BECHTEL-KUMAGAI

Décisions


BECHTEL-KUMAGAI
v.
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Appel no AP-94-189

TABLE DES MATIERES

Ottawa, le vendredi 27 octobre 1995

Appel no AP-94-189

EU ÉGARD À un appel entendu le 1er mai 1995 aux termes de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E-15;

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le ministre du Revenu national le 23 juin 1994 concernant un avis d'opposition signifié aux termes de l'article 81.15 de la Loi sur la taxe d'accise.

ENTRE

BECHTEL-KUMAGAI Appelant

ET

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL Intimé

L'appel est rejeté.


Robert C. Coates, c.r. ______ Robert C. Coates, c.r. Membre présidant

Charles A. Gracey ______ Charles A. Gracey Membre

Desmond Hallissey ______ Desmond Hallissey Membre

Michel P. Granger ______ Michel P. Granger Secrétaire





L'appelant est un entrepreneur général qui a participé à la construction d'un barrage hydroélectrique dans le nord du Manitoba. L'appelant était un fabricant titulaire de licence aux fins de la taxe de vente fédérale (TVF) à toutes les dates pertinentes. L'appelant a acheté de divers fabricants titulaires de licence certaines marchandises en se fondant sur le fait que les marchandises étaient destinées à sa propre utilisation, conformément aux dispositions de la partie XIII de l'annexe III de la Loi sur la taxe d'accise (la Loi). Aux termes du paragraphe 116(4) de la Loi, l'intimé a rendu une détermination selon laquelle l'appelant a incorrectement demandé une exemption de la TVF sur certains achats de marchandises qui n'ont pas été, en réalité, utilisées à des fins non taxables. L'appelant a accepté la responsabilité du paiement de la TVF exigible à l'égard de ces marchandises, mais a contesté l'imposition des intérêts et de la pénalité aux termes du paragraphe 116(4) de la Loi.

DÉCISION : L'appel est rejeté. Le Tribunal convient que l'intention du législateur d'imposer des intérêts et une pénalité à un acheteur comme l'appelant, qui achète de fabricants titulaires de licence des marchandises en se fondant sur le fait que les marchandises sont destinées à une utilisation conforme aux dispositions de la partie XIII de l'annexe III de la Loi et qui, par la suite, utilise ces marchandises à des fins taxables, se trouve clairement établie aux articles 78, 79 et 116 de la Loi. Le Tribunal n'hésite pas à conclure que l'objet de la Loi est d'imposer des intérêts et une pénalité à une partie comme l'appelant, même si ce dernier n'a aucune obligation de produire les déclarations ou de verser les taxes. Selon l'objet de la Loi, la TVF doit avoir été payée par l'appelant puis versée par le vendeur avec lequel il a traité lorsque ce vendeur a produit la déclaration exigée aux termes des articles 78 et 79 de la Loi.

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario) Date de l'audience : Le 1er mai 1995 Date de la décision : Le 27 octobre 1995
Membres du Tribunal : Robert C. Coates, c.r., membre présidant Charles A. Gracey, membre Desmond Hallissey, membre
Avocat pour le Tribunal : Hugh J. Cheetham
Greffier : Anne Jamieson
Ont comparu : Michael Kaylor, pour l'appelant Ian McCowan, pour l'intimé





Le présent appel est interjeté aux termes de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise [1] (la Loi) à l'égard d'une décision rendue par le ministre du Revenu national le 23 juin 1994.

L'appelant est un entrepreneur général qui a participé à la construction d'un barrage hydroélectrique dans le nord du Manitoba. L'appelant était un fabricant titulaire de licence aux fins de la taxe de vente fédérale (TVF) à toutes les dates pertinentes.

L'appelant a acheté de divers fabricants titulaires de licence certaines marchandises en se fondant sur le fait que les marchandises étaient destinées à sa propre utilisation, conformément aux dispositions de la partie XIII de l'annexe III de la Loi. Aux termes du paragraphe 116(4) de la Loi, l'intimé a rendu une détermination selon laquelle l'appelant a incorrectement demandé une exemption de la TVF sur certains achats de marchandises qui n'ont pas été, en réalité, utilisées à des fins non taxables. L'appelant a accepté la responsabilité du paiement de la TVF exigible à l'égard de ces marchandises, mais a contesté l'imposition des intérêts et de la pénalité aux termes du paragraphe 116(4) de la Loi.

