LES PIGNONS L.V.M. DU QUÉBEC INC.

Décisions


LES PIGNONS L.V.M. DU QUÉBEC INC.
v.
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Appel no AP-93-315


TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le lundi 19 août 2002

Appel no AP-93-315

EU ÉGARD À un appel entendu le 12 décembre 2001 aux termes de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. 1985, c. E-15;

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le ministre du Revenu national le 18 décembre 1992 concernant un avis d'opposition signifié aux termes de l'article 81.17 de la Loi sur la taxe d'accise.

ENTRE

LES PIGNONS L.V.M. DU QUÉBEC INC. Appelante

ET

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL Intimé

DÉCISION DU TRIBUNAL

L'appel est rejeté.

Richard Lafontaine
Richard Lafontaine
Membre présidant

James A. Ogilvy
James A. Ogilvy
Membre

Ellen Fry
Ellen Fry
Membre

Michel P. Granger
Michel P. Granger
Secrétaire

 

 

RÉSUMÉ OFFICIEUX

Le présent appel est interjeté aux termes de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise à l'égard d'une décision rendue le 18 décembre 1992 par le ministre du Revenu national. L'appelante a soutenu qu'elle a acheté des marchandises finies à une société liée, Sofab (1984) Ltée, et qu'elle les a par la suite revendues à ses clients. Elle a soutenu que le versement de la taxe de vente fédérale a été effectué par erreur et qu'elle a donc droit à un remboursement aux termes de l'article 68 de la Loi sur la taxe d'accise. D'autre part, l'intimé était d'avis que l'appelante avait enfreint les exigences de l'article 98 de la Loi sur la taxe d'accise en ne conservant pas ses livres et registres. L'intimé a soutenu que l'appel devait être rejeté, vu que l'appelante ne s'était pas acquittée du fardeau de la preuve qui lui incombait.

DÉCISION : L'appel est rejeté. Le Tribunal est d'avis que la preuve documentaire est insuffisante pour appuyer la demande de l'appelante et que, par conséquent, cette dernière ne s'est pas acquittée du fardeau de la preuve en l'espèce.

Lieu de l'audience :

Ottawa (Ontario)

Date de l'audience :

Le 12 décembre 2001

Date de la décision :

Le 19 août 2002

   

Membres du Tribunal :

Richard Lafontaine, membre présidant

 

James A. Ogilvy, membre

 

Ellen Fry, membre

   

Conseillers pour le Tribunal :

John Dodsworth

 

Dominique Laporte

   

Greffier :

Anne Turcotte

   

Ont comparu :

Michael Kaylor, pour l'appelante

 

Jean-Robert Noiseux, pour l'intimé

 

 

MOTIFS DE LA DÉCISION

Le présent appel est interjeté aux termes de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise 1 à l'égard d'une décision rendue le 18 décembre 1992 par le ministre du Revenu national. Le Tribunal a ouvert une audience dans la présente affaire le 26 septembre 1994, mais, à la demande de l'appelante, a par la suite accordé un ajournement et accueilli plusieurs demandes de remise. La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si l'appelante a droit au remboursement de la taxe de vente fédérale (TVF) qu'elle a versée sur ses ventes de marchandises qu'elle avait achetées à Sofab (1984) Ltée (Sofab).

QUESTIONS PRÉLIMINAIRES

Droit de comparution de l'appelante devant le Tribunal

Le 5 avril 2001, l'appelante a déposé un mémoire supplémentaire par lequel elle se disait inactive. En outre, le 20 septembre 2001, le bureau du conseiller pour l'appelante a avisé le Tribunal, par téléphone, que l'appelante n'existait plus. Dans une lettre du 26 septembre 2001, le Tribunal a demandé au conseiller pour l'appelante de lui confirmer le statut juridique de l'appelante et de lui confirmer qu'il était autorisé à la représenter. Le 28 septembre 2001, le conseiller pour l'appelante a confirmé que l'appelante avait toujours une existence juridique et qu'il était autorisé à agir pour son compte.

En réponse aux questions du Tribunal à l'audience, le conseiller pour l'appelante a fait état d'une certaine incertitude quant à la question de savoir s'il était dûment autorisé à agir pour le compte de l'appelante. Le Tribunal a donc demandé au conseiller pour l'appelante de fournir des documents supplémentaires pour convaincre le Tribunal qu'il était autorisé à agir pour le compte de l'appelante. Le conseiller pour l'appelante a par la suite fourni des documents supplémentaires. En outre, l'intimé n'a pas contesté son autorisation d'agir pour le compte de l'appelante. Le Tribunal accepte donc que le conseiller pour l'appelante est dûment autorisé à agir pour le compte de l'appelante.

Abandon allégué de l'appel

Avant l'audience prévue, l'intimé a soutenu que l'appelante avait abandonné son appel et qu'il n'y avait donc pas lieu de procéder à l'appel. Pour bien comprendre les arguments relativement à la question de l'abandon, il faut revoir l'historique de la procédure.

L'appelante a déposé sa demande de remboursement auprès du ministère du Revenu national (Revenu Canada)2 le 12 novembre 1987. Un avis de détermination accordant un remboursement partiel a été émis le 19 février 1988. L'appelante a par la suite signifié un avis d'opposition daté du 9 mai 1988. Dans une lettre du 1er décembre 1992, M. G. Arduini, qui se disait « Directeur »3 , a informé Revenu Canada que l'appelante voulait retirer son avis d'opposition. Le 2 décembre 1992, l'intimé a adressé une lettre aux trois personnes inscrites comme « administrateurs » de l'appelante dans les dossiers du gouvernement pour les informer que M. Arduini avait retiré l'avis d'opposition et leur demander de confirmer qu'ils approuvaient ce retrait. La lettre précisait également que, à défaut de réponse avant le 15 décembre 1992, l'intimé rendrait sa décision en s'appuyant sur les renseignements au dossier.

Par avis de décision daté du 18 décembre 1992, l'opposition de l'appelante a été rejetée, et la détermination confirmée. La décision se lisait : « La présente décision donne effet à la lettre du 1 décembre 1992, de M. Arduini, votre représentant, dans laquelle vous signifiez votre intention de vous désister à l'égard de cette opposition. » L'avis informait également l'appelante qu'elle pouvait en appeler de la détermination au Tribunal dans les 90 jours4 . Malgré l'expiration de ce délai, le 8 septembre 1993, M. Jack Schryver, de Les consultants en taxe de vente Comtax Inc. (Comtax), agissant au nom de l'appelante, a demandé une prolongation du délai d'appel aux termes de l'article 81.32 de la Loi5 . Le 5 octobre 1993, le Tribunal a accusé réception de la demande de prolongation de délai de l'appelante et a demandé à l'intimé de lui présenter des observations. La lettre précisait également que, à défaut de réponse de l'intimé, le Tribunal fonderait sa décision sur la lettre de l'appelante demandant une prolongation de délai. Le 19 novembre 1993, n'ayant pas reçu d'observations de l'intimé, le Tribunal a rendu une ordonnance prolongeant le délai d'appel de l'avis de décision susmentionné. Le 10 janvier 1994, un appel de l'avis de décision daté du 18 décembre 1992 a été déposé auprès du Tribunal.

