LES ATELIERS YVES BÉRUBÉ INC.

Décisions


LES ATELIERS YVES BÉRUBÉ INC.
v.
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Appel no AP-93-239

TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le vendredi 11 mars 1994

Appel no AP-93-239

EU ÉGARD À un appel entendu le 16 février 1994 aux termes de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E-15;

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le ministre du Revenu national le 12 août 1993 concernant un avis d'opposition signifié aux termes de l'article 81.15 de la Loi sur la taxe d'accise.

ENTRE

LES ATELIERS YVES BÉRUBÉ INC. Appelant

ET

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL Intimé

L'appel est rejeté.



Michèle Blouin ______ Michèle Blouin Membre présidant

Desmond Hallissey ______ Desmond Hallissey Membre

Lise Bergeron ______ Lise Bergeron Membre

Michel P. Granger ______ Michel P. Granger Secrétaire





L'appelant est un fabricant de meubles de maison et d'armoires de cuisine. Il a fait l'objet d'une cotisation relativement à des ventes réalisées auprès de trois entreprises que le ministre du Revenu national considère être des usagers commerciaux auxquels la valeur déterminée prévue par la Circulaire ET 81 ne s'applique pas. Il y a trois questions en litige dans le présent appel. En premier lieu, le Tribunal doit déterminer s'il a compétence pour se prononcer sur les conditions d'application de la Circulaire ET 81. Si oui, le Tribunal doit déterminer si des entreprises qui achètent des marchandises dans l'exécution de marchés de construction et de rénovation peuvent être considérées comme des usagers au sens du paragraphe 9(4) de la Circulaire ET 81. Enfin, si l'appelant est redevable du paiement de la taxe établie par la cotisation, le Tribunal doit déterminer s'il peut le libérer de son obligation fiscale.

DÉCISION : La Circulaire ET 81 est dépourvue d'autorisation statutaire ou réglementaire tout autant que le Mémorandum de l'Accise ET 202 et, par conséquent, le Tribunal n'a pas compétence pour accorder le redressement demandé. Le Tribunal n'a pas non plus le pouvoir d'annuler la cotisation ni le paiement de la pénalité et des intérêts à moins que l'appelant ne démontre que la cotisation est mal fondée en fait ou en droit. Enfin, il serait vain et trompeur d'entendre les déclarations d'un témoin de l'appelant sur des questions que le Tribunal n'est pas habilité à trancher. Cela laisserait croire à l'appelant qu'il a des chances d'obtenir gain de cause alors que le Tribunal est dans l'impossibilité même de se prononcer sur le redressement demandé.

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario) Date de l'audience : Le 16 février 1994 Date de la décision : Le 11 mars 1994
Membres du Tribunal : Michèle Blouin, membre présidant Desmond Hallissey, membre Lise Bergeron, membre
Avocat pour le Tribunal : Gilles B. Legault
Greffier : Anne Jamieson
Ont comparu : Serge Mercier, pour l'appelant Anick Pelletier, pour l'intimé





Le présent appel est interjeté aux termes de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise [1] (la Loi) à l'égard d'une cotisation établie par le ministre du Revenu National (le Ministre) et ratifiée par un avis de décision en date du 12 août 1993.

L'appelant est un fabricant de meubles de maison et d'armoires de cuisine. Il est titulaire d'une licence de fabricant aux termes de la Loi. Le 9 mai 1990, il a fait l'objet d'une cotisation au montant de 13 866,46 $ pour la période allant du 1er octobre 1986 au 31 janvier 1989. Cette somme comprend des taxes impayées s'élevant à 10 055,54 $ pour mauvaise utilisation d'une valeur déterminée prévue par le Mémorandum de l'Accise ET 202 [2] (le Mémorandum ET 202) et, plus précisément, par la Circulaire ET 81 [3] qui traite de la vente de meubles.

Les éléments de preuve révèlent que la cotisation a été établie relativement 0… des ventes réalisées par l'appelant auprès de trois entreprises. L'intimé considère que ces entreprises sont des utilisateurs commerciaux auxquels la valeur déterminée prévue par la Circulaire ET 81 ne s'applique pas.

Le présent appel porte sur trois questions. En premier lieu, le Tribunal doit déterminer s'il a compétence pour se prononcer sur les conditions d'application de la Circulaire ET 81. Si oui, le Tribunal doit déterminer si des entreprises qui achètent des marchandises dans l'exécution de marchés de construction et de rénovation peuvent être considérées comme des usagers au sens du paragraphe 9(4) de la Circulaire ET 81. Enfin, si l'appelant est assujetti au paiement de la taxe établie par la cotisation, le Tribunal doit déterminer s'il peut le libérer de son obligation fiscale au motif que les ventes de l'appelant qui font l'objet de la cotisation ont été réalisées auprès d'entreprises devenues insolvables et que l'appelant serait dans l'impossibilité de recouvrer de ces entreprises les sommes exigibles à titre de taxe.