Par un avis de cotisation daté du 22 décembre 1989, l'appelant a fait l'objet d'une cotisation au titre des taxes, des intérêts et une pénalité sur divers aspects des opérations que la société avait effectuées pendant la période de la vérification, y compris des achats à l'égard desquels il a demandé une exemption par erreur. Le 12 janvier 1990, l'intimé a envoyé un avis de nouvelle cotisation, qui ajoutait des montants pour les intérêts et la pénalité. L'appelant s'est opposé à la nouvelle cotisation et, par une décision datée du 23 juin 1994, l'intimé a modifié certains aspects de la nouvelle cotisation, ce qui a entraîné une diminution de la cotisation, y compris une réduction des intérêts et de la pénalité. En ce qui a trait à l'imposition des intérêts et de la pénalité, l'intimé a rejeté l'argument de l'appelant selon lequel l'appelant ne peut être assujetti aux intérêts et à la pénalité parce qu'il n'était pas tenu de produire une déclaration de taxe de vente pour la redevance de taxe sur les achats, étant donné que le paragraphe 116(4) de la Loi prévoit que l'acheteur qui demande une exemption par écrit est redevable de la taxe, des intérêts et de la pénalité lorsque les marchandises achetées sont utilisées dans des conditions qui les assujettissent à la TVF.

La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si l'appelant est redevable des intérêts et de la pénalité imposés aux termes du paragraphe 116(4) de la Loi.

Les dispositions pertinentes de la Loi sont rédigées, en partie, comme suit :

[116.](4) Lorsqu'un fabricant ou marchand en gros titulaire d'une licence délivrée aux termes ou à l'égard de la partie III ou VI a acheté des marchandises d'un autre semblable fabricant ou marchand en gros titulaire de licence et a incorrectement déclaré ou certifié que les marchandises étaient achetées pour un usage ou dans des conditions qui rendent la vente de ces marchandises libre de toute taxe imposée par la partie III ou VI :

a) cet acheteur, et non le fabricant ni le marchand en gros, est responsable du paiement de la taxe et de toute pénalité ou tous intérêts prévus par le paragraphe 79(1) :

(i) si la déclaration ou le certificat est par écrit,

(ii) si le fabricant ou le marchand en gros démontre qu'il a agi avec précaution et diligence lorsqu'il s'est fié à la déclaration ou au certificat de l'acheteur;

b) dans tout autre cas, l'acheteur et le fabricant ou le marchand en gros sont solidairement responsables du paiement de la taxe et de la pénalité ou des intérêts prévus par le paragraphe 79(1).

79.(1) Sous réserve des paragraphes (1.1) à (3), en cas de défaut de paiement de la taxe par une personne dans le délai prévu au paragraphe 78(4), cette dernière verse, en plus du montant impayé :

a) dans le cas où la taxe doit être payée au plus tard le dernier jour du mois, une pénalité d'un demi pour cent et des intérêts, au taux prescrit, sur les arriérés — pénalités et intérêts compris — par mois ou fraction de mois s'écoulant entre ce jour et le règlement de ces arriérés;

b) dans le cas où la taxe doit être payée au plus tard le dernier jour de la période comptable, une pénalité d'un demi pour cent et des intérêts, au taux prescrit, sur les arriérés — pénalités et intérêts compris — par période comptable ou fraction de celle-ci s'écoulant entre ce jour et le règlement de ces arriérés.

[78.](4) Sous réserve du paragraphe 79(2) et des articles 79.1 et 79.2, la déclaration exigée par le présent article est produite et la taxe exigible est versée :

a) dans le cas où la déclaration doit être produite conformément aux paragraphes (1) ou (2), au plus tard le dernier jour du premier mois qui suit celui pendant lequel les taxes sont devenues payables ou les ventes ont été faites, selon le cas.

