DOMTAR INC.

Décisions


DOMTAR INC.
v.
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Appel no AP-93-323

TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le lundi 21 novembre 1994

Appel n o AP-93-323

EU ÉGARD À un appel entendu le 21 juin 1994 aux termes de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E-15;

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le ministre du Revenu national le 19 octobre 1993 concernant un avis d'opposition signifié aux termes de l'article 81.15 de la Loi sur la taxe d'accise.

ENTRE

DOMTAR INC. Appelant

ET

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL Intimé

L'appel est admis.



Arthur B. Trudeau ______ Arthur B. Trudeau Membre présidant

Robert C. Coates, c.r. ______ Robert C. Coates, c.r. Membre

Lise Bergeron ______ Lise Bergeron Membre

Michel P. Granger ______ Michel P. Granger Secrétaire





Le présent appel est interjeté aux termes de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise à l'égard d'une nouvelle cotisation établie par le ministre du Revenu national le 24 avril 1991 pour le motif que les presses à balles appartenant à l'appelant n'étaient pas exonérées de la taxe de vente fédérale aux termes du sous - alinéa 1a)(i) de la partie XIII de l'annexe III de la Loi sur la taxe d'accise à titre de «machines et appareils vendus aux fabricants ou producteurs ou importés par eux pour être utilisés par eux principalement et directement [...] dans la fabrication ou la production de marchandises». La décision de ratifier la nouvelle cotisation a été prise en fonction du fait que l'appelant n'était ni le réputé fabricant de vieilles boîtes en carton ondulé (VBCO) en balles au sens de l'alinéa b) de la définition de «fabricant ou producteur» au paragraphe 2(1) de la Loi sur la taxe d'accise ni le fabricant réel de VBCO en balles, étant donné que les presses à balles étaient placées dans des supermarchés et des grands magasins et utilisées par les employés de ces entreprises.

DÉCISION : L'appel est admis. Pour déterminer si les presses à balles satisfont aux critères d'exonération de la taxe de vente fédérale aux termes de la Loi sur la taxe d'accise, le Tribunal a estimé qu'il devait les examiner dans le contexte plus vaste de la fabrication de carton doublure recyclé plutôt que dans le contexte étroit de la mise en balles de VBCO, compte tenu des réalités de l'industrie du carton doublure recyclé. Selon le Tribunal, les presses à balles constituent des machines vendues à l'appelant et utilisées par celui-ci principalement et directement dans la fabrication de carton doublure recyclé. Le Tribunal est d'avis que les presses à balles sont utilisées par l'appelant, en ce sens que ce dernier les place à des endroits stratégiques dans des supermarchés et des grands magasins afin d'assurer un approvisionnement constant en VBCO en balles, élément essentiel à la fabrication de carton doublure recyclé. Le fait que les presses à balles ne se trouvent pas dans les locaux de l'appelant et sont utilisées par des employés de supermarchés et de grands magasins n'empêche pas l'appelant, dans la présente cause, d'avoir droit à l'exonération de la taxe de vente fédérale.

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario) Date de l'audience : Le 21 juin 1994 Date de la décision : Le 21 novembre 1994
Membres du Tribunal : Arthur B. Trudeau, membre présidant Robert C. Coates, c.r., membre Lise Bergeron, membre
Avocat pour le Tribunal : Heather A. Grant
Greffier : Anne Jamieson
Ont comparu : Wilfrid Lefebvre, c.r., pour l'appelant Alain Lafontaine, pour l'intimé





Le présent appel est interjeté aux termes de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise [1] (la Loi) à l'égard d'une nouvelle cotisation établie par le ministre du Revenu national (le Ministre) le 24 avril 1991 pour le motif que les presses à balles achetées par l'appelant entre le 1er octobre 1986 et le 31 décembre 1990 étaient assujetties à la taxe de vente fédérale (TVF). Le Ministre a ratifié par la suite la nouvelle cotisation dans un avis de décision daté du 19 octobre 1993.

Pendant toute la période en cause, l'appelant exploitait une entreprise de transformation de vieilles boîtes en carton ondulé (VBCO) en carton doublure recyclé. Les marchandises en question sont des presses à balles achetées par l'appelant et utilisées pour comprimer les VBCO en balles en vue de leur utilisation dans la fabrication de carton doublure recyclé. L'appelant a placé ces presses à balles dans divers supermarchés et grands magasins, et les employés de ces entreprises les faisaient fonctionner afin de garantir à l'appelant un approvisionnement constant en VBCO en balles requises pour la fabrication de carton doublure recyclé.

