ELDORADO PETROLEUMS LTD.

Décisions


ELDORADO PETROLEUMS LTD.
v.
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Appel no AP-93-372

TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le mercredi 19 novembre 1997

Appel n o AP - 93 - 372

EU ÉGARD À un appel entendu le 17 juin 1997 aux termes de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E-15.

EU ÉGARD À une décision rendue par le ministre du Revenu national le 10 décembre 1993 concernant un avis d'opposition signifié aux termes de l'article 81.15 de la Loi sur la taxe d'accise.

ENTRE

ELDORADO PETROLEUMS LTD. Appelant

ET

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL Intimé

L'appel est admis.


Charles A. Gracey ______ Charles A. Gracey Membre présidant

Patricia M. Close ______ Patricia M. Close Membre

Robert C. Coates, c.r. ______ Robert C. Coates, c.r. Membre

Michel P. Granger ______ Michel P. Granger Secrétaire





Le présent appel est interjeté aux termes de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise à l'égard d'une détermination du ministre du Revenu national concernant l'application de la taxe sur les stocks de produits du tabac de l'appelant. L'appelant est propriétaire de trois stations-service en Alberta, où sont vendus des produits du tabac. La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si l'appelant a droit, à chacun de ses trois emplacements, à l'exemption de 200 000 unités de tabac prévue à l'article 31 de la Loi sur la taxe d'accise. Une question connexe consiste à déterminer si l'intimé a correctement évalué les stocks de produits du tabac de l'appelant au cours de la période visée dans le présent appel.

DÉCISION : L'appel est admis. L'appel gravite autour de la question de savoir si chacun des magasins de l'appelant est un « établissement de détail distinct » au sens de la Loi sur la taxe d'accise. La réponse à cette question dépend, à son tour, de l'existence de registres, livres de compte et systèmes comptables distincts pour chacun des magasins. Le Tribunal est convaincu, à la lumière des témoignages et, plus précisément, des documents produits en preuve, que des registres, livres de compte et systèmes comptables distincts ont été tenus pour chacun des magasins de l'appelant.

Lieux de l'audience par voie de vidéoconférence : Hull (Québec) et Calgary (Alberta) Date de l'audience : Le 17 juin 1997 Date de la décision : Le 19 novembre 1997
Membres du Tribunal : Charles A. Gracey, membre présidant Patricia M. Close, membre Robert C. Coates, c.r., membre
Avocat pour le Tribunal : John L. Syme
Greffiers : Margaret Fisher et Anne Jamieson
Ont comparu : Thomas H. Olson, pour l'appelant Janet Ozembloski, pour l'intimé





Le présent appel est interjeté aux termes de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise [1] (la Loi) à l'égard d'une détermination du ministre du Revenu national concernant l'application de la taxe sur les stocks de produits du tabac de l'appelant [2] . L'appelant est propriétaire de trois stations-service en Alberta, où sont vendus des produits du tabac. La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si l'appelant a droit, à chacun de ses trois emplacements, à l'exemption de 200 000 unités prévue à l'article 31 de la Loi. Une question connexe consiste à déterminer si l'intimé a correctement évalué les stocks de produits du tabac de l'appelant au cours de la période visée dans le présent appel.

Aux fins du présent appel, les dispositions pertinentes de la Loi sont les suivantes :

29. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente partie.

« établissement de détail distinct » Boutique ou magasin géographiquement distinct des autres établissements commerciaux d'un même exploitant, où des produits du tabac sont vendus, dans le cours normal des activités qu'il exerce, mais autrement que par distributeur automatique, aux consommateurs — au sens de l'article 123 — qui s'y présentent et pour lequel sont tenus des registres, livres de compte et systèmes comptables distincts.

31. La taxe prévue par la présente partie n'est appliquée, à l'égard d'un établissement de détail distinct d'un exploitant, que sur la fraction supérieure à 200 000 unités du tabac imposé[[3] ] gardé à cet établissement à zéro heure le 27 février 1991 et faisant partie de son stock[[4] ].

