VENTES J.V.F. INC.

Décisions


VENTES J.V.F. INC.
v.
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Appel no AP-94-022

TABLE DES MATIERES

Ottawa, le vendredi 31 mars 1995

Appel n o AP-94-022

EU ÉGARD À un appel entendu le 21 septembre 1994 aux termes de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E-15;

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le ministre du Revenu national le 21 janvier 1994 concernant un avis d'opposition signifié aux termes de l'article 81.15 de la Loi sur la taxe d'accise.

ENTRE

VENTES J.V.F. INC. Appelant

ET

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL Intimé

L'appel est rejeté.


Lise Bergeron ______ Lise Bergeron Membre présidant

Arthur B. Trudeau ______ Arthur B. Trudeau Membre

Raynald Guay ______ Raynald Guay Membre

Michel P. Granger ______ Michel P. Granger Secrétaire





L 2 'appelant est un fabricant et un vendeur d'enseignes lumineuses programmables. Il vend également des messages publicitaires qui doivent être affichés sur les enseignes. Deux types d'opérations commerciales effectuées par l'appelant font l'objet du présent appel, soit des opérations avec une compagnie liée (Recomm International Display Corporation Ltd.) et des opérations avec une société de crédit-bail (Crédit-Bail CEL). Les trois questions en litige dans le présent appel consistent à déterminer : 1) si les opérations avec la société Crédit-Bail CEL constituent des ventes aux fins de la Loi sur la taxe d'accise; 2) le prix de vente raisonnable des enseignes vendues à la société Recomm International Display Corporation Ltd.; et 3) si l'imposition des intérêts et de la pénalité est bien fondée en droit.

DÉCISION : L'appel est rejeté. Le Tribunal est d'avis que le transfert des enseignes par l'appelant à la société Crédit-Bail CEL constitue une vente. De l'avis du Tribunal, l'appelant transfert le droit complet de propriété des enseignes à cette société pour un montant de 8 000 $. Le Tribunal estime que le transfert du droit complet de propriété est indiqué surtout par le fait que cette société peut par la suite passer des contrats de location avec des tiers aux termes desquels les tiers ont l'option d'acheter les enseignes après le trente-sixième mois du bail.

Bien que le Tribunal ne soit pas obligé de tenir compte des Communiqués de l'Accise, ces derniers peuvent être un «facteur important» en cas de doute sur le sens de la loi. Le Tribunal est d'avis que la méthode de calcul utilisée par les fonctionnaires du ministère du Revenu national est raisonnable dans la présente cause. Le prix de vente de 8 000 $ des enseignes vendues aux acheteurs indépendants, comme la société Crédit-Bail CEL et certains pharmaciens, est un point de départ raisonnable pour le calcul du prix de vente raisonnable des enseignes vendues à Recomm International Display Corporation Ltd. La déduction de certains montants au titre des coûts de livraison et d'installation et de la marge de profit tient compte des principales différences qui existent entre les deux types de vente, soit les ventes à des entreprises indépendantes et les ventes à la société liée.

Quant à la question concernant l'imposition des intérêts et de la pénalité, le Tribunal fait remarquer qu'il n'a pas compétence pour appliquer des principes d'équité.

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario) Date de l'audience : Le 21 septembre 1994 Date de la décision : Le 31 mars 1995
Membres du Tribunal : Lise Bergeron, membre présidant Arthur B. Trudeau, membre Raynald Guay, membre
Avocat pour le Tribunal : Heather A. Grant
Greffier : Nicole Pelletier
Ont comparu : Serge Fournier, pour l'appelant Anick Pelletier, pour l'intimé





Le présent appel est interjeté aux termes de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise [1] (la Loi) à l'égard d'une cotisation établie par le ministre du Revenu national (le Ministre) pour la période allant du 2 mai 1988 au 30 novembre 1990. Dans un avis de cotisation en date du 17 juillet 1991, le Ministre a établi à l'égard de l'appelant une cotisation de 228 507,68 $ relativement à la taxe de vente fédérale (TVF) impayée, y compris les intérêts et la pénalité.