La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si les presses à balles sont exonérées de la TVF aux termes de l'article 51 et du sous-alinéa 1a)(i) de la partie XIII de l'annexe III de la Loi à titre de «machines et appareils vendus aux fabricants ou producteurs ou importés par eux pour être utilisés par eux principalement et directement [...] dans la fabrication ou la production de marchandises».

À l'audience, le Tribunal a entendu le témoignage de M. Donald Bastings qui a comparu pour le compte de l'appelant. M. Bastings est responsable de la production à l'usine de recyclage de l'appelant située à Mississauga (Ontario). M. Bastings a décrit, à l'aide de photographies, le fonctionnement de l'usine et le procédé de fabrication de carton doublure recyclé de cinq jets. Il a expliqué que des camions transportent les VBCO en balles des supermarchés et des grands magasins jusqu'à l'usine de transformation 24 heures par jour, 7 jours par semaine. Ces balles pèsent, en moyenne, entre 800 et 2 000 lb. Selon M. Bastings, l'usine doit être constamment approvisionnée en balles afin de pouvoir fonctionner à pleine capacité, c'est-à-dire 24 heures par jour. L'usine traite environ 400 t de VBCO en balles par jour. Lorsque les balles arrivent, elles sont soit traitées directement, soit empilées jusqu'à ce qu'on en ait besoin. M. Bastings a décrit comment les balles sont introduites, à l'aide de convoyeurs, dans de grandes cuves aux fins de désintégration, la «bouillie» qui en ressort étant soumise à différents procédés d'épuration et d'autres procédés afin d'en éliminer les impuretés et l'excès d'eau. On procède ensuite au peluchage des fibres, de sorte qu'elles puissent s'entrecroiser et former des feuilles de carton doublure de cinq jets. Le carton doublure est placé dans une série de presses et de séchoirs, puis enroulé sur des bobines; les extrémités des rouleaux sont rognées et les rouleaux sont coupés en diverses largeurs selon les besoins particuliers des clients.

M. Bastings a déclaré dans son témoignage que l'usine était expressément conçue de manière à utiliser les VBCO en balles. Il a expliqué qu'il est important que certaines concentrations de fibres soient maintenues pendant le traitement, les concentrations étant fonction de rapports prescrits de VBCO à l'eau. M. Bastings a déclaré que les concentrations requises de fibres ne peuvent être assurées que si une quantité élevée et constante de VBCO en balles est introduite dans les machines. Il a expliqué que les VBCO en balles s'enfoncent plus rapidement dans les cuves destinées à la désintégration que les VBCO en vrac, ce qui, par conséquent, permet le traitement d'une plus grande quantité de VBCO. M. Bastings a également indiqué que l'usine n'a pas l'espace voulu pour entreposer la quantité de VBCO en vrac nécessaire à l'approvisionnement adéquat des machines, pour que ces dernières produisent à pleine capacité.

M. Robert Loeffler a également comparu pour le compte de l'appelant. M. Loeffler travaille à la division de recyclage de l'appelant, où il occupe le poste de superviseur de l'administration. Dans son témoignage, M. Loeffler a surtout parlé du fonctionnement des presses à balles et des ententes contractuelles que Domtar Inc. conclut avec divers supermarchés et grands magasins. Ces contrats visent principalement à faire en sorte que l'appelant soit constamment approvisionné en VBCO en balles. Aux termes des modalités des contrats, l'appelant installe les presses à balles dans les supermarchés et les grands magasins. Il offre aux employés de ces entreprises une formation afin de garantir l'utilisation adéquate et sécuritaire des presses à balles. Les superviseurs des personnes chargées de faire fonctionner les presses à balles reçoivent une formation supplémentaire de la part de l'appelant en matière d'élimination des impuretés dans les VBCO avant leur mise en balles, de sorte que la composition des balles réponde aux besoins de l'appelant. Ce dernier est responsable de l'entretien des presses à balles, tandis que les supermarchés et les grands magasins fournissent l'énergie électrique, l'huile et les lubrifiants, ainsi que la ficelle ou le fil nécessaire pour lier les balles. Bien que les presses à balles demeurent en tout temps la propriété de l'appelant, les balles appartiennent aux supermarchés et aux grands magasins jusqu'à ce que l'appelant en prenne livraison. Les supermarchés et les grands magasins sont tenus, aux termes des contrats, de vendre les balles uniquement à l'appelant à un prix fixé en fonction d'un rapport officiel de l'office de commercialisation. L'appelant a le droit de rejeter les balles qui renferment trop d'impuretés, étant donné qu'elles ne peuvent être utilisées dans la fabrication de carton doublure recyclé. Le taux de rejet s'établit en moyenne à environ 3 p. 100.