En application des articles 33 et 34 de la Loi, le redevable de la taxe prévue à l'article 31 produit, au plus tard le 31 mai 1991, une déclaration et verse la taxe prévue dans un délai prescrit. L'appelant n'a en aucun temps produit de déclaration.

L'appelant a fait l'objet d'une vérification de la part de l'intimé en 1992 et s'est vu imposé un montant représentant les taxes non payées, les intérêts et une pénalité. La cotisation a été établie du fait de la détermination de l'intimé que les stations-service de l'appelant n'étaient pas des « établissement[s] de détail distinct[s] ». Pour être un établissement de détail distinct aux termes de l'article 29 de la Loi, un magasin doit être une « [b]outique ou magasin […] d'un même exploitant » a) géographiquement distinct, b) où des produits du tabac sont vendus aux consommateurs, et c) pour lequel sont tenus des registres, livres de compte et systèmes comptables distincts. L'intimé a déterminé que les trois postes d'essence de l'appelant répondaient aux deux premiers critères, mais non au troisième. L'intimé a maintenu cette position dans le présent appel.

L'avocat de l'appelant a fait témoigner M. Brent Morris, fils du propriétaire d'Eldorado Petroleums Ltd. Le témoignage de ce dernier a d'abord porté sur la détermination de l'intimé concernant les produits du tabac qui étaient en stock à chacun des trois emplacements de l'appelant le 27 février 1991. M. Morris a témoigné que l'intimé, lorsqu'il a calculé les stocks, avait « compté en double » certaines ventes de produits du tabac effectuées aux divers emplacements en janvier. M. Morris a déclaré que cette erreur de calcul a entraîné une surévaluation de la quantité de produits du tabac en stock le 27 février 1991. L'avocat a produit un nombre considérable de documents probants à l'appui du témoignage de M. Morris sur ce point.

Le Tribunal observe que l'avocate de l'intimé n'a pas contesté le témoignage de M. Morris au sujet des stocks. De plus, le témoin de l'intimé, M. Richard Desjardins, qui a effectué la vérification chez l'appelant, a reconnu que, à la lumière des documents soumis en preuve par M. Morris, il semblait que certaines factures de produits du tabac achetés par l'appelant ont par erreur été incluses dans le calcul des produits en stock le 27 février 1991 qu'a effectué l'intimé. Dans sa plaidoirie à cet égard, l'avocate a déclaré que, si le Tribunal statuait en faveur de l'appelant sur la question d'« établissement de détail distinct », l'intimé pourrait examiner de nouveau les registres de l'appelant et corriger alors toute erreur de calcul.

À la lumière de ce qui précède, la seule question que le Tribunal doit trancher dans le présent appel consiste à déterminer si les stations-service de l'appelant sont des boutiques ou magasins pour lesquels sont tenus des registres, livres de compte et systèmes comptables distincts. À cet égard, M. Morris a témoigné que pour chacune des trois stations-service des livres de compte distincts étaient tenus pour les profits et pertes, que chaque magasin était dirigé par un gestionnaire local et que, bien que l'appelant exerçait une surveillance générale de chaque magasin, il ne participait pas lui-même à leur gestion quotidienne. M. Morris a aussi déclaré que chacun des magasins avait un compte bancaire distinct et que chaque gestionnaire passait les commandes aux fournisseurs et approuvait les paiements devant être versés à ces derniers. En outre, les commandes pour les trois magasins, en provenance de divers fournisseurs, n'étaient pas combinées par l'appelant. M. Morris a aussi témoigné que chaque gestionnaire préparait la liste de paye pour son magasin et la faisait parvenir au siège social, ce dernier délivrant les chèques de paye, qui étaient tirés sur le compte bancaire du magasin pertinent.