Le 24 avril 1995, le Tribunal a convenu de tenir l'appel en suspens pendant que les parties tentaient de résoudre la question. Bien que l'appelante ait indiqué, le 24 février 1998, son intention de donner suite à l'appel, aucune autre mesure n'a été prise à ce moment-là. Le 30 janvier 2001, le Tribunal a écrit à l'appelante pour connaître ses intentions relativement à l'appel. L'appelante et l'intimé ont par la suite déposé des mémoires supplémentaires en avril et en juin 2001, respectivement. Le 18 juin 2001, à la suite du mémoire supplémentaire de l'intimé, l'appelante a présenté une requête au Tribunal pour qu'il décide, à titre préliminaire, si elle avait effectivement abandonné l'appel. Par suite de la requête de l'appelante, le Tribunal a ordonné aux parties de déposer des exposés écrits sur la question de l'abandon. Les parties ont déposé des exposés à ce propos, mais le Tribunal a décidé de réserver sa décision sur la question et de procéder à une audience sur le bien-fondé de l'appel.

En plus de son exposé écrit faisant valoir que l'appelante avait abandonné son appel, l'intimé a soutenu à l'audience que le Tribunal n'avait pas compétence pour entendre l'appel, vu que l'appelante l'avait abandonné. De l'avis de l'intimé, étant donné que l'avis d'opposition avait été retiré, l'appelante ne satisfaisait plus aux conditions requises aux termes de l'article 81.19 de la Loi pour en appeler de la décision de l'intimé. Par ailleurs, l'appelante a soutenu que le Tribunal avait compétence pour entendre l'affaire, plaidant que M. Arduini n'était pas autorisé à retirer l'opposition au nom de l'appelante et que la Loi ne reconnaît pas la possibilité de retirer un avis d'opposition.

Le Tribunal fait observer que l'intimé ne s'est pas opposé à la demande de prolongation de délai de l'appelante avant la date fixée par le Tribunal en 1993. L'intimé n'a pas non plus par la suite demandé une prolongation de délai pour faire valoir ses objections. Plus de huit ans plus tard, voilà que l'intimé, pour la première fois, conteste la décision du Tribunal et la compétence de ce dernier pour entendre l'appel. Le Tribunal fait observer que les faits de la présente affaire sont très semblables à ceux en cause dans l'appel no AP-91-1846 , où l'intimé soutenait que le retrait, par l'appelante, de son avis d'opposition annulait rétroactivement l'avis d'opposition. Le Tribunal a déclaré :

[L]e Tribunal remarque qu'aux termes du paragraphe 81.15(4) de la Loi, le Ministre, saisi d'un avis d'opposition, doit réexaminer la cotisation et l'annuler, la modifier ou la ratifier, ou établir une nouvelle cotisation, selon le cas. Le Tribunal remarque que la Loi ne prévoit aucun mécanisme auquel le Ministre devrait se conformer en cas de retrait d'opposition. Il semble donc, à strictement parler, qu'un contribuable ne peut retirer son opposition une fois qu'elle a été signifiée au Ministre.

Le Tribunal remarque que, reconnaissant ce fait, le Ministre a publié un avis de décision le 13 février 1991. Dans cette décision, le Ministre déclarait qu'il avait examiné les renseignements et les motifs avancés par Volkswagen dans son avis d'opposition, mais qu'il avait rejeté ce dernier. Pourtant, le Ministre a aussi accusé réception du retrait de l'appelant.

En réponse à l'argument de l'avocat de l'intimé selon lequel la tentative faite par Volkswagen de retirer son avis d'opposition avait « annulé rétroactivement » celui-ci, le Tribunal estime que, si tel avait été le cas, le Ministre ne se serait pas donné la peine de publier un avis de décision. Mais ce qui est plus important encore aux yeux du Tribunal, et ce qui ruine la thèse de l'avocat de l'intimé, c'est que l'avis de décision informait l'appelant du fait qu'il pouvait faire appel de la cotisation au Tribunal dans un délai de 90 jours après la date de la décision.

Le Tribunal a donc conclu que l'appelant n'avait pas perdu son droit d'appel. De plus, Volkswagen ayant signifié un avis d'opposition aux termes de l'article 81.15 de la Loi, le Tribunal avait compétence pour procéder sur le fond de la cause.7

Relativement au présent appel, le Tribunal retient ce raisonnement dans sa totalité. Il est d'avis que le fait même de la confirmation de la décision, selon l'indication donnée dans l'avis de décision, signifie que l'intimé a réexaminé la décision. En outre, l'avis de décision indiquait clairement que l'appelante avait le droit d'en appeler au Tribunal. Le droit d'appel est à l'égard de la décision de l'intimé à l'occasion de son réexamen en la matière. En outre, si la lettre présentée comme une demande de retrait de l'opposition de l'appelante avait véritablement mis un terme à l'affaire en vertu de la Loi, l'intimé n'aurait pas eu besoin d'émettre un avis de décision. Puisqu'il l'a fait, le Tribunal est d'avis que le droit d'appel de l'appelante existait toujours malgré le prétendu retrait de son opposition.

En outre, bien que l'article 16.2 de la Loi de l'impôt sur le revenu 8 , les Règles de la Cour de l'impôt 9 et les Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur 10 prévoient des avis de désistement, la Loi, elle, ne renferme pas de disposition dans le même sens. De fait, les Règles de procédure ne prévoient que des avis de désistement concernant les appels dont le Tribunal est saisi (et non l'intimé, comme cela a été le cas en l'espèce). Par conséquent, de l'avis du Tribunal, les affaires que cite l'intimé pour justifier sa position ne l'aident pas, vu qu'elles concernent la Loi de l'impôt sur le revenu et les Règles de la Cour de l'impôt.

PREUVE

M. Guy Tremblay, comptable agréé, a témoigné au nom de l'appelante lors de l'audience. Il a indiqué que, durant la période pour laquelle le remboursement est demandé, il était contrôleur pour l'appelante11 , Sofab et Les Poutrelles du Québec Inc. (Les Poutrelles).