L'appelant a accepté les faits énoncés dans l'exposé de l'intimé, si bien qu'aucun témoin n'a été cité à l'audience. L'avocat de l'appelant a fait valoir que les intérêts et la pénalité qui peuvent devenir exigibles aux termes du paragraphe 116(4) de la Loi ne peuvent être que les intérêts et la pénalité qui auraient été exigibles aux termes du paragraphe 79(1). Le paragraphe 79(1) renvoie au paragraphe 78(4), qui oblige les fabricants titulaires de licence à produire des déclarations mensuelles à l'égard des ventes taxables. Autrement dit, les intérêts et la pénalité exigibles aux termes du paragraphe 116(4) ne peuvent l'être que d'une personne qui est tenue de produire des déclarations mensuelles, ce que l'appelant n'est pas, en ce qui concerne les achats en litige.

En outre, l'avocat de l'appelant a soutenu que, si le Parlement avait eu l'intention de mettre une partie comme l'appelant dans la position d'un fabricant titulaire de licence visé par l'article 79 de la Loi, il aurait adopté, pour refléter cette intention, une forme quelconque de disposition déterminative ou son équivalent. À l'appui de sa thèse selon laquelle le Parlement n'avait pas adopté une telle disposition, l'avocat a déposé plusieurs documents concernant la pratique administrative entourant la production de déclarations [2] . Il a fait valoir qu'il n'y a rien dans ces dispositions ou documents administratifs pour attirer l'attention de l'appelant sur le fait que, s'il a remis un certificat d'exemption qui se révèle par la suite inacceptable, il peut être redevable des intérêts et de la pénalité.

L'avocat de l'appelant a, de plus, fait valoir qu'il y a un fondement pour l'affirmation que les certificats d'exemption ne sont pas légalement exécutoires [3] , si bien qu'il ne conviendrait pas d'exiger des intérêts et une pénalité à un acheteur sur la foi d'un document qui n'a lui-même aucune base juridique. Enfin, l'avocat a soutenu que les intérêts et la pénalité ne doivent pas être imposés lorsqu'une partie établit qu'elle a exercé une diligence raisonnable [4] .

L'avocat de l'intimé a fait valoir qu'il y a trois conditions à satisfaire pour qu'une responsabilité soit établie aux termes du paragraphe 116(4) de la Loi : 1) l'opération met en cause un fabricant titulaire de licence; 2) un fabricant titulaire de licence achète des marchandises d'un autre fabricant titulaire de licence; et 3) l'acheteur prétend que les marchandises sont exemptes de la taxe alors qu'elles ne le sont pas. Dès que ces conditions sont satisfaites, il y a deux façons d'imposer les intérêts et la pénalité, soit à l'acheteur, c'est-à-dire par l'application de la responsabilité solidaire aux termes de l'alinéa 116(4)b), soit à l'appelant seul, si le vendeur satisfait aux conditions de l'alinéa 116(4)a), à savoir qu'il a obtenu un certificat ou une déclaration d'exemption et prouve qu'il a exercé une diligence raisonnable. L'avocat a soutenu que, comme l'appelant n'a que contesté l'application des intérêts et de la pénalité à l'égard de l'alinéa 116(4)a), l'appelant a concédé que les conditions du paragraphe 116(4) ont été satisfaites et que, par conséquent, la seule question en litige consiste à déterminer si l'appelant est redevable des intérêts et de la pénalité imposés aux termes dudit paragraphe.

L'avocat de l'intimé a soutenu que l'imposition des intérêts et de la pénalité aux termes des dispositions en litige découle du fait que le vendeur a omis de verser la TVF comme il l'aurait fait si le système avait bien fonctionné, c'est-à-dire si la TVF avait été payée par l'appelant puis versée par le vendeur lorsque ce dernier a produit la déclaration exigée aux termes des articles 78 et 79 de la Loi. Autrement dit, la Loi ne crée pas à l'acheteur l'obligation de produire les déclarations ni de verser les taxes. L'obligation demeure chez le vendeur, et la possibilité d'imposer des intérêts et une pénalité surgit lorsque le vendeur, et non l'appelant, omet de verser les taxes.

L'avocat de l'intimé a, de plus, fait valoir que le Tribunal doit rejeter une approche technique étroite de l'interprétation des dispositions en litige et doit plutôt appliquer la «règle moderne» de l'interprétation de la loi, c'est-à-dire l'approche du «sens courant» ou des «mots dans leur contexte global». Il a résumé cette approche en expliquant qu'il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit et l'objet de la Loi et l'intention du Parlement [5] . Il a soutenu que, lorsque les mots en litige sont clairs, il faut donner plus de poids à ces mots et à leur contexte immédiat qu'aux assertions quant à l'intention du Parlement. Il a fait valoir que les dispositions en litige sont claires en ce qu'elles reflètent que la détermination d'une date pour les intérêts et la pénalité vise à établir la date du versement du fournisseur et, partant, qu'il n'est pas nécessaire d'obliger l'appelant à produire les déclarations ni à verser les taxes.