Dès le début de l'audience, le Tribunal a demandé aux avocats de traiter des questions de compétence. L'avocat de l'appelant a plaidé que le Mémorandum ET 202 et la Circulaire ET 81 représentent une interprétation administrative des dispositions de la Loi et que, dans l'affaire J. Camille Harel c. Le sous - ministre du Revenu de la province de Québec [4] , la Cour suprême du Canada a reconnu la validité d'une telle interprétation. De plus, l'avocat a fait valoir que l'appelant avait le droit d'être entendu sur les faits avant que le Tribunal ne se prononce sur le mérite de la cause. L'avocate de l'intimé s'est appuyée, pour sa part, sur certaines décisions qu'a rendues le Tribunal [5] et dans lesquelles, selon l'affaire Artec Design Inc. c. Le ministre du Revenu national [6] , il a été conclu que le Tribunal n'avait pas compétence pour se prononcer sur les conditions d'application du Mémorandum ET 202, celui-ci étant dépourvu d'autorisation statutaire ou réglementaire. En outre, elle a prétendu que, comme l'a fait remarquer le Tribunal dans l'affaire Esselte Pendaflex, la Cour suprême du Canada a déclaré dans la cause Harel que la «politique administrative ne saurait être prise en considération si elle [va] à l'encontre du texte de la Loi [7] ».

Bien que correctement saisi de l'appel d'une cotisation aux termes de la Loi, le Tribunal est d'accord avec les arguments invoqués par l'avocate de l'intimé selon lesquels il n'a pas compétence pour traiter des conditions d'application du Mémorandum ET 202 et de la Circulaire ET 81. Dans les affaires Esselte Pendaflex, Brigham Pipes et Artec, pour ne nommer que celles-là, le Tribunal a conclu qu'il n'a pas le pouvoir de faire prévaloir une méthode incompatible avec la Loi ou dépourvue d'autorisation statutaire ou réglementaire au détriment de l'assiette fiscale prévue par les textes législatifs. Dans la présente cause, l'appelant demande au Tribunal de se prononcer sur l'application des conditions de la Circulaire ET 81. Cette Circulaire est dépourvue d'autorisation statutaire ou réglementaire tout autant que le Mémorandum ET 202 et, par conséquent, le Tribunal n'a pas compétence pour accorder le redressement demandé.

Par ailleurs, il ressort du jugement rendu par le juge deGrandpré dans l'affaire Harel que l'interprétation administrative ne saurait aller à l'encontre d'un texte législatif clair et, réciproquement, qu'une telle interprétation n'est utile qu'en cas de doute sur le sens du texte de loi. Or, dans la présente cause, la politique administrative qui permet de soustraire un escompte du prix de vente lorsque certaines conditions sont respectées déroge au paragraphe 50(1) de la Loi qui prévoit que la taxe est imposée sur le prix de vente. En fait, la politique administrative n'est pas une interprétation administrative; il s'agit plutôt d'une concession administrative dérogatoire au texte de loi. En conséquence, elle ne peut absolument pas servir à interpréter la Loi, notamment l'article 50 que le Tribunal est chargé d'appliquer.

Compte tenu de la décision du Tribunal sur la première question, il n'y a pas lieu de se prononcer sur la deuxième question. Enfin, quant à la troisième question en litige, qui est également une question de compétence, le Tribunal, contrairement aux prétentions de l'avocat de l'appelant, conclut qu'il n'a pas le pouvoir discrétionnaire d'annuler une cotisation au motif invoqué par l'appelant ni le pouvoir de recommander son annulation au Ministre pour des motifs d'équité. Si l'appelant estime avoir été induit en erreur par l'intimé et être incapable aujourd'hui de recouvrer la taxe impayée dont il est responsable aux termes de la Loi, il a peut-être un recours, mais devant une juridiction autre que le Tribunal. La seule compétence du Tribunal aux termes de la Loi est de déterminer si la cotisation est bien fondée en fait ou en droit. Le Tribunal n'a pas compétence pour appliquer des principes d'équité, pour forcer le Ministre à appliquer une directive discrétionnaire ou pour imposer le paiement de dommages. Le Tribunal n'a pas non plus le pouvoir d'annuler le paiement de la pénalité et des intérêts.

Enfin, quant à l'argument de l'avocat de l'appelant portant sur le droit de ce dernier d'être entendu sur les faits, en l'occurrence le témoignage de la secrétaire-trésorière de l'appelant portant sur l'application du Mémorandum ET 202, ainsi que sur l'insolvabilité des entreprises en cause, le Tribunal rappelle que, n'ayant pas compétence pour se prononcer sur ces questions, il serait à la fois vain et trompeur d'entendre un témoignage s'y rapportant. Cela laisserait croire à l'appelant qu'il a des chances d'obtenir gain de cause alors que le Tribunal est dans l'impossibilité même de se prononcer sur le redressement demandé.

Pour toutes les raisons qui précèdent, l'appel est rejeté.


[ Table des matières]

1. L.R.C. (1985), ch. E-15.

2. Valeurs imposables , ministère du Revenu national, Douanes et Accise, le 1 er décembre 1975.

3. Meubles — Maisons d'habitation, bureaux, églises, loges, écoles et théâtres, Bases du calcul de la taxe , ministère du Revenu national, Accise, le 17 juin 1964.

4. [1978] 1 R.C.S. 851.

5. Esselte Pendaflex Canada Inc. c. Le ministre du Revenu national , appel n o AP-91-187, le 9 août 1993 et Brigham Pipes Limited c. Le ministre du Revenu national , appel n o AP - 91 - 078, le 6 juillet 1992.

6. Appel n o AP-90-117, le 2 mars 1992.

7. Supra , note 4 à la p. 858.


Publication initiale : le 23 mai 1997