ne suffit toutefois pas pour conférer au studio le rôle de mandataire de l'appelant.

Enfin, comme il a été décidé dans la cause MCA, l'alinéa b) de la définition de «fabricant ou producteur» donnée au paragraphe 2(1) de la Loi ne s'applique qu'aux «marchandises en cours de fabrication». Or, le Tribunal conclut dans la présente cause que la création des bandes originales ne constitue pas de la fabrication au sens de cette disposition. Premièrement, le Tribunal est d'avis que le critère juridique appliqué dans l'affaire Her Majesty The Queen v. York Marble, Tile and Terrazzo Limited [6] aux fins de l'interprétation du terme «fabriqué» aux termes du paragraphe 50(1) de la Loi, à savoir si de nouvelles formes, qualités et propriétés ou combinaisons sont conférées aux matières brutes ou préparées, que ce soit à la main ou à la machine, exige encore une évaluation du degré de transformation lorsque la matière brute ou préparée est transformée en un article nouveau. À défaut d'une telle évaluation, la distinction entre les termes «production» et «fabrication», également reconnue par la Cour suprême du Canada, serait en effet inutile car, par exemple, même les marchandises produites et non fabriquées acquièrent de nouvelles qualités et propriétés. Deuxièmement, le Tribunal estime que la définition élargie de l'expression «fabricant ou producteur» donnée au paragraphe 2(1) de la Loi doit être interprétée dans ce contexte. Par conséquent, même s'il admet que l'enregistrement d'un message publicitaire sur une bande originale exige du matériel perfectionné et qu'il ne fait aucun doute que cette bande acquiert de nouvelles qualités et propriétés, le Tribunal est d'avis que ces qualités et propriétés nouvelles ne découlent pas du genre de procédé vraisemblablement envisagé par le législateur lorsqu'il a restreint la définition élargie, aux termes de l'alinéa b), aux «marchandises en cours de fabrication». À cet égard, le Tribunal tient également compte des éléments de preuve selon lesquels l'enregistrement est considéré dans l'industrie comme de la production, tout comme dans la fiche de décision ministérielle qui porte le code 1160/55 Passif [7] .

Pour ces raisons, le Tribunal admet l'appel.


[ Table des matières]

1. L.R.C. (1985), ch. E-15.

2. Appel n o AP-90-123, le 11 août 1992.

3. Appel n o 2669, le 27 juin 1991.

4. [1933] R.C.S. 131.

5. S.C. 1915, ch. 8.

6. [1968] R.C.S. 140.

7. La fiche de décision révèle que la cause est devenue passive le 9 février 1989, car il a été déterminé que l'enregistrement est une opération de production et ne tombe pas sous le coup de l'alinéa 2(1) b ) de la Loi.


Publication initiale : le 4 juin 1997