COMPAGNIE DE FLOTTAGE DU ST-MAURICE LIMITÉE

Décisions


COMPAGNIE DE FLOTTAGE DU ST-MAURICE LIMITÉE
v.
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Appel no AP-93-143

TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le mercredi 8 juin 1994

Appel no AP-93-143

EU ÉGARD À un appel entendu le 25 janvier 1994 aux termes de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E-15;

ET EU ÉGARD À des décisions rendues par le ministre du Revenu national le 28 mai 1993 concernant des avis d'opposition signifiés aux termes de l'article 81.15 de la Loi sur la taxe d'accise.

ENTRE

COMPAGNIE DE FLOTTAGE DU ST-MAURICE LIMITÉE Appelant

ET

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL Intimé

L'appel est admis en partie.



Michèle Blouin ______ Michèle Blouin Membre présidant

Arthur B. Trudeau ______ Arthur B. Trudeau Membre

Desmond Hallissey ______ Desmond Hallissey Membre

Michel P. Granger ______ Michel P. Granger Secrétaire





L'appelant exploite une entreprise qui effectue le transport du bois par flottage sur la rivière Saint - Maurice au Québec. Le bois, coupé sur différents territoires jouxtant la rivière, est acheminé jusqu'à des usines de pâtes et papiers au moyen d'estacades, de remorqueurs, de barges, de chalands et d'autres bateaux. Deux questions sont en litige dans le présent appel. Il s'agit, d'une part, de déterminer si les estacades ou les parties d'estacades sont des marchandises que l'appelant a affectées à son propre usage au sens de l'article 52 de la Loi sur la taxe d'accise et, d'autre part, de décider si les remorqueurs sont utilisés suivant la disposition d'exemption énoncée dans l'article 11 de la partie XVII de l'annexe III de la Loi sur la taxe d'accise et son règlement d'application.

DÉCISION : L'appel est admis en partie. Le Tribunal conclut que ni les estacades ni les parties de celles-ci sont des marchandises et, par conséquent, qu'une des conditions d'application de l'article 52 de la Loi sur la taxe d'accise, c'est-à-dire que l'appelant affecte des marchandises à son propre usage, n'a pas été remplie. De plus, la preuve révèle que les remorqueurs sont utilisés exclusivement dans des opérations de remorquage conformément à la disposition d'exemption énoncée dans la Loi sur la taxe d'accise et son règlement d'application.

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario) Date de l'audience : Le 25 janvier 1994 Date de la décision : Le 8 juin 1994
Membres du Tribunal : Michèle Blouin, membre présidant Arthur B. Trudeau, membre Desmond Hallissey, membre
Avocat pour le Tribunal : Gilles B. Legault
Greffier : Anne Jamieson
Ont comparu : Pierre Pelletier, pour l'appelant Christine Hudon, pour l'intimé





Le présent appel est interjeté aux termes de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise [1] (la Loi) à l'égard de deux cotisations ratifiées en partie par le ministre du Revenu national.

L'appelant exploite une entreprise qui effectue le transport du bois par flottage sur la rivière Saint-Maurice au Québec. Le bois, coupé sur différents territoires jouxtant la rivière, est acheminé jusqu'à des usines de pâtes et papiers au moyen d'estacades, de remorqueurs, de barges, de chalands et d'autres bateaux. Les estacades sont des structures dont la longueur varie de quelques centaines de mètres à plusieurs kilomètres. Une estacade est essentiellement un chapelet formé de plusieurs grains liés les uns aux autres par des chaînes.

Les deux cotisations ont établi un montant dû au titre de la taxe de vente fédérale (TVF) non remise à l'égard de la fabrication d'estacades pour le propre usage de l'appelant et de la TVF non payée sur l'achat du matériel servant à l'installation des estacades ainsi que sur l'achat du matériel servant à l'entretien, à la réparation et aux améliorations apportées aux remorqueurs utilisés par l'appelant. Il appert des deux décisions rendues par l'intimé qu'au sens de l'article 52 de la Loi, les estacades sont considérées comme des marchandises que l'appelant fabrique et affecte à son propre usage et que l'utilisation des remorqueurs ne satisfait pas à la disposition d'exemption énoncée à l'article 11 de la partie XVII de l'annexe III de la Loi. Le Tribunal prend note du fait que l'appelant a indiqué qu'il ne contestait plus la partie des cotisations relative à la TVF non payée sur l'achat du matériel servant à l'installation des estacades.

Par conséquent, deux questions sont en litige dans le présent appel. Il s'agit, d'une part, de déterminer si les estacades ou les parties d'estacades sont des marchandises que l'appelant a affectées à son propre usage au sens de l'article 52 de la Loi. D'autre part, le Tribunal doit décider si les remorqueurs sont utilisés pour servir exclusivement aux activités maritimes que le gouverneur en conseil peut, et a effectivement prescrit, dans le Règlement d'exemption des navires et autres vaisseaux [2] (le Règlement).

Après avoir analysé les éléments de preuve et considéré les arguments des parties, le Tribunal en vient à la conclusion que l'appelant s'est acquitté du fardeau de prouver que les cotisations sont incorrectes.