M. Loeffler a également témoigné au sujet des avantages des presses à balles pour les supermarchés et les grands magasins. Il a expliqué que les presses à balles sont essentielles à ces entreprises, vu l'espace d'entreposage limité dont elles disposent sur place. Bon nombre des contrats ont été conclus lorsqu'il était illégal pour les détaillants de mettre les VBCO au rebut dans les décharges. Par conséquent, les ententes contractuelles conclues avec l'appelant étaient avantageuses pour les deux parties. M. Loeffler a souscrit au point de vue de M. Bastings selon lequel l'usine ne peut fonctionner efficacement que si elle reçoit un approvisionnement constant en balles des supermarchE9‚s et des grands magasins.

L'avocat de l'intimé a cité à comparaître M. Robert D. Fels à titre de témoin expert dans le domaine de la production du papier. M. Fels détient un diplôme en génie chimique et travaille dans l'industrie des pâtes et papiers depuis 1951. M. Fels a fait état dans son témoignage de l'évolution de l'industrie du recyclage. Il a déclaré que les presses à balles compriment les VBCO en une forme utilisable, mais que cette compression ne modifie pas de façon importante l'état des fibres. M. Fels a souscrit de façon générale aux témoignages de MM. Bastings et Loeffler, en particulier en ce qui concerne le caractère essentiel des VBCO en balles pour l'exploitation de l'usine, bien que, en principe, les VBCO en vrac soient suffisantes. M. Fels a convenu que la mise en balles des VBCO fait partie du procédé de fabrication du carton doublure recyclé. Il a témoigné que, même si l'appelant ramassait des VBCO en vrac pour la fabrication de carton doublure recyclé, la mise en balles des VBCO serait requise à un moment donné avant que ces dernières soient introduites dans les désintégrateurs.

Dans sa plaidoirie, l'avocat de l'appelant a fait valoir que les presses à balles doivent être exonérées de la TVF, étant donné qu'il s'agit de «machines et appareils vendus aux fabricants ou producteurs ou importés par eux pour être utilisés par eux principalement et directement [...] dans la fabrication ou la production de marchandises». L'avocat a fait remarquer que les parties s'entendent pour dire que les marchandises en question sont des machines qui ont été vendues à l'appelant. L'avocat a soutenu que, pour déterminer si les presses à balles satisfont aux autres critères énoncés dans cette disposition, il faut les examiner dans le contexte de la fabrication de carton doublure recyclé, étant donné qu'elles exécutent la première étape du procédé et en constituent un composant essentiel. L'avocat a fait valoir, en outre, que le procédé de fabrication de carton doublure recyclé constitue manifestement un procédé de fabrication ou de production de marchandises. Par conséquent, les presses à balles sont utilisées dans la fabrication ou la production de marchandises. L'avocat s'est appuyé sur les d 9‚cisions rendues dans les causes Steetley of Canada (Holdings) Limited c. Le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise [2] et I-XL Industries Ltd. c. Le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise [3] pour avancer le raisonnement selon lequel les presses à balles sont utilisées principalement et directement dans la fabrication ou la production de carton doublure recyclé, étant donné qu'elles font partie intégrante du procédé de fabrication ou de production et en constituent un élément essentiel. Selon l'avocat, les éléments de preuve montrent clairement que les presses à balles seraient nécessaires à la mise en balles, à l'usine, des VBCO en vrac si celles-ci n'étaient pas mises en balles par les supermarchés et les grands magasins; le fait d'agir autrement ne serait pas pratique sur le plan économique. En outre, en se fondant sur la décision rendue dans la cause Coca Cola Ltd. c. Le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise [4] , l'avocat a fait valoir que le terme «utilisés» n'exige pas que les employés de l'appelant fassent fonctionner directement les presses à balles. Selon lui, il faut donner à ce terme un sens large dans le contexte d'une situation particulière. L'avocat a soutenu que, dans la présente cause, l'appelant utilise les presses à balles en les mettant à la disposition des supermarchés et des grands magasins, qui alimentent les presses à balles en VBCO afin de fournir à l'appelant les balles requises pour la fabrication ou la production de carton doublure recyclé.