M. Morris a décrit en plus de détails les méthodes comptables en vigueur à chacun des magasins pour calculer les stocks, les ventes quotidiennes, etc. Les renseignements à cet égard étaient inscrits quotidiennement et résumés chaque mois pour fin de présentation à l'appelant. L'appelant, à son tour, soumettait les renseignements à ses comptables, en même temps que les états bancaires mensuels. Les comptables de l'appelant se servaient de cette information pour préparer des états financiers distincts pour chacun des magasins de l'appelant. L'appelant a produit en preuve des exemples de ces états financiers. Des états financiers consolidés étaient également préparés aux fins de déclaration au ministère du Revenu national et de rapport à la banque de l'appelant.

Au cours du contre-interrogatoire, M. Morris a témoigné que seul l'appelant détenait un pouvoir de signature relativement aux comptes bancaires pour chacun des magasins. Quant aux factures envoyées par les fournisseurs aux magasins, l'avocate de l'intimé a fait valoir qu'elles avaient été payées par l'appelant, mais M. Morris a contesté l'affirmation de l'avocate selon laquelle ces paiements ont été regroupés en un seul paiement pour chaque fournisseur. M. Morris a déclaré que l'appelant établissait un chèque distinct, tiré sur le compte bancaire du magasin pertinent, pour payer les fournitures achetées par le magasin en cause.

M. Morris a expliqué que les gestionnaires de magasins tenaient des « rapports quotidiens » qui étaient totalisés à la fin de chaque mois pour l'appelant. Les rapports quotidiens comprenaient un résumé des ventes de la journée d'articles tels que le carburant, l'huile et les articles d'épicerie. Au verso du rapport quotidien, le gestionnaire inscrivait les montants reçus en espèce et les reçus des achats payés avec une carte de crédit. M. Morris a indiqué que les données des ventes et celles des reçus devaient concorder. Enfin, M. Morris a expliqué que des registres distincts étaient tenus pour chaque emplacement afin de permettre à l'appelant de contrôler la rentabilité de chaque magasin.

Le témoin de l'intimé, M. Desjardins, a déclaré avoir acquis une certaine connaissance des systèmes comptables de l'appelant lorsqu'il y a effectué une vérification. Il a dit croire que l'appelant était en mesure de préparer des états distincts pour chacun de ses magasins, ainsi que des états consolidés pour l'ensemble de ses magasins. Il a dit ignorer si l'appelant regroupait les factures de ses divers magasins aux fins du paiement des fournisseurs. Au cours du contre-interrogatoire, M. Desjardins a convenu que l'appelant tenait un grand livre distinct pour chacun des magasins.

Dans sa plaidoirie, l'avocat de l'appelant a abordé la question de savoir si chacun des magasins de l'appelant tenait des registres, livres de compte et systèmes comptables distincts. Il a soutenu que les états financiers et les registres comptables peuvent servir à diverses fins. Il a souligné que diverses lois prescrivent la saisie de certains types de renseignements comptables et leur présentation sous diverses formes. Il a cité, à titre d'exemples, la Loi de l'impôt sur le revenu [5] ainsi que, d'une façon générale, la législation sur les valeurs mobilières. L'avocat a soutenu que l'appelant tient des registres comptables distincts sous différentes formes à différentes fins. Aux fins de l'impôt sur le revenu, l'appelant tient des registres financiers consolidés. Cependant, en vue de la planification des affaires et à des fins stratégiques, l'appelant tient des registres distincts pour chacun de ses magasins.

L'avocat de l'appelant a ensuite passé en revue les éléments de preuve concernant la nature, l'étendue et l'objet des livres, registres et états de compte tenus pour chacun des magasins de l'appelant. Il a soutenu que le fait qu'une partie du travail comptable ayant trait aux registres distincts était effectuée par l'appelant n'enlevait rien au fait que des registres distincts étaient tenus pour chacun des magasins et, selon l'exposé de l'avocat, l'existence d'états consolidés des entreprises de l'appelant n'éliminait pas le caractère distinct des registres utilisés dans la production de tels états.