L'appelant est un fabricant et un vendeur d'enseignes lumineuses programmables. Il vend également des messages publicitaires qui doivent être affichés sur les enseignes. Deux types d'opérations commerciales effectuées par l'appelant font l'objet du présent appel, soit des opérations avec une société liée, Recomm International Display Corporation Ltd. (Recomm) et des opérations avec une société de crédit-bail, Crédit Bail CEL (CEL).

Les trois questions en litige dans le présent appel consistent à déterminer : 1) si les opérations avec CEL constituent des ventes aux fins de la Loi; 2) le prix de vente raisonnable des enseignes vendues à Recomm; et 3) si l'imposition des intérêts et de la pénalité est bien fondée en droit.

Les dispositions pertinentes de la Loi sont rédigées, en partie, comme suit :

50. (1) Est imposée, prélevée et perçue une taxe de consommation ou de vente [...] sur le prix de vente ou sur la quantité vendue de toutes marchandises :

a) produites ou fabriquées au Canada :

(i) payable [...] par le producteur ou fabricant au moment où les marchandises sont livrées à l'acheteur.

58. (1) Malgré toute autre disposition de la présente loi [...] lorsque des marchandises fabriquées ou produites au Canada, ou réputées l'être, sont vendues ou sont réputées l'avoir été, ou que le droit de propriété sur ces marchandises est autrement transféré par leur fabricant ou producteur à une personne avec laquelle il a un lien de dépendance, dès la date où elles ont été livrées [...] gratuitement ou pour un prix moindre que celui qui aurait été raisonnable dans les circonstances s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance à cette date, le fabricant ou producteur est réputé avoir vendu les marchandises à cette date pour un prix de vente raisonnable.

Le seul témoin de l'appelant a été M. Paul Ryan, président de la société Ventes J.V.F. Inc. Pendant la période en cause, M. Ryan était représentant de CEL. Au début de son témoignage, M. Ryan a décrit une enseigne fabriquée par l'appelant afin de faire une démonstration visuelle du type de message publicitaire préparé par l'appelant et affiché sur les enseignes. M. Ryan a déclaré que la fonction principale de l'appelant consiste à préparer les messages publicitaires pour des sociétés pharmaceutiques, lesquels doivent être affichés sur des enseignes lumineuses. En outre, les pharmaciens qui font partie du réseau de publicité peuvent présenter leurs propres messages (par ex., les heures d'ouverture). Selon M. Ryan, l'appelant prépare de nouveaux messages publicitaires mensuellement en fonction des demandes des sociétés pharmaceutiques abonnées à ses services. Les messages publicitaires sont sauvegardés sur des disquettes et envoyés aux pharmaciens. M. Ryan a affirmé que les sociétés pharmaceutiques tirent avantage immédiatement des messages publicitaires. En effet, l'appelant avise les pharmaciens un mois à l'avance des marchandises qui feront l'objet d'un message publicitaire afin qu'ils puissent commander ces marchandises.

Selon M. Ryan, il était essentiel, dès les débuts de l'entreprise, d'établir un réseau d'affichage puisque les revenus de l'appelant proviennent de la publicité. Sans la participation de plusieurs pharmaciens, les sociétés pharmaceutiques n'auraient pas été intéressées par ce genre de publicité.

M. Ryan a ajouté que l'appelant a conclu une entente avec une trentaine de sociétés pharmaceutiques pendant la période en cause afin de promouvoir leurs produits dans environ 300 pharmacies au Québec. Chaque société pharmaceutique verse en moyenne 30 $ par pharmacie où les messages publicitaires de ses produits sont diffusés.

Le coût de fabrication de l'enseigne est de 1 650 $. Le prix de vente des enseignes vendues à Recomm est le double de leur coût de fabrication, soit 3 300 $. Cette marge permet à l'appelant de continuer à fabriquer d'autres enseignes. Ce prix, selon M. Ryan, inclut seulement l'enseigne et ne comprend pas l'entretien, la livraison ni la garantie. Selon M. Ryan, les activités de Recomm sont les mêmes que celles de l'appelant, sauf que Recomm ne fabrique pas d'enseignes.