M. Tremblay a expliqué que l'appelante, de même que Sofab, produisait des fermes de toits tandis que Les Poutrelles fabriquait des poutrelles pour les planchers. Il a indiqué que chacune des compagnies conduisait ses opérations de fabrication séparément et avait ses propres employés. M. Tremblay a indiqué, de plus, que chacune de ces trois compagnies achetait ses propres produits primaires bruts pour ses opérations et utilisait des comptes bancaires séparés. Il a expliqué que l'appelante achetait des fermes de toit de Sofab et des poutrelles de plancher de Les Poutrelles. Étant donné la capacité de production limitée de l'appelante, de concert avec la forte demande dans l'industrie de la construction de 1985 à 1988, il était nécessaire de donner des commandes à Sofab, qui pouvait suppléer à la demande.

M. Tremblay a témoigné que l'appelante remettait la TVF à Revenu Canada sur toutes les factures faites aux clients de fermes de toit, y compris les fermes de toit fabriquées par l'appelante et celles achetées à Sofab. Il a confirmé qu'il en était de même pour les poutrelles de plancher que l'appelante achetait à Les Poutrelles. M. Tremblay a indiqué que, lors de chaque achat de fermes de toit fabriquées par Sofab ou de poutrelles à Les Poutrelles, l'appelante émettait des commandes d'achat et était facturée par Sofab ou Les Poutrelles. M. Tremblay a par la suite expliqué que les factures n'étaient pas payées séparément, mais plutôt cumulées aux comptes à recevoir, et que des paiements étaient effectués à intervalles réguliers. Il a toutefois indiqué ne pas savoir si la somme totale avait été payée à la fin.

M. Tremblay a aussi expliqué que la raison pour laquelle, selon les notes aux états financiers, le montant des ventes de Sofab ne correspondait pas aux achats de l'appelante est le montant des achats effectués par l'appelante chez Les Poutrelles. Faisant référence à la pièce A-3, M. Tremblay a indiqué que, pour l'année 1985, étant donné que Sofab n'a jamais vendu de fermes de toit à Les Poutrelles, la totalité des ventes de Sofab aux compagnies affiliées, soit 497 181 $, a été faite à l'appelante. Pour 1986, M. Tremblay a expliqué que les états financiers de Sofab indiquent des ventes à ses compagnies affiliées de 992 317 $ et que, en se basant sur les notes des vérificateurs externes, on conclut que ces ventes ont été faites à l'appelante. Il a indiqué que les états financiers de l'appelante qui font état d'achats de 1 221 553 $ à ses compagnies affiliées corroborent les données qui se trouvent aux notes des vérificateurs externes. Quant à l'année 1987, M. Tremblay a expliqué que les états financiers de Sofab indiquent des ventes de 1 696 998 $ aux compagnies affiliées et que ceux de l'appelante montrent des achats de 1 981 076 $ à ses compagnies affiliées, dont 284 078 $ à Les Poutrelles. M. Tremblay a par la suite indiqué que le même exercice de réconciliation entre les états financiers pouvait être effectué pour 1988. M. Tremblay a dit que Sofab vendait approximativement 70 p. 100 de sa production à ses propres clients et 30 p. 100 à l'appelante.

En contre-interrogatoire, M. Tremblay a aussi confirmé n'avoir consulté que les renseignements contenus dans les états financiers, et a indiqué n'avoir vu les livres des ventes de l'appelante qu'à l'époque où il travaillait pour cette dernière. Quant au rôle de M. Arduini chez l'appelante, il a indiqué que ce dernier n'était qu'actionnaire12 .

M. Tremblay a par la suite expliqué que Sofab demandait à l'appelante les mêmes prix que cette dernière facturait à ses clients et qu'une note de crédit était émise en fin d'année pour établir un juste prix de vente entre les compagnies. Il a noté que Sofab ne payait pas de taxe et que l'appelante remettait la taxe sur le total des montants facturés à ses clients. Il a aussi confirmé que les biens étaient tous revendus tels quels par l'appelante et qu'ils ne faisaient l'objet d'aucun complément de travail. M. Tremblay a indiqué qu'une note de crédit avait été émise en 1986 et une autre en 1987 et que celles-ci étaient reflétées dans les états financiers. Lorsque questionné par l'avocat de l'intimé pour déterminer si la taxe payée en trop correspondait à la taxe sur un montant équivalant à la marge de profit générée par l'appelante, M. Tremblay a affirmé que l'appelante avait payé en trop toutes ses taxes et que Sofab aurait dû en remettre une partie.

En réponse aux questions du Tribunal, M. Tremblay a, entre autres, confirmé que les états financiers avaient été préparés par des vérificateurs externes.

M. Schryver a comparu au nom de l'appelante. Il a déclaré que Comtax était mandatée pour représenter l'appelante et a confirmé que c'est lui qui avait au départ présenté la demande de remboursement de la TVF en 1987. Il a expliqué en détail comment le remboursement avait été calculé, se reportant à une feuille de travail produite avec la demande de remboursement. Il a témoigné que le chiffre de ventes total a été tiré directement des formulaires B93 de versement mensuel de la taxe de l'appelante, tandis que les chiffres concernant les ventes entre Sofab et l'appelante étaient tirés du journal des ventes de l'appelante. M. Schryver a témoigné qu'il avait examiné les chiffres de chaque mois et a déclaré avoir comparé les factures de vente avec le journal des ventes pour s'assurer qu'il n'y avait pas d'écart. Il a aussi déclaré que la TVF, inscrite comme payée en 1987, avait été versée, ce que les registres comptables de l'intimé ont confirmé. M. Schryver a en outre expliqué que la demande de remboursement avait été faite pour la période de septembre 1985 à septembre 198713 . Il a dit que, pour l'année se terminant le 30 avril 1987, la valeur totale des ventes des marchandises de Sofab par l'appelante était de 1 748 440 $ et que, sauf pour un écart expliqué par les écritures de redressement de fin d'exercice, ce chiffre était corroboré par les états financiers. Cependant, M. Schryver a fait observer que, bien qu'il ait eu en main les états financiers des autres exercices, il ne pouvait effectuer les mêmes calculs pour les autres périodes, n'ayant pas les formulaires B93 en sa possession.

En contre-interrogatoire, M. Schryver a confirmé que les livres et registres de l'appelante, à l'appui de sa demande de remboursement, n'avaient jamais été en sa possession, vu qu'il effectuait le travail dans les bureaux de l'appelante. En réponse aux questions du Tribunal, il a déclaré que le représentant de Revenu Canada avait examiné ses chiffres et a fait observer qu'ils étaient utilisés comme base de la demande d'escompte de caisse et de la demande relative au transport, mais que la partie de la demande visant les marchandises à revendre (c.-à-d. les marchandises produites par Sofab) avait été rejetée. M. Schryver a dit que le représentant de Revenu Canada avait effectué une vérification de l'appelante, en examinant, entre autres, les factures de vente et les journaux des ventes14 .