L'avocate de l'intimé a soutenu que, à l'exclusion de la question du calcul des stocks dont il a déjà été question, la seule question que doit trancher le Tribunal est celle de savoir si des registres, livres de compte et systèmes comptables distincts étaient tenus pour chacun des magasins de l'appelant. L'avocate a souligné que l'alinéa c) [dans la version anglaise] de la définition d'« établissement de détail distinct » à l'article 29 de la Loi comprend les mots « and » (« et ») par opposition à « or » (« ou ») et a soutenu que, pour répondre à ladite définition, chacun des trois éléments de la définition doit être satisfait. L'avocate a soutenu que l'appelant ne satisfait pas aux trois critères en l'espèce. À l'appui de son affirmation, elle a soutenu que l'appelant tient un système comptable unique à son siège social, que les comptes bancaires de chacun des magasins sont sous le contrôle du siège social, que le traitement de la liste de paye et des comptes fournisseurs se fait par l'intermédiaire du siège social. Selon l'exposé de l'avocate, chaque magasin prépare simplement les registres, et toute « opération comptable définitive » est effectuée par l'appelant à son siège social.

Selon le Tribunal, les éléments de preuve montrent clairement que des registres, livres de compte et systèmes comptables distincts sont tenus pour chacun des trois magasins de l'appelant. Pour arriver à cette opinion, le Tribunal s'appuie à la fois sur le témoignage de M. Morris et, plus précisément, sur les documents soumis en preuve qui comprennent des états des profits et pertes et des bilans distincts pour chacun des trois magasins, ainsi que des factures adressées par des fournisseurs à chacun des trois magasins. Le fait que l'appelant ait produit un état consolidé pour les trois magasins n'enlève rien, et en vérité le confirme, au fait que des registres, livres de compte et systèmes comptables convenables ont été tenus au niveau de chaque magasin individuel et que, à partir de ces documents, il a été possible de préparer un état consolidé.

Le fait que certaines fonctions liées à la tenue des registres et à la comptabilité aient été exécutées au siège social de l'appelant aurait, d'une certaine manière, altéré le caractère distinct de tels registres, selon l'argumentation de l'avocate de l'intimé. Le Tribunal est d'avis que l'alinéa c) [dans la version anglaise] de la définition d'« établissement de détail distinct » à l'article 29 de la Loi ne comprend aucun composant géographique. Autrement dit, pour satisfaire aux critères de la définition énoncés à l'alinéa susmentionné, il n'est pas nécessaire que les registres, livres de compte et systèmes comptables soient tenus à des emplacements distincts. Ce qu'il faut, c'est que les registres, les livres de compte et les systèmes comptables présentent les données d'une façon distincte pour chacun des magasins. Il est, par conséquent, concevable que, même si tous les registres, livres de compte et systèmes comptables pour les trois magasins de l'appelant ont été tenus par l'appelant à son siège social, ces magasins puissent satisfaire aux dispositions énoncées à l'alinéa susmentionné.

Par conséquent, l'appel est admis.


[ Table des matières]

1. L.R.C. (1985), ch. E-15.

2. Le présent appel est entendu en même temps que l’appel no AP-93-373, Gas King Oil Co. Ltd. c. Le ministre du Revenu national. Les appelants et l’intimé, respectivement, ont été représentés par les mêmes avocats dans chacun des appels. Les appels ont été entendus par voie de vidéoconférence, le Tribunal tenant audience à Hull (Québec), l’avocate de l’intimé et l’avocat des appelants et leurs témoins comparaissant en présence d’une représentante du Tribunal à Calgary (Alberta).

3. Aux termes de l’article 29 de la Loi, « tabac imposé » signifie cigarettes, bâtonnets de tabac et tabac à cigarettes qui, à zéro heure le 27 février 1991, étaient offerts en vente dans le cadre des activités de leur propriétaire.

4. Nota : 200 000 unités représentent 1 000 cartouches de cigarettes.

5. L.R.C. (1985), (5e suppl.).


Publication initiale : le 19 mars 1998