Toutefois, pour les enseignes qui servent à établir son propre réseau de messages publicitaires, l'appelant a mis sur pied un programme de financement, car il était difficile pour l'appelant d'obtenir du financement à ses débuts. Trois parties participent au programme de financement, soit l'appelant, CEL et les pharmaciens. L'appelant et un pharmacien signent d'abord un contrat de participation. En même temps, CEL et le pharmacien passent un contrat de location pour l'enseigne. Aux termes du contrat de participation, l'appelant garantit au pharmacien une partie de ses revenus de publicité dès le septième mois du contrat de location. Par ailleurs, en vertu de ce même contrat, le pharmacien s'engage à verser à CEL, sur une base de 43 mois, un montant mensuel de 266 $ [2] . Après la signature des deux contrats et la livraison de l'enseigne lumineuse par l'appelant au pharmacien, CEL verse la somme de 8 000 $ à l'appelant afin de financer les activités de fabrication d'enseignes lumineuses de ce dernier.

En outre, M. Ryan a soulevé trois points, soit que le pharmacien ne voit jamais de représentant de CEL, que l'appelant reçoit le premier versement de location du pharmacien et que la vérification de la solvabilité du pharmacien est effectuée par l'appelant. De plus, le montant que l'appelant s'engage à verser mensuellement au pharmacien est l'équivalent de la somme versée par le pharmacien pour la location de l'enseigne lumineuse. Selon M. Ryan, les deux contrats sont signés en même temps, sans la participation de CEL.

En outre, M. Ryan a déclaré que l'appelant s'occupe de l'installation et de l'entretien des enseignes lumineuses pendant toute la durée du contrat de location et qu'il reste en liaison avec les pharmaciens au sujet des enseignes et des messages publicitaires. Selon M. Ryan, l'appelant exerce toujours un contrôle sur les enseignes lumineuses.

Une fois le bail échu, l'appelant procède généralement à l'achat de l'enseigne lumineuse à CEL pour un montant de 100 $ aux termes d'une entente orale entre les parties ratifiée par écrit en 1991. Par la suite, l'appelant suggère au pharmacien de conclure une autre entente selon laquelle l'appelant prépare toujours une disquette mensuelle et offre au pharmacien une part des revenus de publicité qui sont répartis comme suit : 70 p. 100 pour l'appelant et 30 p. 100 pour le pharmacien. Cette nouvelle entente vise à permettre à l'appelant de conserver le réseau de publicité qu'il a établi. D'après cette entente, l'appelant continue de s'occuper de l'entretien des enseignes lumineuses.

À l'expiration des contrats de participation, tous les pharmaciens ont reconduit leur contrat de service publicitaire avec l'appelant. Peu de pharmaciens, soit 12 sur 135, ont acheté les enseignes à CEL aux termes d'une option d'achat prévue dans le contrat de location. Enfin, M. Ryan a fait remarquer que trois pharmaciens ont acheté des enseignes lumineuses directement à l'appelant pour un prix unitaire de 8 000 $.

M. Ryan a témoigné qu'une enseigne lumineuse coûte 3 620 $. Des coûts pour l'installation, la livraison, la garantie, l'entretien, la commission aux représentants et une marge de profits s'ajoutent au coût de fabrication de 1 650 $. Selon M. Ryan, la différence entre ce montant et la somme de 8 000 $ versée par CEL constitue le financement obtenu par l'appelant pour établir son réseau. Cependant, l'appelant rembourse 9 842 $ au pharmacien pour ses versements de location, y compris les intérêts.

M. Ryan a déclaré que les enseignes ne valaient rien sans les services de l'appelant puisque les enseignes ne fonctionnaient pas sans le logiciel de l'appelant. M. Ryan a affirmé que l'appelant ne remboursait pas les six premiers mois de frais de location parce qu'il fallait de trois à six mois pour intégrer le pharmacien dans le réseau et en tirer des revenus de publicité.

En ce qui a trait aux factures établies par l'appelant à l'égard de CEL, M. Ryan a confirmé que le mot «facture» est inscrit à la partie supérieure du document et que les mots «vendu à Customized Equipment Leas.» figurent dans le document même. Selon M. Ryan, le document intitulé «Certificat d'acceptation et de livraison» est signé par les pharmaciens une fois que l'installation des enseignes est terminée, ce qui permet à l'appelant de facturer CEL [3] . Cependant, M. Ryan a déclaré que, faute de meilleure documentation et de conseils juridiques, l'appelant n'a pas bien représenté l'opération dans la documentation.