Mme Nancy Gélinas, comptable en management accrédité, a comparu au nom de l'intimé. Elle a indiqué qu'elle a travaillé pour Revenu Canada à titre d'agent des oppositions de mai 1990 au printemps 1994. Elle a témoigné avoir communiqué avec M. Serge Duhamel, dont le nom apparaissait alors à titre d'administrateur dans les registres de l'appelante. Elle a dit que ce dernier l'a ensuite référée à M. Arduini, qui lui a fait part de son désir de retirer son avis d'opposition étant donné qu'il n'avait plus d'intérêt quant aux sommes réclamées. Selon Mme Gélinas, ce dernier lui avait fait parvenir une lettre afin de retirer son avis d'opposition. Par précaution, elle a expliqué avoir fait parvenir une lettre aux trois administrateurs de l'appelante, les informant du retrait de l'avis d'opposition par M. Arduini, les avisant de se manifester s'ils avaient d'autres intérêts et que, autrement, une décision serait prise sur la foi de l'information contenue au dossier. Elle a affirmé n'avoir reçu aucune réponse et qu'un avis de décision avait alors été préparé en conséquence. Elle a expliqué avoir fait parvenir une copie de la décision à M. Schryver, puisque ce dernier avait en sa possession une procuration de M. Arduini.

M. René Pétrin, comptable à l'emploi de l'Agence des douanes et du revenu du Canada à titre de vérificateur depuis 1988, a aussi comparu au nom de l'intimé. Il a dit avoir été vérificateur en matière de taxe d'accise. Selon M. Pétrin, on lui avait alors demandé son avis quant au bien-fondé de la demande de l'appelante. Il a dit avoir alors conclu, d'après les documents qui lui ont été fournis, qu'il était impossible d'avoir un degré d'assurance que les biens présumés revendus étaient les mêmes que ceux qui avaient été achetés. Il a dit avoir constaté l'absence de grand livre et de factures, les documents reçus se limitant aux états financiers de l'appelante et aux feuilles de travail préparées par Comtax. M. Pétrin a soutenu avoir en vain demandé d'autres documents de l'appelante, car, selon cette dernière, les documents n'étaient pas disponibles.

M. Pétrin a ensuite expliqué que les documents qui lui avaient été fournis n'étaient pas suffisants. Bien que les états financiers de l'appelante démontrent que des transactions intercompagnies avaient eu lieu, il a soutenu qu'il ne pouvait vérifier si les marchandises pour lesquelles le remboursement est demandé étaient effectivement des marchandises de revente (c.-à-d. achetées et revendues dans le même état). Avec son rapport écrit à l'appui, M. Pétrin a témoigné que les informations sur les marchandises de revente n'avaient jamais fait l'objet d'une vérification par M. Dubreuil, le premier vérificateur au dossier, puisque ce dernier était d'avis que lesdites marchandises ne se qualifiaient pas comme telles. Il a ensuite affirmé que, dans l'hypothèse où l'appelante n'aurait pas payé la taxe, la taxe aurait été incluse dans le prix d'achat payé à Sofab et la taxe véritablement payée serait donc égale à la marge de profit de l'appelante, qui serait d'environ 6 ou 7 p. 100.

PLAIDOIRIE

L'appelante a soutenu que la présente affaire pourrait se résumer ainsi : elle a acheté des marchandises finies à une société liée, Sofab, et les a revendues, sans y apporter la moindre transformation, à ses clients. Elle a fait la même chose avec les marchandises achetées à Les Poutrelles. L'appelante a soutenu que la TVF qu'elle a versée sur les marchandises finies, soit de Sofab soit à la fois de Sofab et de Les Poutrelles, a été versée par erreur et qu'elle a droit au remboursement intégral aux termes de l'article 68 de la Loi. L'appelante a en outre prétendu que, contrairement à la position de l'intimé, il n'y avait pas de fondement juridique pour un redressement de ce remboursement qui de fait se résumerait à ne lui rembourser que la taxe sur sa marge de profit sur le coût d'achat des marchandises revendues.

L'appelante a fait valoir que les éléments de preuve, qui sont appuyés par les témoignages de M. Schryver et de M. Tremblay, montrent clairement qu'elle avait payé la TVF non seulement sur les marchandises qu'elle a fabriquées, mais également sur toutes les fermes de toit achetées à Sofab et aux poutrelles de plancher pour revente qu'elle a achetées à Les Poutrelles. Elle a invoqué le témoignage de M. Schryver, qui a affirmé que la demande de remboursement avait été calculée sur la foi des renseignements contenus dans son journal des ventes et qu'il a aussi examiné les factures d'où provenaient les chiffres du journal des ventes. Selon M. Schryver, le montant de la TVF payée par erreur a alors été calculé par multiplication des ventes des marchandises finies, que l'appelante avait achetées, par le taux de taxe en vigueur au moment pertinent.

L'appelante a par ailleurs soutenu que, pour l'exercice 1986, le montant total des ventes de marchandises finies, achetées par Sofab, correspond, à une très faible marge d'erreur près, aux renseignements contenus dans les états financiers. Par conséquent, les renseignements donnés par M. Schryver à l'appui de la demande de remboursement sont fiables, et le Tribunal peut les accepter en l'absence de factures effectives, et ce, pour toute la période visée par cette demande de remboursement.

L'appelante, s'appuyant sur la décision de la Cour d'appel fédérale dans Bande indienne de Saugeen c. R 15 , a soutenu que seules Sofab et Les Poutrelles étaient responsables du paiement de la TVF sur les marchandises finies qui lui avaient été vendues.

L'appelante a invoqué la décision de la Cour suprême du Canada dans Hickman Motors c. R 16 pour démontrer que le fardeau initial du contribuable consiste seulement à démolir les présomptions qu'a présentées l'intimé. L'appelante s'acquitte de ce fardeau initial lorsqu'elle présente au moins une preuve prima facie, après quoi le fardeau passe à l'intimé, qui doit réfuter la preuve de l'appelante et prouver les présomptions. Dès que le fardeau est passé à l'intimé, et que celui-ci ne produit aucun élément de preuve, le contribuable est fondé à obtenir gain de cause. L'appelante s'en est aussi remise à un autre passage de Hickman Motors indiquant que, dans Docherty c. MRN 17 , la cour, en l'absence d'écritures dans les états financiers faisant état d'une transaction, a accepté les feuilles de travail et le témoignage du comptable de la société comme preuve de l'existence de la transaction.

En outre, l'appelante s'est appuyée sur une décision de la Cour canadienne de l'impôt dans E.F. Anthony Merchant c. R 18 , dans laquelle la cour a décidé que le fait de ne pas tenir de registres, comme l'exige le paragraphe 230(2.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, entraîne ses propres sanctions, mais n'empêche pas de déduire les dépenses s'il est possible d'en faire la preuve autrement. Selon l'appelante, il est possible d'établir un parallèle entre Merchant et la présente affaire.