L'avocat de l'appelant s'est appuyé sur la décision rendue par le Tribunal dans la cause Hydro - Québec c. Le ministre du Revenu national [5] pour soutenir que le Tribunal doit examiner les procédés de fabrication ou de production tels qu'ils se déroulent en tenant compte des réalités de la situation et non de la façon dont les procédés pourraient bien se dérouler. Selon l'avocat, l'application du terme «utilisés» dans son sens large dans la présente cause, une approche fondée sur le sens commun, ne nuit pas à l'interprétation de la disposition. Elle permet plutôt d'en élargir la portée de manière que ce terme puisse tenir compte de situations comme celle dont il est question en l'espèce.

L'avocat de l'intimé a soutenu que le Tribunal doit examiner les presses à balles dans le contexte de la mise en balles des VBCO et non dans le contexte plus vaste de la fabrication de carton doublure recyclé. L'avocat a fait valoir que les presses à balles ne font pas partie du procédé de fabrication de carton doublure recyclé, étant donné que l'appelant ne les fait pas fonctionner. De l'avis de l'avocat, le procédé de fabrication ou de production de carton doublure recyclé ne commence qu'une fois que les balles ont été livrées à l'usine. Dans ce même ordre d'idées, l'avocat a fait valoir que, dans le contexte de la mise en balles, les presses à balles ne font que comprimer les VBCO et que ce procédé ne constitue pas de la fabrication ou de la production de marchandises. Toutefois, même si le Tribunal conclut que la fabrication de balles constitue de la fabrication ou de la production de marchandises, l'appelant ne peut prétendre être le fabricant ou le producteur des balles, étant donné que les presses à balles ne sont pas utilisées par les employés de l'appelant et que les balles demeurent la propriété du fournisseur jusqu'au moment de leur livraison. En outre, l'appelant ne satisfait pas aux critères lui permettant d'être considéré comme un réputé fabricant au sens de la Loi.

L'avocat de l'intimé s'est appuyé sur les décisions rendues dans les causes Arthur A. Voice Construction Co. Ltd. c. Le ministre du Revenu national [6] , Le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise c. Robertson Building Systems Limited [7] et Mustang Engineering and Construction Limited c. Le ministre du Revenu national [8] pour faire valoir que l'expression «pour être utilisés par eux» est une condition de fond. De plus, en se fondant sur les décisions rendues dans les causes Mustang Engineering et MCA (Canada) Ltd. c. Le ministre du Revenu national [9] , l'avocat a fait valoir qu'aux termes de cette condition, le fabricant ou le producteur doit utiliser lui-même la machine ou l'appareil pour lequel il demande une exonération. L'avocat a soutenu que cette condition exige en outre que l'acheteur ait l'intention, au moment de l'achat, d'utiliser le matériel lui-même dans le procédé de fabrication ou de production et, dans la présente cause, l'appelant n'avait pas cette intention, étant donné qu'il a demandé au fournisseur des presses à balles de les expédier directement aux entreprises auxquelles il achèterait les VBCO en balles.