D'après M. Ryan, CEL n'était pas intéressée aux enseignes elles-mêmes, mais en tant que société de crédit-bail, elle était intéressée à faire affaire avec des professionnels de la santé et savait que, si elle devait reprendre une enseigne, cette dernière lui serait inutile.

Dans son t 9‚moignage, M. Ryan a mentionné les trois ventes d'enseignes que l'appelant a effectuées auprès de trois pharmaciens pendant la période en cause. Selon lui, l'appelant a exigé une somme de 8 000 $ pour chacune de ces ventes puisque c'était le montant qu'il recevait de CEL.

Au cours du contre-interrogatoire, M. Ryan a admis qu'après avoir reçu la somme de 8 000 $ de CEL, l'appelant n'a jamais remis ce montant directement à CEL. En outre, les enseignes ont été livrées directement aux pharmaciens et les pharmaciens ont gardé les enseignes pendant la durée de l'entente avec CEL.

Aux termes de l'option d'achat accordée aux pharmaciens, M. Ryan a déclaré qu'au trente-sixième mois du bail, les pharmaciens peuvent acheter les enseignes pour une somme de 1 600 $ versée à CEL. Si les pharmaciens ne lèvent pas l'option, CEL remet les enseignes à l'appelant pour la somme de 100 $ aux termes d'une entente entre CEL et l'appelant. M. Ryan a admis que l'appelant ne reprend pas les enseignes sans avoir déboursé la somme de 100 $.

En réponse aux questions concernant une facture de vente établie par l'appelant à l'égard d'un pharmacien, M. Robert Vachon, M. Ryan a admis que l'opération, selon lui, constitue une vente pure et simple au montant de 8 000 $. De plus, M. Ryan a admis que CEL remet en un seul versement la somme de 8 000 $ à l'appelant quelques jours après l'établissement de la facture par l'appelant.

Le seul témoin pour l'intimé a été M. Ghislain Bourbeau, qui était agent des appels pour le ministère du Revenu national (Revenu Canada) pendant la période en cause et, plus particulièrement, responsable du dossier de l'appelant. M. Bourbeau a expliqué comment la cotisation a été établie par le Ministre. Il a déclaré qu'une cotisation de 8 000 $ a été établie à l'égard des ventes des enseignes lumineuses à CEL et de celles faites directement aux pharmaciens. Dans le cas des ventes à Recomm, le prix de vente a été établi à 5 463 $ puisque ces ventes ont été effectuées à une société liée. Pour ces ventes, le prix raisonnable a E9‚té établi à partir du prix du marché, soit 8 000 $, moins un montant de 1 200 $ pour la commission, 800 $ pour les frais d'installation et un montant pour les bénéfices.

Dans sa plaidoirie, l'avocat de l'appelant a soutenu qu'il n'y a pas eu vente d'enseignes entre l'appelant et CEL. Selon lui, la série d'opérations entre l'appelant, CEL et les pharmaciens ne représentent qu'une seule et même opération, malgré certaines apparences contractuelles, qui a assuré le financement du réseau de publicité. Selon l'avocat, il faut examiner les opérations dans leur ensemble et considérer leur effet réel et, par la suite, déterminer les conséquences fiscales.

En outre, l'avocat de l'appelant a fait remarquer que puisqu'il n'y a pas de définition du terme «vente» dans la Loi, il faut s'en remettre au droit civil en vigueur au Québec. Pour qu'une vente ait lieu en droit civil, il faut que l'appelant se soit dépossédé de ses droits complets sur les enseignes. Selon l'avocat, la dépossession des enseignes en faveur de CEL n'a pas été complète parce que l'appelant est demeuré l'usager des marchandises pendant la durée du contrat de location.