Par conséquent, l'appelante a fait valoir qu'elle s'est acquittée de son fardeau en établissant la prépondérance des probabilités, et ce, à la lumière de Hickman Motors et de Merchant. Enfin, s'appuyant sur Erin Michaels c. MRN 19 , l'appelante a prétendu qu'on devrait également lui accorder un remboursement de la TVF payée sur ses ventes de marchandises finies achetées à Les Poutrelles.

À ce dernier égard, l'intimé a déclaré à l'audience qu'il n'était pas au courant de l'intention de l'appelante de modifier sa demande et qu'il était pris au dépourvu.

Sur le fond, l'intimé a soutenu que l'appelante ne s'est pas acquittée du fardeau de la preuve et, de plus, qu'elle ne s'est pas conformée aux dispositions de l'article 98 de la Loi, qui requiert que cette dernière conserve les documents justificatifs afin qu'ils puissent être vérifiés.

L'intimé a fait référence à la décision du Tribunal dans l'affaire Société canadienne des pneus Michelin c. MRN 20 qui, à son avis, résume la jurisprudence applicable en matière de preuve et vient préciser que le fardeau, lors de la contestation d'un avis de cotisation de l'intimé, repose sur le contribuable, ce dernier possédant la connaissance requise des faits pour réfuter les allégations.

En réponse à la position de l'appelante concernant Hickman, l'intimé a soutenu que la preuve testimoniale ne suffit que lorsque la Loi de l'impôt sur le revenu ne requiert pas de documentation à l'appui. L'intimé a précisé que le paragraphe 98(2.1) de la Loi exigeait spécifiquement de l'appelante qu'elle conserve ses livres et documents afin qu'elle puisse procéder aux vérifications d'usage. Concernant Merchant, l'intimé a maintenu que plusieurs autres décisions la contredisent et qu'elle demeure isolée.

L'intimé a par la suite fait référence à la décision Zalzalah c. Canada 21 , un cas où l'appelant n'a pas conservé ses dossiers et où la cour a conclu à un manquement à l'obligation de conserver les documents et pièces justificatives prévue à l'article 230 de la Loi de l'impôt sur le revenu et a conséquemment maintenu la décision de l'intimé de refuser d'allouer la déduction des montants réclamés.

Finalement, l'intimé a plaidé que, dans tous les cas, le montant de taxe payé par erreur correspondait à la taxe sur la marge de profit de l'appelante.

DÉCISION

Modification du mémoire de l'appelante

À l'audience, le Tribunal a réservé sa décision sur la question de savoir si l'appelante pouvait modifier son mémoire le jour même de l'audience afin d'étendre son motif d'appel à la vente des marchandises qu'elle avait achetées à Les Poutrelles.

En vertu de la règle 34 des Règles de procédure, l'appelante doit déposer son mémoire dans les 60 jours suivant le dépôt d'un avis d'appel. Selon la règle 24.1, la partie qui n'a pas déposé un mémoire dans le délai applicable peut demander par écrit au Tribunal d'en autoriser le dépôt. Selon cette règle, le Tribunal peut autoriser le dépôt du document s'il estime que cela est juste et équitable dans les circonstances. Il a rappelé à l'appelante le délai de 60 jours dans la correspondance qu'il a adressée le 25 février 1994 au conseiller pour l'appelante. Le 20 mai 1994, le Tribunal a accordé à l'appelante une prolongation du délai de dépôt de son mémoire. L'appelante a finalement déposé son mémoire le 14 octobre 1994, puis un mémoire supplémentaire le 5 avril 2001.

Le Tribunal fait observer d'abord que, s'il permettait aux parties de modifier leurs mémoires à la dernière minute et de présenter de nouveaux éléments de preuve et de nouveaux arguments sur une question que les parties adverses ne s'attendent pas de voir soulever, cela entraverait la bonne conduite de l'audience et la procédure du Tribunal, tout en portant sérieusement atteinte aux droits des parties adverses selon les règles de justice naturelle.

À la lumière de ce qui précède, le Tribunal est d'avis que, conformément aux Règles de procédure, l'appelante avait eu amplement l'occasion de lui demander la permission de modifier son mémoire avant l'audience. En outre, le Tribunal est d'avis qu'il ne serait pas juste et équitable dans les circonstances de permettre à l'appelante de modifier son mémoire à l'audience même. Par conséquent, il n'acceptera pas les nouveaux arguments relativement à la demande de remboursement pour les marchandises que l'appelante a achetées à Les Poutrelles.

Néanmoins, même si ce nouvel argument avait été dûment présenté, le Tribunal est convaincu que la décision rendue dans Erin Michaels ne sert pas la cause de l'appelante. Dans Erin Michaels, l'appelante, au moment du dépôt de sa demande, a demandé un remboursement de la TVF payée par erreur sur des boucles pour les cheveux exemptes de la taxe. La vérification a par la suite révélé que le montant payé par erreur était supérieur au montant précisé dans la demande de remboursement. Ainsi qu'il a été décidé dans Erin Michaels, l'excédent par rapport au montant indiqué dans la demande était aussi remboursable.

En rendant sa décision dans Erin Michaels, le Tribunal, après avoir cité les paragraphes 72(4) et 72(5) de la Loi, a déclaré :

Le Tribunal interprète ces dispositions comme signifiant que le Ministre doit déterminer le montant à payer au demandeur et, ce faisant, n'est pas lié par les renseignements fournis par le demandeur. Le Tribunal est donc d'avis qu'il ne suffit pas que le Ministre accepte sans poser de question le montant établi dans la demande comme le montant des sommes versées par erreur, ou qu'il limite le remboursement à ce montant. Aux fins de la détermination du montant payable à un demandeur, le Ministre doit déterminer le montant exact payé par erreur. C'est ce montant qui constitue le montant payable aux termes de l'article 68, sous réserve du délai limite de deux ans que prévoit le paragraphe.22

En l'espèce, il était clair, au moment du dépôt de la demande de remboursement, que l'objet du remboursement était limité à la taxe versée par erreur sur les marchandises que l'appelante avait achetées à Sofab. Cela est établi par les feuilles de travail jointes à la demande de remboursement. Dans Barney Printing c. MRN 23 , la question que le Tribunal devait trancher consistait à savoir si, ayant présenté, dans le délai prescrit de deux ans, une demande de remboursement de la TVF payée sur un type de marchandises exemptes de la taxe, à savoir les articles de représentation, l'appelante avait droit à un remboursement de la TVF payée sur un autre type de marchandises exemptes de la taxe, à savoir les imprimés, dont il n'avait pas été fait mention dans la demande. Le Tribunal a déclaré ce qui suit :

Il convient de faire observer que, dans l'extrait ci-dessus [de l'article 68 de la Loi], l'accent est mis sur la détermination du « montant » payé par erreur. La demande de remboursement déclenche le processus de détermination du montant exact payé par erreur, comme l'indiquent les paragraphes 72(4) et 72(5) de la Loi. Le Tribunal est d'avis que la demande doit énoncer la nature de l'erreur commise par le demandeur pour que le délai prescrit ait un sens. Dans les cas où l'erreur se rapporte à des montants de TVF versés sur des marchandises exemptes de la taxe, le type de marchandises doit être précisé. Sinon, il suffirait simplement de déposer une demande de remboursement qui stipule que des sommes d'argent ont été versées par erreur, sans donner de plus amples renseignements et sans même savoir si une erreur a effectivement été commise, pour protéger tout montant versé par erreur pendant la période de deux ans en cause.