Pour réfuter la thèse de l'appelant selon laquelle il utilise les presses à balles principalement et directement dans la fabrication ou la production de marchandises, plus précisément du carton doublure recyclé, l'avocat de l'intimé a soutenu que non seulement les presses à balles ne sont pas utilisées par l'appelant, mais elles ne sont pas utilisées principalement et directement dans la fabrication ou la production de marchandises. L'avocat a allégué que la mise en balles des VBCO ne constitue pas la première étape du procédé de production de carton doublure recyclé de l'appelant. Selon lui, la production commence lorsque les balles sont placées sur le convoyeur à l'usine et introduites dans le désintégrateur. À l'appui de cette thèse, l'avocat s'est reporté au Mémorandum de l'Accise ET 303 [10] (le Mémorandum ET 303), selon lequel «[l]a production commence dans la zone de réception sur les lieux de fabrication du fabricant, en ce qui a trait aux matières servant à la fabrication ou à la production de marchandises, et elle se termine dans la zone de stockage ou à l'entrepôt des marchandises finies sur les mêmes lieux [11] ». Par conséquent, la fabrication ou la production de carton doublure recyclé ne commence pas dans les locaux des fournisseurs, mais à l'usine où les balles commencent à être transformées. En outre, en se fondant sur les décisions rendues dans les causes Esso Resources Canada Limited c. Le ministre du Revenu national [12] et Le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise c. Amoco Canada Petroleum Company Ltd. [13] , l'avocat a fait valoir que le terme «directement» doit être interprété de manière à signifier «un rapport ou un lien proche» ou «immédiatement», au sens de «sans intermédiaire», par opposition à collatéral. En examinant les faits dans la présente cause, l'avocat a soutenu que la mise en balles n'est pas un élément qui entre directement dans la fabrication ou la production de carton doublure recyclé, mais que les presses à balles sont tout simplement utilisées pour la mise en balles des VBCO afin d'en faciliter la manutention et l'expédition. En outre, des intermédiaires ou des agents et d'autres parties jouent un rôle dans la manutention, la livraison et dans le retour éventuel des balles en vue de l'obtention d'un crédit.

L'une des principales questions en litige dans le présent appel consiste à déterminer si le Tribunal doit examiner le fonctionnement des presses à balles dans le contexte plus vaste de la production de carton doublure recyclé ou dans un contexte plus étroit, soit celui de la fabrication des balles. L'avocat de l'appelant a allégué que les presses à balles doivent être considérées dans le contexte de la fabrication par l'appelant de carton doublure recyclé et a soutenu que les presses à balles exécutent la première étape du procédé de production. Pour sa part, l'avocat de l'intimé a fait valoir que le procédé en litige est la mise en balles de VBCO et non l'ensemble des activités de production de l'appelant concernant le carton doublure recyclé. Selon l'avocat de l'intimé, le procédé de production de l'appelant ne commence qu'une fois que ce dernier prend livraison des balles.

Le Tribunal accepte la thèse de l'appelant relativement à cette question. Il conclut que la question qui consiste à déterminer si les presses à balles peuvent être exonérées de la TVF aux termes de la Loi en est une qui doit être examinée dans le contexte de l'ensemble des activités de production de carton doublure recyclé. De l'avis du Tribunal, les presses à balles exécutent la première étape du procédé de transformation des VBCO en carton doublure recyclé. Pour arriver à cette conclusion, le Tribunal a tenu compte des dépositions des témoins de l'appelant, MM. Bastings et Loeffler, ainsi que de celle du témoin expert convoqué par l'intimé, M. Fels. M. Bastings a témoigné que l'usine était conçue pour fonctionner à l'aide de matières mises en balles et non de VBCO en vrac. En outre, les trois témoins ont tous convenu que la mise en balles des VBCO est essentielle à la production de carton doublure recyclé. Selon le Tribunal, l'installation des presses à balles dans des supermarchés et des grands magasins et leur utilisation par les employés de ces entreprises constituent des solutions pratiques, vu la nature particulière de l'industrie du carton doublure recyclé et le besoin d'obtenir des quantités suffisantes de balles. Le Tribunal considère que le Mémorandum ET 303, auquel l'avocat de l'intimé s'est reporté, n'est pas pertinent. De l'avis du Tribunal, le Mémorandum ET 303 a trait expressément au «matériel destiné à la manutention des matières» et ne tient pas compte du rôle de machines comme les presses à balles dans l'industrie du carton doublure recyclé.

Tel qu'il a été indiqué précédemment, pour avoir droit à une exonération, l'appelant doit démontrer que les presses à balles satisfont aux critères suivants, notamment qu'elles :

(i) sont des machines et des appareils,

(ii) vendus aux fabricants ou producteurs,

(iii) ou importés par eux,

(iv) pour être utilisés par eux,

(v) principalement et directement,

(vi) dans la fabrication ou la production de marchandises.