Lors de l'audience, le Tribunal a entendu le témoignage de M. Luc Lafond, ingénieur forestier et directeur de la Compagnie de Flottage du St-Maurice Limitée. De son témoignage, le Tribunal a retenu qu'il y a trois types d'estacades : 1) les estacades de réserve utilisées dans la constitution de réserves de bois sur la rivière à l'approche des barrages; 2) les estacades de déviation utilisées pour la division de la rivière afin de préserver la zone de plaisance; et 3) les estacades mobiles utilisées pour le touage par bateau lorsque les conditions de vent ne sont pas favorables. De plus, toutes les estacades sont fixées à la terre ferme de façon permanente, à l'exception des estacades mobiles, lesquelles, il importe de le souligner, ne sont pas visées par les cotisations puisqu'aucune n'a été construite pendant la période en question. Les estacades sont attachées au moyen de chaînes très robustes à des ancres ou à des piliers en bois ou en acier qui sont eux-mêmes ancrés dans le lit de la rivière. Certains des piliers cédés à l'appelant en 1917 sont encore utilisés aujourd'hui. Les estacades de déviation sont aussi attachées à la terre ferme au moyen de chaînes. La construction des estacades se fait à pied d'œuvre au bord de la rivière. Les estacades sont constituées de bois originaire de la Colombie-Britannique (Douglas taxfolié) ou en provenance du Québec (épinette) ainsi que de tiges d'acier, de chaînes et d'attaches. Deux ou trois pièces de bois, qui mesurent normalement 40 pi de longueur et 14 po de diamètre, sont d'abord liées ensemble à l'aide de tiges de fer. Des trous sont ensuite percés aux extrémités des pièces de bois afin d'y insérer les chaînes et de relier ainsi les différents ensembles de pièces de bois appelés grains de chapelets. Les grains de chapelet ont une durée estimative de 40 ans. Une fois assemblés, les chapelets sont remorqués jusqu'à l'endroit voulu.

En ce qui a trait aux remorqueurs, M. Lafond a indiqué qu'ils sont utilisés lors du remorquage des estacades mobiles et d'autres estacades construites sur le bord de la rivière. Ils sont aussi utilisés lors de l'ouverture et de la fermeture des portes des estacades de réserve, opérations qui permettent de laisser la quantité de bois requise descendre la rivière. Enfin, ils sont également utilisés lors du touage des chalands qui servent à la récupération du bois immergé ou échoué sur la rive.

Ceci étant dit, le Tribunal note que les deux cotisations ont établi un montant de la TVF dû à l'égard de la «fabrication d'estacades». Or, la preuve révèle que les estacades ne sont pas des marchandises. Elles sont des structures fixées de façon permanente au sol et au lit de la rivière par l'entremise de chaînes et de piliers. Elles sont donc des immeubles. En outre, la réparation des estacades au moyen de la construction de nouvelles parties d'estacades ne constitue pas non plus de la production ou de la fabrication de marchandises au sens de la Loi. Le témoignage non contesté de M. Lafond a révélé que les grains de chapelets ne sont pas vendus dans le commerce et que toutes les entreprises qui effectuent le flottage du bois procèdent de la même façon. Selon le dictionnaire Le Nouveau Petit Robert 1 [3] , une marchandise, est une «[c]hose mobilière pouvant faire l'objet d'un commerce, d'un marché». Par conséquent, l'une des conditions d'application de l'article 52 de la Loi, c'est-à-dire que l'appelant affecte à son propre usage des marchandises, n'a pas été remplie en l'espèce que ce soit pour la fabrication ou la réparation des estacades. L'arrêt Her Majesty the Queen v. York Marble, Tile and Terrazzo Limited [4] , cité par l'avocate de l'intimé à l'appui de ses prétentions voulant que les activités de l'appelant constituent de la production ou de la fabrication de marchandises, ne s'applique pas en l'espèce. Il en est de même de l'arrêt Dominion Bridge Co. Limited v. The King [5] , où il a été décidé que les structures d'acier de deux ponts avaient fait l'objet d'une vente avant que ces derniers ne soient érigés. Dans cette affaire, les structures d'acier pouvaient faire, voire même avaient fait, l'objet d'un commerce selon les conclusions de la Cour de l'Échiquier du Canada, ce qui n'est pas le cas en l'espèce pour les raisons susmentionnées.

En ce qui concerne les achats de matériel servant à l'entretien ou à la réparation des remorqueurs, l'appelant a prétendu qu'ils sont exempts de la TVF parce que les remorqueurs servent uniquement au transport du fret par voie d'eau à des fins commerciales ainsi qu'à des opérations de remorquage conformément à la partie XVII de l'annexe III de la Loi et au Règlement. Pour sa part, l'avocate de l'intimé a prétendu que les remorqueurs servent principalement au transport des estacades, à l'ouverture et à la fermeture des portes d'estacades, au nettoyage de la rivière ainsi qu'au transport du personnel. Elle a ajouté que, bien que le transport des estacades représente une activité maritime visée, les remorqueurs ne servent pas «exclusivement» aux activités maritimes prescrites par le Règlement comme l'exige l'article 11 de la partie XVII de l'annexe III de la Loi.

Ici encore, le Tribunal estime que l'appelant a réussi à démontrer que la cotisation est incorrecte. Selon le témoignage non contredit de M. Lafond, les remorqueurs servent au touage des estacades mobiles, des chalands et des parties d'estacades une fois construites. Le Tribunal est d'avis que l'ouverture et la fermeture des portes des réserves constituent également une opération de remorquage au sens du Règlement car, comme l'a indiqué M. Lafond, ces opérations requièrent la force motrice des remorqueurs.

Par conséquent, l'appel est admis en partie, vu que l'appelant ne conteste plus la partie des cotisations relative à la TVF non payée sur l'achat du matériel servant à l'installation des estacades.


[ Table des matières]

1. L.R.C. (1985), ch. E-15.

2. C.R.C. 1978, ch. 597.

3. Montréal, DicoRobert, 1993 à la p. 1352.

4. [1968] R.C.S. 140.

5. (1939), 1 D.T.C. 499-12.


Publication initiale : le 22 mai 1997