De plus, accepter que la nature de l'erreur ne soit pas précisée dans la demande de remboursement semblerait enlever toute sa valeur contraignante à l'expression « si elle en fait la demande » qui se trouve à l'article 68 de la Loi. Étant donné l'obligation qui lui incombe de déterminer le montant payable au demandeur, . . . cela imposerait à l'intimé un fardeau déraisonnable. Ainsi qu'il a déjà été indiqué, il s'agirait là aussi d'un moyen de contourner le délai de deux ans prescrit. Le Tribunal est d'avis que tel n'a pu être l'intention du Parlement. [Soulignement ajouté]

Le Tribunal juge que les détails de Barney Printing sont presque identiques à ceux de l'espèce, puisque l'appelante tente d'étendre sa demande de remboursement, qui visait initialement la taxe payée par erreur sur des fermes de toit achetées à Sofab, pour y englober des marchandises tout à fait différentes, soit des poutrelles de plancher, achetées à une autre société, Les Poutrelles. Le Tribunal adopte en entier l'analyse de Barney Printing et est d'avis que, même si la demande concernant Les Poutrelles avait été dûment présentée, le raisonnement exposé dans Erin Michaels n'aiderait pas l'appelante en l'espèce.

BIEN-FONDÉ DE LA PLAINTE

Les dispositions de la Loi24 sont les suivantes :

68. Lorsqu'une personne, sauf à la suite d'une cotisation, a versé des sommes d'argent par erreur de fait ou de droit ou autrement, et qu'il a été tenu compte des sommes d'argent à titre de taxes, de pénalités, d'intérêts ou d'autres sommes en vertu de la présente loi, un montant égal à celui de ces sommes doit, sous réserve des autres dispositions de la présente partie, être payé à cette personne, si elle en fait la demande dans les deux ans suivant le paiement de ces sommes.

98.(1) Quiconque :

a) est tenu par la présente loi, ou conformément à celle-ci, de payer ou de percevoir des taxes ou autres sommes ou d'apposer ou oblitérer des timbres;

b) présente une demande en vertu de l'un ou l'autre des articles 68 à 70,

doit tenir des registres et livres de comptes, en anglais ou en français, à son établissement au Canada selon la forme et renfermant les renseignements qui permettent de déterminer le montant des taxes et les autres sommes qui auraient dû être payées ou perçues, le montant des timbres qui auraient dû être apposés ou oblitérés ou le montant éventuel de tout drawback accordé, de tout paiement effectué ou de toute déduction accordée par lui ou à lui, ou susceptible de l'être.

(2.1) Nonobstant le paragraphe (2), lorsqu'une personne requise par le paragraphe (1) de tenir des registres et livres de comptes signifie un avis d'opposition en vertu de l'article 81.15 ou 81.17 ou est partie à un appel aux termes de la présente partie, elle doit conserver ces registres et livres de comptes ainsi que chaque compte et pièce justificative nécessaires à la vérification des renseignements qui y sont contenus jusqu'à ce que l'opposition ou l'appel aient été définitivement tranchés, par voie d'appel ou autrement.

Avant de se prononcer sur le bien-fondé de l'affaire, le Tribunal traitera d'abord de la question du fardeau de la preuve. À l'audience, l'appelante s'est appuyée fortement sur la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans Hickman Motors pour faire valoir que le fardeau initial du contribuable consiste seulement à « démolir » les présomptions de l'intimé et que, lorsque l'appelante a présenté une preuve prima facie, le fardeau passe alors à l'intimé. En outre, elle a invoqué Merchant pour faire valoir que l'omission de tenir des registres, comme le prévoit le paragraphe 230(2.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, entraîne des sanctions en soi, mais n'entraîne pas la non-déductibilité des dépenses s'il est possible d'en faire la preuve autrement.

Le Tribunal fait d'abord observer que, dans Hickman Motors, comme l'a déclaré la juge L'Heureux-Dubé, « l'appelante a produit une preuve claire et non contredite, alors que l'intimée n'a produit absolument aucune preuve »25 . La juge a conclu que « _l_orsque le fardeau est passé au ministre et que celui-ci ne produit absolument aucune preuve, le contribuable est fondé à obtenir gain de cause »26 . En l'espèce, on ne peut certainement pas dire que le Tribunal se trouvait confronté à une preuve claire et non contredite et que l'intimé n'a pas produit de preuve.

L'appelante invoque également la décision rendue dans Hickman Motors pour appuyer la proposition selon laquelle, en l'absence d'écritures faisant état d'une transaction dans les états financiers de l'appelante, un tribunal peut accepter les feuilles de travail et le témoignage du comptable de la société comme preuve de l'existence de la transaction. Cependant, il y a lieu de noter que, dans Hickman Motors, tout en acceptant que le témoignage crédible d'un contribuable suffit, malgré l'absence de documents, la Cour suprême du Canada a statué que tel est le cas « lorsque la [Loi de l'impôt sur le revenu] n'exige aucun document d'appui »27 . On peut établir une distinction claire dans ce cas, puisque le Tribunal n'a pas affaire à une situation où une loi n'exige pas de pièces justificatives. À cet égard, l'article 98 de la Loi oblige le contribuable à conserver pendant six ans des registres et livres de compte, et chaque compte et justificatif nécessaire pour permettre de vérifier les renseignements qu'ils contiennent. Ces livres et registres doivent aussi être conservés jusqu'à ce qu'il ait été disposé de toute procédure en vertu de la Loi, par appel ou autrement.

Bien qu'il ait été déclaré dans Merchant que l'omission de tenir des registres, comme le prévoit le paragraphe 230(2.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, entraîne des sanctions en soi, mais n'entraîne pas la non-déductibilité des dépenses si la preuve peut en être faite autrement, le Tribunal, compte tenu de l'abondante jurisprudence à l'appui de la position adverse, est d'accord avec l'intimé à cet égard.