L'appelant et l'intimé conviennent que les presses à balles sont des «machines» qui ont été «vendues à» l'appelant. Quant à la question qui consiste à déterminer si la fabrication de carton doublure recyclé constitue de la «fabrication ou production» de marchandises, il convient de s'inspirer de la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans la cause Her Majesty the Queen v. York Marble, Tile and Terrazzo Limited [14] . Dans cette cause, la Cour suprême du Canada a adopté comme définition de «fabriquer» le fait de «produire à partir de matériaux bruts ou préparés des articles destinés à être utilisés, en donnant aux matériaux de nouvelles formes, qualités et propriétés ou combinaisons soit à la main, soit à la machine [15] ». Si on applique ce critère au procédé en cause, on peut dire que l'appelant donne aux VBCO de nouvelles formes, qualités et propriétés en les transformant en carton doublure recyclé. Ainsi, il y a fabrication de marchandises. Par conséquent, étant donné que l'appelant est le fabricant réel du carton doublure recyclé, il peut également être considéré comme le «fabricant ou producteur», ce qui lui permet de satisfaire au critère exposé au point (ii) mentionné précédemment.

Les principaux points en litige dans le présent appel portent sur la question de savoir si les presses à balles sont destinées à 1) «être utilisé[e]s [par l'appelant]»; 2) «principalement et directement» dans la fabrication ou la production de marchandises.

La première question qui sera abordée consiste à déterminer si les presses à balles sont destinées à «être utilisé[e]s [par l'appelant]» dans la fabrication de carton doublure recyclé à partir de VBCO. Le Tribunal croit que cette disposition doit faire l'objet d'une interprétation large en fonction des faits propres à chaque cause. Selon le Tribunal, les presses à balles sont destinées à être utilisées par l'appelant, en ce sens que ce dernier les place à des endroits stratégiques dans des supermarchés et des grands magasins afin d'assurer un approvisionnement constant en VBCO en balles, élément essentiel à la fabrication de carton doublure recyclé. De l'avis du Tribunal, le fait que les employés des supermarchés et des grands magasins fassent fonctionner les presses à balles n'empêche pas l'appelant de satisfaire à ce critère d'exonération prévu dans la Loi. En arrivant à sa conclusion sur ce point, le Tribunal s'est penché sur l'ensemble du procédé de production et sur les ententes contractuelles conclues entre l'appelant et les supermarchés et grands magasins. Voici, entre autres, les faits que le Tribunal a jugé importants pour arriver à sa conclusion : 1) l'appelant est propriétaire des presses à balles; 2) l'appelant a acheté les presses à balles afin d'obtenir un approvisionnement essentiel et constant de VBCO en balles destiné à la fabrication de carton doublure recyclé; 3) l'appelant a négocié des contrats avec les supermarchés et les grands magasins, qui acceptaient de lui vendre exclusivement les balles en contrepartie d'un paiement pour les matières brutes; et 4) l'appelant est responsable de l'entretien des presses à balles et de la formation des employés des supermarchés et des grands magasins concernant l'utilisation sécuritaire des presses à balles. Compte tenu de ces faits, le Tribunal conclut que les presses à balles sont destinées à être utilisées par l'appelant dans la fabrication de carton doublure recyclé.

Le second point en litige consiste à déterminer si les presses à balles sont utilisées «principalement et directement» dans la fabrication ou la production de marchandises. De l'avis du Tribunal, les éléments de preuve montrent clairement que les presses à balles sont utilisées principalement dans la fabrication de carton doublure recyclé, étant donné qu'elles exécutent une étape précise et essentielle du procédé de production.

Pour arriver à sa conclusion sur la question qui consiste à déterminer si les presses à balles sont utilisées «directement» dans la fabrication de carton doublure recyclé, le Tribunal a tenu compte des principes suivants énoncés dans la cause Amoco : 1) le terme «directement» ne doit pas être interprété de façon restrictive; 2) en l'absence de directives précises dans la Loi, aucun motif rationnel ne justifie le fait de fixer arbitrairement le commencement du procédé de production à un point particulier; et 3) il convient de définir le terme «directement» en fonction des faits de chaque cause. En outre, le Tribunal reconnaît que, en interprétant le terme «directement», ses prédécesseurs et lui ont appliqué un certain nombre de critères différents. Par exemple, dans la cause Amoco, la Cour d'appel fédérale a conclu que le terme «directement» signifie «immédiatement», c'est-à-dire «sans intermédiaire»; dans la cause Esso, le Tribunal s'est demandé s'il existait un «rapport ou un lien proche» entre les machines ou les appareils et le procédé de production; et dans la cause Le sous - ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise c. Hydro - Québec [16] , la Cour d'appel fédérale a tenté de déterminer si les appareils en cause faisaient partie intégrante du procédé de production et étaient essentiels à ce procédé.