Pour appuyer cet argument, l'avocat de l'appelant a invoqué la réalité commerciale dans laquelle s'est insérée l'opération dans son ensemble, c'est-à-dire le fait que l'appelant prévoyait le retour des enseignes à la fin du contrat de location entre CEL et les pharmaciens, qu'il avait remboursé la majeure partie de la somme de 8 000 $ aux pharmaciens au cours du bail, et que l'appelant bénéficierait des profits générés par les marchandises. L'avocat s'est aussi reporté à d'autres faits qui, selon lui, distinguent l'opération d'une vente comme le fait que seul l'appelant peut faire fonctionner les enseignes et, sans la disquette de l'appelant, les enseignes ne valent rien. De plus, l'avocat a prétendu que l'opération dans son ensemble ressemble à une vente à réméré aux termes du droit civil plutôt qu'à une vente pure et simple et que l'effet civil, comme fiscal, d'une vente à rémérE9‚ est de rendre la vente inexistante quand les enseignes sont remises au propriétaire initial.

Par analogie, l'avocat de l'appelant a fait allusion aux réfrigérateurs fournis gratuitement par une société comme Coca-Cola Ltée aux épiciers pourvu qu'ils s'engagent à utiliser les réfrigérateurs pour les produits de Coca-Cola Ltée exclusivement. Selon l'avocat, l'appelant, comme Coca-Cola Ltée, est l'usager ultime des enseignes aux fins d'imposition et de fiscalité, sauf qu'étant donné que l'appelant n'avait pas les moyens de donner les enseignes gratuitement aux pharmaciens, il a dû mettre au point un mécanisme de financement.

De plus, l'avocat de l'appelant a prétendu qu'une seule opération a eu lieu parce que les opérations individuelles n'auraient pas existé sans l'intervention des trois parties à toutes les étapes. Le crédit-bail n'aurait pas existé sans la convention de participation entre l'appelant et le pharmacien, et la convention de participation n'aurait pas existé sans l'opération entre CEL et l'appelant relativement au transfert des enseignes. Selon l'avocat, étant donné qu'aucune vente n'a eu lieu et que l'appelant est le consommateur de ces enseignes, il faut établir le prix de vente raisonnable de l'enseigne à 4 134 $.

En outre, l'avocat de l'appelant a fait valoir que si le Tribunal considère qu'il y a eu une vente, 8 000 $ n'est pas le prix de vente réel puisque l'appelant a remboursé la majeure partie de ce montant aux pharmaciens. Selon l'avocat, il faut déduire du prix la partie qui constitue le financement. Pour appuyer cette position et pour établir que 3 300 $ est le prix de vente raisonnable pour les enseignes vendues à Recomm, l'avocat a prétendu qu'il faut calculer le prix réel de façon arbitraire puisqu'il n'y a pas de marché libre pour les enseignes. Selon lui, un prix de vente raisonnable pour les enseignes transférées à CEL serait 4 134 $, soit le prix de vente d'une enseigne vendue à Recomm, plus des frais de vente et une plus grande marge de profit. De l'avis de l'avocat, le prix de vente réel des enseignes à Recomm, basé principalement sur le coût de fabrication multiplié par deux, est un prix de vente plus raisonnable que le prix établi par les fonctionnaires de Revenu Canada.

Enfin, l 2'avocat de l'appelant a soutenu que l'imposition des intérêts et de la pénalité est inappropriée et constitue de l'abus de droit de la part de l'intimé.

Dans sa plaidoirie, l'avocate de l'intimé a fait valoir que, même si plusieurs opérations sont reliées à une seule procédure, il y a une opération à l'origine qui est une opération de vente. L'avocate a invoqué une définition du terme «vente» tirée du Précis du droit de la vente et du louage [4] pour appuyer sa position. Selon l'avocate, la somme de 8 000 $ a été payée à l'appelant par CEL en un seul versement. De plus, CEL loue les enseignes aux pharmaciens en leur offrant une option d'achat à la fin du contrat de location. Selon l'avocate, ceci démontre que CEL est devenue propriétaire des marchandises lors de l'opération avec l'appelant. Par conséquent, un transfert complet des marchandises a été fait en faveur de CEL.