Le Tribunal convient que l'intention du législateur d'imposer des intérêts et une pénalité à un acheteur comme l'appelant, qui achète de fabricants titulaires de licence des marchandises en se fondant sur le fait que les marchandises sont destinées à une utilisation conforme aux dispositions de la partie XIII de l'annexe III de la Loi et qui, par la suite, utilise ces marchandises à des fins taxables, se trouve clairement établie aux articles 78, 79 et 116 de la Loi. Cela peut se faire par l'application de la responsabilité solidaire d'établir les intérêts et la pénalité aux termes de l'alinéa 116(4)b) ou par l'application de la responsabilité à un acheteur seul, lorsque les conditions de l'alinéa 116(4)a) sont satisfaites. En l'occurrence, la question en litige consiste à déterminer si les conditions de l'alinéa 116(4)a) sont satisfaites, vu que l'appelant a accepté la responsabilité du paiement de la TVF exigible à l'égard de ces marchandises. Cette acceptation doit être interprétée comme un aveu que l'appelant a fourni au vendeur «la déclaration ou le certificat» que requiert le sous-alinéa 116(4)a)(i).

Persuadé que telle est la disposition appropriée aux termes de laquelle l'imposition des intérêts et d'une pénalité doit être envisagée dans la présente affaire, le Tribunal n'hésite pas à conclure que l'objet de la Loi est d'imposer des intérêts et une pénalité à une partie comme l'appelant, même si ce dernier n'a aucune obligation de produire les déclarations ou de verser les taxes. Selon l'objet de la Loi, la TVF doit avoir été payée par l'appelant puis versée par le vendeur avec lequel il a traité lorsque ce vendeur a produit la déclaration exigée aux termes des articles 78 et 79 de la Loi. Par conséquent, le Tribunal n'est pas persuadé que les autres dispositions législatives ou les documents administratifs du genre de ceux qu'a déposés l'avocat de l'appelant, y compris les certificats d'exemption, qui n'attirent pas nécessairement l'attention de l'appelant sur la responsabilité éventuelle de payer les intérêts et la pénalité à l'égard de l'opération en litige, doivent exonérer l'appelant, étant donné que le paragraphe 116(4) de la Loi prévoit clairement la responsabilité éventuelle. Enfin, le Tribunal n'est pas persuadé que l'appelant a produit les éléments de preuve qui porteraient le Tribunal à conclure que l'appelant a satisfait aux normes de diligence raisonnable applicables à l'égard de l'imposition des intérêts et de la pénalité dans la présente affaire.

Par conséquent, l'appel est rejeté.


[ Table des matières]

1. L.R.C. (1985), ch. E-15.

2. Ces documents comprenaient l’article 6 du Règlement général sur les taxes de vente et d’accise, C.R.C. (1978), ch. 594, modifié; le Mémorandum de l’Accise ET 103, Déclarations et paiement de la taxe, ministère du Revenu national, Douanes et Accise, le 16 janvier 1989; et la formule B93, Déclaration de taxe d’accise, ministère du Revenu national, Douanes et Accise, la formule pour les déclarations en vigueur à la date pertinente.

3. Citant Industrial Electrical Contractors Limited c. Le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l’accise (1986), 11 R.C.T. 254.

4. Citant Pillar Oilfield Projects Ltd. c. Sa Majesté la Reine, [1993] G.S.T.C. 49, Cour canadienne de l’impôt, dossier de la Cour no 93-614 (GST)I, le 19 novembre 1993.

5. Invoquant notamment Stubart Investments Limited c. Sa Majesté la Reine, [1984] 1 R.C.S. 536; et British Columbia Telephone Company c. Sa Majesté la Reine, [1992] 1 C.T.C. 26, Cour d'appel fédérale, no du greffe A-390-91, le 17 janvier 1992.


Publication initiale : le 28 août 1996