Ayant examiné les faits, le libellé de la disposition prévoyant l'exonération et la jurisprudence pertinente, le Tribunal est d'avis que les presses à balles satisfont aux trois critères exposés précédemment. Selon lui, les presses à balles font partie intégrante du procédé de production et sont essentielles à ce dernier. En outre, il existe un rapport ou un lien proche entre les presses à balles et le procédé de fabrication du carton doublure recyclé. Tel qu'il a été indiqué lors des dépositions orales, il faut que les VBCO soient mises en balles ou préparées à un moment donné avant d'être introduites dans le désintégrateur; autrement, l'usine ne peut fonctionner adéquatement. Comme il a été déclaré lors des dépositions orales, l'usine était expressément conçue de manière à fonctionner à l'aide de VBCO en balles et non de VBCO en vrac, 24 heures par jour, 7 jours par semaine. L'utilisation de VBCO en vrac signifierait qu'une quantité beaucoup plus faible de VBCO serait introduite dans les désintégrateurs à un moment donné. Dans ce cas, le système ne recevrait pas une quantité suffisante de VBCO et, par conséquent, ne pourrait produire une marchandise ayant une teneur en fibres suffisante pour les étapes ultérieures du processus de désintégration, ce qui, en fin de compte, nuirait à l'ensemble du procédé de production. De plus, si on réduisait le volume d'eau afin de compenser la quantité moins élevée de VBCO introduites dans les désintégrateurs, l'usine ne serait pas une entreprise viable.

En outre, de l'avis du Tribunal, il n'y a aucun intermédiaire qui l'empêche de conclure que les presses à balles sont utilisées directement dans la production de carton doublure recyclé. Tel qu'il a été déclaré précédemment, le Tribunal considère que la fabrication de carton doublure recyclé comprend diverses étapes, dont la première est la mise en balles des VBCO. Le transport des balles par camion des supermarchés et des grands magasins à l'usine ne constitue pas une intervention de la part d'un intermédiaire aux fins du critère énoncé dans la cause Amoco. Le transport des balles à l'usine ne constitue pas la première étape de la production des marchandises, mais représente une étape de l'ensemble du procédé de production de carton doublure recyclé.

Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal conclut que les presses à balles satisfont aux critères d'exonération de la TVF exposés au sous-alinéa 1a)(i) de la partie XIII de l'annexe III de la Loi à titre de «machines et appareils vendus aux fabricants ou producteurs ou importés par eux pour être utilisés par eux principalement et directement [...] dans la fabrication ou la production de marchandises».

Par conséquent, l'appel est admis.


[ Table des matières]

1. L.R.C. (1985), ch. E-15.

2. (1973), 6 R.C.T. 30.

3. (1973), 6 R.C.T. 106.

4. [1984] 1 C.F. 447.

5. Appel n o 2374, le 20 décembre 1991.

6. Tribunal canadien du commerce extérieur, appels n os AP-89-123 et AP - 89-133, le 24 octobre 1990.

7. [1980] 1 C.F. 58.

8. Tribunal canadien du commerce extérieur, appel n o AP-92-059, le 2 mars 1993.

9. Tribunal canadien du commerce extérieur, appel n o AP-90-123, le 11 août 1992.

10. Matériel de production , ministère du Revenu national, Douanes et Accise, le 20 mars 1989.

11. Ibid. à la p. 7.

12. Tribunal canadien du commerce extérieur, appel n o 2984, le 4 décembre 1989.

13. Non publié, Cour d'appel fédérale, n o du greffe A - 1845, le 3 décembre 1985.

14. [1968] R.C.S. 140.

15. Le ministre du Revenu national c. Dominion Shuttle Company Limited (1933), 72 C.S. du Québec 15.

16. Non publié, Cour d'appel fédérale, n o du greffe A - 899-92, le 20 juin 1994.


Publication initiale : le 26 mai 1997