La portée de l'article 23028 de la Loi de l'impôt sur le revenu est très semblable à celle de l'article 98 de la Loi. Dans Zalzalah, la Cour d'appel fédérale, saisie d'une affaire où le contribuable avait omis de tenir des livres et registres selon les prescriptions de l'article 230 de la Loi de l'impôt sur le revenu, a déclaré ce qui suit :

Le demandeur reconnaît franchement qu'il n'a pas tenu de registres ou livres de comptes au cours des années d'imposition dont il s'agit. Cet aspect a également été soulevé au cours de l'instance introduite devant la Cour canadienne de l'impôt et Mme le juge Lamarre Proux a déclaré que

le Ministre ne peut et ne devrait pas autoriser des déductions qui ne peuvent pas être établies à l'aide de preuves documentaires. Cela entraînerait l'administration de la Loi de l'impôt sur le revenu dans le domaine de l'arbitraire.

Je suis d'accord avec cette façon de considérer les choses. De la même façon, dans l'affaire Holotnak c. La Reine [29], le juge Cullen a examiné le sens de l'article 230 et déclaré ce qui suit :

L'article 230 de la Loi impose aux contribuables de tenir les registres et livres de compte voulus. Le terme « voulu » n'est pas défini, mais il semblerait que ces livres de compte soient obligatoirement de nature à appuyer toute déduction du contribuable aux fins de l'impôt.

La preuve du fait que les dépenses ont été engagées afin de gagner un revenu doit être faite par le contribuable (Wellington Hotel Holdings Limited c. M.N.R., 73 D.T.C. 5391). Plus précisément, en ce qui concerne les cotisations, il incombe au contribuable de prouver que les hypothèses et les cotisations du ministre sont erronées (le juge Strayer dans Schwarz c. La Reine, 87 DTC 5274) qui citait Johnston c. M.N.R., [1948] R.C.S. 486). L'affaire Schwarz (précitée) traitait aussi d'un cas où les achats du demandeur n'étaient étayés par aucune pièce justificative. Comme l'explique le juge Strayer, il incombe au contribuable de prouver que la nouvelle cotisation du ministre du Revenu national est incorrecte, car c'est lui qui est le mieux placé pour prouver ce qui s'est effectivement passé.

Malheureusement pour le demandeur, il n'a produit aucun document à l'appui des dépenses dont il réclame la déduction. Cela constitue une violation du paragraphe 230(1) précité, qui ne laisse au Ministre d'autre choix que de refuser les déductions demandées. [Soulignement ajouté]

La décision rendue dans Zalzalah a été suivie dans plusieurs autres décisions de la Cour canadienne de l'impôt30 . De l'avis du Tribunal, les dispositions de l'article 98 de la Loi indiquent clairement que le Parlement exige que les demandes faites en vertu de la Loi soient corroborées par une preuve documentaire. Le Tribunal n'est pas convaincu que les dispositions de la Loi touchant les amendes pour omission de tenir des livres et registres diminuent de quelque façon que ce soit l'obligation de tenir des livres et registres pour permettre de vérifier les demandes faites en vertu de la Loi. Il est d'avis que ces dispositions ne sont pas mutuellement exclusives.

À cet égard, le Tribunal est d'avis qu'il y a insuffisance de preuve documentaire pour appuyer la demande de l'appelante et que, par conséquent, cette dernière ne s'est pas acquittée du fardeau de la preuve qui lui incombait en l'espèce. De fait, les livres de comptes et registres de l'appelante, y compris les factures et les journaux des ventes, ne sont pas disponibles. L'appelante s'en est remise plutôt à ses états financiers vérifiés et à ceux de l'une de ses sociétés affiliées, Sofab, qui sont au dossier.

En l'espèce, le Tribunal reconnaît que certains éléments de preuve indiquent que l'appelante a versé la TVF sur les ventes de marchandises fabriquées pendant la période pertinente, comme en font foi les registres de l'intimé obtenus par l'accès à l'information31 . Le Tribunal reconnaît aussi que l'appelante a acheté certaines marchandises à ses sociétés affiliées, Sofab et Les Poutrelles, pendant la période pertinente, comme il ressort des états financiers vérifiés au dossier. En outre, il y a des éléments de preuve établissant que l'appelante a aussi acheté des marchandises à une société indépendante, Nepean Roof Truss, pendant la même période32 .

Le Tribunal fait également observer qu'il y a un témoignage selon lequel les marchandises achetées par l'appelante à Sofab étaient des marchandises finies destinées à la revente à des clients indépendants. Selon M. Tremblay, les marchandises ont été commandées après que l'appelante eut fait la vente, et non pas commandées d'avance pour livraison dans la cour de l'appelante. Les éléments de preuve indiquent que l'appelante a vendu les marchandises à des clients indépendants au même prix qu'elles les a achetées à Sofab33 et que cette dernière a émis de notes de crédit à l'égard de ces achats une fois l'an pour permettre un bénéfice raisonnable sur les ventes de l'appelante. Le Tribunal fait également observer le commentaire écrit de M. Dubreuil selon lequel les marchandises fabriquées finies de l'appelante et celles qu'elles a achetées à Sofab n'ont pas été comptabilisées séparément34 .

Le conseiller pour l'appelante a fait valoir que le Tribunal devrait accepter que les notes de M. Schryver, combinées aux états financiers déposés en preuve et aux éléments de preuve présentés de vive voix par ses témoins, suffisent pour conclure que l'appelante s'est acquittée de son fardeau de la preuve en l'espèce. Le Tribunal a examiné soigneusement le témoignage et les éléments de preuve fournis par M. Schryver, et en particulier les chiffres manuscrits des transactions qu'il a affirmé avoir transcrits du journal des ventes de l'appelante et avoir comparés avec un certain nombre de factures. Le Tribunal a aussi examiné avec soin les pièces au dossier, y compris les notes écrites de M. Dubreuil. À cet égard, il fait observer que le programme de vérification de M. Dubreuil comprenait un examen du journal des ventes de l'appelante pour la période allant de janvier 1985 à la fin de novembre 198735 .

Le Tribunal n'est pas convaincu que les états financiers confirment suffisamment l'exactitude des ventes de Sofab transcrites par M. Schryver. Il y a, de l'avis du Tribunal, un écart important en 1987, dont le témoignage de M. Schryver n'a pas tenu compte de façon satisfaisante36 . En outre, il n'y a pas de pièces justificatives dans les états financiers pour les exercices se terminant en 1986 et en 198837 , qui couvrent tous deux une partie de la période visée par la demande.

De même, il y a une incompatibilité entre les éléments de preuve de M. Schryver et les notes des vérificateurs de Revenu Canada, que l'appelante elle-même a déposées en preuve. M. Schryver a dit que, à l'examen des livres de l'appelante, il pouvait distinguer les ventes de Sofab des autres ventes. Cependant, le vérificateur de Revenu Canada, qui a aussi examiné tous les livres, a indiqué que l'appelante ne pouvait pas distinguer les ventes de Sofab des autres ventes38 .

En outre, puisque le journal des ventes et les factures de l'appelante ne sont pas disponibles aux fins de comparaison, il est impossible de confirmer que M. Schryver n'a pas commis d'erreur en copiant les chiffres ni, quand à cela, qu'il n'y avait pas d'erreur dans le journal des ventes même.