En outre, pour que l'appelant redevienne propriétaire des marchandises, selon l'avocate de l'intimé, il faut que les pharmaciens ne lèvent pas l'option d'achat et que l'appelant remette 100 $ à CEL. L'appelant n'exerce aucun contrôle sur ces deux conditions. Quant aux prétentions de l'appelant au sujet de l'usager des enseignes, l'avocate a soutenu que les pharmaciens sont aussi des usagers des enseignes puisqu'ils les utilisent pour y afficher des messages personnels et participent aux profits générés par la vente de messages publicitaires. De plus, le «remboursement» des frais de location est lié au revenu provenant de la vente des messages publicitaires et n'est pas un remboursement pur et simple. Selon l'avocate, le lien de dépendance entre l'appelant et ses clients ne vient pas du bien en tant que tel mais de la vente de messages publicitaires. Par conséquent, selon l'avocate, l'appelant est redevable de la TVF sur le prix de vente unitaire de 8 000 $ pour les enseignes vendues à CEL.

Pour ce qui est des ventes des enseignes à Recomm, l'avocate de l'intimé a soutenu que le prix de vente raisonnable établi par les fonctionnaires de Revenu Canada, soit 5 463 $, a été calculé aux termes du Communiqué de l'Accise 165/PL [5] , qui décrit trois méthodes pour faire le calcul. Les fonctionnaires de Revenu Canada ont utilisé la première méthode, soit la méthode du prix comparable sur le marché libre, puisque, selon l'avocate, il y a des ventes comparables, soit celles à CEL et celles effectuées directement aux trois pharmaciens. Les fonctionnaires de Revenu Canada ont, par la suite, rajusté le prix pour tenir compte des sommes reliées à la commission, aux frais d'installation et au profit net sur les ventes puisque ces éléments ne sont pas présents dans le cas des ventes à Recomm.

Finalement, en ce qui a trait à la demande de l'appelant concernant l'annulation des intérêts et de la pénalité, l'avocate de l'intimé a soutenu que le Tribunal doit appliquer la Loi et n'a pas compétence en matière d'équité.

La première question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si les opérations entre l'appelant et CEL constituent des ventes aux fins de la Loi. Dans l'affirmative, la TVF est imposée sur le prix de vente des marchandises.

Ayant examiné les éléments de preuve au dossier et la jurisprudence pertinente, le Tribunal est d'avis que le transfert des enseignes par l'appelant à CEL constitue une vente. L'article 1472 du Code Civil du Bas - Canada stipule qu'une vente est «un contrat par lequel une personne donne une chose à une autre, moyennant un prix en argent que la dernière s'oblige de payer».

De l'avis du Tribunal, l'appelant transfert le droit complet de propriété d'une enseigne à CEL pour un montant de 8 000 $. Conformément aux dépositions orales et à la facture établie à l'égard de CEL déposée comme pièce, l'appelant a reçu la somme de 8 000 $ à titre de montant forfaitaire en échange de l'enseigne. De l'avis du Tribunal, le transfert du droit complet de propriété est indiqué surtout par le fait que CEL peut par la suite passer des contrats de location avec des tiers aux termes desquels les tiers ont l'option d'acheter les enseignes après le trente-sixième mois du bail. En outre, l'option d'achat n'est pas fictive étant donné que 12 pharmaciens ont levé l'option d'achat et, de cette façon, ont obtenu le droit complet de propriété sur les marchandises de CEL.

De l'avis du Tribunal, l'appelant et CEL ont sciemment passé des contrats de vente. Cet avis est appuyé par le fait que l'appelant et CEL ont passé un autre contrat aux termes duquel CEL offrait une enseigne à l'appelant pour un montant de 100 $ si le pharmacien ne levait pas l'option d'achat. Selon le Tribunal, il est évident que l'appelant était au courant, au moment du transfert de la propriété à CEL, que le contrat de location de CEL incluait une clause d'option d'achat à l'intention des pharmaciens. En outre, le témoin de l'appelant a admis que la décision des pharmaciens quant à l'achat des enseignes était indépendante de la volonté de l'appelant.