Le Tribunal est d'avis qu'il aurait fallu une preuve documentaire supplémentaire en l'espèce pour vérifier correctement les ventes que l'appelante a faites de marchandises achetées à Sofab pendant la période pertinente. Bien qu'ils révèlent qu'il y a effectivement eu des ventes de marchandises à l'appelante par ses sociétés affiliées, les états financiers vérifiés ne précisent pas le volume ni la date des reventes de ces marchandises par l'appelante à des clients indépendants. En outre, ils n'établissent pas si les marchandises étaient finies et revendues telles quelles à des clients indépendants. Par conséquent, de l'avis du Tribunal, l'appelante ne s'est pas acquittée du fardeau de la preuve qui lui incombait.

Pour tous ces motifs, l'appel est rejeté.


1 . L.R.C. 1985, c. E-15 [ci-après Loi].

2 . Désormais l'Agence des douanes et du revenu du Canada.

3 . La traduction de ce mot vers l'anglais serait normalement « manager » ou « director ». La traduction du mot anglais « director » vers le français peut être soit « directeur » soit « administrateur ». Le mot français « directeur » n'est pas habituellement utilisé pour donner le sens de « membre du conseil d'administration » comme le mot anglais « director » peut le faire.

4 . À cet égard, l'avis de décision se lit ainsi : « Les articles 81.19 et 81.2 de la Loi sur la taxe d'accise stipulent que vous pouvez en appeler de la détermination au Tribunal canadien du commerce extérieur ou à la Section de première instance de la Cour fédérale dans les 90 jours de la date du présent avis. »

5 . Pièce B-1, onglet 8.

6 . Volkswagen Canada c. MRN (10 août 1992) (TCCE).

7 . Ibid. à la p. 5.

8 . L.R.C. 1985 (5e supp.), c. 1.

9 . L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 51.

10 . D.O.R.S./91-499 [ci-après Règles de procédure].

11 . Le 26 août 1987, l'appelante a changé sa raison sociale de « Les Pignons L.V.M. du Québec Inc. » à « Les Pignons du Québec Inc. ».

12 . À la lumière des autres éléments de preuve au dossier, le rôle de M. Arduini au sein de la société n'était pas tout à fait clair. Voir, en particulier, supra note 2.

13 . Cependant, M. Schryver a indiqué qu'il n'a présenté la demande que le 12 novembre 1987.

14 . Transcription de l'audience publique, 12 décembre 2001, aux pp. 191-192.

15 . [1990] 1 C.F. 403 (C.A.F.).

16 . [1997] 2 R.C.S. 336 (C.S.) [ci-après Hickman Motors].

17 . 91 D.T.C. 537.

18 . 98 D.T.C. 1734 [ci-après Merchant].

19 . (10 janvier 1997), AP-94-330 (TCCE) [ci-après Erin Michaels].

20 . (22 mars 1995), AP-93-333 (TCCE).

21 . [1995] 2 C.T.C. 368D, 99 F.T.R. 277, 95 D.T.C. 5498 [ci-après Zalzalah].

22 . Supra note 20 aux pp. 4-5.

23 . (15 mai 2001), AP-99-0062 (TCCE) [ci-après Barney Printing].

24 . Le 4 mars 1986, les articles 44 et 57 de la Loi, L.R.C. 1970, c. E-13, ont été abrogés et remplacés par les articles 68 et 98. Les modifications à ces articles étaient sans conséquence pour ce qui est de la question traitée en l'espèce et, par conséquent, les présents motifs ne renvoient toujours qu'aux seuls articles 68 et 98.

25 . Supra note 17 à la p. 378.

26 . Ibid à la p. 379.

27 . Ibid. à la p. 376.

28 . Les paragraphes 230(1), 230(2.1) et 230(6) de la Loi de l'impôt sur le revenu se lisent ainsi :

230.(1) Quiconque exploite une entreprise et quiconque est obligé, par ou selon la présente loi, de payer ou de percevoir des impôts ou autres montants doit tenir des registres et des livres de comptes (y compris un inventaire annuel, selon les modalités réglementaires) à son lieu d'affaires ou de résidence au Canada ou à tout autre lieu que le ministre peut désigner, dans la forme et renfermant les renseignements qui permettent d'établir le montant des impôts payables en vertu de la présente loi, ou des impôts ou autres sommes qui auraient dû être déduites, retenues ou perçues.

(2.1) Il est entendu que les registres et les livres de comptes qui doivent, en vertu du paragraphe (1), être tenus par une personne exploitant une entreprise consistant dans l'exercice de la profession d'avocat (au sens du paragraphe 232(1)) en société de personnes ou autrement comprennent tous les registres comptables de l'avocat, y compris les pièces justificatives et les chèques.

(6) Une personne tenue par le présent article de tenir des registres et livres de comptes et qui signifie un avis d'opposition ou est partie à un appel devant la Cour canadienne de l'impôt en vertu de la présente loi doit conserver les registres, livres de comptes, comptes et pièces justificatives nécessaires à l'examen de l'opposition ou de l'appel jusqu'à l'expiration du délai d'appel prévu à l'article 169 en cas de signification d'un avis d'opposition, ou, en cas d'appel, jusqu'au prononcé sur l'appel et sur tout autre appel en découlant ou jusqu'à l'expiration du délai prévu pour interjeter cet autre appel.

29 . 87 D.T.C. 5443 (C.F. 1re inst.).

30 . Voir, par exemple, Morrison c. R, [2001] 1 C.T.C. 2679, 2001 D.T.C. 121; Semerikov c. R, [1999] 4 C.T.C. 2080; Gee c. R, [1997] 2 C.T.C. 2168.

31 . Appellant's Book of Evidence, onglet 1 à la p. 394.

32 . Ibid. à la p. 402.

33 . À cet égard, les notes écrites et les commentaires de MM. Dubreuil et Pétrin ont corroboré le témoignage de M. Tremblay.

34 . Appellant's Book of Evidence, onglet 1 à la p. 390.

35 . Ibid. à la p. 399.

36 . Les notes des états financiers de l'appelante pour l'exercice se terminant le 30 avril 1987 font état d'un montant de 1 696 998 $ pour des transactions entre sociétés affiliées - ventes, tandis que les chiffres qui auraient été tirés du journal des ventes par M. Schryver font état d'un montant de 1 748 440 $ pour les ventes effectuées par l'appelante de marchandises à revendre. (Voir Appellant's Book of Evidence, onglet 2 à la p. 122, et pièce B-1, onglet 1 à la p. 5.)

37 . Transcription de l'audience publique, 12 décembre 2001, à la p. 177.

38 . Appellant's Book of Evidence, onglet 2 à la p. 35.