De plus, le Tribunal estime que l'argument de l'appelant selon lequel il faut considérer les diverses opérations entre l'appelant, CEL et les pharmaciens comme une seule opération n'est pas convaincant. De l'avis du Tribunal, il est évident qu'il y a eu un contrat entre l'appelant et CEL aux termes duquel les enseignes ont été vendues à CEL. Le Tribunal est d'avis que les deux parties avaient l'intention de réaliser une vente, que la vente ait lieu ou non à l'intérieur du contexte plus large de l'établissement du réseau de publicité de l'appelant. Même si les enseignes étaient une partie constituante de l'entreprise publicitaire de l'appelant, il n'en demeure pas moins que les enseignes ont été vendues à CEL.

En outre, même si la procédure dans son ensemble est considérée comme une seule opération, le Tribunal n'est pas convaincu que l'opération puisse être décrite comme une vente à réméré. De l'avis du Tribunal, le retour de l'enseigne à l'appelant à l'expiration du contrat de location constitue une promesse de revente plutôt qu'une véritable vente à réméré. Par conséquent, il y a eu vente et la taxe doit être calculée sur le prix de vente des enseignes.

Pour ce qui est de la deuxième question en litige dans le présent appel, le Tribunal est d'avis que le prix de vente raisonnable des enseignes vendues à Recomm est 5 463 $, comme l'ont établi les fonctionnaires de Revenu Canada. Aux termes du paragraphe 58(1) de la Loi, lorsque les marchandises sont vendues à une personne avec qui le fabricant ou le producteur a un lien de dépendance, le fabricant ou le producteur est réputé avoir vendu les marchandises à cette date pour un prix de vente raisonnable.

Selon le témoin de Revenu Canada, pour déterminer le prix de vente raisonnable des enseignes, les fonctionnaires de Revenu Canada ont tenu compte du prix de vente de marchandises comparables vendues sur le marché libre, conformément au Communiqué de l'Accise 165/PL. En d'autres mots, les fonctionnaires de Revenu Canada ont établi le prix de vente raisonnable pour les marchandises vendues à Recomm en utilisant le montant de 8 000 $ comme prix de base. De ce montant, les fonctionnaires ont soustrait certaines sommes qui reflètent les coûts de livraison et d'installation, les opérations avec Recomm n'incluant pas ces services.

Bien que le Tribunal ne soit pas obligé de tenir compte des Communiqués de l'Accise, ces derniers peuvent être un «facteur important» en cas de doute sur le sens de la loi [6] . Le Tribunal est d'avis que la méthode de calcul utilisée par les fonctionnaires de Revenu Canada est raisonnable dans la présente cause. Le prix de vente de 8 000 $ des enseignes vendues aux acheteurs indépendants, comme CEL et certains pharmaciens, est un point de départ raisonnable pour le calcul du prix de vente raisonnable des enseignes vendues à Recomm. La déduction de certains montants au titre des coûts de livraison et d'installation et de la marge de profit tient compte des principales différences qui existent entre les deux types de ventes.

Pour ce qui est des intérêts et de la pénalité, il est un principe bien établi que le Tribunal n'a pas compétence pour rendre des décisions fondées sur des principes d'équité [7] . Le Tribunal peut modifier les intérêts et la pénalité seulement lorsqu'il y a eu erreur de calcul ou à la suite d'une modification ou de l'annulation d'une cotisation. Étant donné que cela n'est pas le cas dans la présente cause, le Tribunal n'a pas compétence pour accorder le redressement demandé.

Par conséquent, l'appel est rejeté.


[ Table des matières]

1. L.R.C. (1985), ch. E - 15.

2. Le montant variait entre 262 $ et 266 $ pour la période en cause.

3. La facture déposée comme pièce indiquait un montant de 7 710,06 $. Selon M. Ryan, un pharmacien versait parfois le premier paiement à l'appelant plutôt qu'à CEL.

4. T. Rousseau-Houle, 2 e éd., Québec, Presses de l'Université Laval, 1986 à la p. 12.

5. Juste valeur marchande (prix de vente raisonnable) , ministère du Revenu national, Douanes et Accise, décembre 1987.

6. Gene A. Nowegijick c. Sa Majesté la Reine, [1983] 1 R.C.S. 29.

7. Voir, par exemple, Pelletrex Ltée c. Le ministre du Revenu national , Tribunal canadien du commerce extérieur, appel n o AP-89-274, le 15 octobre 1991, et les décisions qui y sont mentionnées.


Publication initiale : le 10 octobre 1996